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Fred Vargas, L’armée furieuse

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Tout commence comme chez Simenon 50 ans plus tôt dans Maigret et le client du samedi : Adamsberg-Maigret voit un personnage qui l’attend devant la PJ et n’ose pas entrer ; il le fait parler et un meurtre est annoncé. Qui se produit – mais le coupable n’est pas celui qu’on pense. Il y a du Simenon chez Vargas, sauf que cette pâte humaine qu’elle affectionne autant que lui, elle l’étale sur 400 pages au lieu de 200. Elle est lente, lourde, elle divague volontiers.

Certains aiment ça, surtout les bobos à la campagne. Car elle parle cultureux, Vargas, elle sait les codes ; elle évoque toujours le bon vieux temps de la bonne vieille France du bon vieux terroir, où les gens vivent lentement, rêvent aux météores tout en guignant la femme du voisin, où les vaches ne bougent pas, où les bons petits plats traditionnels mijotent au coin du fourneau, arrosés d’un bon calva de derrière les fagots, tandis que les médecins soignent avec les mains.

Tout commence comme chez Simenon, mais en plus lent. Surtout qu’il y a trois enquêtes : celle de la femme venue voir le commissaire Adamsberg pour lui parler de l’armée furieuse, de la mesnie Hellequin, cette chasse sauvage qui ravage depuis deux mille ans tous les pays de l’Europe du nord et qui emporte tous les méchants de l’année ; celle du pigeon trouvé les pattes attachées en plein Paris par un ado vicieux, probablement ; celle d’un PDG de grand groupe français qui ressemble fort à Bouygues, aux deux fils ambitieux, retrouvé calciné dans sa Mercedes. Le nébuleux Adamsberg à l’esprit tortueux et aux intuitions qui doivent mariner longtemps avant d’exploser sur un détail, devra mener de front ces trois événements aussi importants l’un que l’autre. Pas simple.

Surtout que la première enquête se passe dans le terroir normand (cher à Vargas pour raisons familiales), la seconde à Paris (mais un pigeon, tout le monde s’en fout) et la troisième dans les beaux quartiers parisiens (ce qui met préfet et ministre en émoi). On se demande quelle époque est la plus furieuse, de l’antique ou de la contemporaine, la tradition avait quand même du panache. Le lecteur se retrouve donc embarqué dans une quête mi historienne, mi anthropologique, à visées policières. Les deux premiers chapitres, particulièrement réussis, mettent dans l’ambiance ; la suite est plus lourde à avaler, vous pouvez prendre des pauses – arrosées de calva ou équivalent si m’en croyez ; la fin est remplie d’action et connait un retournement inattendu. C’est bien composé, avec parfois des fautes de français dans la concordance des temps (mais qui connait encore les accords de conjugaison ?).

Au bout de 400 pages, on a passé un bon moment, mais il ne faut pas être pressé et connaître un minimum de vocabulaire. Nous ne sommes pas dans le thriller à l’américaine, ni dans le polar des années 50, mais dans le rompol, abréviation inventée par Vargas pour la lignée qui remonte au moins à Simenon, sinon aux feuilletonistes de la fin XIXe et même à Victor Hugo (contrairement à ce qui est dit en quatrième de couverture par cette génération vaniteuse qui croit le monde commencé avec elle). Car il y a toujours du social chez Vargas en plus des brumes indécises des esprits, toujours une méfiance envers les riches et des puissants (sauf les comtes authentiques) et des Arabes de banlieue sympathiques. Adamsberg doit en plus compter sur la rivalité entre commandants de sa brigade, Veyrenc et Danglard, sans parler d’un fils de 28 ans répondant au doux nom serbe de Zerk, qu’il s’est trouvé dans le volume précédent. Pas simple, donc embrouillé, à plaisir. Mais ça se lit : c’est de l’appellation contrôlée, bien Made in France.

Fred Vargas, L’armée furieuse, 2011, J’ai lu 2013, 441pages, €7.51

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Stéphane Béguinot, Le clan du Grey Watch

Les lieux ? L’Écosse, sur la côte ouest donnant sur l’Irlande. L’époque ? Incertaine, dans les brumes de la légende, mais avant le siècle 19 de notre ère tant manquent toutes les inventions techniques de la modernité. Les héros ? Ils sont trois, comme les trois enfants turbulents de l’auteur, deux filles, un garçon, le petit dernier. Leur âge ? L’adolescence, mais la prime, ce qui fait qu’ils peuvent avoir entre 14 et 17 ans. L’histoire ? Une chevauchée d’heroic fantasy qui voit s’affronter les clans celtes, entre ceux qui veulent le pouvoir et ceux qui ne comprennent pas ce qui leur arrive.

