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Donald E. Westlake, L’assassin de papa

Ray Kelly revient de l’armée où il était pilote pour trouver son père qui ne l’attend pas à la gare des bus de New York mais à son hôtel. Bien que son cadet n’ait pas vu la ville depuis trois ans, le père a de fortes réticences à sortir. Lorsqu’ils prennent la voiture pour se rendre à la maison, une Chrysler bicolore les dépasse et le passager tire, tuant mortellement Willy Kelly et suscitant un accident qui blesse grièvement Ray. Il sortira avec une jambe douloureuse, des chevilles mal remises et la perte de l’œil droit.

Lorsqu’il est à peu près remis, son frère Bill vient le voir. Son épouse a été victime elle aussi d’un accident et sa fillette n’a plus que lui. Les deux garçons ont perdu leur mère qui s’est suicidée il y a vingt ans faute de pouvoir revenir à New York. Ray ne comprend pas trop ce qui se passe mais désire le savoir. Il ne tardera pas à apprendre que l’origine de toutes ces morts est unique – et il doit se venger.

De fil en aiguille, il apprend que son père était l’avocat d’un truand, Ed Kapp, dont il a prononcé le nom juste avant d’être tué. Mais le malfrat est en tôle et doit sortir prochainement une fois ses vingt-cinq ans purgés pour non déclaration fiscale. Il faut dire qu’au sortir de la prohibition, le taux supérieur de l’impôt sur le revenu s’élève déjà s’élève à 79 % pour les plus hautes tranches et qu’en 1944, il atteint 94 % au-delà de 6,9 millions. Les truands ne veulent pas donner leur argent durement gagné à l’Etat.

Flanqué de Bill, Ray va attendre Kapp à sa sortie de prison, à temps pour le voir risquer de se faire descendre par la même Chrysler blanc et crème qui a descendu son père. Il pousse le vieillard dans la haie et le sauve. Il veut l’interroger sur les tueurs, les mêmes qui ont assassiné son père, mais Ed Kapp finit par le reconnaître comme le fils de Willy Kelly, c’est-à-dire son propre fils bâtard puisqu’il a couché avec sa mère avant qu’elle ne se marie avec Willy. Kapp est donc son père biologique et Bill son demi-frère.

Comme Ray veut châtier les tueurs, il va l’aider, ce qui sert bien en même temps ses affaires. Trop vieux pour reprendre un territoire dans New York, après ses décennies de tôle, il va présenter son fils à ses compères truands pour fédérer un groupe qui va reprendre le terrain. Ray est réticent mais survient le suicide maquillé de Bill, ce qui le convainc. Les tueurs sont impitoyables et n’auront semble-t-il de cesse d’avoir éliminé toute la famille des Kelly pour éviter le retour de Kapp. Ray joue donc le jeu avec son père biologique.

Ils ne tardent pas à apprendre que tout vient d’un truand nommé Ganolese et Ray va tout uniment le descendre, sans rien demander à personne. Kapp est ravi, son rival est éliminé et son territoire à saisir. Mais Ray en apprend de belles sur ses manipulations et sortira de ses rets d’une façon radicale. Il se retrouvera alors seul et diminué, mais vengé. Il pourra commencer une nouvelle vie.

Ce roman policier du début des années 1960 reste dans le ton viril des gangsters, les femmes et les filles n’apparaissent que comme décor ou objet de plaisir. Ray n’a jamais connu sa belle-sœur ni sa mère, il ne connaîtra pas sa nièce car cette gamine ne l’intéresse pas ; peut-être aurait-il changé d’avis si elle avait été un garçon. Il ne s’intéresse pas aux femmes mais préfère le whisky et les cigarettes, qu’il consomme à outrance comme il était de bon ton de le montrer pour être un homme à cette époque. C’est un univers décalé et direct, tout à l’américaine, qui fait passer un moment sans que l’on n’en apprenne plus sur l’humanité.

