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Jennifer Lesieur, Mishima

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A qui veut connaître rapidement la vie réelle de cet auteur japonais sulfureux, ce livre pourra suffire. Il est une biographie de journaliste, vite pompée, vite écrite, vite oubliée. Un survol sans analyse, sans enquête personnelle, uniquement descriptif. Nous sommes loin d’une biographie littéraire, malgré le nom de Gallimard apposé sur l’édition. Avec même une erreur flagrante p.233 quand il est dit que « sous une chaleur accablante, il rencontre par hasard Isao, le fils d’Iinuma (…) Honda y aperçoit trois grains de beauté alignés, les mêmes que ceux qu’il avait remarqué un jour sur Iinuma ».  Il faut lire Kiyoaki et pas Iinuma !

En 16 chapitres courts qui se lisent en une soirée, une chronologie, une bibliographie, un cahier (très sommaire) de photos, quelques notes en référence, vous en saurez autant sur l’écrivain qu’une fiche Wikipedia, mais sous forme brochée d’un objet à classer dans sa bibliothèque.

Kimitake Hiraoka est né par hasard le 14 janvier 1925 et est mort volontairement Yukio Mishima le 25 novembre 1970.

  • Enfance tordue par une grand-mère névrosée qui l’arrache tout bébé à sa mère et ne lui rend, pour cause d’approche de l’agonie, qu’à l’âge de 12 ans.
  • Adolescence tourmentée d’un garçon chétif et très sensible qui n’a jamais eu le droit d’aller au soleil et de jouer avec les autres garçons.
  • Jeunesse qui s’émancipe enfin, avide d’air, de lumière et d’épanouissement physique (musculation, kendo, karaté) après un voyage en Grèce.
  • Maturité responsable avec études juridiques, concours du prestigieux ministère des Finances, mariage, production littéraire, deux enfants – fille et garçon.
  • Et puis l’approche de la vieillesse, du flétrissement physique, du relâchement des passions, de l’étiolement des idées, du succès qui passe.

Hiraoka, descendant de paysans par sa lignée paternelle, a adopté l’origine noble de sa grand-mère. Il a voulu mourir en samouraï selon le rite millénaire du bushido, la voie du guerrier, en quoi il voyait l’âme culturelle du Japon. Ce pays auquel il était charnellement attaché, depuis les arbres et les fleurs jusqu’à la mer et aux montagnes, aux nuages et à la pluie ou la neige. Il évoque cette nature dans ses œuvres mieux que Kawabata, son mentor dans les lettres, prix Nobel à sa place.

Yukio Mishima jeune

Il raconte dans Confession d’un masque  combien son enfance contrainte l’a rendu névrosé, l’attirant vers l’idéal qu’il ne serait jamais : le garçon mâle japonais à l’aise dans son corps et avec les femmes. Déviance sexuelle mimétique, désir pour ce qu’il voudrait être et qu’il admire : la beauté, la musculature, la force, l’aisance – lui qui mesurait à peine 1m60.

Hiraoka a été bien sage, Mishima son double en a trop fait. Auteur prolifique, il est maniaquement organisé (la névrose obsessionnelle, ce travers né de l’éducation japonaise). Il a écrit des feuilletons populaires autant que de grands romans littéraires, commis des films de série B comme des pièces de théâtre, s’est mis en scène nu devant les photographes, mimant saint Sébastien ou le samouraï brandissant son sabre. Il a été explorer les boites gay de Tokyo, sans vraiment y consommer, préférant l’anonymat des parcs ou l’exotisme du Brésil. Il a été bon père pour ses jeunes enfants, mais pas attaché à la fonction paternelle, les abandonnant par sa mort à l’âge tendre (11 ans pour sa fille Noriko, 8 ans pour son fils Ichiro).

Il faut dire que les exemples successifs de son grand-père et de son père l’ont fait mépriser la paternité, tous deux démissionnaires face aux mères, puis autoritaires à contretemps avec le fils.

Pour le reste, lisez directement les œuvres, cette biographie ne fait que les résumer sans approfondir.

Jennifer Lesieur, Mishima, 2011, Gallimard Folio biographie, 277 pages, €7.51

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C’était mieux avant ?

