Articles tagués : médecine légale

Patricia Cornwell, Traînée de poudre

Un pavé policier scientifique comme l’autrice en a le secret. Un bon tiers en trop de dialogues au début, dans le stress et la grippe, qui sont plutôt ennuyeux, peut-être « écrits » au dictaphone. Des détails techniques maniaques sur le sang et les traces, qui sont plutôt vomitifs mais qui plaisent à nombre de lecteurs, et enfin une intrigue – tordue comme à son habitude.

C’est que la Cornwell, en bonne américaine fille de prêcheur, divorcée et dépressive, s’est aperçue au fond qu’elle est lesbienne ; elle a affublé de cet écart à la norme la nièce Lucy. De même, devenue paranoïaque dans la vraie vie, sa maison de Richmond ressemble à celle de son personnage, le docteur Kay Scarpetta, un camp retranché muni de diverses armes et alarmes. Patricia Cornwell est devenue riche, a eu beaucoup de succès dans les années 1990, mais le 11-Septembre 2001 la détraquée – comme la plupart des Américains. Cornwell (Daniels sur ses papiers) voit depuis la vie en noir, les étrangers comme des ennemis, les mâles comme des dangers publics, et les désaxés que produit son pays à la chaîne comme des « dysfonctionnements » humains. Quoi d’étonnant à ce qu’elle invente la pire sorte de psychopathes qu’on puisse imaginer ?

Elle prend celui du roman à 13 ans lorsqu’il regarde la mère d’un ami de collège se couler nue dans sa baignoire, après avoir eu des relations incestueuses avec son fils de 15 ans depuis ses 6 ans. Pas de quoi rendre un gamin normal. Mais ce n’est pas le fils, le psychopathe ; c’est son ami de 13 ans prénommé Daniel, qui restera petit et musclé toute sa vie, adorant jouer avec les jeunes femmes jusqu’à les voir mortes. Et reconstituer ainsi la scène primitive de ses fantasmes, celle de la mère dans sa baignoire. Il l’a tuée en la noyant.

Nul ne sait qui est le père de Daniel (on saura à la fin), et sa mère n’a plus de liens avec lui depuis ses 21 ans perturbés. Il est dans la nature et c’est peut-être lui le « Meurtrier Capital » que traque le FBI et Benton, le mari profileur de Scarpetta. Sauf que Benton est progressivement mis sur la touche par son supérieur, Ed Granby, qui semble entretenir une relation trouble avec le fonds d’investissement Double S, dirigé par Dominic Lombardi. Lequel escroque largement ses victimes, dont la dernière trouvée morte, Gail Shipton. Tout comme le fonds d’investissement Anchin a escroqué de plusieurs millions de dollars à l’autrice, si l’on en croit les informations. Shipton vient d’être découverte à 4 h du matin sur un terrain du MIT, ficelée dans un linceul, probablement asphyxiée, avec une mystérieuse poudre colorée répandue sur son corps. Cette Shipton était en relations avec Double S pour un litige de 100 millions de $ et venait de tenter d’escroquer la nièce Lucy, experte en informatique et développement technologique. Laquelle a aspiré tout le contenu de son téléphone avant que la police ne mette la main dessus.

Scarpetta est chef de l’institut médico-légal du Massachusetts et se charge des investigations scientifiques, tandis que le sergent Marino se charge de l’enquête de police. Le meurtre de Gail ressemble tant à trois autres meurtres récents, instruits par le FBI, que Benton s’en mêle, malgré son chef qui le voit d’un mauvais œil. Ses hypothèses fondées sur des observations, et ses théories constituées à partir de cas similaires, ne sont pas prises en considération. Il faudra de solides preuves matérielles, prélèvements, mails, appels téléphoniques, manipulations, pour que la vérité éclate enfin.

L’ADN, « reine des preuves », ne suffit pas, surtout si la banque de données du pays a été falsifiée… Mais qui a intérêt à camoufler un criminel sous l’identité d’un décédé ? Qui veut qu’il tue encore, sur ordre ? Et pour quels intérêts puissants ? La politique ? Les affaires ? Le délire de puissance ? Le meurtrier ressemble à un adolescent, fin et souple. Sportif et excité sexuellement, il court en survêtement moulant Lycra comme s’il était nu, malgré le froid de l’hiver, et est chaussé de « gants de pied » qui épousent le terrain. La police n’a rien vu, mais Benton en retrouve des traces. Kay croit l’avoir aperçu qui la regardait lorsqu’elle venait de sortir son vieux lévrier, avant de se rendre au MIT dans le SUV de Marino qui venait la prendre.

