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Gravures rupestres de l’Atlas

Au lever, à 6 h, un superbe soleil éclaire les alentours et il fait déjà chaud. Dans la vallée, une mer de nuages crémeux stagne ; ils se disperseront peu à peu durant la matinée. Nous sommes au-dessus de tout cela. Sur nous, le ciel reste bleu. Un petit berger chante quelque part et sa voix résonne sur les parois. La source murmure, les mules tournent autour de leurs piquets et mâchent la paille qu’on leur a donnée. La terre est rouge et produit d’étranges fleurs vertes sur les touffes d’euphorbes.

En berbère, praline se dit « kaokao » mais bonbon se dit « fanide ». C’est un mot que nous entendrons souvent de la part des enfants. L’injure de surprise, qui se dit merde en français est en berbère « zeit » (prononcer khsiete en crachant le kh). « Balek » signifie dégage ! et « azi », viens. De même nous avons « makein moukhil » = pas de problème, « chrob » = boite, « magana » = montre, « chbib » = raisin sec, « louze » = amande, « tierbatine » = gazelle. « Ya » veut dire oui et « hoho », non. En arabe ou en berbère, « yallah » signifie « on y va » et « la choukrane al anajib », merci.

Nous partons explorer le col de Tizi n’Tirghist, une centaine de mètres plus haut que le camp. Il se situe au pied de la corne nord de la table du Rhat, où sont gravés des signes rupestres sur les dalles de grès rose. Boucliers, lances, chevaux, attelages… les signes sont ceux d’un peuple agriculteur et guerrier, il y a probablement 3000 ans. Mais les gravures ont pu subsister jusque vers l’an 1000 de notre ère.

Le col est un lieu remarquable, peut-être inquiétant. Mettre sa marque en cet endroit, c’est marquer son territoire. Les chats pissent contre un buisson, les hommes, plus subtils, gravent des symboles. Justement, marquer des boucliers en grand nombre à cet endroit est sans doute une forme de protection contre ce qu’il y a au-delà, démons de la montagne ou hommes de la vallée suivante. Les « boucliers » sont des gravures rondes, munies d’un point central et striées en demi-cercle.

Le ciel est pur à cette hauteur, d’un bleu pastel. L’herbe est bien verte fleurie de boutons d’or, l’une de mes fleurs d’enfance avec la pâquerette et la giroflée. Des coquelicots mettent leur note rouge dans les champs encore verts. Une petite fille que nous croisons en porte un chargement sur le dos, « pour les vaches », nous dit-on. De jeunes bergers curieux descendent jusqu’à nous, à qui nous donnons des figues sèches et des amandes. Des villages surgissent un peu partout. On entend dans les lointains des cris d’enfants. Le cricri des grillons, les trilles des oiseaux peuplent l’étendue, sous le soleil à peine voilé parfois de légers cumulus. Les montagnes alentour alignent leurs strates horizontales comme un rempart protecteur. Des plaques de neige éternelle rappellent cependant que le climat est rude en hiver.

Nous suivons la vallée sur une petite piste creusée par le pas des mules et des vaches qui vont aux pâturages. Nous croisons plusieurs troupeaux de tous ordres sur la piste, deux ou trois vaches rousses aux petites cornes, conduites par une fillette ou un garçonnet. Plusieurs filles déjà adolescentes ramènent sur leurs dos des bottes de coquelicots et autres herbes mélangées. Elles avancent courbées en deux, la botte deux fois plus grosse que leur corps, tenue sur les épaules par une corde. On dirait des fourmis, grignotant pas à pas la distance du champ à l’étable.

