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Yvette Jaget, Le dernier voyage connu de Tom Bradford – tome 2

Dommage, ce second tome est moins réussi que le premier (chroniqué ici). Les héros poursuivent leur vie, mais au sens propre : sans cesse au galop, entre avions, mails, adresses et téléphones. Ils ne sont jamais présents. D’ailleurs les époques se mêlent, je vous laisse découvrir pourquoi. A mon avis, la première partie de ce tome est à éliminer – entièrement et sans aucun état d’âme. Elle ne fait en rien avancer l’histoire, s’étend en maelström où le seul mot que l’on retient est « partir ». Et le lecteur a foutrement envie de le faire avant la fin…

Yvette Jaget Le dernier voyage connu de tom bradford 2Les deux autres parties s’éveillent in extremis. Le lecteur sort du tournis et commence à reprendre le fil de l’histoire, pourtant fort bien abordée dans un premier tome nettement mieux réussi. Nous retrouvons le double duo de Matt et Tom, de Simon et Teddy. Ce sont des couples de garçons qui s’aiment, très tendance. Il y a aussi deux filles, Diane et Isabelle, mais elles font de la figuration. Tous sont centrés sur Tom. Il prend plusieurs figures : Thomas Le Guen, Tom Parsons, Tom Bradford, Tom Backer. Est-ce bien le même ? Il a toujours l’air « d’avoir quinze ans » (scie qui revient en leitmotiv depuis le premier tome).

Tom est beau, éternellement jeune, égoïste, séducteur. Il prend toutes les formes et n’a jamais aucun souci d’argent. Ne voyez-vous pas qui je veux dire ? – C’est la parfaite définition du Diable ! Sauf qu’il ne garde pas sa queue dans sa poche, comme dans les fabliaux du moyen-âge. Devinez-vous où l’auteur vous conduit ? Presque… et puis non : Tom meurt page 112, suivi bientôt de Matt, son amant depuis l’âge de 13 ou 14 ans, page 123. Euh… son amant dans une autre vie, car c’est interdit aujourd’hui, un « inspecteur fou » de la police des Mœurs à Paris le fait bien comprendre aux lecteurs bornés et, peut-être, agit comme Surmoi à l’inconscient de l’auteur.

Et puis Tom réapparaît page 145, mais page 187 il n’a plus que 15 ans à nouveau… Ce qui fait ressurgir un Matt de 16 ans page 195. Dès lors, la psychologie des êtres disparaît complètement dans le tourbillon des voyages, la rotation des avions, les séjours à Paris, Londres, New York ou Toronto « pour vérifier quelque chose ». Bravo pour la planète ! Aucune profondeur des âmes et un zapping fébrile permanent où le décor est indifférent. Pour quoi faire ? On le comprend à peine. C’est vaguement révélé sur la fin, mais sans que cela enthousiasme le lecteur. Nous ne sommes ni dans la terreur, ni chez les vampires, ni dans la réalité fantasmée. C’est « déjà suffisamment incompréhensible sans entrer dans les détails », avoue ingénument une fille page 129. On la croit volontiers.

« Tom revit sans fin une histoire d’amour qu’il n’a pas pu connaître », p.257. Et si c’était le fin mot de l’énigme ? Dommage qu’elle ait fort tiré en longueur… L’éditeur n’a manifestement pas fait son travail de conseil et d’élagage, l’éditeur est là pour imprimer et diffuser, pas plus – c’est dommage ! Car souvenez-vous de Murakami : « L’opération suivante consistait à supprimer de la nouvelle version les ‘passages non indispensables’. » La réduction (comme en cuisine) peut aller jusqu’à 70% du nouveau texte ! Un bon conseil aux auteurs novices un peu présomptueux. Seule l’écriture, fluide et sans aucune faute hors des tics de vocabulaire d’époque, fait rester fidèle.

Yvette Jaget, Le dernier voyage connu de Tom Bradford – tome 2 : Une nouvelle clé tourna dans la serrure, 4ème trimestre 2012, éditions Baudelaire, 377 pages, €20.90

Chronique du tome 1 sur ce blog

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Olivier Javal, Clown blanc, nez rouge

Premier roman, éditeur inconnu, mais belle prose. Ce qu’on peut dire en premier du livre est qu’il est bien écrit, Stendhal au XXIème siècle. Ce qu’on peut ajouter est qu’il s’agit d’un roman de la transmission. La quête est celle de quoi léguer : qu’a-t-on reçu à la naissance ? Puis au cours de son éducation ? Comment transmettre à son fils ou sa fille ce dont nous ne sommes que dépositaire (les gènes, les dysfonctions héréditaires) et ce que nous avons adopté (la religion, la culture) ?

Le personnage qui dit « je », Jacques, se découvre Jacob, prénom du grand-père donné à son petit-fils. Il a de temps à autre l’impression d’être très intelligent, nettement supérieur aux autres, puis sombre dans l’abattement et se cache, en proie au doute, au soupçon. Juif et fou, est-ce héréditaire ? Il se pose la question à propos de son fils, Julien, magnifique gamin adoré de ses parents et dont il trace le portrait, au milieu du livre comme au milieu du monde : « Un beau garçon, grand, blond, les cheveux légèrement frisés, les yeux vert noisette. Il était fin et intelligent » p.107. Il a alors juste dix ans.

