Articles tagués : flotte russe

Sébastopol

Base conjointe de la flotte russe de la mer Noire et de la flotte ukrainienne, renégociée avec l’Ukraine jusqu’en 2017, c’est le président déchu Ianoukovitch qui a concédé Sébastopol à Poutine jusqu’en 2024. Le port a été fondé par Catherine II en 1783 sur un site favorable, puisque formé de huit baies en eau profonde, dont celle de Balaklava. Aujourd’hui, 340 000 habitants y habitent, Russes à 72%.

C’est en 1954 que Khrouchtchev a transféré l’oblast de Crimée – avec Sébastopol – à la république socialiste soviétique d’Ukraine. Sébastopol obéit donc en théorie à Kiev, mais sans faire partie de l’oblast de Crimée, qui est la seule république autonome d’Ukraine. Un peu compliqué… d’autant que la population aux trois-quarts russe continue d’être maîtres de la ville par la marine et ses activités. Selon certains politiciens, l’indépendance de l’Ukraine en 1991 a dégagé la Russie de ce « don socialiste » – et le droit des populations à disposer d’elles-mêmes, par un référendum, pourrait demander le rattachement à la mère-patrie russe.

sebastopol famille russe

La guerre de Crimée a opposé depuis 1853 l’Empire ottoman (allié à la France, à la Grande-Bretagne et au royaume de Sardaigne) à la Russie qui voulait annexer Constantinople, les Détroits du Bosphore et des Dardanelles. Les Anglais voulaient barrer aux Russes la route de la Méditerranée et Napoléon III voulait empêcher une coalition comme celle qui a déposé Napoléon 1er en s’alliant avec l’Angleterre, tout en prenant prétexte de défendre les intérêts catholiques et français en Orient à propos des Lieux Saints. Après la victoire de l’Alma, Français et Anglais mirent le siège devant la puissante forteresse russe de Sébastopol le 27 septembre 1854. 185 000 assiégeants, emmenés par le général Canrobert, auront à affronter les rigueurs de l’hiver et les tentatives de sorties du colonel russe Franz Todleben. Les Russes se retireront de la citadelle en août 1855 avant de demander, quelques mois plus tard, la paix. Cette victoire a été le fruit d’une alliance franco-britannique improbable après sept siècles de conflit entre les deux pays. La Russie a capitulé après la prise par le général Mac-Mahon le 8 septembre 1855 de la tour Malakoff à Sébastopol. Le traité de Paris du 30 mars 1856 prévoyait l’intégrité de l’Empire ottoman, la neutralisation de la mer Noire, interdite à tout navire de guerre, la libre circulation sur le Danube et l’autonomie des principautés de Moldavie, Valachie et Serbie. L’amorce de la future guerre de 14…

Sebastopol GoogleEarth

Dans la plaine de vignes qui s’étend sous nos yeux, avant la ville, il est difficile de croire qu’ici s’est déroulée la furieuse bataille de Balaklava, si présente à l’esprit d’Hester, l’héroïne des romans policiers victoriens d’Anne Perry (éditions 10/18). Ici, le 25 octobre 1854, s’affrontèrent Russes et Anglais. Les cavaliers britanniques de Lord Cardigan repoussèrent une contre-attaque russe devant Sébastopol. Les Cosaques ne réussirent pas à s’emparer de la base anglaise de Balaklava. Le siège dura jusqu’au 10 septembre 1855. Les Anglais furent poussés au panache par leurs badernes de chefs durant la fameuse « charge de la brigade légère ». Elle aboutît au massacre, systématique et programmé. Toute l’imbécillité militaire à l’œuvre : la rigidité, l’étroitesse d’esprit, l’arbitraire. Quel « héroïsme » peut-il y avoir à seulement obéir ? Quel « héroïsme » à pousser les cavaliers à se faire hacher menu ?

sebastopol port

Le général Russe Wrangel à la tête de « l’Armée Blanche » s’incline à Sébastopol le 16 novembre 1920 face aux bolcheviks. « L’Armée Rouge », qui a forcé l’isthme de Pérékop, s’est emparée de la ville et a contraint Wrangel et ses alliés à battre en retraite. La victoire des Bolcheviks mit fin à la guerre civile qui enflammait la Russie depuis la révolution d’Octobre 1917 et a consacré Lénine – sonnant par là même la fin de l’indépendance de l’État d’Ukraine, rattaché à l’URSS, bien que disposant d’un siège à l’ONU. Ficelles roublardes du socialisme.