Ah, qu’il était doux le bon vieux temps des valeurs et de la morale, du machisme tranquille et des rôles sociaux fixés ! Madame torchait les mioches et faisait la vaisselle tandis que Monsieur travaillait au dehors, mettait les pieds sous la table ou bricolait au garage. Las, mai 68 est passé par là, mais aussi le développement de l’instruction, de la culture et des droits avec celui de l’économie. Désormais, Madame peut rester Mademoiselle sans offusquer personne ; elle peut choisir de ne pas avoir d’enfants ou un ou deux si elle veut, quand elle veut ; elle peut bricoler au garage et laisser Monsieur torcher les mioches, tous deux travaillant au-dehors. Les rôles sociaux en sont bouleversés. D’où les mariages tardifs, après longue cohabitation à l’essai – ou pas de mariage du tout ; d’où un enfant sur deux né bâtard, « hors mariage » dit-on par euphémisme aujourd’hui ; d’où les états d’âme masculins, partagés entre androgynie pour se fondre dans la masse ou survirilité pour se distinguer des filles à cheveux courts, en jean et qui font de la boxe ; d’où les interrogations inquiètes sur l’éducation donnée aux enfants, les parents dépossédés par Internet et par l’école, cette fabrique de crétins où des enfeignants font de l’animation idéologique.

roger peyrefitte les amities particulieres film

Ah, qu’il était doux le bon vieux temps des enfants de chœur et des collèges fermés où les garçons en pension et les filles au couvent étaient préservés de toutes les souillures du monde, gardant – croyait-on – l’âme pure des oies blanches ! Il suffit de lire les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir ou Les amitiés particulières de Roger Peyrefitte (parmi bien d’autres) pour se rendre compte que le bon vieux temps, cet âge d’or, n’est qu’un mythe. Dès 7 ans, les garçonnets allaient aux louveteaux et se faisaient tripoter par le curé lorsqu’ils servaient en enfants de chœur ; dès 11 ans, on les bizutait chez les scouts, avec mise à l’air, caresses brutales et pénétrations diverses ; au même âge, le curé passait aux sucettes (la sienne enduite de confiture), et les pensionnaires se faisaient fouetter, brûler à la cigarette, pénétrer devant et derrière, jusqu’à ce qu’une amitié particulière leur offre la protection virile d’un plus grand ; dès 14 ans, lorsqu’ils étaient au travail, ils se dépravaient comme des hommes, Céline le décrit bien dans Mort à crédit.  Ce n’était guère mieux chez les filles, La religieuse de Diderot n’étant pas encore passée de mode, ni les caresses brûlantes des couvents.

balancoire

Est-ce cela que réclame le lobby chrétien intégriste de Civitas, qui cherche « à se mobiliser avec détermination contre cet enseignement sournois de la perversion aux enfants, en participant notamment à toutes ces initiatives de bon sens qui s’opposent à ces folles velléités du pouvoir, de vouloir imposer cette idéologie contre-nature dans la société et son enseignement obligatoire à nos enfants dans le système scolaire » ? Mais non, ce ne sont pas contre les curés pédophiles (fort nombreux dans l’église catholique qui interdit le mariage des prêtres), ni contre les éducateurs des collèges de garçons (traquant le péché par des confessions sur listes d’émoustillantes turpitudes et profitant des troubles) – c’est contre l’école de la république, laïque et obligatoire. Ce qu’ils veulent, c’est une « reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France (…) dans le sens des valeurs chrétiennes et de l’ordre naturel ».

Un groupe de pression chrétien est parfaitement légitime, puisque  juifs, islamistes, communistes et écologistes en ont. Mais le citoyen peut garder l’esprit critique sur la mythologie de tous ces « croyants ». Que défend Civitas ?

  • Valeurs chrétiennes ? « Sa dépendance à l’égard du Créateur ».
  • Ordre naturel ? « La philosophie naturelle d’Aristote et les textes du magistère traditionnel de l’Église catholique, en particulier chez saint Thomas d’Aquin et dans les encycliques sociales ».
  • Rejet ? « L’individualisme et (le) libéralisme qui rejette toute idée de dépendance vis-à-vis de valeurs que l’homme n’aurait pas définies lui-même ».

