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La France au premier tour

Le premier tour d’une élection présidentielle en France est la seule élection à la proportionnelle intégrale. Elle est hors partis, bien que ceux-ci puissent y participer en désignant un candidat, mais des électrons libres peuvent se présenter, tel Macron en 2017 ou Lassalle aujourd’hui après le pas de deux Taubira. Le résultat 2022 montre que la France est un pays « normal », comme ses voisins. Sa seule exception est que le régime y est semi présidentiel et non pas intégralement parlementaire et que la réforme du quinquennat avec législatives dans la foulée empêche tout compromis du genre Programme commun (pour éviter la cohabitation), contrairement aux alliances responsables des pays germaniques.

Cette normalité prouve qu’il y a un centre libéral, laïc et européen, aujourd’hui leader derrière Emmanuel Macron, flanqué d’une droite conservatrice populaire et identitaire et d’une gauche radicale anti-tout qui captent les mouvements sociaux (gilets jaunes pour la droite Le Pen, mouvement contre la réforme des retraites pour la gauche Mélenchon). Plus un quart des votants potentiels qui se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul. Le centre, la droite, la gauche et l’abstention forment chacun environ un quart des Français. Rien que de plus normal dans une démocratie : ceux qui ont la charge de gouverner sont plus modérés par la force des choses que ceux qui refusent carrément le système ou s’en moquent, et que ceux qui, dans l’opposition, goûtent aux délices de la démagogie.

Droite et gauche sont radicales aujourd’hui avec Le Pen et Mélenchon ? C’est que les partis de chaque tendance qui ont gouverné se sont effondrés dans la réalité (le désastre du quinquennat Hollande et la déroute affairiste de la candidature Fillon), et qu’ils n’ont guère que des idées éculées à proposer comme « désir d’avenir » (la pâle synthèse Pécresse entre Zemmour et Macron, le programme très scolaire d’Hidalgo, voire le « retour à » l’industrie, le nucléaire, la chasse et la viande Roussel). D’où ces « nouvelles » droites et gauche qui se créent dans des mouvances hors partis, effet d’une nouvelle génération de quadras qui ont vécu les attentats islamistes, les crises financières, l’échec des printemps arabes, les gilets jaunes, la pandémie et désormais la guerre au cœur même de l’Europe. Le « nouveau centre » d’Emmanuel Macron, en marche vers l’adaptation des Français aux changements du monde, rallie les adultes responsables éduqués ; les autres, évidemment, préfèrent la radicalité infantile du « tout, tout de suite » et du « yaka ». C’est l’effet de l’infantilisation sociale française depuis la maternelle jusque fort tard dans la vie. L’inepte « attestation » pour sortir pisser hors de chez soi durant le premier confinement l’atteste.

Hors abstention, les électeurs qui s’expriment se répartissent en trois blocs de même force, un peu plus de 30 % chacun : Macron et environ la moitié Pécresse pour le centre de gouvernement ; Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan et la part Ciotti pour la droite ; Mélenchon, Roussel, Hidalgo et les deux résidus trotskistes pour la gauche. Les reports de voix devraient faire gagner Emmanuel Macron, mais tout dépendra de la campagne d’ici le second tour et de l’intensité du rejet des votants pour celui oucelle qu’il ne veulent absolument pas voir accéder au pouvoir. Un peu plus de proximité et de social pour le président sortant pourrait l’avantager, de même qu’une menace russe avancée ; un attentat islamiste ou un événement obérant gravement le pouvoir d’achat avantagerait en revanche Marine Le Pen.