sebastopol souvenir de la guerre

Mais la ville est surtout célèbre pour avoir résisté aux Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Les troupes allemandes et roumaines avancèrent dans les environs de la ville par le nord et lancèrent leur attaque le 30 octobre 1941. L’attaque échoua ; les forces de l’Axe débutèrent alors le siège de la ville et lancèrent des bombardements. Une seconde offensive terrestre échoua en décembre 1941. Sébastopol résista pied à pied à plus de 250 jours de siège, d’octobre 1941 à juin 1942, puis occupée. La ville ne fut libérée après un combat sanglant qu’en mai 1944. Sébastopol est l’une des huit Villes-Héros de l’Union soviétique avec notamment Moscou, Kiev et Odessa.

sebastopol monument stalinien

Son centre-ville est tout à la gloire de la guerre et visité par des colonies de jeunes russes venus du nord, guidés par les moniteurs patriotes. Ces collégiens tardifs sont tous en tee-shirt jaune-orange. Les filles à la mode en nouent le bas sur leur ventre, pour libérer nombril et reins. Un monument de béton stalinien exalte le héros mâle, prolétaire aux muscles carrés, sourcils froncés, main en avant-garde, apportant le Progrès au bout du fusil, au-dessus de stèles commémorant les médailles acquises par les Villes-Héros. Sur la place s’élève la statue de l’amiral Paul-Stéphane Nadjimov.

sebastopol jeunesse

La baie abrite la base navale de la flotte de la mer Noire, partagée depuis 1997 entre la Russie et l’Ukraine. Cette base navale a eu une annexe réservée aux sous-marins d’attaque, creusée sous la montagne de Balaklava.

sebastopol bateaux de guerre russes

Elle est aujourd’hui abandonnée faute de pouvoir sortir les sous-marins par les Dardanelles, étroitement surveillées par l’OTAN.

sebastopol marins

Mais le commandement de la base navale et les organisations russes continuent de contrôler la ville, dominant le commerce et la vie culturelle. Le transfert de Sébastopol à l’Ukraine n’a jamais vraiment été accepté, ni par la société russe, ni par les autorités militaires, qui ne le considèrent toujours que comme provisoire.

sebastopol marechal nadjimov

Je préfère quant à moi la vie qui va, à l’autoritarisme botté. Des gamins de Sébastopol, fils costauds de militaires russes, ont ôté polo et jean, quitté leurs sandales, pour plonger dans les eaux du port cueillir les coquillages qui prospèrent au fond. Ce sont de gros bigorneaux appelés en russe raban dont l’intérieur est orange corail.

sebastopol gamins russes plongeurs

Les bigorneaux sont fort jolis et les juvéniles au corps souple, lissé par l’eau, n’hésitent pas à les vendre quelques hryvnias (la monnaie locale, prononcer grivnia) aux touristes. Ils jouent pour se faire de leurs charmes ingénus auprès des féminines moscovites ou kiéviennes, croisant les bras pour faire ressortir leurs pectoraux, des gouttes d’eau de leur chevelure roulant comme des perles sur leur peau dorée.

sebastopol gamins russes torse nu

Les vacancières parties, deux d’entre eux vont regarder s’éloigner, au bout du ponton, le navire à voiles Véga qui recule au moteur. Car la ville est vouée à la mer et tous les gamins sont marins dès l’enfance.

sebastopol goelette vega

Puis ils plongent une dernière fois en bermuda de ville et ressortent ruisselants, avant de récupérer leurs sacs à dos et décamper, baskets à la main, laissant l’eau goutter sur les pavés, vers chez eux, au centre ville. C’est l’été des vacances.

sebastopol gamins russes

Catégories : Mer et marins, Thorgal, Ukraine, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Simferopol

Les media parlent aujourd’hui de Simferopol pour son aéroport stratégique dans la péninsule de Crimée. J’ai eu l’occasion de m’y rendre il y a quelques années. La Crimée (un peu plus de 2 millions d’habitants, dont 58 % de Russes, 24 % d’Ukrainiens, 13 % de Tatars et 1 % de Biélorusses) apparaît comme la petite sœur de la Russie. Comme toujours dans ces pays ex-soviétiques, les chiffres (ici en 2001 selon la référence globish), sont sujets à caution. La population de Russes « résidents » – les marins russes de la Flotte – est par exemple comptée ou pas, selon que l’on veut la minimiser pour raisons politiques ou, au contraire, la survaloriser. Cette note n’a pas vocation à répéter ce que disent en boucles les journalistes sur les télés et radios mais à situer les choses. Ce qui compte est de vous donner à voir et à sentir, pas à réciter une encyclopédie (rarement fiable et rarement à jour malgré les répétitions médiatiques…)

