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Mutation du bonheur français

Les Français sont heureux (8 sur 10) mais la France est malheureuse. Comment le comprendre ?

Jamais l’éducation n’a été si répandue, la santé si accessible et si peu chère, la vie active plus libre (notamment grâce au télétravail, mais aussi aux méthodes moins hiérarchiques de management). Heureux comme Dieu en France, disent les Allemands, et c’est vrai, vous ne rencontrez que très peu de Français personnellement malheureux.

A l’inverse, le pays a le sentiment de décliner. Moins comme puissance militaire qui compte dans le monde que comme (im)puissance économique. La désindustrialisation est croissante, malgré les rodomontades des patrons et de quelques énarques. Pas rentable, pas compétitif, pas sérieux. Que reste-t-il ? Le luxe, l’agroalimentaire, le tourisme… Voitures et avions sont remis en cause par l’écologisme montant, très fort dans la jeunesse, même celle qui ne vote pas. Et les vélos sont produits en Chine, comme les panneaux solaires et de nombreux éléments des éoliennes. Il resterait bien le nucléaire, mais… à reconstruire tant nous avons perdu les compétences.

L’armée reste une fierté mais avec le sentiment d’une action parfois néocoloniale en Afrique, ou suiviste chien-chien des yankees au Proche-Orient. Chirac a eu raison de dire non à Bush fils ; Sarkozy a eu raison d’aller en Libye avec les Anglais et sans les Américains (en apparence, car les « gros » moyens de transports et de renseignements restaient US Army…). Mais Hollande a-t-il eu raison de rester au Mali ? Serval oui, Barkane non. S’enkyster sans faire de politique est toujours voué à l’échec ; et faire de la politique dans les pays africains finit toujours par raviver les rancoeurs coloniales. Laissons donc les généraux et despotes africains se débrouiller tout seul ; ils réclament de l’aide et ne manquent jamais de se servir de la France comme bouc émissaire commode de tout ce qui part en vrille. Laissons-les montrer combien ils sont meilleurs tout seuls.

Il nous manque la certitude d’avoir un but, ou au moins une morale. Un récit collectif. Nous l’avons perdu depuis l’échec du gaullisme dévoyé par les technocrates à la Chirac et depuis l’échec de la social-démocratie après les dérives du premier gouvernement Mitterrand. Pompidou aurait pu incarner la France industrielle qui réussit dans le monde, mais il est mort trop tôt ; Giscard, poussé malgré lui par l’ambiance de gauche de son septennat, a forcé les réformes sociétales sans améliorer la compétitivité économique, la faute aux deux chocs pétroliers arabes de 1973 (guerre des Six jours) et 1979 (ayatollah Khomeini), et à l’inflation qui a donc explosé.

Mendès-France puis Rocard auraient pu incarner une gauche de réformes sans les excès des utopistes et des « révolutionnaires » qui, soit obéissaient à Moscou (Marchais), soit étaient plus menés par leur ego et l’avidité de pouvoir que par l’intérêt populaire (Royal, Strauss-Kahn, Mélenchon, Hamon, Hidalgo, Taubira). Mitterrand a calciné les meilleurs à gauche, tout comme Chirac l’a fait à droite pour ses successeurs possibles (Balladur, Juppé, Villepin). Les Français ont le sentiment d’être sans boussole. D’où le recours magique à Macron en 2017 et son « en même temps », au fond pas si loin de Rocard s’il avait mené à bien quelque réforme plus sociale que les gilets jaunes l’ont forcé finalement à prendre. D’où le recours tout aussi magique aujourd’hui à un polémiste de banlieue qui affirme se vouloir « le sauveur » de la France alors qu’il nie tout ce qu’elle est devenue depuis 1789.

Peut-être ces échecs de sens conduisent-elles au déplacement constaté du désir ? La ville et son mode de vie étaient l’aspiration du plus grand nombre, depuis la fuite des campagnes après 1918. Quitter la terre, c’était quitter le labeur asservissant et les cancans de village pour enfin se réaliser dans un petit métier, voir des gens divers et assister aux spectacles. Plus tard, c’était accéder aux logements modernes et à leur confort, avec les études facilitées pour les enfants dans un environnement stimulant. La ville, c’était la libération, l’accès au progrès technique et scientifique. En 1968, la seule « libération » sexuelle a d’ailleurs été urbaine, très peu dans les campagnes, sauf de la part des néo-hippies qui pratiquaient le sexe comme on pratique aujourd’hui le yoga (il y a d’ailleurs certaines ressemblances…).