La terre est irriguée de rigoles tracées depuis des générations et les champs se multiplient. Souvent l’orge est mélangé à l’avoine, un peu de maïs pousse plus loin, puis des pommes de terre. Tout est conçu pour l’autarcie : nourrir les hommes et les bêtes, mais sans guère de surplus à vendre sur les marchés. Les gamins qui nous regardent, de leurs grands yeux emplis de curiosité pour l’étrange que nous représentons, sont habillés selon la tradition, en djellaba. A force de jouer dans la terre, ils en ont pris la couleur. Seuls deux yeux noir ou brun qui brillent dans leur visage paraissent éternellement neufs.

Pique-nique et campement à 2300 m d’altitude, à une heure du dernier village de Tarbat n’Tirsal. Demain, nous attaquons la montagne. Le ciel se couvre, le vent suit les méandres de la vallée. Si le soleil est brûlant lorsqu’il règne au ciel, il fait frais dès qu’il se cache. L’après-midi est consacrée au repos, dans l’attente des fatigues de demain.

Ce soir, nous avons du couscous pour dîner. Après le service, les Berbères viennent chanter et jouer du tam-tam sur des casseroles dans la tente mess où nous nous sommes réfugiés en raison du froid qui descend. Le boute en train du lot est le jeune Mimoun. Il chante d’une voix bien posée, avec certaines notes encore adolescentes. Il sourit tout le temps, comme s’il se réjouissait de tout ce qui arrive. Il est rempli de vie et sa joie d’exister est une contagion permanente. Les autres Berbères l’aiment bien. Il change parfois malicieusement les paroles des chansons traditionnelles pour les faire rire. Nous chantons aussi, après qu’ils l’aient demandé, mais notre voix a moins de conviction. L’habitude s’est perdue, depuis l’école. Je me lance dans un solo avec le succès appris d’un étudiant en médecine : « je suis allé jusqu’à la morgue » est un air de salle de garde, mais rythmé et facile à retenir. Vis-à-vis d’étrangers qui ne comprennent pas les paroles, cela a son effet.

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Vers le haut Atlas marocain

Surprise à l’arrivée à Marrakech : il ne fait que 25°, pas plus qu’à Paris ! Il y a quelques années, l’aéroport était encore tout simple, de couleur rose comme la terre alentour. Nous nous transportons à l’hôtel Kenza, avenue El Mansour, un quatre étoiles de bonne facture. Les chambres sont avec balcon en décrochement. Mais l’insonorisation est inconnue ici. Le béton armé résonne, l’immeuble est bruyant la nuit, d’autant que la rue est très passante le samedi soir. Deux mariages en convois vont se succéder ! Sans parler des appels du muezzin dès l’aube depuis les mosquées voisines.

Nous faisons une rapide promenade dans la ville, en taxi jusqu’à la place Djema El Fnaa. Nous dînons au Café de France, sur la terrasse qui la surplombe. Il fait frais ce soir, un petit vent souffle de la mer et l’on aurait supporté une laine sur la terrasse en hauteur. Mais nous n’en avons pas emporté ; pour nous, Marrakech, c’était l’été. Beaucoup de monde erre dans les rues, sur les trottoirs, sur la place, dans un frottement civil plus que par affairement. Les touristes sont peu présents. Des gamins grouillent partout, dépenaillés, barbouillés mais le visage frais. Mobylettes et vélos se croisent et traversent la foule à tout moment, les voitures roulent au pas et au klaxon. Il y aurait 900 000 habitants dans cette perle du sud fondée en 1062. On construit à tour de bras, largement hors de la vieille ville, mais c’est le centre qui attire la foule, par le spectacle qu’il offre. L’humanité s’y montre et s’y côtoie, badaude et grignote, ou mendie. Nous dînons de crudités, de couscous, fruits et thé à la menthe. Un menu basique du pays, aux produits de la terre.

Sur la place, la nuit, des groupes d’indigènes font de la musique, seuls. Personne ne les regarde, le coin de place est déserté par l’heure avancée. Les musiciens sont là, ensembles, et jouent pour eux-mêmes, ou pour Dieu. D’autres mangent sur des tréteaux improvisés, éclairés aux lampes à gaz, de pleines assiettes de frites et de merguez, de pain et d’abats. Certains ne vendent que des escargots, qui cuisent doucement dans une grande bassine. L’acheteur emprunte une épingle à nourrice, désinfectée dans une orange, pour extraire les bêtes de leur coquille.

