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Nicolas Gorodetzky, La limite de Hayflick

Nicolas G. n’en est pas à son coup d’essai. Ce thriller passionnant et bien découpé, qui mêle mythe de la vie éternelle, savant éthique et mafias diverses, est son sixième roman. Médecin pneumologue, ex-urgentiste, musicien de rock (groupes Weekend Millionnaire de 1978 à 1991, Dr Rock and the Famous Merengo), manageur médical de la sécurité (coupe du monde de foot 1998, du rugby 2007, Euro 2016 de foot) – et père d’un fils adulte, Yan et d’une fille Nathalia – ce touche-à-tout dynamique réussit à vivre à cent à l’heure sans pourtant se disperser. Comme les aventuriers (ou les chats) il a eu plusieurs vies et sublime son expérience dans ses fictions.

Imaginez : la science a découvert que les cellules humaines peuvent se diviser jusqu’à un certain point limite. Le microbiologiste américain Leonard Hayflick l’a montré en 1965. Cette sénescence réplicative pourrait être contrée si – et là on aborde le domaine de la fiction – l’on découvrait comment manipuler les télomères, ces capuches des brins d’ADN qui permettent la réplication. Dans le roman, un savant l’a réussi, ouvrant la voie à la vie éternelle des cellules. Malheureusement les bonnes cellules comme les mauvaises (par exemples les cancéreuses). Mieux : le savant a réussi à sélectionner les bonnes cellules. Dilemme : offrir cette découverte à l’humanité, ou la taire ? Car des questions éthiques se posent aussitôt : si chacun peut vivre éternellement (ou du moins très très longtemps), qu’en est-il de la démographie galopante, des ressources limitées, de la pollution inhérente à un excès d’humanité ? Dès lors, cette découverte engendrera-t-elle de la contrainte sur le le fait de donner naissance à des enfants ? Sera-t-elle réservée aux riches et aux puissants ? Utilisée à de mauvaises fins de chantage ? Vaste abîme de réflexion… Ce pourquoi le professeur « disparaît ».

Sauf que les mafias diverses, agissant pour le compte de commanditaires puissants, dont la paranoïa permet de croire qu’ils s’entendent pour régenter la planète, veulent mettre la main sur la découverte. Elle est contenue dans une petite clé USB cousue dans une couture du pantalon du savant, protégé par une légion « d’amazones », des femmes initialement kurdes, en guerre ouverte contre l’obscurantisme islamiste, mais qui ont agrégé autour d’elles toutes les dominées qui veulent résister à la puissance du mâle.

Il se trouve que le savant a une fille qui termine médecine. Ida doit encore soutenir sa thèse et officie comme interne au grand hôpital de Stockholm, ville où justement notre héros, Stanislas Verlaine, déjà rencontré dans les romans policiers précédents, se remet d’un choc amoureux, sa femme chérie étant morte, le laissant orphelin une fois de plus après la perte de sa mère étant enfant. Devant se mettre au vert après ses déboires avec le Mandarinia, où il a fait ami avec les abeilles, il a décidé de se perfectionner en criminologie dans le master spécialisé internationalement reconnu de l’université suédoise. Pour cela, il se fait héberger par sa tante, qui a épousé un Suédois aujourd’hui décédé, et qui habite une grande maison avec jardin dont une serre exotique où elle cultive des fleurs et élève des abeilles (ces petites bêtes joueront un rôle dans le thriller). Elle loue le sous-sol aménagé en studios à des étudiants. Il y a là Ida, mal fagotée et enlaidie, souvent de garde de nuit, et Erik, beau footeux suédois grand, beau, musclé, etc. Stan se lie d’amitié avec lui.

Mais il cherche un complément de revenus à sa maigre bourse universitaire et Erik lui parle d’un petit boulot que lui a proposé Ida récemment. Il ne convient qu’aux beaux gosses, jeunes et bien faits. Suspense. Suit alors un chapitre délicieux d’érotisme aux limites, sans jamais dépasser la bienséance. Les Suédois ont la réputation depuis la fin des années soixante d’être spécialistes du plaisir des corps. Un comte et sa comtesse convient à des dîners privés dans leur manoir suédois des riches âgés triés sur le volet, afin de leur faire goûter les désirs. Ils engagent pour cela une « reine » et un « roi » appelé le Phoenix, jeunes beaux, etc. pour s’exhiber en dévoilant lentement leurs corps, et se caresser, sans aller plus loin. Ce qui compte est la montée du désir, pas l’explosion, qui deviendrait pornographique. Après Le dieu du football, ce chapitre étonnant et, avouons-le, captivant tant il renverse les règles habituelles du jeu érotique, le lecteur plonge brutalement dans l’action.