Ce mode de vie est aujourd’hui remis en cause. Les manifestations, les grèves des transports urbains, le Covid, la pollution, les entraves social-écologistes à la circulation (restriction des bagnoles, proliférations des vélos, trottinettes et autres deux roues sur trottoirs qui ne respectent ni les sens de circulation, ni les feux, et sont insultants quand ils vous forcent le passage) – tout cela détruit le sentiment d’être comme un poisson dans l’eau en ville. Les vieux aspirent à la campagne, à l’air sans particules fines, au calme, au repos paisible qu’il est de plus en plus difficile de trouver en ville ; les gamins sont intenables le week-end et obligent à aller le passer ailleurs. Le net et la possibilité de travailler à distance ont accentué le phénomène, sans parler des prix du foncier urbain.

Malgré les écolos qui voudraient forcer l’habitat en tours à la soviétique, 70 % des Français habitent dans une maison individuelle et veulent poursuivre ce mode de vie. Retour à la terre, mais sans les vaches des grands-parents ni les chèvres des parents. Retour aux arbres, au potager, au terrain de jeu pour les gosses, aux randonnées à pied ou aux balades en vélo. Les Français qui restent en habitat collectif aspirent à la résidence secondaire ou pour la retraite ; ils ne font plus de la ville une libération. C’est une mutation profonde du mode de penser sa façon de vivre. Le populisme est la conséquence de l’étalement périurbain non structuré, ni ville, ni campagne, où les travailleurs comme les citoyens sont relégués, extérieurs, oubliés, sans avoir les moyens de s’évader. Ils tournent en rond.

Les Français sont individuellement heureux mais collectivement mal dans leur peau. Les bénéfices de la croissance semblent mal répartis puisque ceux qui travaillent au bas de l’échelle ne parviennent plus à s’en sortir. C’est que les métiers qui rapportent sont ceux qui exigent une expertise, laquelle ne va pas sans études et diplômes, que l’école dévalue en les donnant à qui se présente sans assurer une orientation adaptée (elle est trop tôt, trop superficielle et trop autoritaire, selon les jeunes sondés). Les autres métiers sont ceux de domestiques d’Uber, de MacDo, de Deliveroo ou d’Amazon, pour ne citer que quelques enseignes. Ils sont mal payés, mal considérés, sans intérêt. Les métiers de services à la personne suscitent plus d’intérêt personnel mais sont contraints dans leur rémunération par les moyens des gens qui les emploient (hôpital, particuliers, maisons de retraite). Si une nounou des beaux quartiers ou un gardien d’immeuble peuvent être payés correctement, l’assistante de vie ou la sous aide-soignante à domicile sont payés à l’heure travaillée, souvent en plusieurs endroits dans la journée.

Le malheur public résulte de ce manque de cohésion sociale. Est-ce que les exigences de lutte contre le dérèglement climatique pourront rebâtir du politique en alternative aux récits morts ? Pas sûr tant les écolos français sont loin d’être des pragmatiques à l’écoute des vrais gens et restent des idéologues en bureaux aseptisés.

Pourtant, reconstruire des réseaux d’appartenance et de territoire est vital pour la démocratie comme pour la vie en commun. Dix métropoles produisent 81 % du PIB avec 40 % de la population. Et le reste ? Il existe aussi, il doit être pris en compte.

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La désindustrialisation change la société disent Fourquet et Cassely

Dans leur livre bilan sur quarante années de changements en France, déjà chroniqué sur ce blog, les auteurs pointent en premier les bouleversements dans l’industrie. En bonne sociologie influencée par le meilleur du marxisme, l’infrastructure commande (ou influe, selon votre degré de marxisme) sur la superstructure – l’économie sur la société. Depuis les années 1970 – deux générations – la France a profondément changé. Elle s’est massivement désindustrialisée, s’orientant de plus en plus vers les services et le loisir, devenant sociologiquement une société à l’américaine. Pour le meilleur (destiné aux privilégiés) et pour le pire (laissé aux petites mains).

