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Pierre Billon, L’enfant du Cinquième nord

J’ai retrouvé par hasard un roman « précurseur de la science-fiction québecoise », comme on le dit encore là-bas. Écrit en 1980, il a été publié à Montréal en 1982 et, dans la foulée en France, doté l’année suivante du grand prix de la SF française, et d’une édition en poche l’année qui a suivi.

Comment expliquer cet engouement pour ce roman intimiste, entre enquête quasi policière, relations familiales, et spéculations physiques sur les particules ? Par l’attrait de la nouveauté pour la littérature francophone ? Par la fraîcheur d’un écrivain du Canada ? Par la passion pour la SF à la fin des années 70 ? Par le sujet – grave – qui mêle enfant, cancer, militaires et espoir de guérison ?

Florence, 6 ans, est diagnostiquée cancéreuse. Un drame dans ces années-là, où l’on savait peu de choses sur cette prolifération anarchique des cellules. Une sorte de malédiction biblique qui naît sournoisement sans que l’on sache pourquoi, et liquide en quelques mois. Daniel Lecoultre a deux enfants, un fils de 16 ans et une fille de 7 ans ; il est divorcé, sa femme préférant vivre à New York, ville plus vivante où elle rencontre du monde. Le père, lui, est dévasté. Il va voir chaque jour sa petite Florence à l’hôpital Memorial d’Ottawa.

Le quartier des enfants est appelé « le Cinquième nord ». Il est le plus triste car ces petits innocents vivent leurs derniers mois, condamnés par le Crabe. Parmi eux, Max Siebert, un garçon de 10 ans au lit voisin de Flaorence. Il est étrange car il ne parle quasiment pas, se faisant plutôt comprendre par la pensée. Florence y est beaucoup attaché. Mais, peu à peu, les instruments, l’électronique, les jouets, les objets se dégradent, une lèpre attaque même les murs ; les ordinateurs de l’hôpital sont en partie effacés, les lits s’écroulent. Seul ce qui est organique est préservé, sauf les dérivés du pétrole, liquide ou plastique.

Max, de qui tout vient selon les médecins, est d’abord isolé, mais le Dr Davis l’autorise à jouer avec les autres quinze minutes par jour. Ce qui va les sauver… Quand les enfants sont évacués, inexplicablement, ils sont stabilisés, puis guérissent. Cet état est dû à la présence de Max qui, dès lors, devient un objet de recherche scientifique. Les labos capitalistes rivalisent de dollars pour financer des recherches ; les labos de l’armée américaine rivalisent de dollars – et de pressions diplomatiques – pour « acheter » l’enfant au Canada et le faire servir à leur quête d’une arme nouvelle. Transféré dans le Grand nord canadien pour éviter que la dégradation des choses altère le pays, l’enfant est convoyé en avion jusqu’à une base militaire américaine – où il n’arrivera jamais.

Car « l’effet Siebert » se fait sentir au bout de quelques heures, les instruments de navigation perdent le pilote, qui atterrit sur le ventre. Max sait qu’il va mourir. Lui, l’enfant né d’une relation incestueuse en Suisse avec le frère et la sœur, désire quitter ce monde où il détruit la matière. La carlingue se déglingue, les vêtements se désagrègent ; le temps que les secours arrivent, dans la tempête, les passagers sont morts. Seuls survit un spécialiste informaticien qui croit plus son intuition que les protocoles, et qui a éloigné la balise de détresse de l’avion suffisamment pour qu’elle ne soit pas détruite, comme le reste.

Mais d’où vient ce pouvoir ? Crier au miracle n’explique rien, c’est plutôt un renoncement à comprendre. Il y a forcément une explication physique, ce qui est une autre façon de dire un miracle, puisque c’est Dieu qui a créé les lois physiques et leurs effets. Daniel fait la connaissance de la doctoresse Davis, médecin-chercheur qui s’est attachée à Max et suit Florence ; puis du vieil industriel Olivetti, cadavre ambulant qui adore emmerder les médecins et leurs prédictions sur sa santé, mais qui finance une Fondation sur la recherche sur le cancer ; puis de l’informaticien improbable au nom imprononçable, Kenneth Hnatzsynshyn, qui pense autrement la science et n’hésite pas à faire appel aux aurores boréales, aux dinosaures, à la comète de Halley, pour expliquer l’effet Siebert. Une histoire de particules chargées.