Rattachée arbitrairement à l’Ukraine par Staline en 1954 pour en punir les Tatars (musulmans et turcophones donc plus favorables aux Allemands qu’au parti communiste) – donc déportés par le pouvoir soviétique – cette presqu’île sur la mer Noire est géographiquement ukrainienne mais reste à 60% peuplée de Russes selon le recensement (mais « aux deux-tiers » nous a-t-on dit). Venus après la guerre, ils se trouvent bien dans ce climat méditerranéen, loin de Moscou et du pouvoir central, parmi l’abondance des produits agricoles.

crimee babouchka

Simféropol est la capitale administrative de la République autonome de Crimée. Là se trouvent toutes les instances administratives et représentatives de la région : le parlement (Verkhovna Rada), le Conseil des ministres (Reskomnats) et le Medjlis central des Tatars qui est leur organe propre de représentation. Le passé communiste y est encore très présent, dans les esprits comme dans le décor. Pas étonnant que l’esprit-Poutine, cet ex-colonel du KGB fan de Mussolini, règne dans les têtes.

simferopol batiments sovietiques

Les anciens bâtiments soviétiques ont été réinvestis : la Verkhovna Rada siège dans les anciens locaux du Parti Communiste et le Reskomnats se trouve place Lénine, dans ce qui était à l’époque la Maison des soviets. La statue du théoricien activiste trône d’ailleurs toujours sur cette place centrale de la ville. Elle devient en Ukraine comme un symbole pour les Russes minoritaires, une façon d’identité, alors qu’en Russie même le barbichu à la pensée bunker n’a jamais fait rire et est désormais évacué.

crimee GoogleEarth

L’Ukraine a été la plus riche dépendance de l’URSS en ressources agricoles et minières comme en population. Plus vigoureux de par leur histoire, mieux nourris de par leurs richesses alimentaires, plus loin des intrigues du Kremlin, les Ukrainiens ont suscité à Moscou des jalousies. Après la terrible famine imposée par les réquisitions de Staline dans les années 1920 et le génocide idéologique perpétré contre ses koulaks qu’évoque Axionov, l’Ukraine sera le théâtre du tout premier procès stalinien. En mai et juin 1928, une cinquantaine d’ingénieurs de Chakty sont accusés d’avoir constitué un « réseau de sabotage » pour les services secrets « étrangers ». Onze seront condamnés à mort. C’est dire si le contentieux est lourd entre Ukrainiens et Russes, bien qu’un étranger ne perçoive pas la différence (sauf la langue) lorsqu’il rencontre l’un ou l’autre dans les villes. Mais cette histoire explique pourquoi, malgré les 17% d’origine russe de sa population, l’Ukraine s’empresse le 16 juillet 1990 de proclamer unilatéralement sa souveraineté, puis son indépendance le 24 août 1991 (jour de fête nationale), juste après la palinodie des putschistes staliniens contre (ou avec le laisser-faire) de Gorbatchev. Ce contentieux explique pourquoi aussi la situation est aujourd’hui si critique entre l’Ukraine et la Russie avec, pour enjeu, la presqu’île stratégique de Crimée, base de la flotte russe de la mer Noire.

crimee saucisses

Le marché est couvert et aménagé, les stands sont spécialisés : boulangerie, bonbons, pâtisserie, épices, charcuterie, boucherie, poissonnerie fumée, épicerie sèche, conserves, lessives, produits de beauté, bazar, vêtements femmes, vêtements hommes et garçons, jouets, journaux et magazines – tout y est, sauf l’électronique et la vidéo. Pour les enfants, un alphabet cyrillique en cubes de tissu présente les lettres avec l’objet associé qui commence par chacune d’elles. Il y a de l’abondance, envers de la période soviétique du rationnement. Les Russes vivant ici sont heureux, ils ont l’impression d’avoir accédé à la société de consommation plus qu’à Moscou car les prix sont plus bas et la vie plus nonchalante.

simferopol marche

Notre guide de la ville est Serguei, un blond né ici. Simferopol était à l’origine une grande ville scythe, nous explique-t-il, et c’est à cause des Scythes que Chersonèse la grecque a demandé l’aide de Rome. Lorsque la Crimée fut rattachée à la Russie en 1873 par Catherine II, Simferopol est devenue, de par sa volonté, la capitale de la région.

simferopol maman enfants

Nous longeons la rivière Salguir dans le parc agrémenté d’arbres qui la borde. Une maman laisse jouer ses deux enfants sous les saules pleureurs du bord de l’eau ; un petit garçon solitaire, en seul short, pêche plus loin ; deux amoureux se caressent tranquillement, indifférents à tout le reste. Un jeune homme transporte un lourd colis pour sa mère qui trottine à ses côtés. Il profite de notre venue pour déposer sa charge, souffler et lorgner les filles. Échauffé par l’effort et peut-être par ce qu’il voit, il ôte son polo avant de reprendre sa charge et d’accompagner maman à la maison.