La France sous nos yeux est donc la France d’après, celle qui va voter pour le prochain président. La crise sanitaire a révélé l’ampleur de la désindustrialisation qui a eu lieu depuis 40 ans dans toutes les filières. Sauf dans le luxe, seule excellence où la « marque France authentique » est reliée à la mondialisation. Mais généralement, les écolâtres formés aux méthodes américaines les ont appliquées de façon scolaire – sans rien du pragmatisme yankee. C’est ainsi que la vision erronée de la grande entreprise « sans usine » a ruiné Alcatel. Ou que les magouilles qu’Alstom a laissé accomplir – avec une légèreté toute française sur le droit – ont conduit à sa vente forcée à General Electric sous peine d’une amende record. La dépense publique financée par la dette a pris le relais de l’investissement industriel, laissant la plupart des secteurs sous perfusion, ce qui n’est pas une situation durable. On le voit avec EDF, entreprise semi-publique et semi-privée dans laquelle l’État vient d’imposer de perdre de l’argent pour motif électoraliste.

Les gens peu formés n’ont pour débouchés désormais que la santé, le social et la grande distribution, ce qui change la sociabilité. Les anciens liens de l’usine, du syndicat, de la cité, du parti ou du stade sont dénoués. Les travailleurs sont désormais seuls, ce pourquoi certains ont été tourner autour des ronds-points, seuls centres anonymes qui pouvaient les réunir. Ce pourquoi aussi les peu lettrés des banlieues n’ont pour recours que le trafic de drogue et les petits casses.

Le secteur primaire s’est effondré avec brutalité, la pêche comprenant 11 500 bateaux en 1983 contre 4500 seulement aujourd’hui, transformant les ports de pêche en havre de plaisance. La fermeture des mines et des carrières les a transformés en musées ou en bases de loisirs, conduisant à l’essor d’un nouveau tourisme très différent du précédent – où l’on allait à la rencontre des gens et du paysage. L’agriculture s’est effondrée d’un tiers depuis 1970 et la grande distribution a imposé ses prix dans l’alimentaire. Les grandes surfaces ont quadrillé la France en remodelant le paysage et ont dévitalisé les centres-villes.

Les anciens magasins d’usine, transformés en villages de marques, sont un nouveau tourisme conditionné par les points d’accès. D’où l’importance des autoroutes, dont a profité la logistique du commerce en ligne. L’axe Londres-Milan qui génère 60 % des achats en ligne en Europe, a conduit à installer des centres logistiques sur d’anciens sites industriels le long des autoroutes, à l’aide de primes publiques. Les camions remplacent le train : en 1974, 45 % du total des marchandises était transporté par le ferroviaire contre 9 % seulement en 2020. Au détriment de l’écologie, évidemment. Les sempiternelles grèves pour tout et n’importe quoi des cheminots en ont rajouté sur la perte d’attractivité, comme quoi l’ancien monde précipite la survenue du nouveau, comme par pulsion suicidaire (ce fut aussi le cas des taxis, des hôtels, de la presse papier, de la télévision …). Le trafic de drogue profite également des autoroutes et les go-fast vont du sud de l’Espagne jusqu’à Amsterdam en passant par tous les points relais de l’Hexagone et de la Belgique.

C’est ainsi que hors des axes, une partie du territoire a été mise en tourisme. Les compagnies low-cost offrent des vols à bas prix, ce qui démocratise l’avion (pour les classes moyennes) au détriment de l’écologie une fois encore. La voiture est de plus en plus taxée via l’essence, les assurances, le contrôle technique, la limitation de vitesse, l’interdiction progressive du diesel, les restrictions de circulation. Rien de cela ne gêne les classes aisées qui vivent dans les grandes villes où la voiture est moins utile et dont le budget transport ne représente de toutes façons qu’un faible pourcentage des revenus, tandis que cela impacte à plein les classes populaires qui ne peuvent pas toujours bénéficier des transports publics dans leurs périphéries et campagnes. L’État joue donc un rôle crucial par son laisser-faire dans la montée des inégalités sociales comme dans l’aménagement du territoire depuis Mitterrand. Les endroits où le TGV ne passe pas deviennent des déserts progressifs, d’où les services publics partent et que les médecins libéraux désertent.

Dans le même temps, le recul des heures travaillées augmente le désir social pour les loisirs. Les parcs d’attraction surclassent les musées et autres lieux culturels traditionnels. Les pandas attirent plus que Chambord, le zoo-parc de Beauval et Disneyland plus que le musée du Louvre ou le palais de Versailles. Ainsi passe-t-on de la culture classique française à la pop culture de masse à l’américaine. Les festivals de rock se multiplient, tout comme les clubs de danse inspirés des USA et la mode western. Les cinémas multiplexes font déserter les centres-villes pour le plus grand profit des périphéries commerciales vouées à la consommation de masse.