Le tout n’aura duré qu’un an, mais le narrateur père et ses deux enfants auront acquis plusieurs années de maturité avant de recommencer une nouvelle vie, tournée vers l’avenir et la tendresse. Car, ce qui est rarement présent à cette époque dans les livres, est l’attachement du père pour ses enfants, malgré le divorce. Ce qui est aussi rare dans la SF est cet humour, constant chez le narrateur lorsqu’il évoque ses contemporains, « l’honorable » filou Butler, ministre et son patron, les mendiants jamaïcains en vêtements neufs, ou le peuple premier Ojibwa, chassé de ses terres ancestrales par la base militaires et descendus vers le sud. « Des familles entières s’établissait dans les grands centres, où les adultes faisaient bientôt profession de chômeurs et d’assistés sociaux. Ceux qui s’en sortaient le mieux étaient les adolescents des deux sexes, dont la prostitution nourrissait le reste du clan. »

A quoi sert la recherche scientifique ? Au bien des humains, à l’ego des pontes, aux bénéfices de labo pharmaceutiques, à l’avidité des militaires ? A quoi servent les politiciens ? Au bien public, à leur propre ego, à la gloire de leur parti ? Sans parler de ceux qui vendent de l’espoir par des traitements fort chers et sans effet, comme la macrobiotique, les bains glacés et autres cures de vitamines – contre le cancer…

Une satire sociale, une théorie de science-fiction, l’exemple d’une grande tendresse familiale – un humanisme qui ne se dément pas. Aujourd’hui, cela fait un peu sourire, sachant que les politiciens sont encore plus pourris, que leur ego prend des dimensions Trompesques, que les partis deviennent de sectes intolérantes et vengeresses énonçant fausses vérités sur mensonges, et que la famille est souvent déglinguée, agrégat d’égoïsmes et de sévices où, trop souvent, les enfants trinquent. A lire pour ce décalage.

Pierre Billon est un Suisse canadien diplômé en sciences de l’éducation qui a travaillé dès 1970 comme premier conseiller au ministère de la Culture et des Communications à Ottawa. Il a désormais 87 ans.

Grand prix de l’Imaginaire (alors appelé « grand prix de la science-fiction française ») 1983

Prix Boréal

Pierre Billon, L’enfant du Cinquième nord (The Children’s Wing), 1982, Points poche 1984, 320 pages, occasion €4,41, e-book Kindle €8,99

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Olivier Javal, Clown blanc, nez rouge

Premier roman, éditeur inconnu, mais belle prose. Ce qu’on peut dire en premier du livre est qu’il est bien écrit, Stendhal au XXIème siècle. Ce qu’on peut ajouter est qu’il s’agit d’un roman de la transmission. La quête est celle de quoi léguer : qu’a-t-on reçu à la naissance ? Puis au cours de son éducation ? Comment transmettre à son fils ou sa fille ce dont nous ne sommes que dépositaire (les gènes, les dysfonctions héréditaires) et ce que nous avons adopté (la religion, la culture) ?

Le personnage qui dit « je », Jacques, se découvre Jacob, prénom du grand-père donné à son petit-fils. Il a de temps à autre l’impression d’être très intelligent, nettement supérieur aux autres, puis sombre dans l’abattement et se cache, en proie au doute, au soupçon. Juif et fou, est-ce héréditaire ? Il se pose la question à propos de son fils, Julien, magnifique gamin adoré de ses parents et dont il trace le portrait, au milieu du livre comme au milieu du monde : « Un beau garçon, grand, blond, les cheveux légèrement frisés, les yeux vert noisette. Il était fin et intelligent » p.107. Il a alors juste dix ans.

Mais Julien, six ans plus tard, manifeste la même exaltation suivie de dépression que son père. En pire. La psychose paranoïaque, syndrome maniaco-dépressif appelé aujourd’hui trouble bipolaire est-elle une maladie juive ? Elle se transmet par l’hérédité, comme l’appartenance au peuple Élu. Le narrateur est troublé, écartelé entre sa vie quotidienne – « normale » – et son appartenance intime – « extra » ordinaire. Il trouble le lecteur non juif par cette obsession d’appartenir. Après tous les mélanges ethniques, durant des siècles, après l’assimilation citoyenne sous Napoléon, quelle importance cela a-t-il de se croire « juif » quand on ne croit pas en Dieu ? Ce père intégré, laïc, matheux, qui réussit sa carrière et aime son fils, semble se faire son film : on ne naît pas juif, on le devient. « A me vouloir non-juif, on m’avait fait juif, dans le sens où ma seule interrogation sur ma judéité me faisait juif » p.83. Tordu : les Corses, les Basques ou les Bretons ont-ils de ces interrogations métaphysiques ? Est-ce un péché originel de naître « juif » ?