simferopol amoureux en parc

Dans notre tour de ville, nous ne verrons aucun touriste, même venu de Russie. Dans les marchés, les boutiques, les restaurants, il n’y a que des locaux – Tatars, Russes résidents, « Ukrainiens ». L’été, la gare embaume la crème solaire des vacances, accueille shorts, sandales et chemisettes, mais rares sont les arrivants qui viennent y séjourner. Simféropol n’est qu’une ville de transit vers les plages. Cette réalité d’estive se révèle aux cartes postales : on n’y trouve que la gare, d’où les voyageurs postent leur premier « souvenir de vacances ». Nous qui sommes radicalement étrangers nous faisons repérer aisément ; nous pouvons l’observer à la curiosité un tantinet inquiète des gamins, intéressée des jeunes, sagace des babouchkas et critique des prolétaires.

simferopol jeune homme torse nu

La ville reste en effet populaire, plus administrative qu’industrielle, avec des habitudes de débrouille « à la soviétique ». Ainsi, une vieille dame en fichu vend-t-elle de l’eau au bord du trottoir, tout simplement de l’eau, qu’elle puise à une remorque citerne peinte en vert pré amenée ici au matin par le camion de son fils. Serguei en boit un gobelet avant d’en faire remplir sa demi-bouteille plastique. C’est qu’il fait chaud à Simferopol, loin des brises de mer.

simferopol marchande d eau

Au Gastronom, où nous achetons le dîner-pique-nique, c’est l’opulence, le luxe inouï de l’après-soviétisme, ce pour quoi se battent tous les indépendantistes pour « la liberté ». Poutine est revenu sur les libertés démocratiques (la chienlit pour lui) mais surtout pas sur le libre marché – seule façon d’assurer la profusion des produits. Notre dîner sera composé de betterave rouge aux raisins secs dans leur petite boite plastique, poisson pané à l’œuf, fromage en tranche, saumon fumé, trois sortes de saucissons, pain bis, pommes, petits gâteaux. Bien plus que nous ne pourrons en avaler ! Pour les ménagères alentour, ce ne sont qu’écroulements de fruits, pyramides de légumes, poissons fumés entassés à profusion, saucisses qui pendent comme des guirlandes, fromages empilés sur plus d’un mètre, bouteilles de champagne de Crimée alignées comme des soldats en revue, plus de cinquante sortes de vodkas, blanches ou colorées, à divers prix, des jouets, des vêtures de base, des produits pour la maison disposés en pièces montées…

simferopol gamin supermarche

Le marketing local insiste sur le foisonnement. Voir un tel entassement de richesses alimentaires et accessoires donne aux chalands l’envie irrépressible d’acheter. Notamment ceux qui ont connu l’enfance austère du « paradis prolétaire » où ne coulaient ni lait ni miel, ce pays du « socialisme réalisé » selon le mot célèbre de Brejnev qui a pris la précaution de l’inscrire dans la Constitution comme tout démagogue qui aspire à graver pour l’éternité ses Tables de la Loi. Les gens ont surtout l’impression de bien vivre enfin, même s’ils n’ont pas tous les moyens. Ce pourquoi les Russes installés en Crimée ne souhaitent pas en partir pour regagner la froide Russie plus au nord. Ils ne se sentent pas vraiment « Ukrainiens », mais veulent rester ici, exceptions culturelles sous la protection du grand frère ex-soviétique.

simferopol vodka

Nous déjeunons dans un restaurant climatisé près de la place du Kinoteater (théâtre-cinoche, grande salle style années 50). A la salade de betterave rouge à la crème aigre succèdent des varenikis (gros raviolis) à plusieurs farces binaires : oignon et chou, foie et pomme de terre, ou simplement cerises aigres. Les bières sont bienvenues avec la chaleur et les épices.

ukraine blonde longues jambes

Il est vite l’heure d’aller à la gare pour le train qui part à 16h24 pour Kiev. Nous y arriverons le lendemain matin. Les bousculades de quai, l’été, exigent d’arriver en avance. Les gens se livrent en spectacle, surpris dans leur vie quotidienne : jeunes en bande, filles aux longues jambes, couples qui s’isolent, familles aux bambins sans cesse à surveiller, abreuver, sermonner, consoler, vieilles qui vendent un peu de tout, surtout à manger et à boire.

Catégories : Ukraine, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,