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Frenzy d’Alfred Hitchcock

L’avant-dernier film d’Hitchcock se passe à Londres au début des années 70. Durant un discours sur les quais de la Tamise, pour vanter « bientôt » la pureté de l’eau du fleuve (on a connu ça avec la Seine, et ses promesses non tenues depuis 60 ans), un corps de femme entièrement nu (interdit alors aux moins de 12 ans, donc gros succès commercial) émerge sur la rive. Elle a été étranglée avec une cravate (on en portait encore). Ce n’est pas la première victime de « l’Étrangleur à la cravate », un psychopathe impuissant qui déteste les femmes et veut les voir souffrir. Un nouveau Jack l’Éventreur ?

Richard Blaney (Jon Finch), ancien chef d’escadrille de la RAF et divorcé après dix ans de mariage, est viré de son travail de barman dans un pub près de Covent Garden pour avoir soutiré un double cognac – qu’il avait l’intention de payer. Mais le patron (Bernard Cribbins) ne l’aime pas car il saute la barmaid Babs Milligan (Anna Massey) que le macho de directeur voudrait bien se faire. Richard erre dans le quartier et rencontre son pote Bob Rusk (Barry Foster), grossiste en fruits et légumes sur le marché de Covent Garden (comme le père d’Alfred Hitchcock). Rusk le console, lui donne du raisin vert et un tuyau sur une course de chevaux à venir à 20 contre 1. Mais Blaney n’a pas d’argent à parier et est amer lorsqu’il apprend par le journal que le canasson est arrivé premier. Rien ne va ce jour-là.

Sur une suggestion de Rusk, il rend visite à son ex-femme Brenda (Barbara Leigh-Hunt), qui dirige une agence matrimoniale qui marche bien depuis deux ans. Il se plaint haut et fort, ils se disputent brièvement, il frappe sur la table – mais elle l’invite à dîner et lui glisse de l’argent dans la poche de son imper sans qu’il le sache, ce pourquoi il dort dans un refuge de l’Armée du Salut. La secrétaire de Brenda à l’agence, la rigide frigide Monica (Jean Marsh), n’aime pas les hommes, dont elle se méfie ; elle en a vu passer qui cherchaient des femmes dans l’agence. Elle entend la dispute et les coups depuis son bureau et croit que l’ex violent frappe sa patronne. Laquelle lui dit que ça va et d’aller faire ses courses. Lorsque l’assistante revient au bureau à 14 h le lendemain, elle voit sortir de l’immeuble Richard, présent au mauvais moment et au mauvais endroit. Elle monte à l’agence, suspense assez long avec la caméra immobile, puis « Ahhh ! » le cri hystérique habituel des femmes de cinéma qui découvrent un cadavre. Humour grinçant, mais humour quand même : ce cri est tellement conventionnel et stéréotypé.

Sauf que le spectateur sait que ce n’est pas Richard le coupable, mais bel et bien Rusk, qu’il a vu opérer toute cravate dehors dans la scène précédente (interdite aux moins de 12 ans). Brenda en sort trépassée, avec la langue qui lui sort de la bouche comme une saucisse rose. Humour grinçant, puisque l’on associe ladite saucisse à ce que vous devinez. Mais humour subtil, car il suggère que Rusk n’a pas réussi à violer, malgré ses insultes et sa rage, et que la bouche femelle est un substitut. Toujours est-il que Richard Blaney est accusé d’avoir zigouillé Brenda Blaney et, puisqu’il n’y a aucune autre piste, toutes la série des femmes précédentes.

L’inspecteur-chef Timothy Oxford (Alec McCowen) est chargé de l’enquête. Il s’empiffre d’un breakfast anglais à midi devant son adjoint le sergent Spearman (Michael Bates) qui le regarde opérer, jaloux mais impassible. Humour british, c’est que la femme de l’inspecteur-chef (Vivien Merchant) est mauvaise cuisinière, s’efforçant par snobisme de singer les cours de « cuisine gauloise » avec sa soupe de poisson où nagent des têtes de congre et des tentacules de poulpe (débectantes), ses cailles aux raisins (acceptables), ses pieds de porc en sauce (immangeables). Timothy aurait tellement voulu le bon vieux steak avec ses pommes de terre au four ! Il détaillera plus tard toute la cuisine de bistrot qu’il aime : saucisses, frites, haricots à la tomate, patates ou four – en bref, rien à voir avec ce que tente son épouse.