Ce qui est surprenant dans ce premier tour est moins le score minable d’Hidalgo (qu’allait-elle faire dans cette galère, la mairie de Paris ne lui suffisait-elle pas ?), voire de Pécresse (on savait bien LR gangrené par l’exaspération démographique sécuritaire), que celui de Jadot l’écolo. Je ne crois pas que la radicale chic féministe Rousseau aurait fait mieux, au contraire, si elle l’avait emportée aux vertes primaires. Les spécialistes parlent de « vote utile » pour ce collapsus du projet écologique, pourtant qualifié sans cesse « d’urgent » et « d’avenir ». Mais les jeunes, les plus en avance dans l’idéologie, n’ont voté qu’à 40 % et le parti Mélenchon a repris des thèmes écolos. Ce qui montre que les électeurs ne font pas confiance à un parti purement dédié à l’écologie en France. Il reste trop marqué par le gauchisme post-68, l’intellectualisme urbain et la secte des egos. L’écologie est un concept trop important pour être laissé aux écologistes autoproclamés et tous les partis doivent le prendre en compte. L’électeur, qui n’est pas si niais que les spécialistes semblent le croire du haut de leurs études, le prouve par son bulletin dans l’urne.

Quant à Zemmour, l’expression d’une bourgeoisie pétainiste, conservatrice et ancrée dans la religion (sans forcément croire), il a fait pschitt ! – comme disait si bien Chirac. Amuseur intello, fomenteur d’infox, collabo notoire des fascistes d’hier et d’aujourd’hui, grand admirateur affirmé du despote asiatique Poutine, il ferait un bien piètre président pour une France qui a une histoire, une tradition internationale et un rôle d’exemple dans le monde. Le vieux Le Pen, dont l’humour ravageur n’a pas été altéré par ses presque 94 ans, déclarait que « Zemmour n’a pas le physique d’un président ». Un second degré délicieux lorsqu’on connait les origines du candidat et les convictions profondes du commentateur. Bien sûr, ceux qui « y croyaient » crient au complot et à la manipulation, surtout les jeunes, volontiers fascistes lorsqu’ils sont à droite, mais ce ne sont que vains mensonges. Il y a longtemps que le « bourrage des urnes » propre au parti communiste stalinien et en vogue dans les années 1950 et 60 est désormais étroitement surveillé. Il suffit d’avoir participé hier à un dépouillement avec lampes électriques en cas de « coupure » opportune d’électricité au moment de renverser les urnes pour le comptage, puis d’avoir vécu un dépouillement récent, pour le savoir. Marine Le Pen n’a rien perdu de son national socialisme mais l’irruption du trublion sectaire l’a automatiquement recentrée, la faisant paraître moins pétainiste, le socialisme passant devant national dans son discours – mais sans l’abandonner dans le programme pour autant !

Reste l’inconnue des Législatives après le second tour car élire un président ne suffit pas, il faut encore meubler une Assemblée. Là, les partis traditionnels, laminés par le scrutin présidentiel, sont implantés, ont des réseaux d’élus et de militants, tiennent des villes et des régions. Le ou la nouvel(le) hôte de l’Elysée devra en tenir compte car aucun des deux n’a d’implantation locale directe. Le PS, les LR, le PC, EELV existent ; gouverner se fera avec eux. A moins qu’ils ne réussissent à intégrer les parties neufs et à les assagir sous les responsabilités. Mais qui sera le mieux à même de négocier d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen avec les groupes isus de la nouvelle Assemblée ?

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Méfiance quotidienne

En me promenant en grande banlieue parisienne en ces temps de post–Covid, je remarque combien la façon de vivre a changé depuis trente ans. Dans les années 1930, de hauts murs de 2,50 m bordaient les jardins, en serrant les rues de remparts de part et d’autre. Les maisons nouvelles des années 1970 ont vu plutôt le surgissement de clôtures basses, de haies clairsemées, voire pour certains, pas de clôture du tout à la mode américaine. Depuis quelques années, les hautes clôtures de pierre pleine reviennent à la mode. Les maisons neuves enserrent leur terrain de murs élevés, flanqué de grilles fermées sans aucune poignée, à ouverture électrique et caméra de surveillance.

Ce ne sont que quelques signes parmi d’autres de la méfiance généralisée qui se répand dans la société française, même parmi les classes moyennes et aisées jusqu’ici préservées par leur culture et leur éducation. Désormais, on doute de tout et le net répand le n’importe quoi que la répétition finit par faire croire.