Ce thriller de police scientifique ne laisse pas un souvenir marquant. Il se lit, dans la lignée des Scarpetta tous un peu dans le même schéma : l’esseulement, les malades psychiques, les délires sexuels, le goût de faire le mal, les complots, la méfiance viscérale envers les institutions. En bref, la misère de l’Amérique, qui se croit encore le phare du monde. La première présidence de Tromp était en germe lors de l’écriture du roman, et nul ne doute que Cornwell vote républicain. Les ratés des Etats-Unis, décrits par elle avec dégoût, et auxquels elle n’oppose toujours qu’encore plus de technologie, devaient appeler un mâle fort et surpuissant – un fantasme de Sauveur. C’est cela qui est intéressant dans la lecture de ces romans populaires : voir comment évolue la mentalité du grand pays à peine encore démocratique, qui ne fait que dériver, depuis deux décennies, vers un néo-fascisme impérial et technologique.

Patricia Cornwell, Traînée de poudre (Dust), 2013, Livre de poche 2015, 618 pages, €9,90, e-book Kindle €8,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Les romans policiers de Patricia Cornwell déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

P.D. James, Mort d’un expert

Morte il y a dix ans à Oxford, P.D. James est l’une des maîtresses du roman policier anglais. Elle utilise son sens de l’observation et ses souvenirs biographiques pour croquer des personnages plus vrais que nature. Ainsi la jeune Brenda Pridmore, 18 ans, à l’accueil du laboratoire de médecine légale de l’East-Anglia, n’est pas poussée aux études par des parents qui considèrent que ce n’est pas le rôle d’une fille. Le père de Phyllis Dorothy en a fait de même pour elle. Mais elle a résisté, suivant des cours du soir, comme Brenda, pour s’élever dans la hiérarchie. P.D. James deviendra haut-fonctionnaire dans la médecine légale au Ministère de l’Intérieur.

Pour elle, il s’agit d’apprendre ce que c’est d’être humain. Aussi le crime n’est-il jamais simple, bien que mû par des passions bien classiques : le sexe, l’argent, la haine. Son détective, Adam Dalgliesh, est commissaire du Yard. Il est mandaté pour couvrir un meurtre inexpliqué d’un directeur de labo dans les Fens, ces marnières autour de Cambridge. Tel un sauveur, il arrive de la capitale en hélicoptère…

Mais ce n’était que le second meurtre en quelques jours. Une jeune femme a été retrouvée étranglée dans les marnières, prétexte à dérouler les procédures de médecine légale. Le Docteur Kerrison officie, tandis que le docteur Lorrimer chapeaute les études biologiques, notamment les groupes sanguins (l’ADN n’est pas encore usité en 1977, il ne le sera qu’en 1994). L’expert judiciaire Lorrimer du Laboratoire Hoggatt, fondé par un colonel retour des Indes, n’était aimé de personne – sauf de Brenda, qu’il encourageait à étudier. Solitaire après un mariage raté, sa maîtresse l’avait quittée pour un autre. Il avait refusé un prêt à sa cousine Angela pour acheter le manoir où elle logeait, que son propriétaire était pressé de vendre. Il venait de descendre en flammes un collaborateur un peu lent à qui il faisait peur dans un rapport d’évaluation. Il s’était juste battu la veille avec un autre directeur du labo, expert en papiers. Nombreux sont donc celles et ceux qui pouvaient lui en vouloir.

Mais est-ce une raison pour tuer ? Surtout que le crime a été prémédité : les portes du laboratoires étaient fermées et seuls trois trousseaux existaient, tous retrouvés à leurs places. Qui l’a fait ? Pourquoi l’avoir fait ? Comment l’avoir fait ? C’est à ces questions classiques d’une enquête que va s’atteler Adam Dalgliesh et son adjoint plus jeune, l’inspecteur Massingham. D’interrogatoires en mijotages psychologiques, chacun va dérouler, par bribes, des passions familiales, les rancœurs du labo, du village et de cette campagne isolée à l’atmosphère sombre.

