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Déjeuner cubain au village d’Ignacio

Nous quittons Baracoa pour reprendre les 49 km de la route révolutionnaire appelée la Farola. Des épiphytes – les bromélies – poussent sur les fils électriques tant l’atmosphère est chargée d’humidité. Parfois, des cerfs-volants faits de ficelle et de sacs plastiques sur une armature de bâton, pendent des fils électriques, enroulés par le vent. C’est un sport national enfantin que de faire voler ces oiseaux artificiels.

Sergio nous apprend dans le bus – car il parle toujours – qu’il descend d’Espagnols des Baléares et des Canaries, venus émigrer à Cuba au début du 20ème siècle étant données les conditions économiques de l’Espagne à cette époque. Il nous dit qu’il y a eu peu de mélanges entre races depuis l’abolition de l’esclavage en raison de la ségrégation sociale. Avant, les maîtres faisaient des enfants à leurs maîtresses esclaves ; après l’abolition, le mélange racial a été trop mal vu. Et aujourd’hui ? Sergio n’en dit mot. Je note qu’il glisse toujours sur ce qui n’est pas « dans la ligne ».

Dans un virage de la route, nous nous arrêtons un moment pour acheter de petites bananes parfumées et du cocorocho, cette pâte de fruits faite de coco mais aussi de goyave ou banane (ou orange, ou papaye) vendue en cornets de feuilles de bananier. Cette friandise est très sucrée, avec un goût de fumé qui doit venir de sa préparation artisanale. Selon les cornets (j’en goûte plusieurs), la saveur va de celle du tabac blond à celle du hareng saur. Les enfants d’ici en raffolent. Les vendeurs s’étagent au long de la route « touristique » mais aussi passage obligé des échanges cubains, privilégiant les aires de stationnement. Une femme d’âge mûr a un très beau visage. Un vieux très ridé regarde les étrangers sans un mot, le regard absent. La population de la région est saine et vigoureuse, c’est un plaisir esthétique de la regarder.

gamin noir cuba

Nous nous arrêtons au village d’Ignacio où le bus s’était enlisé à l’aller, il y a trois jours. Le chemin de terre du village conduit tout droit à la plage, une bande étroite de sable entre l’eau et les palétuviers. Cette fois, le chauffeur fait attention de ne pas recommencer à mettre ses roues où il ne faut pas. Le village est endormi dans la torpeur du midi ; les enfants sont encore à l’école, les plus grands loin d’ici. Ils ne reviendront que dans une heure ou deux. La mer est tiède, je me baigne. Mais les hautes vagues roulent bien le baigneur sur le sable grossier qui s’élève brusquement sur la rive. Attention aux rochers cachés qui peuvent blesser. L’une des filles en a fait l’expérience. Le soleil est très vif, assommant. Pas question d’en prendre un bain, nous risquons la brûlure.

Le repas est un pique-nique pris à l’hôtel ce matin. Il se compose de poulet et de frites molles. Mais Hector, le pêcheur, un moustachu en débardeur noir, nous a fait préparer trois poissons. Ce sont de gros pageots rosés, grillés, que l’on mange avec une sauce au citron vert ou au piment. Sa femme est là avec ses deux petits enfants dont l’un est encore au chaud dans son ventre. D’autres enfants voisins viennent nous entourer, curieux comme des chatons. Nous retrouvons le petit fier de sa plaie à la hanche. Un treize ans fin mais musclé déambule souplement, vêtu d’un simple pantalon coupé. Il a un beau sourire et la curiosité amusée de son âge pour les femmes d’Occident. Encore enfant il laisse sa mère lui caresser le visage mais, déjà homme, il a le geste protecteur envers les tout petits. Un sept ans un peu demeuré, au crâne en noix de coco, se met à pleurer. « Il a perdu son père », nous dit Hector, « tout le village l’a plus ou moins adopté mais il n’a pas toute sa tête ». Je lui offre du cocorocho, dont nous avons bien trop, comme aux autres enfants qui nous entourent, en m’adressant pour cela au plus vieux assis sur un tronc.

mere et fils ado cuba

Nous quittons ce hameau sympathique après une palabre d’intellos pour savoir s’il « faut » donner quelques dollars ou des objets, ou rien, ou… Sergio joue les Pilate (l’argent n’est pas « moral »), le pékinois donnerait bien « plus » (que quoi ? on ne sait pas), Françoise est « gênée ». Yves, qui tient la caisse, finit par trancher dans le consensus mou. Ce sera 5US$ qu’il fait accepter à Hector avec quelques mots de gentillesse.