La description de la secrétaire est tellement précise que Richard est obligé de se cacher. Il va trouver Babs dans son ancien pub pour qu’elle récupère ses affaires et la convaincre de son innocence. Ils finissent dans un hôtel chic à 10 £ la journée pour baiser, mais se font remarquer. Le rat d’hôtel découvre son portrait-robot dans le journal tout frais apporté et prévient la police. Quand elle débarque dans un crissement de freins, elle trouve le nid vide : ils sont partis par l’escalier d’incendie. Dans le parc où ils se bécotent, Richard et Babs se font héler par Johnny Porter, un ancien copain de la RAF (Clive Swift), devenu riche et qui doit s’envoler pour Rome ouvrir un pub anglais le lendemain. Il offre à Richard de passer la nuit chez lui, puis de partir pour Rome lui aussi.

C’est d’accord, mais le tueur à la cravate récidive avec Babs, rencontrée à la sortie du pub après qu’elle ait rendu son tablier au patron. Il l’invite à dormir chez lui, dit qu’il sera absent. Comme il est « un ami », elle accepte. La caméra opère un travelling arrière dans l’escalier, préparant le spectateur à ce qui va évidemment suivre : il la viole et l’étrangle, puis fourre son corps nu dans un sac à patates qu’il va fourguer la nuit dans un camion du marché qui part pour livraison le lendemain matin. Erreur, malheur, la fille a agrippé son épingle de cravate en (faux ?) diamants, ornée de son initiale R. Pas question de laisser cet indice accusateur ! Rusk est obligé de retourner dans le camion chercher où cette foutue épingle a pu passer. Humour noir, il se débat avec un cadavre nu rigide parmi les patates qui roulent autour de lui. De plus, le camion démarre et il est dedans ! Et l’épingle est serrée dans la main droite de la fille par la rigidité cadavérique. Il doit casser les doigts un par un (interdit aux moins de 12 ans) pour extraire son bien. Et attendre un arrêt – le seul du trajet – dans un routier où il peut enfin sortir, s’épousseter et rentrer à Londres. Non sans se faire remarquer… Le camion de patates est arrêté par la police alors qu’il perd son chargement sur la route, le hayon arrière n’ayant pas été refermé par Rusk, décidément bien lourdaud. Humour noir, les jambes nues du cadavre dépassent du hayon, blanches sous les phares, le ventre semblant accoucher d’une horde de patates.

Richard est naturellement accusé de ce nouveau meurtre, puisque Babs était sa maîtresse, le patron de pub en témoigne. Sauf qu’il était chez son copain de la RAF et sa femme hautaine qui ne veut pas d’ennui (Billie Whitelaw), le soir et toute la nuit. Vont-ils témoigner ? Ils le pourraient, mais la police ne va pas les croire ; ils devront rater leur avion pour Rome ; rester à la disposition pour l’enquête. Avec regret, ils disent à Richard qu’il ne feront rien. Blaney va donc voir Rusk, qui lui avait promis de l’aider s’il en avait besoin. Le faux-cul l’invite à se cacher chez lui et, par précaution, part devant avec son sac, Richard devant le rejoindre par une autre voie sans rien porter, ce qui paraît plus naturel. Une fois chez Rusk, Richard n’a pas le temps de se retourner car les flics débarquent et l’embarquent. Rusk l’a dénoncé et, pire, a fourré dans son sac des affaires de Babs pour le faire accuser.

Procès expéditif, condamnation inévitable. Blaney hurle haut et fort qu’il est innocent et que c’est Rusk le coupable, lui qui l’a trahi. L’inspecteur Oxford (selon la tradition de l’université dont il porte le nom) a des doutes. Il charge le sergent d’enquêter sur les allées et venues de Rusk les jours des meurtres et découvre vite le routier, la poussière des patates, le témoignage de la tenancière. Pendant ce temps, Blaney a juré de se venger et, pour cela, simule une chute dans l’escalier de la prison, ce qui le conduit à l’hôpital, d’où il s’évade avec l’aide de ses codétenus. Il endosse une blouse blanche, qui le déguise en médecin respectable, pique une grosse voiture de ponte d’hôpital et va droit à Covent Garden chez Rusk. La porte est ouverte, des cheveux blonds émergent des draps. Blaney croit qu’il s’agit de Rusk et frappe avec un cric, mais c’est un nouveau cadavre de femme – nue – étranglée avec une cravate. A l’annonce de son évasion, l’inspecteur-chef a compris où Blaney allait se rendre et se précipite chez Rusk. Il surprend Richard en pleine action, mais chut !… Un bruit dans l’escalier. C’est Rusk qui revient, débraillé et sans cravate, portant une grosse malle qui cogne sur les marches. Pris sur le fait, il est arrêté et Blaney innocenté.