Etait-il donc dans l’ordre divin que les enfants soient mis dans des conditions quasi carcérales, voués à ne pouvoir s’aimer qu’entre eux, Dieu planant loin au-dessus ? Ne serait-il en revanche pas dans l’ordre chrétien (« laissez venir à moi les petits enfants » dit Jésus), ni dans l’ordre naturel (« l’homme est un animal politique » dit Aristote), que l’école aide chacun des enfants à s’épanouir par lui-même (« à faire fructifier son talent », dit l’Évangile) ? Une bien étrange conception de l’homme, créé pourtant « à l’image de Dieu », et de la place qui lui est sur cette terre. Une « dépendance » qui ressemble fort à un esclavage…

genre theorie civitas

« Ce qui se joue, dit Virginie Despentes, c’est pouvoir affirmer : nos enfants nous appartiennent. Entièrement. S’ils sont différents de ce que nous attendions, nous avons le droit de les éliminer. C’est pourquoi les livres les inquiètent tant, car quand les enfants apprennent à lire ils échappent à leurs parents, ils peuvent aller chercher une vision du monde différente de celle qu’on leur sert à la maison, et l’école les inquiète aussi – ce moment où les enfants ne sont plus enfermés sous leur seul contrôle ».

Propriété, appartenance, enfermement, contrôle : le citoyen raisonnable a le droit de ne pas soutenir ce genre de mouvement.

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Jean-Jacques Rousseau, Les confessions

Le 28 juin 1712 naissait à Genève Jean-Jacques Rousseau – il y a exactement trois siècles. Je n’aime pas le bonhomme, bien que célébré en France à l’égard de Victor Hugo et préféré à Diderot ou Voltaire, ses contemporains. Les Français se reconnaissent-ils dans les contradictions trop humaines de cet être infantile ? Il y a quelque chose de malsain à « aimer » ce misanthrope éperdu de reconnaissance sociale, ce paranoïaque fasciné par le grand monde, cet asocial qui se mêle de dire Le contrat social tel qu’il doit être, ce cœur saignant qui n’hésite jamais à abandonner ses amis qu’il soupçonne sans cesse de complot contre lui, cet éducateur qui rate le préceptorat de deux bambins Mably de 7 et 9 ans (p.267) mais n’en écrit pas moins L’Émile – traité d’éducation

Voltaire avait raison de dénoncer la fausseté de ce moraliste abstrait, chrétien du siècle passé du protestantisme au catholicisme avant d’y revenir, de ce narcissique immature qui n’a pas hésité à confier ses « cinq enfants » (avoue-t-il p.357) à l’assistance publique. Beaux discours et actes honteux, haute morale et bas égoïsme, grands mots et petits arrangements de conscience. Abandonner ses enfants à la naissance ? « Je me dis : puisque c’est l’usage du pays… » p.344. Lait aigri et dents gâtées, souffreteux complaisant, malade imaginaire, est-ce ainsi qu’on se veut exemplaire ?

Reste que Rousseau a préfiguré notre modernité.

Il n’était pas né protestant pour rien, individualiste avant les catholiques, républicain avant les révolutionnaires, psychotique avant les psys. On le verrait volontiers de nos jours se répandre dans les émissions de télé réalité, pleurant sur ces femmes qu’il a désirées sans oser les prendre, sur ses enfants perdus qu’il n’a jamais voulu élever, sur sa position sociale basse qu’il n’a jamais su élever, sur son talent musical ou littéraire qu’il a gâché.

Ses ‘Confessions’ se veulent la suite des ‘Essais’ de Montaigne comme des ‘Confessions’ de saint Augustin, la sagesse en moins. « Voici le seul portait d’homme, peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais » : ainsi commence le livre, complaisant avec lui-même et sans pudeur comme la confession protestante. Il développe des Mémoires toutes de sentiment, fâché avec les faits réels, les noms, les dates (d’où l’intérêt de le lire en édition Pléiade ou de multiples notes remettent les choses au point…).

Il veut la « transparence » pour se faire aimer, l’exposition de lui « tout nud » (selon son orthographe archaïque). Cela par sentiment d’égalité, modestie affichée, affectée par volonté démocratique. Alors qu’il est vaniteux au point de ne supporter aucune critique. Surtout apparaître « normal », dirait-on aujourd’hui, à la socialiste ; surtout ne pas s’élever, ne pas être « riche », ne pas dépasser ; vivre heureux, vivre caché, dans une campagne isolée à cultiver son jardin (Charmilles avec Warens, Ermitage avec d’Épinay, Montmorency avec le duc) ; rester indépendant pour ne dépendre de personne et ne susciter aucune jalousie alentour.