Nous reprenons la route pour la partie la moins agréable, la plaine vers Guantanamo. Le soleil de côté laisse le paysage à contrejour. Les chochottes ont peur de la climatisation, d’autres ont trop chaud et menacent d’être malades, les vitres du bus ne sont pas prévues pour s’ouvrir… Encore une palabre d’intellos avant d’opter pour le bons sens : la climatisation.

L’hôtel de la chaîne Horizonte à Santiago est celui où nous avons pris le pique-nique du premier jour, à la descente de l’avion. Il est à l’écart de la ville, comme souvent les hôtels ici. Est-ce en raison de la pénurie de bâtiments assez vastes et suffisamment modernes dans le centre-ville pour accueillir des touristes ? Ou la volonté politique de parquer les étrangers à l’écart de la population ? Il faut dire que l’île a accueilli 10 millions de touristes l’année précédente. Nous sommes en pleine saison et il faut trouver à loger tout ce monde qui double pratiquement la population de l’île ! Les chambres de cet hôtel sont dispersées dans des bungalows semés dans un dédale de jardins. Il y a même une piscine.

pere et fils cuba

Après la douche et la prise d’un daïquiri au bord de la piscine, la nuit est tombée. Elle tombe tôt comme toujours sous les tropiques. Vers 18h le crépuscule est là, un quart d’heure plus tard il fait pleinement sombre. Le dîner s’effectue dans le périmètre de l’hôtel, dans un grand hall stalinien aux lustres « vieille Espagne » qui ressemble à un ancien réfectoire de couvent. Mais c’est une réalisation de la période socialiste, la lune de miel avec l’Union Soviétique ayant conduit à l’importation de modules de béton préformés pour construire des bâtiments. Le restaurant porte d’ailleurs le doux nom de « Leningrado » ! Le repas est au buffet. Chacun se rue sur les salades, ma stratégie consiste donc à aller directement aux plats chauds avant de revenir quand il n’y a plus personne. Le filet de poisson est goûteux, moins cuit qu’à midi, et ses légumes sont croquants. A ce que nous dit fièrement le cuisinier, il est importé surgelé : ce fait montre combien le socialisme est inefficace. Importer du poisson d’ailleurs dans une île entourée d’eaux poissonneuses, il n’y a vraiment que la vision « politique » socialiste de l’économie pour l’inventer !

cuba et caraibes carte

Françoise ne peut s’empêcher de faire la connaissance d’une tablée de congénères profs ! Ils sont américains – mais oui, des USA mêmes ! Elle peut enfin user de cet anglais qu’elle enseigne aux collégiens pour engager la conversation avec une dame d’âge mûr qui s’avère être une surveillante générale de lycée. Son groupe est de Boston. Tous ces grands sachants sont là « en mission officielle » d’étude du système éducatif. C’est la seule condition pour aller légalement à Cuba quand on est américain. Il faut cependant passer par un pays tiers pour atterrir à La Havane, en l’occurrence Montréal, car il n’y a pas de vols directs depuis les États-Unis. Sans « mission » – sportive, culturelle ou cours en tous genres – approuvée par le gouvernement, chacun aurait dû acquitter une amende pour avoir été dans un pays « proscrit ». A condition d’être contrôlé, bien sûr ! Hypocrisie typiquement protestante : tout est dans l’apparence mais le business est as usual.