Ouf ! C’était moins une que la corde élimine Richard Blaney pour une série de meurtres qu’il n’avait pas commis. Comme quoi la justice tient à peu de choses. Spectaculaire, sarcastique, empli de ces petites scènes d’humour noir bien anglais qu’affectionne Hitchcock et qui brocardent la société, c’est un film que l’on peut voir et revoir, car on connait très vite l’assassin et le plaisir réside dans la progression de l’intrigue.

DVD Frenzy (Frénésie), Alfred Hitchcock, 1972, avec Alec McCowen, Anna Massey, Barbara Leigh-Hunt, Barry Foster, Jon Finch,‎ Universal Pictures Home Entertainment 2017, doublé anglais français espagnol italien, 1h51, €14,69, Blu-ray €14,17

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La maison du Docteur Edwardes d’Alfred Hitchcock

Le premier film, peut-être sur la psychanalyse, doublé d’une histoire d’amour et d’une enquête policière. Hitchcock ne fait pas dans la mesure ; il a choisi les acteurs les plus beaux, à l’acmé de leur jeunesse, Ingrid Bergman (tout juste 30 ans) en doctoresse Constance Petersen et Gregory Peck (29 ans) en faux docteur Edwardes, ainsi qu’une séquence onirique de cauchemar révélateur signée Salvador Dali. Non sans un zeste d’humour tout britannique, comme on le voit à la fin.

Mais l’ensemble convainc peu. La psychanalyse, vue d’aujourd’hui, est réduite à sa caricature, une sorte de confession catholique qui assure la rédemption, ou une autocritique à la Staline qui lave de tout péché bourgeois (mais pas de l’exécution). Il suffirait, selon les docteurs du film, de faire remonter à la conscience les événements inconscients qui bloquent le sujet pour le libérer enfin de ses névroses, psychoses, paranoïa et autres schizophrénie. Les termes, d’ailleurs, allègrement se mélangent dans leur discours, comme si tout cela était du pareil au même. Quant à la « guérison » miraculeuse du sujet, elle intervient en quelques jours sous l’influence des réminiscences provoquées par le retour sur les lieux et par l’amour…

Cet amour qui est un coup de foudre d’un glaçon pour un amnésique, ce qui le tente mais l’effraie, et ne va guère plus loin sauf quelques scènes de tendresse où la doctoresse Petersen caresse la tête du faux docteur Edwardes endormi.

Pour l’intrigue policière, seul le début en mérite le nom, lorsque surgit un docteur Edwardes qui dérape de temps à autre dans des obsessions « nerveuses », faisant soupçonner qu’il est autre que ce qu’il paraît. Le conseil d’administration lui a demandé de remplacer le docteur Murchinson (Leo G. Carroll) à la tête de la clinique psychiatrique de Green Manors. Murchinson prend sa retraite parce qu’il a été « malade » (de la tête ?) mais poursuivrait bien sa carrière. Edwardes avoue très vite à Petersen qui le harcèle n’être pas Edwardes et n’avoir pas écrit son livre sur le complexe de culpabilité – qu’il incarne avec une perfection trop clinique. Sa signature n’est en effet pas la même, ni son écriture, un brin trop aiguë pour être celle d’un être paisible. Dès lors, il pars et laisse juste un message. La doctoresse le retrouve à l’hôtel de New York où il s’est réfugié. Malgré les fausses pistes semées par la belle Petersen pour les faire échapper à la police qui les cherche, les policiers ou les détectives sont assez bêtes pour ne pas voir qui est devant eux et arrivent toujours trop tard. Aucun suspense, ou très peu.

Le charme tient plutôt au coup de foudre, brutal, absolu, comme une révélation. Le petit glaçon fond devant le petit garçon.

Elle, la femme, sera une mère, une doctoresse, une épouse pour lui, l’homme, complexé par un événement traumatique de son enfance, médecin malgré lui mais amnésique, jamais mari. Le faux docteur Edwardes, qui se présente à la clinique comme tel – il ne sait plus pourquoi – croit avoir tué le vrai lors d’une excursion à ski où il l’a vu tomber. Ce qui a ravivé un souvenir enfoui dans son inconscient, la mort de son frère par sa faute, et l’a fait tomber en syncope, avant une amnésie pour « ne pas voir ça ». Mais il a dans sa veste un porte-cigarettes aux initiales J.B. Il ne sait plus qui il est ni où il en est.