Donald E. Westlake, L’assassin de papa (361), 1962, Folio noir 1989, 256 pages, €6.05

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Paul Doherty, La vengeance du Mysterium

Ce roman policier médiéval part d’une histoire vraie : Sir Thomas de Weyland, juge royal, fut disgracié par Édouard 1er et s’est réfugié en monastère. L’auteur le transforme en Sir Walter Evesham et explique pourquoi. Sandewic, lourdaud mais fidèle gouverneur de la Tour de Londres est rendu tel qu’en lui-même, comme le roi. Les relations des marchands et des truands sont rendues telles que les textes historiques les donnent. Mais cette authenticité qui fait le charme des romans policiers de Paul Doherty (la réalité dépasse toujours la fiction) ne va pas sans un sens de la dramaturgie. L’historien sait ciseler des whodunit (Who done it – Qui l’a fait ?) à la manière de la grande Agatha Christie. Nous sommes donc en 1300 et quelques et, selon la première phrase du roman, « un vent froid balayait la Tamise ».

Des meurtres ont lieu ici ou là, jamais par hasard. Ce sont des serviteurs du roi, juges, coroners et prêtres, même une veuve et son amant. Leur point commun est cette lettre M tracée au poignard sur le front de chaque victime et ce bout de parchemin sur lequel est écrit : « Mysterium Rei » – la chose mystérieuse. Il y avait certes un « Mysterium », assassin qui signait ainsi ses œuvres, mais c’était vingt ans auparavant. Et les victimes étaient toutes des ennemis des marchands ou des grands. Sir Evesham, juge au Banc du roi, l’avait pourchassé et logiquement acculé. Depuis, les meurtres avaient cessé. Sauf que Sir Evesham s’est fait prendre la main dans le sac avec des truands, chefs de bande notoire terrorisant Londres. Il avait troqué sa pendaison contre une retraite en abbaye, à condition de faire silence sur ses notes, qui impliquaient le roi…

Mais Sir Evesham est assassiné dans sa cellule fermée, gardée par un chien de guerre et un vieux moine. Pas de traces, mais la signature M sur le front. Sir Hugh Corbett flanqué de son fidèle Ranulf, est chargé de l’enquête. Le roi veut tout savoir, et point de scandale.

Le magistrat, raide comme la justice et l’œil du faucon, tourne autour de sa proie avant de fondre dessus. Il reconstitue les faits et gestes des protagonistes – et ils se multiplient entre aujourd’hui et vingt ans avant ! Nul ne sort blanchi. Pas même Dieu et la foi : « J’étais un bon prêtre, clerc. Vraiment. (…) Savez-vous ce que c’est que de prendre soudain conscience que tout ce à quoi vous accordiez foi n’est que mensonge ? Qu’il n’y a ni justice ni droit ? » p.341. Et l’Église ne dit rien, le roi consent, les grands participent…

Quand la vertu n’est plus dans la cité, chacun pour soi se défend et fait justice lui-même. Ce qui débecte Corbett et l’amène – mais oui ! – à mettre fin à sa carrière. L’affaire résolue, il rend l’anneau et la chaîne de sa charge au roi Édouard, furibard. Mais il n’en a cure, c’est sa liberté. « Corbett réussissait très bien dans sa carrière ; pourtant il y avait du moine en lui. Il était fort épris de son épouse et refusait d’assister aux divers soupers, banquets et fêtes organisés par la Cour. Il s’intéressait davantage à la liturgie, au rituel de l’Église, dans lesquels il puisait sa force. Fermement convaincu que la juste loi devait faire régner l’ordre, il était prêt à se lancer dans les plus violents combats pour mettre ce principe en œuvre. Il était captif de sa foi, présent au monde mais pas du monde, partie du monde tout en s’en tenant à distance. Ce clerc était persuadé du bien-fondé de l’Église et de la loi et pensait que, si l’univers en était privé, tout mauvais qu’il soit, il serait bien pire encore » p.141.

Est-ce la fin des aventures de Sir Hugh Corbett ? Peut-être, peut-être pas. Après 17 opus, l’auteur s’est peut-être lassé de son personnage, lui qui a créé dans la même veine médiévale Frère Athelstan, Mathilde de Westminster, Matthew Jankyn, Kathryn Swinbrooke. Mais il faut qu’Édouard 1er disparaisse. Justement, la fin du règne arrive…

Paul Doherty, La vengeance du Mysterium (The Mysterium), 2010, 10-18 mai 2012, 354 pages, €8.36 

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