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François Mauriac, Ce que je crois

La lecture des Œuvres autobiographiques de Mauriac, éditées par la Pléiade, distille l’ennui pour la moitié. Le lecteur a l’impression de plonger dans une atmosphère radicalement autre, archaïque, pesante. Comme la bourgeoisie était étouffante jusqu’à la guerre ! On mesure, au fil des œuvres, combien le nazisme, la défaite, la collaboration, la résistance, ont marqué une coupure avec ce monde-là. Les œuvres de Mauriac en témoignent : il s’est libéré de quelques carcans, il devient plus incisif, plus personnel. Il est, brutalement, devenu « actuel ».

Ce que je crois est de cette veine, publié en 1962, bien plus vivant que Souffrances et bonheur du chrétien, paru en 1931. Mauriac opère après-guerre un retour sur lui-même, sur sa croyance. Il est sincère. Il élague l’accessoire pour rechercher le fondement. Aussi nous intéresse-t-il car il nous parle. « J’ai voulu répondre le plus simplement et le plus naïvement possible à la question : pourquoi êtes-vous demeuré fidèle à la religion dans laquelle vous êtes né ? » Il répond : la foi est exigeante, elle aide, elle donne un sens à l’existence, elle répond à une faim personnelle.

La foi est exigeante car elle est une vertu : « Qui dit vertu dit aussi usage de la volonté, et usage méritant, usage difficile. » Elle est une discipline, donc une aide, « l’efficacité de la prière », « une vie sacramentelle qui fécondait sourdement ma vie temporelle. » Cette efficacité vient du sens que la foi donne à l’existence. « Que la vie n’ait pas de direction ni de but, que l’homme n’ait pas de destin, c’est ce que je suis incapable de croire. » Il nie « l’absurde », le « cachot » matérialiste ; le néant lui fait « horreur ». « Il fait nuit au-dedans de moi, et c’est au secret de cette nuit que je l’ai retrouvé » ; « cette lumière constitue elle-même un mystère (…) n’empêche qu’elle s’impose par elle-même. »

La « lumière » attire, elle apaise une angoisse, elle assouvit une faim personnelle. L’angoisse, c’est « la peur que j’ai de la mort. » Mais aussi la peur du Mal, qui « naît à la jointure de l’esprit et de la chair. » L’angoisse de l’animalité en l’homme est un refus très début de siècle. « Le problème est de n’être pas dévoré par cette part d’eux-mêmes : l’animalité. Dominer la vie ne va pas sans dominer la part instinctive de l’être. L’art de vivre, pour le païen, consiste à user et ne pas abuser. Mais précisément, et l’acte de chair ici se manifeste comme ne ressemblant à aucun autre, son exigence est forcenée, et participe de l’infini. Cette marée est capable de tout recouvrir, de tout emporter. » Craint-il le Dieu jaloux ? Pour l’homme, procréer serait égaler Dieu : faire un enfant serait-il de créer un autre homme comme Dieu le fit ? Quant à la « marée » elle ne peut naître que d’une continence en excès, d’une pathologie de la frustration.

Mais la jalousie de Dieu revient bien au fil des pages : « La pureté est la condition d’un plus haut amour – d’une possession qui l’emporte sur toutes les autres possessions : celle de Dieu. » Et Dieu nous dit : « Donnez-vous aux autres ». « Se donner est la vocation de tous. Pour se donner aux âmes, il faut renoncer aux corps. » Quelle curieuse façon de « se donner » ! Le sexe n’est-il pas l’échange humain le plus intime, le plus fort, celui qui fait comprendre l’autre au plus profond ? Mais lorsque l’on apprend que Mauriac avait aussi des désirs homosexuels, cette inhibition s’éclaire. La religion est pour lui un garde-fou contre l’interdit.

Il y a chez Mauriac cette archaïque trouille du père fouettard, ce qu’il appelle, la bouche en cul-de-poule, « la conscience en nous de la volonté de Dieu » ; « l’exigence de notre amour qui sait par expérience que le péché le sépare de celui qu’il aime. » Son Surmoi est tellement fort que Mauriac décrit ainsi « l’exigence de (sa) nature : le sentiment de la culpabilité, le besoin d’être pardonné. » Il a une régressive nostalgie de l’enfance : être à nouveau petit garçon, tremblant sous le regard du père. Mauriac n’a pas connu son père : faut-il voir un reflet de ce manque cruel dans l’expression de sa foi ? « Je ne me suis jamais dissimulé à moi-même ce désir de Dieu, ce besoin de Dieu, cet amour de Dieu qui, bien plus que la peur, seraient capable d’enfanter Dieu. » Si on le lit bien, Dieu n’existe que parce que l’on en a besoin.