Le roman débute lentement car il faut mettre en place les pièces du puzzle. Tous les indices sont livrés au lecteur – mais celui-ci n’est pas amené à trouver par lui-même, emporté par le récit. C’est du bon P.D. James.

Phyllis Dorothy James, Mort d’un expert (Dead of an Expert Witness), 1977, Livre de poche 1991, 347 pages, €7,90, e-book Kindle €6,99, livre audio €0,00 avec offre essai

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Les romans policiers de P.D. James déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Patricia Cornwell, L’instinct du mal

L’experte en sciences légales de Virginie Kay Scarpetta est désormais aussi conseillère auprès du médecin-chef de l’institut médico-légal de New York de façon bénévole. Nous sommes en 2009 et la crise financière de 2008 vient de passer, précipitant l’économie dans la déroute et les gens dans le désespoir. Une jeune fille, Toni, est retrouvée morte dans un parc ; elle a été assassinée. Dottie, une folle dont s’occupe le mari de Scarpetta, Benton Wesley, lui envoie une carte de vœux vocale inquiétante. La fille d’un milliardaire de la finance a disparu. Ces trois affaires sont liées mais le lecteur ne le sait pas encore.

Contrairement à ses premiers romans, Patricia Cornwell stresse de plus en plus ses personnages, leur faisant faire des dizaines de choses à la fois et de nombreuses erreurs. Comme si ce qui arrivait au pays tout entier arrivait à chacun dans son propre métier. La médecine légale tient peu de place dans ce roman, plutôt centré sur les recherches informatiques de Lucy, la nièce adulte qui a fait fortune dans l’informatique avant d’en perdre les trois quarts dans la débâcle séculaire 2008.

L’action naît lorsque Scarpetta, invitée sur CNN par une productrice vieillissante qui cherche avant tout le scoop, a son téléphone BlackBerry volé alors qu’elle avait ôté par agacement son mot de passe. Elle reçoit un paquet suspect à son l’immeuble après l’appel d’une téléspectatrice qui s’avérera être la fameuse Dottie, la folle de Benton Wesley. Tout est lié et Lucy revient en hélicoptère d’un week-end de tempête passé en amoureuse avec son amie la procureur Jamie Berger juste à temps pour investiguer. Le grand flic Marino est aussi de la partie et toute cette fine équipe va tenter de débrouiller les écheveaux enchevêtrés des liens entre les disparitions et morts suspectes des diverses enquêtes en cours.

Wesley est limité par son statut de psychiatre légal qui ne l’autorise plus à faire des enquêtes comme lorsqu’il était au FBI. C’est donc Marino qui prend le relais, mais il le déteste depuis que Marino sous emprise de drogues et d’alcool a voulu violer Scarpetta dans un volume précédent. Lucy est toujours aussi butée et secrète tandis que son amie s’éloigne progressivement d’elle à cause de tout ce qu’elle ne lui dit pas.

Le lecteur ne s’étonnera pas de retrouver l’ennemi juré de Wesley et Scarpetta, le fameux Chardonne, anormal psychopathe venu de France qui a repris les affaires mafieuses de sa famille après le décès de son père et de son frère. Cet être machiavélique et suprêmement intelligent va chercher à les égarer tout en les menant dans un piège. Il faudra tout le talent des divers experts conviés par Cornwell, l’instinct de flic de Marino, l’expertise médicale de Scarpetta, le talent psychiatrique de Wesley, l’agilité informatique de Lucy et l’expertise en droit de Berger, pour percer à jour le monstre et déjouer ses plans, tout en retrouvant les disparus et qui a tué la morte du parc, à la mère de qui Scarpetta doit la vérité.

Nous sommes en 2009 lors de l’écriture de ce roman, et la technologie a galopé depuis les premières enquêtes de Kay Scarpetta. C’est par une montre connectable que Lucy parviendra à remonter la piste du tueur de Toni tandis que les mails échangés par le mari de la financière disparue mettront la puce à l’oreille de Lucie de Berger.