Persuadé d’être un assassin, sûr d’être un imposteur, incertain d’être médecin, il est une âme en peine. Justement l’une de celles que la doctoresse Constance Petersen cherche à ramener dans ses filets pour en disséquer les rouages par souci de tout maîtriser, et les réhydrater à la vie. Éros et Thanatos se mélangent, symboles si chers à Freud, cité dans le film.

Constance est constante en son dévouement pour son homme. Sa foi est en l’amour, qui guérit tout. La psychanalyse est sa bible, qui a le pouvoir de tout révéler. La justice immanente réhabilitera forcément le faux coupable forcé à fuir et châtiera le vrai qui cachait bien son jeu. Constance touchera John et l’aveugle verra ; elle lui dira lève-toi et marche, et ça marchera.

Cet « envoûtement » (titre anglais) revu et corrigé par le prétexte scientifique du XXe siècle est proprement fascinant.

Oscar du meilleur film 1946.

DVD La maison du Docteur Edwardes (Spellbound), Alfred Hitchcock, 1945, avec ‎ Ingrid Bergman, Gregory Peck, Michael Chekhov, Leo G. Carroll, Rhonda Fleming, Arcadès 2018, 1h47, €8,20 Blu-ray €10,98

Alfred Hitchcock déjà chroniqué sur ce blog

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La loi du silence d’Alfred Hitchcock

Dès la première image, le ton est donné : le château Frontenac symbole de la ville de Québec, capitale provinciale de la ci-devant Nouvelle France, partie catholique du Canada. Et, comme souvent, provincialisme rime avec retard, le catholicisme à Québec est d’ancien régime, les prêtres en soutane noire hantent la ville comme un vol de corbeaux, les églises richement ornées à l’intérieur amassent les richesses temporelles au nom du spirituel, les messes interminables fixent les fidèles pour les ancrer dans la foi et l’obéissance. On notera les shorts ultra-courts des enfants de chœur à la ville, l’équivalent plus tard des minijupes, de quoi tenter les vocations.

Dans ce contexte, Hitchcock prend à bras le corps le problème moral : le secret de la confession doit-il être absolu ? Doit-on le rompre si c’est pour sauver des vies ? La loi d’Église est-elle supérieure à la loi civile ? Faut-il placer sa « conscience » au-dessus de toutes les lois et coutumes humaines, au nom de Dieu et des Grands principes absolus assénés par la Doctrine ? Ce qui s’appliquait dans les années cinquante au catholicisme tradi s’applique aujourd’hui à l’islamisme rigoriste et, peut-être demain, à une autre religion-idéologie totalitaire, persuadée de détenir la seule Vérité de tous les temps. L’humain restant ce qu’il est…

L’histoire met en scène un réfugié allemand, Otto Keller (O.E. Hasse), dont on ne sait s’il a fui le nazisme ou s’il a fui après-guerre parce qu’il était nazi. Hanté par le labeur épuisant de sa femme Alma (Dolly Haas), qui fait le ménage, la cuisine et sert les curés au presbytère, il veut voler de l’argent pour la sortir de ce véritable camp de travail. Il assassine un soir l’avocat véreux Vilette qui le surprend la main dans son coffret à dollars et fuit, déguisé en prêtre, jusqu’à l’église où il s’abîme en prières, hanté par son forfait. Il aborde le père Michael Logan (Montgomery Clift) pour se confesser car il doit le dire à quelqu’un. Celui-ci lui conseille de rendre l’argent et d’aller se dénoncer à la police. Mais Keller a peur. Il craint les conséquences de son acte (la pendaison haut et court) et la déchéance accrue de sa femme, privée de son salaire et de sa protection. Il s’en ouvre à elle, qui lui donne les mêmes conseils que le père, mais il refuse.

Il va dès lors s’enfoncer dans son mensonge, persuadé que le secret de la confession, particularité catholique, va le protéger et l’immuniser contre le sort. De fait, le père Logan ne dit pas un mot. Il va même plus loin en taisant, pour sa réputation, les rencontres qu’il a pu faire avec Ruth Grandfort (Anne Baxter), épouse d’un ami du procureur. L’inspecteur Larrue (Karl Malden), observateur et intelligent, ne tarde pas à déceler chez lui de la dissimulation et le met sur le grill. Pour le flic, la loi civile doit être respectée et c’est son rôle de contraindre les citoyens à le faire. D’autant que tuer n’est pas un acte anodin : qui a tué une fois peut recommencer bien plus aisément.