Retour à l’hôtel en taxi. Nous sommes sept et les chauffeurs craignent la police, qui a la réputation de ne pas être tendre en ce pays. Ils n’acceptent donc que trois personnes par voiture. Pour le dernier, le taxi fait toute une mise en scène : nous montons à trois, puis une fille se cache sous la banquette pour faire croire que l’on n’est plus que deux, et l’on prend le quatrième un peu plus loin… Mais le chauffeur n’en mène pas large. A un moment, il stoppe et éteint le moteur. A-t-il vu la police ? Même pas : « c’i li couffre ! » Il descend et claque le coffre mal fermé de sa vieille Fiat brinquebalante. Et nous repartons.

Après une nuit agitée et le léger décalage horaire (2h de moins), nous sommes réveillés à 6h30 pour un déjeuner à la française. Les bagages sont chargés sur le toit d’une Land Rover, et nous voici à neuf entassés sur les sièges : le chauffeur, Marie-Pierre l’accompagnatrice et le clan des sept : nous. En avant pour huit heures de trajet, 250 km en tout vers l’Atlas, dont 58 km de pistes.

Au bord de la route, des gamins, encore des gamins, quelques vieux sur des mulets qui se rendent au souk voisin, le bric-à-brac des bazars villageois, les tas de ferrailles devant les garages. Sur la grande artère droite bordée d’arbres, une silhouette au loin se précise peu à peu. C’est une toute petite fille, au milieu de la route, qui regarde arriver la voiture sans bouger, hypnotisée comme une chouette. Le chauffeur ralentit, s’arrête, descend. Il ne dit rien mais prend la fillette dans ses bras et va frapper à la première porte pour la confier à qui se trouve là, en expliquant qu’elle ne doit pas rester seule sur la route. Touchante attention d’adulte pour un petit enfant quelconque. Le Maroc est un pays resté largement traditionnel, loin de l’égoïsme des pays dits « civilisés » où morale et sens civique se perdent.

Arrêt-faim vers 10 h et demie. Il est l’heure pour notre estomac, pas encore au fait que l’heure est une convention et qu’ici elle se décale de deux heures. Azilal est le chef-lieu de la province, donc une ville plutôt grande, mais notre venue fait sensation. On nous regarde avec curiosité, les enfants tournent autour de nous, moins pour nous vendre des cigarettes, ce qui est leur petit métier, que pour nous observer. Ils répondent aux sourires, réservés et discrets, mais curieux. Leur rêve secret serait de nous aborder et de parler avec nous. Mais peu parlent français. Certains jeunes garçons se tiennent les mains ou les épaules ; ils s’aiment chaudement, en copains, ce que nous ne savons plus faire, toujours sous le regard réprobateur du puritanisme yankee. Nous marchons un peu dans les rues de terre battue. De belles maisons de pisé s’élèvent, peintes sur la façade en rouge sang de bœuf, les volets en vert ou bleu pastel.

Le pique-nique véritable a lieu sur la piste, en pleine montagne. Mais le coin est loin d’être désert : on ne fait pas cent mètres sans apercevoir un troupeau et ses bergers, adultes ou enfants. Les bergeries sont bâties de pierres sèches, au loin se distinguent des enclos et des tentes.

Nous approchons du terme de notre voyage en voiture, une vallée verdoyante commence à apparaître à l’horizon. Les villages, superbement bâtis de larges maisons aux murs de terre et aux toits de chaume plats, paraissent riches. L’eau est partout et irrigue les champs et les jardins. Tout y pousse, même l’olivier.

Notre randonnée va pouvoir commencer.

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