Tout cela change une société et ne va pas, à mon avis, dans le bon sens. Ainsi s’explique en partie la « réaction » politique à la fois des classes populaires autour des gilets jaunes, et des classes aisées autour d’Éric Zemmour. Tous ont la nostalgie du monde d’avant, alors que la pandémie a précipité le monde d’après. Aucun des politiciens, hors les plus pragmatiques, ne voit clair dans ce qui survient et comment il faudrait s’y adapter sans y perdre son âme. C’est cela qui va se jouer d’ici la prochaine génération.

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux – économie, paysages, nouveaux modes de vie, cartes de Mathieu Garnier et Sylvain Manternach, Seuil 2021, 494 pages, €23.00 e-book Kindle €16.99

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Fourquet et Cassely, La France sous nos yeux

Voici un livre somme, illustré de cartes, qui fait le bilan de l’évolution de la France de 1980 à 2020, soit 40 ans, l’âge d’une génération qui passe aujourd’hui la main, désormais à la retraite. Cette génération est la mienne. Ce que mes semblables ont fait de ce pays se trouve là sous mes yeux en quelques 500 pages que je vous incite vivement à lire : elles sont éclairantes. Ce livre de sociologue est en cinq parties : l’économie d’abord, les territoires, la société, le nouveau visage des classes sociales, enfin les évolutions de la culture.

Le livre aurait pu s’intituler « la France d’après » si ce thème n’était pas celui utilisé à tort et à travers pour l’après pandémie. Les tendances de fond sont beaucoup plus lentes que les évolutions dues au Covid, mais il a accéléré les tendances déjà à l’œuvre. Nous vivons très clairement un changement d’époque commencée avant le virus et qui se poursuivra après. Avant, c’était la nouveauté Macron, le surgissement spontané des gilets jaunes, les grèves archaïques contre la réforme des retraites. Tout cela marquait un nouveau monde fait de grave désindustrialisation, de métropolisation, de polarisation sociale, d’américanisation culturelle et de bricolage identitaire.

L’économie française n’est désormais plus guidée par l’industrie. Nous assistons au contraire à l’apogée de la société des loisirs où les services tiennent le haut du pavé. Cette économie de services ne donne majoritairement que des emplois non qualifiés tandis que le territoire tout entier devient le support de la consommation avec ses autoroutes autour desquels sont bâtis des entrepôts logistiques pour le commerce électronique et par où passent les go fast du cannabis, et ses ronds-points près desquels s’élèvent des centres commerciaux multiplexes dans les périphéries urbaines.

La hiérarchie des villes s’effectue selon les lignes de TGV, les métropoles au niveau supérieur, bien intégrées dans la nouvelle économie mondialisée, leurs habitants bien formés, à tendance plutôt écologique (au point que deux Parisiens sur trois n’ont pas de voiture et se moquent des taxes et désagréments faits aux automobilistes). S’égrènent en hiérarchie descendante les villes moyennes qui perdent leurs services publics et leurs emplois, puis les périphéries et la France rurale, abandonnées de tous, loin des centres de pouvoir et de commerce, soumises de plein fouet à la politique anti bagnole et pro écologique du social-gauchisme en marche écologique vers la nouvelle religion.

La gentry vit au centre et se décentre parfois en bord de mer, surtout depuis l’épidémie, mais le périurbain reste déclassé et les campagnes agricoles vides. La polarisation sociale se fait désormais en sablier, la bourgeoisie du haut tirant très bien son épingle du jeu dans la mondialisation tandis que les petites mains du bas n’ont aucun espoir de s’élever dans la hiérarchie sociale, assignées à leur manque de formation et de savoir-être. Le projet de la société démocratique était à l’inverse la figure de la toupie où très peu étaient au sommet et très peu au bas de l’échelle, la plus grosse partie étant au centre, ce que l’on nommait la classe moyenne. Celle-ci disparaît avec les métiers médians tandis que d’anciens métiers valorisés perdent progressivement de leur attrait comme les professeurs, les agents de maîtrise, les infirmières et les fonctionnaires de catégorie B jusqu’au bas de la catégorie A.

