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Jacques Berlioz, Le pays cathare

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Les historiens le savent, « le » pays cathare n’existe pas. Il existe des régions d’hérésie, déviantes de la foi catholique romaine, mais la notion de province colonisée par le nord, en butte à la répression politique des évêques de Rome et résistante en ses châteaux, est une construction mythologique. Les châteaux dits « cathares » ne sont PAS cathares mais édifiés par les seigneurs inféodés au roi de France pour défendre le comté des incursions catalanes, sarrasines et des vicomtes rebelles aux comtes reconnus par le roi.

Mais le catharisme a existé, comme croyance. Elle se voulait plus « pure », fondée sur une interprétation plus littérale des Évangiles, avec certaines superstitions concernant la guérison par imposition des mains et la migration des âmes (métempsychose). La Maison des religions médiévales et de leurs expressions méridionales, installée à Fanjeaux dans l’Aude, a mandaté une équipe internationale d’historiens qui a livré en 1998 un rapport d’étude sur le sujet. C’est ce rapport – technique – métamorphosé en livre lisible pour le grand public, qui est publié en poche.

Il fait le point utilement sur « le phénomène cathare », replacé dans son contexte plus général des « contestations évangéliques » (Vaudois, Franciscains spirituels, Béguins du Midi) et en cohabitation avec la présence un temps de l’islam, des juifs et des superstitions païennes. L’étude des réseaux monastiques et de l’encadrement paroissial, des rites et dévotions dont les pèlerinages, vient compléter cet aspect « cathare ».

Celui-ci est lié au mouvement de la société, plus urbaine, lettrée et commerçante, et se développe par la contestation politique entre puissants voisins : Prince noir d’Aquitaine, comte de Toulouse, vicomte de Trencavel, papauté d’Avignon, roi de France.

« Il paraît clair que le catharisme a pris naissance en milieu urbain, d’autant qu’il valorise les activités de transformation et d’échange et que, en opposition avec la doctrine de l’Église, il élimine toute contradiction entre le négoce, le commerce de l’argent et le salut. Il propose également une sociabilité religieuse bien adaptée à la demande des élites urbaines, qui savent désormais lire, écrire, compter et raisonner » p.24. L’Église ne parle que d’autorité et d’allégeance, les Parfaits cathares ne parlent que d’Esprit qui circule : cherchez l’écart. Le jour où les clercs d’Église seront pauvres et investis dans la vie communautaire des villages, et où le Purgatoire sera instauré comme antichambre du Rachat (p.258), la légitimité catholique sera retrouvée. Ce sera le rôle des ordres mendiants qui fleuriront après le bûcher de Montségur (p.47).

Mais la dérive de l’Église catholique n’a jamais cessé : après les Cathares ce furent les sorcières, les Sarrasins, puis les Protestants, la Révolution, le communisme… Le pape François, tout sympa qu’il soit, pourrait éviter d’appeler à l’austérité et à la redistribution des richesses tant qu’il continue à vivre dans des palais somptueux et à conserver des richesses immenses qu’il ne produit en rien. En ce sens, le catharisme n’a jamais cessé, appelant à l’esprit plutôt qu’à la matière, à l’aide aux gens plutôt qu’aux points de doctrine.

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L’hérésie sous toutes ses formes sera combattue avec opiniâtreté et rigorisme, et il est bon de noter que Staline s’inspirera du manuel des inquisiteurs pour fomenter ses procès aux dissidents. Qui n’abjure pas des faits souvent imaginaires ou des façons de penser non orthodoxes, est torturé, condamné à faire pénitence par pèlerinage, ou au bûcher s’il est relaps (retombé dans le péché d’hérésie). « Il s’agit très clairement d’un contrôle social – étendu dans les campagnes les plus reculées – plus que d’un contrôle religieux, et ses incidences politiques semblent évidentes (…) la réduction de tous les éléments locaux susceptibles de nuire à la puissance monarchique » p.62. Il n’y a d’hérétique que celui désigné comme tel – façon d’asseoir sa puissance par le fait d’énoncer « sa » vérité en Vérité divine, absolue. Après les communistes, les islamistes ne proclament pas autre chose.