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Khaled Hosseini, Les cerfs-volants de Kaboul

 

Voici une belle histoire qui se lit sans difficultés et captive suffisamment pour ne jamais ennuyer. Elle a tous les ingrédients de la culture mondialisée qui plaît à tout le monde. C’est le récit imaginé d’une rédemption (phénomène très fort dans la culture américaine comme dans l’ensemble de la chrétienté) après un grave péché d’enfant. Cela dans un pays dont on parle aux actualités (l’Afghanistan) et où le Bien (libertés, féminisme, compassion) se distingue sans lunettes du Mal (contraintes, machisme, cruauté). Ajoutez des personnages bien typés et touchants, quelques scènes de menaces, de massacres ou de pédophilie, et vous aurez le piment nécessaire. Secouez bien, racontez en style direct sans trop de descriptions ou d’états d’âme, et vous aurez un « film écrit » – une histoire sentimentale qui se lit très bien.

Malgré notre ironie, ne boudons pas notre plaisir. Les conteurs sont rares et les bons sentiments qui triomphent rassurent, c’est utile. Le livre est, comme souvent, meilleur que le film qui en a été tiré. Mais la lecture demande un moment de silence, un effort d’attention et un goût pour s’isoler qui deviennent de plus en plus rares dans la société branchée en permanence et excitée par chaque nouveauté qui passe. Ceux qui ne lisent pas pourront voir le film. Ceux qui connaissent un peu les paysages et les gens d’Afghanistan et du Pakistan préféreront le livre, où leur mémoire et imagination prendront leur ampleur.

Deux enfants vivent sous le même toit afghan dans les années 1970, avant le coup d’état communiste, avant l’invasion soviétique suivie de talibanisation. Ils ont un an d’écart mais l’aîné est le fils du patron, un riche commerçant kabouli, le second est le fils de son domestique. Les deux petits s’aiment comme des frères, jouent toujours ensembles et se lisent des histoires ; ils se protègent l’un l’autre. Jusqu’à ce que la jalousie pousse l’aîné à délaisser le cadet, allant jusqu’à ne pas intervenir alors qu’il se fait tabasser et violer par des gamins un peu plus grands. Le regret d’être lâche tourne l’amour déçu en accusation de vol et l’entente explose. Là intervient l’histoire avec l’arrivée des talibans.

Ceux-ci sont rigoristes, machistes et violents. Ils ne supportent pas que quiconque pense autrement qu’eux et ne baisse pas les yeux à leur approche. Ils bastonnent les femmes insuffisamment voilées ou qui élèvent la voix ; ils tapent sur les supporters des matchs de foot qui manifestent trop vivement leur enthousiasme ; ils interdisent les cerfs-volants, pourtant l’orgueil des pères et le bonheur des garçons. Comme dans tous les régimes totalitaires, les psychopathes et la racaille deviennent hommes de main des chefs : ils peuvent se faire craindre et violer quiconque leur plaît à loisir – et ne s’en privent pas. Une grosse ficelle romanesques est que le mollah chef de la milice de Kaboul soit justement le tortionnaire des petits jadis. Il est énorme qu’il soit à moitié allemand et aime les biographies d’Hitler : le romancier avait-il besoin de forcer ainsi le trait ?

Je ne vous raconterai pas la fin, ni le meilleur. Disons que le jeune Amir, après avoir laissé violer puis accuser de vol son compagnon d’enfance, découvre un secret de famille et qu’il fera tout pour sauver le fils de cet ami perdu, abandonné dans l’Afghanistan en guerre. Cela malgré sa lâcheté, les convenances sociales racistes afghanes et les redoutables lois d’immigration américaines qui s’appliquent même aux enfants orphelins ! C’est beau, haletant, on pleure à certains moments, on glorifie l’Amérique, ses mœurs et ses libertés – en bref, happy end ! Un bon livre pour Noël, alors que les petits jouent alentour.

Khaled Hosseini, Les cerfs-volants de Kaboul (The Kite Runner), 2003, 10/18 2006, 406 pages, 8.17€

Film de Marc Forster, Les cerfs-volants de Kaboul, DVD 2008 en français, 8.99€

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