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Khiva 2

La matinée est la suite de la visite guidée de la ville commencée hier. Un procédé urbanistique original fut de placer deux monuments l’un en face de l’autre, systématiquement. On appelle cela « koch » et c’est de tradition dans toute l’Asie centrale.

Rios nous montre le musée du Khan Kourynych-khana (1806) où se déroulaient les réceptions officielles. Nombreuses pièces autour d’une cour à créneaux. Un iwan à deux colonnes a ses murs entièrement recouverts de majoliques. L’œil suit les méandres tracés avec une extraordinaire minutie des décors blanc sur bleu.

Les piliers de bois sculptés de l’iwan reposent en pointe sur une base en pierre.

Les plafonds sont en bois à caissons peints.

Les portes sont des dentelles de bois tellement le sculpteur les a burinés d’enthousiasme.

Sur les murs de brique, sont parfois incrustés des céramiques en forme de 8, symbole mathématique de l’infini.

La salle du trône est décorée d’une sorte de stuc ciselé appelé ici « gantch ». Nous visitons des medersas, des mosquées. La Kounia Ark ou ‘vieille forteresse’ date pour ses parties les plus anciennes du 17ème siècle ; le reste est 19ème. Nous y montons, on y voit bien la ville de haut. Suit la medersa d’Islam Khodja qui s’ouvre dans le labyrinthe des rues. C’est son minaret de 56 m de haut qui attire l’attention. Il s’amincit progressivement, comme pour se perdre peu à peu dans le ciel. C’est du moins ce que croit le regard depuis son pied d’un diamètre de 9 m. Le tronc est tout annelé de couleurs orange, rouge et gris décoré, briques et majolique. Il date de 1908. Des enfants béent devant l’élan phallique ; nous ne sommes pas en civilisation patriarcale pour rien.

Le mausolée dédié au saint costaud Pakhlavan Mahmoud vaut le détour, pour la foule d’aujourd’hui plus que pour le monumental d’hier. Poète et lutteur né à Khiva, fort populaire fin 13ème siècle dans la ville car invincible, il est considéré comme un saint ayant le pouvoir de guérir. On dit que les Iraniens, les Indiens et les Pakistanais l’honorent aussi comme patrons des lutteurs. Il n’avait pas que des muscles mais aussi une tête et est l’un des fondateurs du soufisme. D’où la ferveur qu’ils suscite encore aujourd’hui, les femmes guidant les enfants, leur faisant baiser la grille devant son tombeau, les gens de tous âges s’agglutinant autour d’un imam barbu dès qu’il commence à chanter une prière, lui faisant aumône ensuite dans un tintement de pièces. Comme la chose est lucrative et que la ferveur nécessite de faire silence, nous devons calculer le moment de bouger, entre deux « affaires ». La cour recèle une source et, de l’extérieur, on aperçoit la coupole qui est la seule à être turquoise de toute la ville.

Nous faisons un petit tour dans le bazar couvert où s’entassent les boutiques. Elles débordent dehors, sous étals. Ce qui surprend, ce sont les bacs entiers de bonbons en vrac, enveloppés, de sucre candi brut, de gâteaux glacés au blanc d’œuf et décorés de roses en sucre. Cette profusion sucrée est pour nous un tant soit peu écœurante mais nous sommes dans un pays longtemps resté soviétique qui a connu la pénurie chronique de sucreries et qui se rattrape. La génération prochaine évoluera comme nous, probablement.

Une femme est quasi enfouie sous son étal de coupons en tissu imprimé. Emerge son visage lisse, joli, de grand yeux noirs écartés aux prunelles inquisitrices de vendeuse qui soupèse le possible client. Jean-Luc achète à un homme, un peu plus loin, un ensemble léger chemise-pantalon, en coton du pays. Il le paye 30 $. Dès que l’on parvient à dire un mot ou deux en russe, les gens deviennent tout de suite avenants. Non par révérence envers l’ex-empire, je ne crois pas, mais simplement parce qu’une communication est possible.