L’entre soi exige que l’on construise une piscine dans son jardin plutôt que d’aller à la piscine municipale ou, pire, nager avec les gamins du peuple tout nu dans la rivière comme il y a peu. Laquelle est d’ailleurs interdite depuis quelques années seulement par « principe de précaution » pour cause de pisse de renard qui pourrait donner, via quelques égratignures, une zoonose. Cela ne gênait pas les ados de le transgresser il y a quinze ans encore, c’est un interdit strictement respecté aujourd’hui.

De même, le torse nu, si naturel et courant en Ukraine par exemple, ne se porte plus dans la rue, en vélo, ni même sur les pelouses publiques, il est réservé aux lieux privés, au stade et aux espaces de sports où les grands ados trouvent à se défouler. Même le skate se pratique désormais en tee-shirt, ua rebours de la mode lancée par les Californiens. Et le short s’est transformé en bermuda jusqu’aux genoux, voire en pantacourts, même durant les canicules. Montrer ses cuisses ou son torse est considéré aujourd’hui comme pornographique : une étape vers le voile intégral et la djellaba ras les chevilles même pour les garçons ? Contrairement à il y a 30 ans, les filles ne viennent plus flirter avec les gars dépouillés par l’exercice, lesquels se mettaient gaiement en valeur, mais restent soigneusement en bande de trois ou quatre dans des activités séparées, rarement en public.

J’ai même vu, la semaine dernière, des primes adolescents de 12 et 13 ans vaguer dans la rue après collège en portant le masque sur la figure. Il n’est plus obligatoire depuis un mois mais l’habitude est prise et ce serait dirait-on comme se promener sans slip que de ne plus le porter. On n’est plus rebelle à cet âge-là, comme si l’infantilisation se prolongeait plus longtemps qu’avant. Je me suis laissé dire que la sexualité se trouve retardée de plusieurs années par rapport aux années 1970 et 1980 – sauf dans les collèges parisiens où dès la sixième se passeraient des choses étranges dans les toilettes, en raison des films pornos librement visibles sur YouTube. Mais ce n’est pas pour cela que reviennent les amitiés fiévreuses et chastes des adolescents des années 30 racontées dans les romans scouts. L’amitié aujourd’hui est plus un compagnonnage d’habitude, une façon miroir de se regarder soi-même et d’évoquer ses propres problèmes devant une oreille complaisante.

La pandémie de Covid n’a évidemment rien arrangé, elle a surtout précipité des tendances latentes.

Celle à la méfiance généralisée, allant jusqu’au soupçon de complot de la part de tout ceux qui vous dominent et que vous connaissez mal (le patron, le député, le ministre – mais moins le voisin, le maire ou même le président).

Celle au repli sur soi, à sa famille proche et à son clan, dans son petit quartier préservé derrière de hauts parapets.

Celle du refus de participer à des activités collectives, sauf le foot pour les garçons ou la danse et parfois le judo pour les filles ; même le tennis, qui faisait autrefois l’objet de « défis » poussant à connaître les autres, ne se pratique plus qu’entre potes ou en famille. La fête est plus importante entre amis autour d’un barbecue dès le printemps venu que lors des réjouissances collectives organisées par la commune. Seule la « fête des voisins » connaît un certain succès, mais dans certains quartiers seulement, et en excluant les autres rues. Méfiants, les gens ressentent tout de même une curiosité pour ceux qui les entourent ; s’ils ne se livrent pas, ils posent quantité de questions.

La « crise » (qui dure depuis 50 ans), la pandémie, l’avenir des retraites et de la dette, les prix, la guerre désormais à nos portes grâce aux néofascistes du monde entier encouragés par ceux de chez nous et les candidats collabos, l’école en faillite, la justice effondrée, l’hôpital explosé, les services publics décatis – tout cela encourage le repli, le sentiment qu’il faut désormais se débrouiller tout seul, ne rien dire et n’en faire pas moins dans la compétition sociale où les rares places sont de plus en plus chères.

C’est tout cela que l’on peut observer dans les rues d’une petite ville de la grande banlieue verte d’Île-de-France où je réside en pointillés depuis un demi-siècle.

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