Les musulmans en Languedoc font justement l’objet d’un chapitre dû à Philippe Sénac (historien du Moyen-Âge à l’université de Poitiers). Les incursions musulmanes sont très exagérées, au nord des Pyrénées, « les sources arabes n’y font guère allusion » p.163. Trois expéditions principales ont laissé des traces, celle d’Al-Samh sur Narbonne et Toulouse en 721, celle d’Anbasa en 725 vers Lyon et peut-être Autun et Sens, celle Abd al-Rahman al-Gheliq en 732 via Bordeaux, arrêtée à Poitiers par Charles Martel. Les raids se poursuivirent, mais plus coups de main et enlèvement de richesses et d’êtres humains que d’occupation réelle. « À l’exception de quelques objets (…) les traces de cette présence musulmane restent peu nombreuses » p.169. En bref et contrairement à l’idéologie militante qui voudrait nous faire croire autrement, des contacts, mais une présence de moins d’une génération… Bien moindre que la présence juive, attestée dès l’époque romaine et jusqu’à l’excommunication de 1305, puis l’expulsion de 1394 (p.182).

Voici un recueil d’études récentes qui fait utilement le point sur l’état de la recherche scientifique sur les Cathares et autres « hérésies » au dogme catholique dans ce haut Moyen-Âge récupéré par le tourisme.

Jacques Berlioz (CNRS direction de recherches), Le pays cathare – Les religions médiévales et leurs expressions méridionales, 2000, Points Histoire, 319 pages, €7.60

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Le passage du nord-est

En cette année d’étonnants voyageurs où une bonne partie de la planète est devenue inaccessible pour cause de « printemps » et autres « révolutions », où Jules Verne paraît enfin dans la Pléiade faute de contemporains à la hauteur, il est rafraîchissant de relire les compte-rendu passionnants parus il y a un siècle et demi dans la revue ‘Le tour du monde’. Rafraîchissant d’autant plus qu’il s’agit de l’exploration des glaces, la recherche d’un passage en été de l’Atlantique au Pacifique par le pôle nord.

Payot a eu l’excellente idée de rééditer en un volume les trois expéditions emblématiques du siècle : le ‘Tegetthoff’, la ‘Jeannette’ et le vapeur ‘Vega‘ de Nordenskjöld. Le premier a tenté de partir de Norvège avant de s’immobiliser dans les glaces de la Terre François Joseph ; la seconde est partie de l’Alaska avant de se perdre vers les îles de la Nouvelle Sibérie et de finir en traineaux et mourir de faim ; le troisième a profité d’une année exceptionnelle pour longer les côtes, où la glace est moins forte, chauffé par les terres, et joindre – tranquillement – la Norvège au Japon en passant par le nord !

Non seulement ces expéditions scientifiques avaient tout de l’aventure, en ce siècle où les navires marchaient encore surtout à la voile et où les coques étaient majoritairement en bois, mais en plus les scientifiques qui en font le récit savaient écrire ! Nous sommes dans l’univers de Jules Verne, avec son style précis et direct, se laissant parfois aller à quelques envolées lyriques. Les savants font connaissance d’un monde inconnu, tout de blanc et de froidure, où la survie exige de tuer l’ours blanc ou le phoque, le renne ou la mouette, seules nourritures à des milles à la ronde.

Ces endroits sont déserts, ou presque. Le continent est toujours habité, soit par des peuplades sibériennes, soit par des pêcheurs de baleine remontés loin au nord. L’expédition suédoise de M. Nordenskjöld fera connaissance des étonnants Tschuktschis, vêtus de peau à l’extérieur, habitant sous des tentes doubles dans lesquelles ils vivent quasi nus, surtout les enfants « vigoureux et sains ». La température descend jusqu’à – 45° centigrades au cœur de l’hiver, mais même un chien gelé raide peut revenir à la vie !

Ces trois récits sont une aventure humaine où chaque profession a son utilité, du matelot de base au capitaine ; où la nature hostile rend les hommes tous frères, partageant la chasse et les réserves ; où ce qui compte est moins la frime sociale que l’efficacité à survivre. Univers uniquement fait d’hommes… l’époque laissant les femmes à la maison, en Europe, à l’abri. Mais c’était l’époque, la fin du 19ème, ce siècle que tant aiment encore pour ses idées politiques. Peut-on séparer les idées des mœurs ? A siècle macho, idées macho, même à gauche… mais chut ! Sujet tabou.

Reste un beau livre à lire, rafraichissant en ces périodes de canicule parce qu’il dit du grand froid, mais aussi de ce jeu entre mâles qu’est au fond toute « aventure ».

Le passage du nord-est, Petite bibliothèque Payot 1996, 407 pages, €11.59

Plus étonnant encore : les Croisières du Ponant proposent aujourd’hui de faire le même voyage ! (pour touristes fortunés).

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