Ce peuple tribal, dans une civilisation musulmane toute de relations, aime à parler, à échanger des idées comme des marchandises. Les adultes aussi aiment à se faire prendre en photo – sauf le boucher, car son métier est considéré comme impur, donc socialement dévalorisant.

Selon Rios, l’usage ici est que les voyageurs se fassent toujours photographier devant les monuments. Pour les Ouzbeks – comme pour beaucoup de peuples à peine sortis de la vie paysanne traditionnelle – le monument en lui-même « n’a pas d’intérêt », il y a des cartes postales pour ça, et bien mieux prises. Soi devant montre que l’on y a été ; on s’approprie ainsi un peu de la notoriété qui lui est attachée. C’est pourquoi les enfants ou les babouchkas aiment à se faire photographier avec des étrangers ; c’est un peu du monde qui rejaillit sur leur réputation. C’est pourquoi aussi il est si facile au photographe de tirer le portrait des gens. Il suffit d’attendre que la famille s’y mette.

Mais on peut saisir au vif dans la rue ; j’ai pris ainsi de doctes Musulmans enturbannés et barbus, l’air important, qui sortaient en groupe d’une mosquée ; une petite fille aux épaules dégagées, la robe aux motifs traditionnels colorés, un collier de verroterie au cou. Mains sur les hanches, peau fine, sourire aguicheur, elle me toise avec fierté du haut de ses huit ans. Une autre, pas encore adolescente, sous ombrelle bleue, qui s’interroge.

La chaleur est supportable car la ville est suffisamment resserrée pour qu’il y ait toujours un pan de rue ou une ruelle à l’ombre. On grillerait à rester en plein soleil. Il nous reste seulement à enlever et à remettre cent fois la matinée bob et lunettes de soleil en passant de la lumière à l’ombre.

Le déjeuner est prévu à l’Office de tourisme, qui arrondit ainsi sa fonction dans la lignée de l’ex-Intourist. Les salades sont très variées et le sorte de pot-au-feu qui sert de plat principal n’est pas trop gras et plutôt goûteux. Il comprend à la russe chou, carottes et pommes de terre pour agrémenter le bœuf.

L’après-midi est libre. Nous le passons séparément à traîner dans les ruelles de la ville-mausolée. La terre rouge du désert, de quoi les briques des murs sont faites, lui donne un air magique, un tantinet dramatique lorsque le crépuscule descend. L’interprétation hésite entre l’airain biblique et le sang des massacres post-invasion.

Je parcours la ville aux heures chaudes. Trois-quarts d’heures suffisent à en faire le tour par l’intérieur. De nouvelles maisons traditionnelles, bien faites ou refaites, ornent les pourtours de la cité, juste au pied des remparts, un jardin intérieur isolé et arboré donnant une quiétude aux habitants du lieu. Des voitures cossues sont garées ce vendredi derrière les grilles des cours. De hauts murs de terre abritent le jardin de toute vue. Un cimetière aux tombes coniques est curieusement accolé au rempart côté sud. Est-ce la direction de La Mecque ?

Il fait trop chaud pour une quelconque activité et le bazar, très animé ce matin, est désormais presque vide. Les derniers rangent leurs invendus et leur étal. Presque aucun touriste ne se hasarde au soleil. Je croise de rares matrones qui vont à leurs affaires sous de brillantes ombrelles, ou quelques garçonnets peu vêtus. La vie sort le matin et le soir ; l’entre-deux est mort.

Le rendez-vous est à 17h45 pour dîner à l’hôtel avant de se rendre à l’aéroport pour le vol intérieur qui nous ramènera à Tachkent, puis à Paris. Hors des remparts, le long du bassin d’eau glauque devant l’hôtel, face à la statue d’Algorithme, quelques gamins en slip ou portant débardeurs lâches, pêchent d’improbable poissons. Je n’ai vu nul d’entre eux en sortir un de l’eau. Le Persan Al-Khwarizmi a donné au IXe siècle, via le mot grec arithmos, le processus mathématique qui consiste en une suite finie et non ambiguë d’opérations pour résoudre un problème.