Or Ruth est amoureuse du père Logan depuis son adolescence. Michael Logan s’est engagé dans l’armée pour combattre les nazis et est resté deux ans absent. Il aurait pu ne pas revenir et il a demandé à Ruth de ne pas l’attendre. Deux ans, ce n’est pas long, mais la fille n’a pas pu résister à la déprime et à l’appel du sexe. Elle s’est mariée avec Pierre Granfort (Roger Dann), son patron qui l’a fait rire et lui a donné du réconfort. Lorsque Michael est revenu, il a eu un dernier rendez-vous avec son ex-promise à la campagne. Une tempête les a surpris et ils ont dû se réfugier, trempés, dans le kiosque d’une propriété vide. Le lendemain, le propriétaire les a surpris : c’était l’avocat Vilette. Logan est entré dans les ordres et Ruth ne l’a pas revu durant des années.

Jusqu’à ce que l’avocat véreux, qui avait besoin urgent d’argent, ne fasse chanter Ruth, menaçant de tout révéler à son mari. La rencontre, post-mariage de Ruth mais avant l’entrée dans les ordres de Michael, n’avait rien de moralement douteux, une franche explication aurait suffit. Mais dans l’atmosphère moraliste du catholicisme traditionnel bourgeois de la Belle province, cela paraissait inconcevable. C’est pourtant ce qui va se dire devant les inspecteurs, le procureur, le juge, les jurés, la presse, la ville entière. Ruth veut en effet sauver Logan qui n’a pas d’alibi pour l’heure du meurtre de Vilette.

Mais ses révélations qu’il était avec elle de 21h à 23h le soir du meurtre ne convainquent pas. L’examen du bol alimentaire de la victime révèle en effet que sa mort est intervenue plus tard, vers 23h30. Les explications de Ruth se retournent donc contre Logan, fournissant le mobile : éviter le chantage. Quant à Logan, sa fonction catholique de « père » lui enjoint de ne pas trahir son engagement spirituel. Comment, dès lors, prouver son innocence ? Que va dire le jury de ses relations avec Ruth puisque les prêtres catholique n’ont ni le droit d’être en couple, ni d’être amoureux, ni d’exprimer une quelconque libido ?

Le faux coupable, thème cher à Hitchcock, qui lui permet de dénoncer le jugement sur les apparences et l’hypocrisie sociale, est confronté au tribunal. Tout l’accuse, mais aucun fait réel – le jury, intelligent, composé uniquement d’hommes, l’acquitte au bénéfice du doute. Le témoignage du meurtrier est un tissu de mensonges qui heurte le père Logan, qui l’a pourtant aidé. S’il accepte de se sacrifier au nom de ses vœux, il rejette le mensonge. Le juge n’est pas d’accord avec le verdict du jury et l’exprime, mais s’incline ; la foule au-dehors est hostile car soupçonne Logan d’avoir cherché refuge dans la religion après sa décecption amoureuse.

Le père Logan est prêt d’être lynché quand la femme de Keller, qui ne peut plus accepter les faux-semblants, se précipite vers Logan entouré d’inspecteurs pour crier qu’il est innocent. Elle n’a pas le temps d’en dire plus, son mari l’abat d’une balle : tueur une fois, tueur d’habitude. Ce ne sera pas le seul meurtre. Dans la courte cavale qui suit, Keller va encore descendre un cuisinier et viser deux flics. Les dégâts du silence obstiné sur la confession ont déjà fait deux morts – qui auraient pu être évitées. Mais l’Église est comme Staline, qu’importe que crèvent les gens si les principes sont préservés et la victoire sur les âmes assurée.

Il reste que Montgomery Clift incarne admirablement un père Logan qui doute mais se tient droit. Il réhabilite le prêtre, qui en a bien besoin après les centaines de milliers de jeunes garçons agressés en cinquante ans (sans parler d’avant). Michael Logan s’élève au-dessus de lui-même et donne la beauté et la pureté à sa fonction, pleinement accomplie.

DVD La loi du silence (I Confess), Alfred Hitchcock, 1953, avec Montgomery Clift, Anne Baxter, Karl Malden, Brian Aherne, Roger Dann, Warner Bros Entertainment France 2005, 1h30, €14,42

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