Surgit une nouvelle culture, beaucoup moins enracinée dans le terroir comme c’était le cas dans les années 1970, beaucoup moins culturellement française comme c’était le cas encore au début des années 1990, mais clairement dans le rêve américain, et cela du haut en bas de la hiérarchie sociale. Les fast-foods conjointement avec les modes vestimentaires, la musique rap venue des ghettos noirs, le cinéma hollywoodien et les séries télévisées de masse, forment une nouvelle culture hors-sol qui change les façons de penser et parsème de mots anglais la nouvelle langue en vogue chez les jeunes. Les influences religieuses du puritanisme, de l’évangélisme, du woke et du vegan envahissent peu à peu la sphère médiatique et se diffusent par imitation dans tout le reste de la société. Ce qui engendre évidemment des réactions de groupes bousculés dans leurs certitudes et traditions tels les catholiques, les chasseurs, les ouvriers et les oubliés sans conscience de classe des ronds-points. La certitude culturelle se perd dans le bricolage identitaire, où l’islam qui monte dans les territoires perdus de la République est en concurrence avec le chamanisme, la méditation orientale les médecines alternatives des quartiers bourgeois.

La politique ne peut être qu’impactée par la hausse du niveau éducatif, les positions dans la nouvelle division du travail, les rapports à la consommation au cadre de vie. Les métropoles sont plutôt LREM, les plus diplômés se sentant dans le sens de l’histoire mondiale, tandis que les villes de l’arrière-cour sont plutôt RN, corrélés à la désindustrialisation et à la désocialisation, emplies de ressentiment contre cette relégation culturelle et sociale des moins diplômés et des moins mobiles.

L’écologie a cependant du mouron à se faire, car une contradiction majeure commence à fissurer ceux qui s’en réclament. D’un côté les gens de gauche prônant l’ouverture et la mixité tout en refusant la maison individuelle, la voiture, l’avion, Amazon et la viande – et de l’autre les nouvelles tendances du style de vie qui se décentralise à la campagne à grand renfort de transports, de résidences fermées et sécurisées et de néo-artisans, dont le localisme durable ancré dans un terroir en vélo est incompatible avec les tendances de la mondialisation et de l’américanisation.

Un exemple est Marseille, les nouveaux électeurs arrivés en TGV pour s’établir au soleil ont fait basculer la ville à gauche dans une union écologiste. Cela ne concerne que le centre-ville, radicalisant à l’inverse la périphérie au profit du Front National.

Ce livre très riche sur l’histoire récente fera l’objet de notes ultérieures sur des points précis tant il donne d’informations sur ce qui est, permettant de voir plus clair et d’envisager l’avenir à partir du terrain et non plus des seules spéculations.

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux – économie, paysages, nouveaux modes de vie, cartes de Mathieu Garnier et Sylvain Manternach, Seuil 2021, 494 pages, €23.00 e-book Kindle €16.99

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Pourquoi la France a perdu ses industries

Que la France perde ses industries, le fait est connu. Qu’ont fait nos hommes politiques pour réagir ? Pas grand chose. A quoi servent donc ces innombrables rapports, commandés à d’innombrables fonctionnaires qui ont le temps et le talent, si c’est pour ne rien faire ?

Un document de travail publié par la Direction générale du Trésor et de la politique économique sous la plume de Lilas Demmou, a donné l’état des lieux de la désindustrialisation en France de 1980 à 2007. L’industrie française – surtout manufacturière – a perdu 36% de ses effectifs depuis 1980, 1,9 millions d’emplois ou 71 000 par an (de 5,3 millions en 1980 à 3,4 millions en 2007). L’industrie a décliné dans le PIB de 24 à 14% au profit des services marchands (commerce, transports, finance, immobilier, services aux entreprises et aux particuliers) dont le poids dans le PIB est passé de 45 à 56% et dont l’emploi a cru de 53%.