C’est là où intervient le trouble bipolaire. Concilier les inconciliables entre la laïcité « normale » de tous les jours et l’identité héréditaire fantasmée, n’est-ce pas une double contrainte qui aboutit aux bouffées délirantes ? Clown blanc, clown rouge : petit garçon il jouait alternativement les deux au retour du cirque, comme s’il se dédoublait. D’où le titre du roman, face blanche et nez rouge, apparence « normale » et hérédité juive maniaco-dépressive. Comment se guérir, puisque toute guérison passe par l’acceptation de ce qu’on est et que cette acceptation paraît problématique ? Pourquoi l’est-elle ? Est-ce le regard des autres ? Pour transmettre, il faut accepter de recevoir – le contraire de ce que prônait la révolution de mai 68, faussement libératrice, que l’auteur et son personnage ont testée. « Je pensais de plus en plus que l’on devait assumer la transmission de ce que l’on avait reçu, qu’elle soit positive ou négative » p.146. C’est le cas de Mary, sa première femme, la mère de Julien. Elle découvre son grand-père communiste et son père collabo. Elle en est obsédée.

La quête un peu sadomasochiste du narrateur va consister à sauver son fils, atteint des mêmes maux, par le sacrifice de soi. La crucifixion à l’envers pour cause de péché originel, le meurtre du père freudien, l’obéissance au destin (autre nom de Dieu chez l’auteur ?) qui est de s’effacer pour que renaisse le gamin. Pour survivre, il est nécessaire de créer. « Les contradictions sont le germe de la création » p.126. Être père est une création, écrire un roman aussi, peut-être même bâtir sa vie (ce que disait l’existentialisme). « Une grande partie de l’art est un partage de la souffrance » p.136. L’auteur est décrit en poulpe « qui parle beaucoup, fait des nœuds avec ses multiples pattes, et sourit avec un charme infini » p.126.

Le charme est bel et bien ce qui subsiste, une fois la dernière page tournée. Paris, Paramé ; Venise, Louxor. Quels que soient les lieux, même magiques, « la vie nous apprend à dominer nos souffrances pour ne pas qu’elles nous tuent une deuxième fois » p.236. Ce mantra revient trois fois dans le livre, les trois coups du destin – assumé.

Olivier Javal, Clown blanc, nez rouge, juin 2012, éditions Kirographaires, ISBN 978-2-8225-0282-5, 236 pages, €18.95 (pas encore référencé sur Amazon)

Olivier Javal est un pseudonyme. L’auteur, prudent sur les réactions sociales (il a raison), est docteur-chercheur en informatique, où il a longuement œuvré. Comme beaucoup, écœuré par le système, il s’est reconverti dans la médiation familiale et le droit. Dans ce premier roman, il parle de lui (polytechnicien, juif, bipolaire) mais au travers du prisme littéraire.

Les petits éditeurs ne sont pas toujours professionnels. Il subsiste des incohérences ou des coquilles dans ce premier roman. Liste non exhaustive pour une seconde édition :

  • p.25-26 sommes-nous à Florence ou à Venise ?
  • p.55 « …même Yvette NE prononce plus son nom… »
  • p.72 et passim : poncif d’époque qui consiste à « échanger » avec quelqu’un sans préciser jamais quoi. On n’échange pas en soi, mais quelque chose : des fluides, des idées, un cadeau.
  • p.178 « l’enterrement de MON père » : n’est-il pas aussi celui de Nicolas, frère du narrateur, auquel celui-ci s’adresse ?
  • L’orthographe du fastfoodeur McDonald’s n’a rien à voir avec celle du maréchal d’empire Mac Donald, qui a un boulevard à Paris. Lieutenant-colonel s’écrit sans majuscules et avec trait d’union.

Si vous voulez mesurer la fatuité intello-bobo du médiatique à la mode, ne manquez surtout pas l’article de Libération : il ne porte surtout pas sur le livre mais sur le buzz médiatique d’une attachée de presse assez rusée pour faire mouche ! La bêtise de la mode… Flaubert en aurait fait tout un livre trempé dans l’acide.

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