Mais Julien, six ans plus tard, manifeste la même exaltation suivie de dépression que son père. En pire. La psychose paranoïaque, syndrome maniaco-dépressif appelé aujourd’hui trouble bipolaire est-elle une maladie juive ? Elle se transmet par l’hérédité, comme l’appartenance au peuple Élu. Le narrateur est troublé, écartelé entre sa vie quotidienne – « normale » – et son appartenance intime – « extra » ordinaire. Il trouble le lecteur non juif par cette obsession d’appartenir. Après tous les mélanges ethniques, durant des siècles, après l’assimilation citoyenne sous Napoléon, quelle importance cela a-t-il de se croire « juif » quand on ne croit pas en Dieu ? Ce père intégré, laïc, matheux, qui réussit sa carrière et aime son fils, semble se faire son film : on ne naît pas juif, on le devient. « A me vouloir non-juif, on m’avait fait juif, dans le sens où ma seule interrogation sur ma judéité me faisait juif » p.83. Tordu : les Corses, les Basques ou les Bretons ont-ils de ces interrogations métaphysiques ? Est-ce un péché originel de naître « juif » ?

C’est là où intervient le trouble bipolaire. Concilier les inconciliables entre la laïcité « normale » de tous les jours et l’identité héréditaire fantasmée, n’est-ce pas une double contrainte qui aboutit aux bouffées délirantes ? Clown blanc, clown rouge : petit garçon il jouait alternativement les deux au retour du cirque, comme s’il se dédoublait. D’où le titre du roman, face blanche et nez rouge, apparence « normale » et hérédité juive maniaco-dépressive. Comment se guérir, puisque toute guérison passe par l’acceptation de ce qu’on est et que cette acceptation paraît problématique ? Pourquoi l’est-elle ? Est-ce le regard des autres ? Pour transmettre, il faut accepter de recevoir – le contraire de ce que prônait la révolution de mai 68, faussement libératrice, que l’auteur et son personnage ont testée. « Je pensais de plus en plus que l’on devait assumer la transmission de ce que l’on avait reçu, qu’elle soit positive ou négative » p.146. C’est le cas de Mary, sa première femme, la mère de Julien. Elle découvre son grand-père communiste et son père collabo. Elle en est obsédée.

La quête un peu sadomasochiste du narrateur va consister à sauver son fils, atteint des mêmes maux, par le sacrifice de soi. La crucifixion à l’envers pour cause de péché originel, le meurtre du père freudien, l’obéissance au destin (autre nom de Dieu chez l’auteur ?) qui est de s’effacer pour que renaisse le gamin. Pour survivre, il est nécessaire de créer. « Les contradictions sont le germe de la création » p.126. Être père est une création, écrire un roman aussi, peut-être même bâtir sa vie (ce que disait l’existentialisme). « Une grande partie de l’art est un partage de la souffrance » p.136. L’auteur est décrit en poulpe « qui parle beaucoup, fait des nœuds avec ses multiples pattes, et sourit avec un charme infini » p.126.

Le charme est bel et bien ce qui subsiste, une fois la dernière page tournée. Paris, Paramé ; Venise, Louxor. Quels que soient les lieux, même magiques, « la vie nous apprend à dominer nos souffrances pour ne pas qu’elles nous tuent une deuxième fois » p.236. Ce mantra revient trois fois dans le livre, les trois coups du destin – assumé.

Olivier Javal, Clown blanc, nez rouge, juin 2012, éditions Kirographaires, ISBN 978-2-8225-0282-5, 236 pages, €18.95 (pas encore référencé sur Amazon)

Olivier Javal est un pseudonyme. L’auteur, prudent sur les réactions sociales (il a raison), est docteur-chercheur en informatique, où il a longuement œuvré. Comme beaucoup, écœuré par le système, il s’est reconverti dans la médiation familiale et le droit. Dans ce premier roman, il parle de lui (polytechnicien, juif, bipolaire) mais au travers du prisme littéraire.

Les petits éditeurs ne sont pas toujours professionnels. Il subsiste des incohérences ou des coquilles dans ce premier roman. Liste non exhaustive pour une seconde édition :

  • p.25-26 sommes-nous à Florence ou à Venise ?
  • p.55 « …même Yvette NE prononce plus son nom… »
  • p.72 et passim : poncif d’époque qui consiste à « échanger » avec quelqu’un sans préciser jamais quoi. On n’échange pas en soi, mais quelque chose : des fluides, des idées, un cadeau.
  • p.178 « l’enterrement de MON père » : n’est-il pas aussi celui de Nicolas, frère du narrateur, auquel celui-ci s’adresse ?
  • L’orthographe du fastfoodeur McDonald’s n’a rien à voir avec celle du maréchal d’empire Mac Donald, qui a un boulevard à Paris. Lieutenant-colonel s’écrit sans majuscules et avec trait d’union.

Si vous voulez mesurer la fatuité intello-bobo du médiatique à la mode, ne manquez surtout pas l’article de Libération : il ne porte surtout pas sur le livre mais sur le buzz médiatique d’une attachée de presse assez rusée pour faire mouche ! La bêtise de la mode… Flaubert en aurait fait tout un livre trempé dans l’acide.

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