FIN du périple en Tadjikistan-Ouzbékistan

Il a été réalisé grâce à l’agence Terre d’aventures en 2007 et réalise à peu près le périple actuel intitulé Les chemins de Tamerlan

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Histoire illustrée de l’informatique

Un informaticien de Paris-Dauphine et un historien de Paris-Sorbonne se conjuguent pour livrer au public une histoire illustrée avec bibliographie, liste des musées et index. Dommage que la préface se place avant le sommaire, ce qui oblige à farfouiller pour savoir avant d’acheter ce qu’il y a dedans, que les caractères microscopiques soient pour des yeux de moins de 40 ans et que le format allongé soit peu commode pour la lecture comme pour la bibliothèque. Mais qui se soucie de ces détails parmi les allumés des algorithmes ?

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L’antiquité prend 14 pages, la modernité mécanique 24, le début du XXe siècle 18, les premiers ordinateurs 32 pages, les gros systèmes 48 pages, les micro-ordinateurs 36 pages, la microinformatique 40 pages et l’ère des réseaux 27 pages. Ces 8 parties résument toute l’histoire… dont on voit aisément que le siècle dernier occupe 80% de l’ensemble.

Mais l’on apprend que l’on comptait déjà 4000 ans avant notre ère en Mésopotamie (tablettes) et que le calcul informatique commence dès les doigts d’une main avant de s’élaborer en mathématique. La computation ne se met en système qu’à l’aide des symboles et de la logique. Si l’on peut dire que compter est la chose du monde la mieux partagée, le mécanisme d’Anticythère (île grecque) datant du IIe siècle avant, « modélisant le cours des astres à l’aide de plus d’une trentaine d’engrenages », représente probablement le premier proto-ordinateur au monde. Presque mille ans plus tard, c’est le musulman ouzbek Al-Khwarizmi qui donnera son nom aux algorithmes « en explicitant les étapes nécessaires au calcul des racines », « début de l’algèbre (mot provenant de l’arabe Al-jabr ou opération de réduction) ».

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L’horloge mécanique en Europe au XIIe siècle apportera la précision technique sur les divisions du temps tandis qu’en 1614 l’Ecossais John Napier invente les logarithmes et des bâtonnets multiplicateurs, ancêtre de la machine pour calculer. La règle à calcul n’est inventée qu’en 1630 par William Oughtred tandis que, quinze ans plus tard, Pascal invente la pascaline, mécanique horlogère servant de machine à calculer. Passons sur le métier à tisser Jacquard en 1804, programmable à l’aide de cartes perforées, sur le code Morse en 1838 qui transforme des signes en informations électriques, sur l’arithmomètre d’Odhner en 1873, « le best-seller mondial des calculatrices de bureau » pour en arriver au XXe siècle – le siècle de l’informatique.

Les abaques de Monsieur d’Ocagne en 1905 permettent aux ingénieurs de travailler tandis que le totalisateur de paris mutuels organise le calcul en 1913 via un système d’engrenages. La carte perforée (que j’ai encore connue durant mes années d’études…) nait en 1928 et il faut attendre dix ans de plus pour que l’Américain Claude Shannon « propose d’appliquer l’algèbre de Boole aux circuits de commutation automatiques ».