Que cette religion du Père est loin de nous ! Je ne crois pas en Dieu, je n’en ai pas l’appétit. Je respecte les croyances sincères, et Mauriac était d’un monde ancien. Les jeunes croyants d’aujourd’hui n’ont pas sa foi. Ils cherchent, plutôt que le père, le grand frère qui les écoute tous et qui répond à chacun. Les dogmes reculent, comme les certitudes, la sincérité d’une expérience personnelle partagée importe plus.

Telle est la grandeur de l’âme humaine : aimer pour guider ; aider chacun à devenir lui-même. Nul besoin d’un Dieu pour cela. Si la croyance est nécessaire, qu’elle le soit pour ceux qui en ont nécessité. La force est de s’en passer, d’accepter son destin et le néant de la mort, l’éphémère de l’existence qui fait justement sa beauté. Tout n’est pas permis pour cela, car la liberté ne va pas sans responsabilité et la peur du châtiment est remplacée par l’image que l’on se fait de soi-même.

Mais pour cette seule parole de Mauriac, il lui sera beaucoup pardonné : « Que de fois l’ai-je ressenti moi-même, à la messe, devant un enfant qui venait de communier ! Que le Christ soit à la mesure du cosmos, je le veux bien et je m’en désintéresse ; mais qu’il vive dans cet enfant agenouillé devant moi, dont j’aperçois la nuque mince, et qu’il se confonde avec lui, et qu’il soit lié à ce petit homme par une ressemblance qu’un adulte a peine à concevoir, c’est la vérité incroyable à laquelle je crois et qui me bouleverse. »

François Mauriac, Ce que je crois, 1962, Grasset €15.90, e-book format Kindle 66 pages €5.99

François Mauriac, Œuvres autobiographiques, Gallimard Pléiade 1990, 1392 pages, €52.00

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Pierre Servent, Le mythe Pétain

pierre servent le mythe petain
Historien militaire du XXe siècle, Pierre Servent cherche dans ce court essai à comprendre pourquoi Philippe Pétain est devenu en juin 1940 le recours des Français presque unanimes. La suite démolira le personnage, trop vieux, trop vaniteux, trop poussé aux compromis de la collaboration. Mais il est intéressant d’observer comment un homme est devenu un mythe. Il ne sera pas le seul, Charles De Gaulle prendra la suite, avant François Mitterrand sur un mode mineur – comme si les Français avaient besoin périodiquement d’un homme providentiel… dont l’exact opposé apparaît François Hollande.

Tout commence avec cette connerie de guerre de 14 et la boucherie de Verdun. Pétain, fait général et appelé en renfort en 1916, va avoir pour tactique de ménager les hommes et pour stratégie de tenir en attendant les tanks et les Américains. Il invente le tourniquet des bataillons et la noria des camions sur la Voie sacrée. Verdun ne tombera pas, gloire immortelle du futur maréchal. En 1917, après les offensives aussi frivoles que vaines de l’espèce de hussard à la Villepin qu’était le général Nivelle (40 000 morts en 3 jours au Chemin des Dames !), Pétain mate les mutineries au prix de peu de condamnés pour l’exemple et améliore les conditions de la troupe au front comme le régime des permissions.

Le mythe se crée du Vainqueur de Verdun et du Sauveur de l’armée. « Précis-le-Sec » – tel est son surnom – apparaît comme général républicain, au-dessus de ces minables politiciens plus intéressés par leurs combines de parti que par le destin de la nation, un Gaulois austère à la morale paysanne, intègre, proche des troupes. Il est photogénique, visage marmoréen, regard azur. « J’avais été frappé et je puis dire séduit, comme tous ceux qui l’approchaient, par la noblesse de sa stature et de son port, par le regard simple et bon de ses yeux bleus à fleur de tête, par l’air de gravité et de noblesse qu’exprime son beau visage », disait de lui Léon Blum cité p.202.

