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Toshikazu Kawaguchi, Le café où vivent les souvenirs

Adapté d’une pièce de théâtre de l’auteur, ce petit roman a connu un grand succès au Japon. Il est court, ramassé sur quelques personnages, un brin fantastique pour faire rêver, et parle des grands problèmes humains : l’amour, le temps, le passé, l’humeur.

A Hakidate, sur l’île d’Hokkaido, est le plus vieux poteau télégraphique carré en béton du Japon. Le port est étagé sur la pente et compte 19 rues ; dont une sans nom. A mi-pente, un café, le Dona Dona, où l’on peut voyager dans le temps, comme au café Funiculi Funicula de Tokyo (titre d’un autre roman de l’auteur, dont un film est sorti en 2018). Mais on ne serait pas au Japon si cette possibilité n’était soumise à des conditions réglementées très précises, à suivre de façon maniaque.

On ne peut rencontrer que des personnes qui ont mis les pieds au moins une fois dans ce café, la réalité ne changera pas quoi qu’il en soit, une seule personne peut occuper la place à la fois, le retour dans le passé n’est possible que durant le temps qu’un café refroidisse – à l’exclusion de toute autre boisson.

S’agit-il d’une légende urbaine ? En tout cas, des clients y croient et viennent occuper la chaise qu’un « fantôme » occupe la plupart du temps ; il suffit d’attendre qu’il se rende aux toilettes – même si des toilettes, pour un fantôme… Saki est la petite fille de 7 ans qui sert le café, en l’absence de sa mère, car une autre règle maniaque du procédé est que le pouvoir ne se transmet que de mère en fille. La fillette lit avec passion, des livres difficiles mais surtout un, qui fait fureur au Japon : Et si le monde devait s’effondrer demain ? En 100 questions.

Défilent alors les clients près au voyage. Il y a Yayoi, jeune orpheline qui en veut à ses parents morts dans un accident de voiture de l’avoir conçue égoïstement, puis de l’avoir laissée seule. Il y a Todoroki, humoriste qui a remporté un grand prix à Tokyo, ce que sa femme décédée depuis peu n’a pu savoir, elle qui l’avait tant encouragé. Et Reiko, dont la sœur à disparue. Enfin Rieji, jeune homme qui vient travailler à mi-temps au café, où défilent tant de touristes, et qui réalise combien il aime au fond son amie d’enfance. Chacun veut ce qu’il n’a plus, au lieu de vivre le temps présent et de se rendre compte de sa chance.

L’auteur explore avec empathie cette nostalgie douce des jeunes qui se croient déjà vieux mais regrettent ce qui fut ou ce qui aurait pu être. La vie n’est pas ce qu’on veut. Ce n’est pas doux amer, car l’amertume se dissipe comme la brume, il suffit de parler avec les autres. Le café est un microcosme où se résument les vies et où, finalement, la réponse à toutes les questions se trouve dans ce livre énigmatique que lit la petite fille. Et si le monde devait s’effondrer demain ? Qu’est-ce qui est le plus important ? Qu’est-ce qui compte pour vous? Voilà les vraies questions, et ni le regret, ni les remords.

Pas un grand livre – l’excès de succès n’est jamais signe de qualité durable – mais une gentille leçon de vie. A la mode internationale de notre temps.

Toshikazu Kawaguchi, Le café où vivent les souvenirs, 2018, Livre de poche 2024, 221 pages, €7,90, e-book Kindle €7,49

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Yasunari Kawabata, Le grondement de la montagne

yasunari kawabata le grondement de la montagne

Un homme dans la soixantaine, marié et père de famille, ressent de plus en plus les approches de la mort. Celle-ci surgit inopinément comme un tremblement de terre, par un grondement sourd dont on ne sait s’il vient de la mer ou de l’intérieur de soi. La terre, cette mère nature, rappelle à elle son enfant. C’est le moment de regarder en arrière, de faire un bilan de l’existence.

Shingo est marié à une femme laide et qui ronfle la nuit, mais il s’y est habitué. Il aurait préféré sa sœur, bien plus belle mais mariée ailleurs et emportée dans sa jeunesse. Ses deux enfants, Shuishi et Fusako, le garçon et la fille, sont décevants. Shuichi, marié à la ravissante jeunette Kikuko, la trompe effrontément avec une marchande de fleurs à qui il fait un enfant qu’elle veut garder pour elle. Kikuko, délaissée, refuse l’enfant de Shuishi et se fait avorter sans rien dire à personne. Fusako s’est mal mariée avec un mafieux qui vient de se suicider avec sa maîtresse et lui laisse deux petites filles. Des deux petits-enfants de Shingo, l’aînée est méchante et cruelle, comme seules les fillettes de 5 ans peuvent l’être quand on ne les aime pas. L’autre est un bébé.

Le vieux Shingo, dans ces années 1950 où le Japon s’américanise, rêve devant un masque de Nô représentant Jigo, l’éphèbe éternel, qu’il a l’étrange désir d’embrasser, amoureux de sa jeunesse. Il songe en passant qu’il aimerait bien refaire une vie avec sa belle-fille. Elle est attentionnée, fragile et affectueuse. Elle prend les choses comme elles viennent, comme il se doit, sans illusion. C’est elle, Kikuko, qui introduit même à la maison de Kamakura, dans la banlieue campagnarde de Tokyo, le rasoir électrique et l’aspirateur, ces deux symboles de la modernité occupante. Un article de journal apprend que des graines de lotus datant de 50 000 ans viennent de refleurir sous les attentions d’un botaniste… Le lotus n’est-elle pas la fleur de Bouddha ? N’est-ce pas un message selon lequel tout reste pareil, éternellement renouvelé mais avec le même élan de vitalité vers la lumière ?

Le romancier évoque la vie quotidienne à la maison, au travail, les relations entre mari et femme, fils et maitresse, mère et fille. Shingo est déçu de la vie, c’est le début de la vieillesse. Bientôt il aspirera à quitter ce monde pour rejoindre la nature qui fait mourir et renaître la vie sans cesse et sans état d’âme. Cette indifférence de la nature est l’essence même du zen, cette voie bouddhiste qui imprègne le Japon traditionnel et dont Kawabata est féru. Ce pourquoi les humains lassés des querelles de famille contemplent avec délice les cerisiers en fleurs, les érables rouges, les larges fleurs-soleil de tournesol, le grand serpent de deux mètres à demeure sous la maison, la chienne Teru qui vient mettre bas. La vie de chacun n’a aucune importance, ce qui compte est qu’elle s’inscrive dans le grand livre naturel.

La jeunesse aime bien se faire des illusions sur son avenir. Et puis l’existence passe, et le réel est moins beau que rêvé. L’épouse n’est pas celle qu’on aurait désiré, les enfants ne sont pas d’autres soi-même, les collègues de l’université s’encroûtent et ressassent. Le grondement de la montagne, sorte de Surmoi interne qui prend la voix de la terre qui se fend, est là pour rappeler combien l’existence est éphémère, que le rêve n’est jamais la réalité, que tout change sans cesse et pas comme on voudrait – et qu’il faut l’accepter. Un certain bonheur est à ce prix.

Ce roman vient du Japon d’avant, mélancolique et humain, très décalé par rapport à notre époque occidentale de fébrilité et de zapping. Mais qui repose en posant les vraies questions de la vie et de la mort, des relations humaines et du sens de la nature.

Yasunari Kawabata, Le grondement de la montagne, Albin Michel 1969, 264 pages, €13.11

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