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Colette, La fin de Chéri

En 1926, Sidonie Gabrielle Colette a 53 ans ; l’année d’avant encore, Chéri est joué au théâtre de la Renaissance avec Colette dans le rôle de Léa, la femme mûre. Elle divorce cette année-là d’Henry de Jouvenel, dont elle a fait du fils dès 16 ans son Toy boy. Elle le raconte joliment dans Le blé en herbe. Mais elle avait déjà du goût pour l’extrême jeunesse, pour l’animal érotique du garçon en sa fleur, beau comme une statue et vivant comme un enfant. Elle a publié Chéri en 1920 et, six ans plus tard, Bertrand la quittant pour se marier en 1925, publie La fin de Chéri.

C’est que la jeunesse ne dure pas : pas plus celle du garçon encore adolescent que celle de la femme déjà mûre. Quatre ans, c’est long, le temps d‘une bonne guerre – celle de 14 sera redoutable – et le temps de prendre des rides et des plis. Entre 45 et 55 ans, la femme enlaidit, épaissit, s’affaisse. D’où la stupeur de Fred, dit Chéri, parti à 24 ans et revenu à 28, de retrouver ses ex-maîtresses carrément âgées, dont Léa. Il ne les a pas vu vieillir. Même sa femme Edmée, de son âge, est devenue infirmière et baise volontiers avec son patron docteur à l’hôpital. Chéri n’est pas jaloux, il est déçu. Sa jeunesse fout le camp et lui ne fout plus rien – ni personne. Pas envie.

Léa, son ex qui se plaisait à le regarder « nu », est devenue une femme informe et sans grâce. Mais toujours avisée. « Tu as tout à fait la dégaine de quelqu’un qui souffre du mal de époque. Laisse moi parler… Tu es comme les camarades, tu cherches ton paradis, hein, le paradis qu’on vous devait, après la guerre ? Votre victoire, votre jeunesse, vos belles femmes… On vous devez tout, on vous a tout promis, ma foi c’était bien juste… Et vous trouvez quoi ? Une bonne vie ordinaire. Alors vous faites de la nostalgie, de la langueur, de la déception de la neurasthénie… Je me trompe ? – Non, dit Chéri » p.221 Pléiade.

Mais il y a pire que le mal du siècle. Léa ne comprend pas que Chéri ne maîtrise plus le temps qui passe. Il a été isolé durant quatre ans, il a perdu sa chronologie. Chéri a donné procuration durant la guerre et son épouse gère à sa place ses avoirs ; il est dépossédé parce qu’il a perdu sa compétence, et se trouve réduit au statut de mineur sous son propre toit. « Pourvue de patience, et souvent subtile, Edmée ne prenait pas garde que l’appétit féminin de posséder tend à émasculer toute vivante conquête et peut réduire un mâle, magnifique et inférieur, à un emploi de courtisane » p.240. Même Léa qui l’infantilisait ne se retrouve plus en maîtresse mûre dans la vieille femme qu’elle est devenue. Chéri ne peut plus surmonter l’enfance ; il n’est plus réel, possédé de soi, mais jouet, possédé par d’autres, par les souvenirs.

Chaque jour est flottant, sans repères, non relié. Ce pourquoi il se réfugie dans la baignoire pour retrouver son corps, puis, parce qu’il doit partager la baignoire avec Edmée, cherche une garçonnière où se retrouver maître chez lui. Ce que lui concède Léa, appelée au chevet de sa vieille mère mourante. Chéri, faisant terrier au milieu des photos de sa jeunesse, n’y survivra pas.

Il s’autodétruisait déjà en se nourrissant peu, dormant mal, errant sans but. Un jouet d’amour sans amour a-t-il encore une quelconque utilité sociale ? Une bête de sexe sans sexe peut-il garder sa part humaine ? Il a accompli son destin entre 16 et 24 ans, fils de sa mère et amant de sa maîtresse. Il n’est plus apte à la suite, désorienté par la Grande guerre et par Léa qui l’a enfermé dans ses rets trop jeune. Il en reste prisonnier mais ne la retrouve pas lorsqu’il veut en sortir.