Pétain est l’homme-forteresse, une âme pure, une élite paysanne, une œuvre d’assainissement – autant de titres de chapitres qui ponctuent l’essai. Il soigne son image, se fait désirer dans la presse, s’adjoint de belles plumes comme Henri Bordeaux. Dans la crise morale qui sévit dans les années 30, les anciens combattants assurent une sorte de magistère moral dont Pétain est le symbole, plus paternaliste que fasciste, plus conservateur que révolutionnaire, plus gaulois que germain ou romain. Dès 1935, Gustave Hervé publie une brochure intitulée C’est Pétain qu’il nous faut, et le soutient dans ses éditoriaux de La Victoire, journal « socialiste national ». Les intérêts vitaux de l’État s’incarnent mieux à ses yeux dans le Vainqueur de Verdun que dans les politiciens pâlichons « qui cuisent leur petite soupe à petit feu dans leurs petits coins » – comme raillera plus tard De Gaulle.

En juin 1940, l’armée française mal préparée en tactique, mal commandée par des vieillards, mal équipée par saupoudrage des chars et des avions, s’effondre en six semaines. Six semaines ! « Quand l’humiliation est si violente, quand tout est bouleversé par une tempête d’autant plus brutale qu’elle est totalement inattendue, deux réflexes s’inscrivent au cœur de l’homme : se raccrocher aux derniers points de repère émergeant encore ; trouver les responsables d’un aussi incompréhensible désastre » p.230. Le point de repère est le Père la Victoire, Philippe Pétain ; Charles Maurras, en phase avec les Français du temps, évoquera la « divine surprise » du sauveur de la patrie. Les responsables sont ceux qui ont préféré (dixit Pétain) « le capitalisme international et le capitalisme international », et « l’esprit de jouissance » à « l’esprit de sacrifice ». Ce que François Mauriac saluera comme « le reproche des héros dont le sacrifice, à cause de notre défaite, a été rendu inutile » p.231.

Si la « douce France », restée largement rurale, a été sidérée par l’ampleur de la défaite technique, stratégique et mentale, c’est qu’elle « n’a pas compris l’évolution d’un monde qui ressemblait de moins en moins à celui de la Première guerre mondiale » p.235. A-t-elle mieux compris l’évolution du monde depuis la chute de l’URSS et l’essor rapide des immenses pays émergents dans les années 1990 ? La gauche en reste aux Trente glorieuses, faisant de la régression économique une parenthèse de « crise » après laquelle tout reviendrait comme avant ; la droite en reste aux lamentations sur l’hédonisme soixantuitard (un peu passé de mode après le SIDA !) et sur les multiples réformes de structure qu’il faudrait entreprendre (mais qu’elle n’a commencé depuis 20 ans qu’à dose infinitésimale !).

Si la révérence aux autorités est morte en 1917, la révérence au catholicisme est morte en 1940 et celle du collectif en 1968. Le Français d’aujourd’hui peut difficilement comprendre le respect envers Pétain de l’an 1940, et c’est le mérite de Pierre Servent de nous recentrer sur la mentalité d’époque : « Dans cette France catholique qui, autorités en tête, bénit la ‘divine surprise’ (au moins au début), ce don, ce sacrifice pour le pays a une résonance christique extrême. Pétain, c’est le rédempteur envoyé à une France fautive que Dieu, dans son immense tendresse, continue de considérer comme ‘la fille aînée de l’Église’. Pétain a d’ailleurs fait entrer les Français très tôt dans une phase de dolorisme et de culpabilisation infantilisante » p.239.

Pétain n’était pas programmé pour prendre le pouvoir. « Le constat ne vaut pas absolution. Il permet seulement de mieux comprendre comment l’immense majorité d’un peuple a pu chercher son propre reflet dans le visage marmoréen d’un funeste grand-père » p.264. D’autres ont choisi la voie étroite de l’honneur. « C’était donc possible ! Mais il fallait une bonne dose de folie, un esprit rebelle, des convictions solidement chevillées ou une grande ouverture aux questions internationales pour rompre le cercle magique de plus de deux décennies d’évidences et de stéréotypes assénés », conclut bellement l’auteur p.264.

Ce petit essai éclaire l’aujourd’hui avec les erreurs du passé ; il complète admirablement – pour ceux qui veulent comprendre – la biographie documentée du maréchal parue récemment.

Pierre Servent, Le mythe Pétain – Verdun ou les tranchées de la mémoire, 1992, CNRS éditions collection Biblis 2014, 291 pages, €10.00

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