Pour la chargée de mission, la perte d’emplois industriels touche tous les pays développés avec trois causes principales :

  1. L’externalisation de tâches des entreprises vers des sociétés de services
  2. Les gains de productivité et les modifications de la demande
  3. La concurrence des pays émergents

Les entreprises sont, depuis 20 ans, à la recherche d’une plus grande efficacité, c’est le propre du capitalisme. Une partie des activités des industries ont donc été confiées à des sociétés de services afin de se concentrer sur le cœur du métier, ce qu’on sait le mieux faire. Ces transferts d’emplois peuvent êtres estimés à 25% des pertes d’emplois industriels. Mais les emplois n’ont pas disparu, ils restent sur le territoire. Simplement, ils ne sont plus dans l’industrie mais dans les services. Ce mouvement a été particulièrement fort de 1980 à 2000, époque de grande restructuration ; il est beaucoup plus faible depuis, de l’ordre de 5% des emplois industriels en 7 ans, l’essentiel de l’externalisation ayant été fait.

Le progrès technique a pris le relais depuis 2000, via les gains de productivité dus à l’informatisation et à la réorganisation des tâches. Près de 30% des pertes d’emplois industriels sont imputables à la plus grande efficacité de la technique. Les industries ont moins besoin de main d’œuvre pour produire les mêmes biens. La baisse de prix de ces biens induit une demande plus forte, mais qui ne compense pas. Cette baisse de prix entraîne une hausse de revenus des ménages mais ils n’achètent pas plus de biens industriels mais plutôt des services, notamment de loisirs. 65% des pertes d’emplois industriels pour cette raison ont eu lieu de 2000 à 2007.

La concurrence étrangère est réelle et s’accentue. Sa mesure dépend des méthodes de calcul utilisées pour ce phénomène complexe. Les biens intermédiaires sont les plus touchés (41% des pertes d’emplois industriels), mais jusqu’en 2007 beaucoup moins l’automobile (-7%), l’énergie (-4%) ou l’agroalimentaire (-0,3%). C’est dire s’il est important de surveiller et d’aider ces trois secteurs en France ! Les échanges avec l’extérieur ont augmenté, les exportations passant de 12 à 17% du PIB entre 1980 et 2007, les importations de 11 à 18%. La tendance est que tout pouvoir d’achat des ménages encourage les importations, tandis que tout gain d’efficacité encourage les exportations. Ce qui est utile à savoir pour les plans de relance (mais qui est le contraire de ce qui est pratiqué par le gouvernement Ayrault). La part des pays émergents dans la concurrence est cependant à relativiser, passant de 0,2 à 0,7% du PIB pour les importations depuis 1980 et de 0,7 à 0,9% pour les exportations.

Les destructions d’emplois industriels dues aux échanges expliqueraient 13% des pertes d’emplois selon une approche comptable, les échanges agroalimentaires touchant moins l’emploi que ceux des biens d’équipement et de l’auto. Mais cette méthode prend pour hypothèse une substitution parfaite entre biens importés et biens produits localement, ce qui est contestable.

Une autre approche, économétrique, chiffre ces pertes d’emplois dues aux échanges à 45% du total. Elles seraient dues pour 17% aux pays émergents qui produisent les biens moyens moins chers mais, pour le reste, à la perte de compétitivité de la France sur les marchés mondiaux surtout depuis 2000.

La concurrence des pays à bas salaires est donc une part mais pas l’essentiel, contrairement aux simplifications politiques. Comparons avec l’Allemagne, notre principal partenaire dans la même zone d’échanges et avec le même euro « fort » !

Au contraire, nous pouvons supposer que ce qui a dégradé en relatif l’efficacité industrielle de la France est :

  • le moindre investissement
  • la répugnance à l’innovation et au service
  • le coût du travail (moins le niveau du salaire que les charges sociales)
  • la haine de l’entreprise (les 35 heures, les grèves, la désorganisation du transport, les errements de la fiscalité, les intello-médiatiques, le socialisme radical)
  • la méfiance salariés-patrons (et la faible représentativité des syndicats, portés à la surenchère)
  • l’ignorance de la formation continue
  • la peur de l’exportation
  • les erreurs de management, etc…

C’est toute une société qui a envie de se battre ou, au contraire de se laisser vivre : voyez la Grèce. Depuis 2000 en effet, selon l’étude, 63% des pertes d’emplois industriels sont dus à la concurrence étrangère (mais seulement 23% dus aux pays émergents). Les efforts de l’Allemagne, notre principal partenaire commercial, ont payé ; la France, répugnant à s’adapter, a reculé. Tous les décideurs le savaient, ceux alors dans l’opposition aussi. S’y sont-ils préparé ?

Lilas Demmou, La désindustrialisation en France, Les Cahiers de la DGTPE n°2010-01, février 2010

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