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Gagner le tour d’enFrance

Le Tour de France fait rêver les gamins. Le vélo, ils connaissent depuis tout petit. Gagner le tour ne leur viendrait pas à l’idée mais leur enfance est la France ; ils font plutôt le tour de l’enfance par le vélo.

Si la draisienne a été inventée en 1817, il fallait courir pour faire avancer le deux-roues. Le véritable vélo(cipède) est inventé en 1843 par un Français, Alexandre Mercier. Edouard Michelin collera aux roues une chambre à air en 1891. Le Tour de France ne naît qu’en 1903.

Le dérailleur ne sera inventé que dans les années 1950.

Même les filles s’y mettent, ce qui permet quelques exercices érotiques d’enjambement…

…ou de chevauchée.

Le vélo est l’engin préféré des gamins. Leur moyen de locomotion principal avant que le skate ne vienne le détrôner dans les centres urbains encombrés.

Aller en vélo est de mise dans les banlieues, où les distances sont souvent grandes entre cité et collège, stade ou supermarché.

L’exercice est bon pour les muscles et échauffe vite. Qui dira le plaisir de pédaler torse nu, le vent de la course sur la peau…

Si le slip minimum est agréable par forte chaleur, il est inconfortable aux fesses.

La combinaison renforcée de (faux) chamois à l’entrecuisse est l’une des avancées de la technique récente. Le tissu élastique et moulant caresse le ventre et la poitrine dans l’effort, tout en maintenant le dos protégé.

D’où la tentation du lac ou de la rivière, où se rafraîchir les pâturons, comme les chevaux jadis.

Au fond, pour les ados, le vélo est comme le destrier d’autrefois, avant d’accéder à la moto.

Certains y attellent même un chien pour éviter l’effort.

On se teste dessus, on expérimente des plongeons en lac.

Les « roues arrière » sont célèbres – et moins dangereuses que sur les engins à moteur.

Le vélo est un moyen d’aller entre copains là où les autres ne vont pas.

D’explorer – les lieux, la nature, les affections.

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Claude Simon, La route des Flandres

claude simon la route des flandres
« Le monde arrêté figé s’effritant se dépiautant s’écroulant peu à peu par morceaux, comme une bâtisse abandonnée, inutilisable, livrée à l’incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps » (ponctuation de l’auteur respectée). Cette phrase qui termine La route des Flandres en donne probablement la clé : la guerre rend absurde tout ordre rationnel des sociétés comme des esprits ; tout roman ne peut donc être que décousu, au fil de la pensée, sautant du coq à l’âne, mêlant les époques et les gens. Le « nouveau roman » se veut ainsi révolutionnaire, écrit compact sans presque de ponctuation, décrivant minutieusement sur une demi-page une chose insignifiante, comme vue au travers d’une loupe, puis évoquant des souvenirs, revenant au présent, ponctuant de dialogues par petits bouts…

Il s’agit d’une littérature « difficile » à lire car il faut en avaler de grosses lampées sous peine de perdre le fil, trois parties sans presque revenir à la ligne. Mais il s’en dégage une sorte d’envoûtement, le rythme du conteur finissant par charmer au bout de quelques pages.

L’histoire se passe en juin 1940, lors de l’invasion allemande du nord de la France. Une troupe de cavaliers menée par un capitaine aristocrate, flanqué de son ordonnance, jockey dans la vie civile, mène le trot dans l’anarchie de la défaite, jusqu’à ce qu’une embuscade le mette bas. D’autres seront tués, il semble qu’il ne reste que trois cavaliers, dont Georges le narrateur, qui se retrouvent en camp de prisonniers.

La guerre n’est qu’en arrière-plan, comme un décor, ou plutôt comme le décor convenu qui fond sous la pluie persistante. Même un cheval mort s’amalgame peu à peu avec la boue, retournant à la « poussière », le chaos originel, comme il est dit dans la Bible. Ce délitement de la matière est celui de la France tout entière, avec son armée effritée sans ordres, mal commandée par des badernes formées sous Pétain. Mais le propos n’est jamais politique, cet état de fait ne se manifeste que par ce cri du cœur d’Iglésia, l’ex-jockey populaire : « S’ils font la guerre sur des banquettes, dit-il des Allemands en engins mécanisés, qu’est-ce qu’on fout là, nous, sur nos cagneux. Mince alors ! On avait bonne mine… » (dernières lignes de la partie II).

La mémoire est fragmentaire, fonctionne par analogies, et l’auteur restitue sa propre expérience dans ce miroir brisé. Il fait des boucles autour du cheval, centre d’attention des cavaliers, comme sur un champ de courses. Le cheval, le capitaine, la femme, tous se chevauchent dans la mémoire comme dans la vie. Le capitaine a été fait cocu par son jockey qui a monté sa femme comme sa pouliche ; la France n’aurait-elle pas aussi faite cocue par les badernes qui la gouvernent, tandis que les Allemands ont su accueillir la modernité technique ? (Rien n’a changé, hélas…)

Le désordre apparent du roman se compose par la chevauchée autour de la route, métaphore du temps qui passe, sa continuité étant marquée par l’absence fréquente des repères de ponctuation. De la mort des repères renaît la vie originelle, comme une force que rien ne peut éradiquer, les fleurs, les désirs, les sensations. Naufrage de la raison, comme ce grand pays effondré en 40 ; énergie vivace des désirs, toujours présente dans la chevauchée, l’ivresse et le coït. Noyade du sens ; enivrement des sens.

« Y’a plus de front, pauvre con ! » est le cri au narrateur sorti des entrailles d’un soldat qui a tout compris de son époque et du monde. De ce traumatisme, l’auteur ne se remettra pas, revenant des décennies plus tard sur cette blessure de la débâcle.

Claude Simon, La route des Flandres, 1960, éditions de Minuit 1982, 315 pages, €8.60
Claude Simon, Œuvres 1, Pléiade Gallimard 2006, 1583 pages, €63.50
Les romans de Claude Simon chroniqués sur ce blog

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