Jean-Jacques Rousseau est le précurseur de l’âme démocratique.

Infantile, irresponsable, humble. Comme un fils devant son père tonnant, ver de terre du Dieu créateur, assujetti d’État-providence, abeille de la ruche mère. Certes, Jean-Jacques a perdu sa mère deux semaines après être né. Mais son père l’a « toujours traité en enfant chéri » (p.10), lisant avec lui tout petit de nombreux livres, et sa tante l’a élevé de 10 à 13 ans conjointement avec son cousin Bernard, auquel il s’est uni d’étroite amitié : « Tous deux dans le même lit nous nous embrassions avec des transports convulsifs, nous étouffions » p.20. Mais cela ne suffit pas : dans son orgueil narcissique, le petit Jean-Jacques se veut nombril du monde : « Être aimé de tout ce qui m’approchoit était le plus vif de mes désirs » p.14.

Il a ses premiers émois sexuels par une fessée à 11 ans, mais reste niais jusqu’à ce que Madame de Warens – qu’il appelle « maman » alors qu’elle l’appelle « petit »… – le dépucelle volontairement à 22 ans, six ans après l’avoir pris sous tutelle, une fois majeur. Il a besoin de souffrir pour en jouir, coupable de naissance, souffrant du péché originel d’avoir tué sa mère. « Être aux genoux d’une maitresse impérieuse, obéir à ses ordres, avoir des pardons à lui demander, étoient pour moi de très douces jouissances » p.17. Le fondement de sa sexualité est celui de son tempérament : l’abstrait plutôt que le concret : « J’ai donc fort peu possédé, mais je n’ai pas laissé de jouir beaucoup à ma manière ; c’est-à-dire par l’imagination » p.17. Il se masturbe régulièrement (p.109) car il est libre de toute ces images qu’il se crée, bien loin de la vilaine réalité qui le blesse, mais refuse de le faire avec d’autres. A demi violé par un Juif espagnol nommé Abraham lors de sa conversion catholique, il entend le prêtre lui assurer que lui-même en sa jeunesse a été « surpris hors d’état de faire résistance [et qu’il] n’avoit rien trouvé là de si cruel », affirmant même que sa « crainte de la douleur » d’être pénétré était vaine ! p.68. Les sentiments sont littéraires plus que concrets, la morale et la grandeur sont détachées du monde réel. ‘Les rêveries du promeneur solitaire’ sont préférées aux actions de l’entrepreneur social – tout l’écart de la France et du monde en ce début du XXIème siècle.

Côté face, le fumeux fumiste, romantique pleurard de la sensation directe, reste le fond de sauce d’un refus français du réel.

Côté pile, le sensitif écorché vif, l’amoureux des plantes et des bêtes qui se méfie des êtres, l’exalté de la nature se perdant dans de très longues randonnées, l’indépendant sire de soi qui veut penser par lui-même et contre l’opinion, sont aussi une aspiration française. Non collective, écologiste avant la lettre, nostalgique du sein de la mère, paradis chrétien ou utopie communiste.

Rousseau est un Protée, contradictoire, psychotique, éternel insatisfait. Agité et brouillon comme certain président, obsessionnel sans mémoire, faute d’attention (écrire la musique, jouer aux échecs). Sa paranoïa est celle d’aujourd’hui, d’une société atteinte dans son narcissisme parce qu’elle perd du terrain, inadaptée à la mondialisation après l’avoir généreusement prônée pour « aider les peuples exploités du tiers-monde ».

Repli sur soi, pleurnicheries, discours sur les inégalités, contrat social pour se garder de la société concrète, rêve de ferme champêtre isolée du monde : très actuel Jean-Jacques. Il écrit lui-même des Français : « Ils sont tout feu pour entreprendre et ne savent rien finir ni rien conserver » p.256 – tout comme lui-même.

Jean-Jacques Rousseau, Les confessions, édition Bernard Gagnebin & Marcel Raymond, Gallimard Pléiade, Œuvres complètes tome 1, 1959 revue 1986, 589 pages sur 1969, €55.10 

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