Nous sommes à l’âge des chevaux, des charrettes, du tri à l’arc et des épées. Whisky, chardon, cornemuse et fantômes, ces traits d’Écosse, sont recyclés comme le kilt, les châteaux et les fêtes. Le lecteur est transposé dans l’univers d’un conteur en verve d’imagination et d’action, expert en celtitude et en paternité, quelque part entre les potions potaches à la Harry Potter et la menace maléfiques du Seigneur des anneaux. Nous avons des fantômes, des kiltômes et des kiltish, allez vous y retrouver !

L’auteur prend un grand et malin plaisir à faire rebondir les histoires, légères et échevelées, sur une trame de quête adolescente. Un chapitre terminé, le lecteur a hâte de découvrir le suivant. Et il y en a 19. Écrits avec humour et sens du théâtre.

Comme le veut cet univers onirique, les personnages sont tous dignes, beaux et bien armés, aimés de leurs parents et fratrie, même les méchants, ou presque. Ils restent animés de cet esprit d’équipe et de chevalerie que veut la tradition. La nôtre, celle d’Europe, encore plus la tradition celtique dont l’auteur est féru. Il joue lui-même fort bien de la cornemuse et ne répugne pas à porter le kilt, dont il a fait déposer un modèle exclusif pour sa famille. Il dit en effet descendre d’un ancêtre écossais. Nous sommes quelque part dans l’aventure merveilleuse des scouts, filles et garçons mêlés en tout bien tout honneur. Curieusement, ils se vouvoient, ce qui fait suranné – quoique que cela subsiste dans quelques familles d’aujourd’hui. Les catholiques de tradition tiennent par exemple à tenir à distance tout sentiment avant qu’il soit socialement autorisé. C’est le cas de nos jeunes héros, qui devront patienter pour enfiler chaussure à leur pied. Tout se terminera évidemment par le mariage… Mais pas avant de s’être éprouvé, contenu, apprivoisé !

Autant dire que ce roman d’aventure est une suite de leçons de morale pratique et de sentiments guidés par des adultes avisés. Les jurons ne vont jamais plus loin que le « maudit soit le venin femelle des orties » ou « vous êtes un vilain et méritez un gage ». Et nul ne perd la vie dans un combat car la Justice doit passer. L’esprit positif y règne autant que les BA (bonnes actions), l’enthousiasme compte autant que le savoir-faire, et le courage n’est pas la moindre des vertus exigées. C’est un peu forcer la barque mais je me suis laissé dire que les enfants de l’auteur, premiers auditeurs de ces histoires contées à la veillée, ont eu à cœur de prendre pour modèle le héros à chacun dédié : la fille aînée Eimhir, la cadette Eithne, le benjamin Uilleam. Ils n’ont pas encore l’âge requis pour se fondre dans leurs tuniques, mais c’est une question de temps.

Chacun est affublé du prénom qui va à son tempérament. Eimhir, l’aînée indomptable et libre, était la femme du héros irlandais Cuchulain, son prénom signifierait « prompte » en gaélique. Eithne, la seconde, avisée et sage, épouse du dieu suprême Lug, signifierait « la graine ». Le dernier, Uilleam, est Guillaume en notre bon françois et signifie en germanique « protection de la volonté » – un prénom qui oblige un garçon. Ce ne sont pas les prénoms des vrais enfants qui, selon un réseau social, seraient plutôt Caroline, Gwenaëlle et Aymeric. Mais l’imaginaire est roi !

Anachronique et achronique, tumultueux et discipliné, ce long roman de kilt et de claymore est vivace comme la bruyère des landes, vif comme le whisky des îles et vivifiant comme l’écume sur les rocs. Une excellente lecture de vacances pour vos enfants de 7 à 14 ans, qui les captivera autant que la série Harry Potter.

Lisez-le aussi pour votre plaisir (il durera) – et pourquoi pas à haute voix – surtout avec un bon whisky de l’île de Skye (en cas de pluie). Prévoyez une infusion de cynorrhodon pleine de vitamines (et rouge comme le Crimson) pour les enfants ! Cela changera utilement les petits de la télé et des jeux vidéo, l’espace des semaines de vacances et cela confortera l’auteur, qui prépare la suite de ce premier roman.

Stéphane Béguinot, Le clan du Grey Watch – Les aventures des MacClyde, 2010, édition Ex Aequo, 572 pages, €23.75 

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