Colette, La fin de Chéri, 1926, J’ai lu 2022, 112 pages, €3,00

Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00

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Jennifer Lesieur, Mishima

jennifer lesieur mishima bio

A qui veut connaître rapidement la vie réelle de cet auteur japonais sulfureux, ce livre pourra suffire. Il est une biographie de journaliste, vite pompée, vite écrite, vite oubliée. Un survol sans analyse, sans enquête personnelle, uniquement descriptif. Nous sommes loin d’une biographie littéraire, malgré le nom de Gallimard apposé sur l’édition. Avec même une erreur flagrante p.233 quand il est dit que « sous une chaleur accablante, il rencontre par hasard Isao, le fils d’Iinuma (…) Honda y aperçoit trois grains de beauté alignés, les mêmes que ceux qu’il avait remarqué un jour sur Iinuma ».  Il faut lire Kiyoaki et pas Iinuma !

En 16 chapitres courts qui se lisent en une soirée, une chronologie, une bibliographie, un cahier (très sommaire) de photos, quelques notes en référence, vous en saurez autant sur l’écrivain qu’une fiche Wikipedia, mais sous forme brochée d’un objet à classer dans sa bibliothèque.

Kimitake Hiraoka est né par hasard le 14 janvier 1925 et est mort volontairement Yukio Mishima le 25 novembre 1970.

  • Enfance tordue par une grand-mère névrosée qui l’arrache tout bébé à sa mère et ne lui rend, pour cause d’approche de l’agonie, qu’à l’âge de 12 ans.
  • Adolescence tourmentée d’un garçon chétif et très sensible qui n’a jamais eu le droit d’aller au soleil et de jouer avec les autres garçons.
  • Jeunesse qui s’émancipe enfin, avide d’air, de lumière et d’épanouissement physique (musculation, kendo, karaté) après un voyage en Grèce.
  • Maturité responsable avec études juridiques, concours du prestigieux ministère des Finances, mariage, production littéraire, deux enfants – fille et garçon.
  • Et puis l’approche de la vieillesse, du flétrissement physique, du relâchement des passions, de l’étiolement des idées, du succès qui passe.

Hiraoka, descendant de paysans par sa lignée paternelle, a adopté l’origine noble de sa grand-mère. Il a voulu mourir en samouraï selon le rite millénaire du bushido, la voie du guerrier, en quoi il voyait l’âme culturelle du Japon. Ce pays auquel il était charnellement attaché, depuis les arbres et les fleurs jusqu’à la mer et aux montagnes, aux nuages et à la pluie ou la neige. Il évoque cette nature dans ses œuvres mieux que Kawabata, son mentor dans les lettres, prix Nobel à sa place.

Yukio Mishima jeune

Il raconte dans Confession d’un masque  combien son enfance contrainte l’a rendu névrosé, l’attirant vers l’idéal qu’il ne serait jamais : le garçon mâle japonais à l’aise dans son corps et avec les femmes. Déviance sexuelle mimétique, désir pour ce qu’il voudrait être et qu’il admire : la beauté, la musculature, la force, l’aisance – lui qui mesurait à peine 1m60.

Hiraoka a été bien sage, Mishima son double en a trop fait. Auteur prolifique, il est maniaquement organisé (la névrose obsessionnelle, ce travers né de l’éducation japonaise). Il a écrit des feuilletons populaires autant que de grands romans littéraires, commis des films de série B comme des pièces de théâtre, s’est mis en scène nu devant les photographes, mimant saint Sébastien ou le samouraï brandissant son sabre. Il a été explorer les boites gay de Tokyo, sans vraiment y consommer, préférant l’anonymat des parcs ou l’exotisme du Brésil. Il a été bon père pour ses jeunes enfants, mais pas attaché à la fonction paternelle, les abandonnant par sa mort à l’âge tendre (11 ans pour sa fille Noriko, 8 ans pour son fils Ichiro).

Il faut dire que les exemples successifs de son grand-père et de son père l’ont fait mépriser la paternité, tous deux démissionnaires face aux mères, puis autoritaires à contretemps avec le fils.

Pour le reste, lisez directement les œuvres, cette biographie ne fait que les résumer sans approfondir.

Jennifer Lesieur, Mishima, 2011, Gallimard Folio biographie, 277 pages, €7.51

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