Un commando lourdement armé fait irruption dans le manoir lors d’une soirée mensuelle, à laquelle Erik a décidé de ne pas participer, malgré Ida. Car Ida s’est révélée à Erik et son apparence habituelle n’est pas sa vraie nature. Erik en a été surpris, vexé ; bien que progressivement amoureux, il s’est éloigné pour y réfléchir. Tous les présents à la soirée sont tués, sauf trois filles qui ont pu se cacher, et deux autres enlevées – dont Ida.

Stan, dont les « exploits » s’étalent sur le net, est convié par le chef de la police à venir les épauler, car il a souvent des intuitions hors des procédures et connaît mieux que les autres Ida et Erik, qui lui a décrit le milieu. Un mystérieux sigle, TTAGGG, a été dessiné au sang sur un miroir ; une victime a commencé à écrire « Beati V » avant de mourir. Ce sont des signes que comprennent les initiés. Commence alors un jeu du chat et de la souris avec les tueurs sans scrupules, qui tiennent à ne laisser derrière eux rien ni personne, afin de lessiver toutes traces pouvant remonter à leurs commanditaires. Tout s’accélère, haletant, en chapitres courts. De la belle ouvrage, bien écrite, percutante.

Nicolas Gorodetzky, La limite de Hayflick, 2025, éditions Yanat, 249 pages, €20,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Se faire avoir chez les Grecs

Christine Lagarde aurait-elle dit officiellement tout haut ce que chacun pense in petto tout bas ? Scandale dans la gauche moraliste ! Les Joffrin, Mélenchon et autres manipulateurs d’opinion, qui n’hésitent jamais à couper la parole à leurs interlocuteurs même « chers collègues » pour asséner leur conviction « politique », entonnent la grosse caisse de la honte envers Christine Lagarde. Pourtant, qu’a-t-elle dit de si honteux ?

Selon ses propos au ‘Guardian’, rapportés par ‘La Tribune’ : « Je pense qu’ils devraient s’aider mutuellement (…) en payant tous leurs impôts », en évoquant « tous ces gens qui tentent en permanence d’échapper à l’impôt ».

Vraiment, quel scandale ! Quand un vulgum sinistrus déclare que « les riches » doivent faire preuve de solidarité en payant tous leurs impôts en France, en évoquant tous ces gens qui tentent en permanence de s’exiler fiscalement, la gauche morale applaudit des deux mains et des deux pieds. Quand c’est Christine Lagarde, voilà qu’elle aurait tout faux ?

Aussitôt, les spécieux experts en manipulation d’éléments de langage de « préciser » : certes, elle a raison de dire que ceux qui ne payent pas d’impôts devraient en payer, mais elle a « stigmatisé » tous les Grecs, or de nombreux Grecs payent leurs impôts, à commencer par les fonctionnaires. On dit même que certains payent la TVA… quand il y a une facture. Raisonnement à courte vue, comme d’habitude dans la dialectique gauchiste. Car les moralistes confondent volontiers la science sociale (qui se doit d’être neutre et objective) et l’argumentation politique (qui est un combat d’arguments citoyens).

Certes, en puriste, ce ne sont pas « tous les Grecs » ou « les Grecs en général » qui évitent volontairement l’impôt. Mais ce sont les plus aisés, les plus lourds dans le PIB, les plus influents en termes politiques : les armateurs, les professions libérales, les gros propriétaires, l’Église. Ces « dominants » (pour reprendre la distinction de gauche à la mode), maîtrisent l’opinion en jouant sur l’idéologie pour préserver leurs petits intérêts clientélistes. Ce sont donc quasi « tous » les Grecs citoyens qui acceptent le système tel qu’il est et ne veulent surtout ne rien y changer ! Tiens, nous sommes passés de la science sociale d’observation à la politique en action…

Les Grecs, notamment le socialiste M. Venizelos et le mélenchonien M. Tsipras, ont parlé « d’humiliation du peuple grec ». Or ne s’est-il pas humilié lui-même ? Qui a voté avec constance pour les partis clientélistes qui ont fait disparaître dans le tonneau des danaïdes les subventions européennes destinées à aider la Grèce à se mettre au niveau européen depuis des décennies ? ‘Le Monde diplomatique’ – repaire de capitalistes ultralibéraux, comme chacun sait – : « depuis son adhésion en 1981, le pays a perçu plus de 100 milliards d’euros de fonds communautaires ».