Durant la Seconde guerre mondiale, le décryptage d’Enigma, la machine à chiffrer allemande, rassemble de brillants mathématiciens (dont Alan Turing) tout entier voués à introduire « la puissance des mathématiques dans la cryptanalyse ». Le calculateur Mark I naîtra chez IBM en 1944 pour la marine américaine. L’ENIAC de 18 000 tubes et 30 tonnes, construit en 1945, permet 5000 additions par seconde et permet d’étudier la faisabilité de la bombe H. Mais le premier programme enregistré n’émerge qu’en 1948 et Norbert Wiener introduit la même année la cybernétique. Les premiers ordinateurs commerciaux seront fabriqués en 1951 et le premier ordinateur français pour l’armement, CUBA, naît en 1954 – comme François Hollande.

Le transistor aussi, qui remplacera les vieilles lampes, et le disque dur émerge en 1956, le langage FORTRAN en 1957. Le premier circuit intégré comme le premier traitement de texte surgiront en 1958, le traitement de masse dans la banque avec l’IBM 705 en 1959 et le premier ordinateur personnel interactif français, le CRB 500 la même année. Tout va plus vite : les langages COBOL et ALGOL sont créés en 1960, en même temps que le fameux ordinateur IBM 1401. Le terme « informatique » ne naît qu’en 1962 : vous le saviez ? Le langage BASIC (ma première programmation) n’est élaboré qu’en 1964.

C’est l’année suivante que Gordon Moore, directeur de recherches chez Fairchild Semiconductor, énonce sa fameuse « loi de Moore », ressassée à longueurs d’articles geeks, selon laquelle la densité d’intégration sur circuit intégré double tous les deux ans (autrement dit, on peut mettre le double d’information sur la même surface). Il fondera INTEL en 1968, année du Plan calcul en France.

Arpanet, l’ancêtre d’Internet, est créé en 1969 par des scientifiques civils financés par le Pentagone. La même année, le mot « logiciel » arrive dans le vocabulaire et le système d’exploitation UNIX en 1970, comme la disquette souple. Le premier e-mail est lancé en 1971 et naît cette année-là la Silicon Valley. Nous entrons dans l’ère de la micro-informatique. Les microprocesseurs arrivent en 1975, année où est fondé Microsoft ; l’imprimante laser voit le jour en 1976, en même temps que l’ordinateur Cray I. L’Apple II (mon premier ordinateur) est commercialisé en 1977 et le réseau français Transpac est initialisé par le Ministère français des PTT en 1978 – sous Giscard – ce qui donnera le Minitel en 1982. Le premier tableur pour Apple II s’appelle VisiCalc et naît en 1979, juste après le premier jeu vidéo, et l’IBM PC (Personnal Computer) n’est créé qu’en 1981 – année où Mitterrand devient président.

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Le Mac d’Apple (mon second ordinateur) émerge en 1984 et le web en 1993 (j’étais passé deux ans avant sur Compaq). C’était hier et ce fut très rapide. Ma génération, qui a connu enfant les bouliers et les téléphones à manivelle, a dû s’adapter au portable, au mobile et aux réseaux. Amazon naît en 1995, Google en 1997, année du WiFi et de Bluetooth, la clé USB en 2000 et Wikipédia en 2001, les réseaux sociaux et l’iPhone en 2007 – année où Sarkozy devient président. Mais ce n’est pas fini : en 2011 émerge le cloud computing, le stockage en ligne, en 2012 l’imprimante 3D, en 2013 la réalité augmentée, en 2014 les objets connectés…

Cette histoire illustrée s’arrête là, provisoire comme toutes les histoires. A suivre ! comme l’on dit dans les comics. Beaucoup d’images, des textes courts, un progrès au galop mais qui resitue avec enthousiasme l’épopée de l’informatique : que faut-il de plus pour aimer ce livre ?

Emmanuel Lazard et Pierre Mounier-Kuhn, Histoire illustrée de l’informatique, 2016, EDP Sciences, 276 pages, €36.00 préface de Gérard Berry, professeur au Collège de France à la chaire Algorithmes, machines et langages, médaille d’or du CNRS 2014

Attachée de presse Elise CHATELAIN Communication et promotion des ouvrages
elise.chatelain @edpsciences.org

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