Nous sommes là dans la politique qui exige un débat citoyen, aujourd’hui européen et mondial puisque ce sont nos impôts qui renflouent sans cesse la Grèce inapte à régler elle-même ses problèmes. Christine Lagarde, qui tient les cordons de la bourse au FMI, est donc fondée à participer au débat. Nous ne sommes pas dans l’observation sociologique abstraite : la majorité des Grecs a toléré, perpétré et encouragé la fraude fiscale. N’importe quel touriste, même de gauche, a pu le constater depuis des décennies. Il le constate encore s’il est de bonne foi, puisque la plupart des commerçants exigent le paiement en liquide ! Et il suffit d’observer que l’exonération « dépludémuni » est le double de la française, 12 000 euros de revenus par an, pour relativiser l’accusation d’affamer les Grecs des Mélenchon et consorts.

Quand aux fonctionnaires… citons ‘Libération’ – quotidien très à droite et réactionnaire conservateur, comme chacun sait – « le gouvernement est incapable de chiffrer exactement les effectifs de la fonction publique – entre 500 000 et 800 000 si l’on y intègre aussi les employés territoriaux et ceux des entreprises publiques, c’est-à-dire un actif sur cinq. Leur situation financière est aussi floue : près de 50 primes diverses, allant des cadeaux de Pâques et de Noël aux missions de déplacement, en passant par la prime de frontières – pour la plupart des îles, villages et villes frontaliers du pays, ce qui fait beaucoup -, qui doublent et parfois triplent les salaires, sans compter les à-côtés légaux. » Oh, petite précision à l’attention des puristes : l’article date d’avant « la polémique », de février 2010…

Nous voyons là à l’œuvre la dialectique du déni : quand la gauche parle, elle dit forcément le Bien, la vérité, la marche « scientifique » de l’histoire (en 2010, la gauche trouvait les Grecs laxistes) ; quand la droite parle, elle a forcément des arrière-pensées pour le Mal, le mensonge politique, la perpétuation du pouvoir des dominants sur la société (en 2012, la gauche trouve des excuses puisque c’est la droite qui trouve les Grecs laxistes).

Sur les Grecs et les impôts, la gauche est prise en flagrant délire de mensonge politique avec effet pervers de… perpétuer le pouvoir des dominants grecs sur leur société ! Je cite encore ‘Le Monde diplomatique’ : « Côté recettes, la fraude fiscale, largement répandue, prive chaque année l’État de 20 milliards d’euros. Côté dépenses, le poste principal est le budget inflationniste d’un service public inefficace et gonflé à outrance. »

Malheureux, les Grecs ? Ils ont les salariés les mieux payés du pays… en relatif : « En 2008, les membres des professions libérales (médecins, avocats, architectes) déclaraient un revenu annuel de 10 493 euros, les hommes d’affaires et les traders de 13 236 euros en moyenne, tandis que celui des salariés et des retraités se montait à 16 123 euros. Pour le fisc, les plus riches sont les ouvriers, les employés et les retraités. » Eh oui, les traders sont plus pauvres que les salariés… pourquoi Mélenchon ne les montre-t-il pas en exemple ?

Évidemment, cet article d’un journaliste de gauche à Athènes a été publié bien avant « la polémique » : en mars 2010. Quand je dis que la politique rend con… Si Christine Lagarde avait été « de gauche », elle aurait dit une triste vérité ; mais comme elle a été nommée par l’illégitime Sarkozy, elle ne peut qu’être gaffeuse et haïssable.

Il faut bien sûr compatir avec les changements drastiques nécessaires en Grèce : toute habitude modifiée ne fait pas que des gagnants à court terme et il y a de vrais pauvres, tels certains retraités, les chômeurs, les jeunes à la recherche d’un petit boulot. Mais le système de mendicité et de redistribution clientéliste peut-il durer avec l’argent des autres ? « En Grèce, payer ses impôts, c’est être un con », confirme Pedros, patron d’une PME de cosmétiques, cité sur le blog Bruxelles de ‘Libération’. La gauche radicale crierait-elle au loup parce que la taxation et la redistribution clientéliste sont justement son idéal politique ? Serait-elle pour « un système féodal, une magouillocratie », comme le dénonce dans le même article le journaliste Athanase Papandropoulos ?

On peut donc soupçonner – déjà – un divorce à gauche, entre ceux qui sont en charge des affaires et ceux qui s’y refusent absolument.

La ministre porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Blekacem, invitée de ‘Dimanche+’, déclare « qu’aujourd’hui, il n’y a pas de leçon à donner » et « qu’il faut toujours avoir un esprit constructif ». Voilà qui est plus raisonnable que les grandes orgues des moralistes multiculturels assis le multicul toujours entre deux chaises et qui se déconsidèrent chaque jour davantage.

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