Ce gros roman un brin bavard semble avoir été dicté plutôt qu’écrit tant les dialogues s’étalent sur de longues pages. Mais le canevas général se tient et le suspense est là. C’est un assez bon cru Cornwell.

Patricia Cornwell, L’instinct du mal (The Scarpetta Factor), 2009, Livre de poche 2011, 669 pages, €8.90 e-book €8.49

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Patricia Cornwell, Havre des morts

La Cornwell me déçoit de plus en plus. J’avais beaucoup aimé ses premiers livres… d’il y a plus de trente ans mais, comme souvent avec le succès, le talent se dégrade. Patricia Cornwell est devenue non seulement paranoïaque après le 11-Septembre, comme la plupart des Yankees surpris au nid et dans leur arrogant confort moral missionnaire, mais elle s’est faite la vulgarisatrice de la technologie la plus avancée – la seule « Mission » qui semble rester au peuple dont l’âme s’est perdue dans la malbouffe, la psychopathie et la brutalité. Elle n’hésite pas à le dire p.98 : « La guerre est devenue notre industrie nationale, comme l’ont été autrefois l’acier, les chemins de fer et l’automobile. Voilà le monde dangereux dans lequel nous vivons et je ne crois pas que cela puisse changer ».

Kay Scarpetta, médecin légiste, est donc devenue militaire après une brève expérience comme indépendante. Elle travaille à Dover, la base aérienne militaire sur laquelle les sacs contenant les corps des soldats tués au combat à l’étranger sont rapatriés. Avec l’essor de la technologie informatique, c’est désormais l’autopsie virtuelle qui permet le renseignement avancé. L’étude des débris dans les corps, la forme des plaies, les effets du souffle des explosions, donnent de « précieuses » indications sur les armes utilisées et sur leur provenance. Notre Kay effectue donc une spécialisation de six mois, loin de Cambridge où elle est censée dirigée un centre mixte de médecine légale pour l’État et l’université.

Elle devait rentrer depuis plusieurs semaines déjà mais c’était constamment retardé sous divers prétextes. Voilà que brutalement un hélicoptère piloté par sa nièce Lucy et dans lequel se trouve le gros flic Marino vient se poser sur la base pour l’emmener immédiatement. Elle doit rentrer d’urgence car un jeune homme a été trouvé mort dans le parc de Cambridge, promenant son lévrier, apparemment d’une crise cardiaque. Sauf qu’il a saigné dans la housse à la morgue et que c’est inexplicable. Son adjoint Fielding est curieusement injoignable et Kay doit retrouver sa position de directrice pour organiser les études sur le cadavre.

Comme d’habitude, Lucy est maniaque et ingérable, Marino vulgaire et bavard, le centre en complète désorganisation. Le roman se déroule avec très peu d’action et beaucoup de bavardages, le lecteur est dérouté par des retours en arrière et des transitions sans rupture de chapitre lorsque quelqu’un raconte à quelqu’un d’autre ce qui s’est passé. Le tout est brouillon et foutraque, rempli de méls et de coups de téléphones, avec la hantise du complot. Kay flanqué de son mari Benton, qui a repiqué au FBI, reste sans dormir plus de 36 heures, jusque vers la page 512, ce qui est loin de clarifier la situation. Elle est dépassée, ne comprend rien, a été tenue à l’écart pour d’obscures raisons. Pour un thriller, la méticulosité des détails sur le mobilier, la puissance des bagnoles, le paysage enneigé ou la façon dont sont habillés les gens prend un tour ridicule tandis que l’intrigue se perd dans les méandres tortueux des cerveaux de ceux qui savent et ne disent rien et de ceux qui parlent tout en ne sachant rien.

On comprend à la fin que c’est grave, la miniaturisation numérique prenant des proportions nanotechnologiques qui permettent d’instiller drogues et poisons à l’insu de quiconque pour le faire dérailler ou commettre des actes que sa raison aurait refusés. Exit Fielding, dépassé par son passé, violé à 12 ans par une femme psy qui l’a laissé tomber mais père d’une fille qui l’a découvert sur le net… (si vous suivez encore, ça va, vous pouvez lire le livre). Les meurtres se succèdent, dont celui d’un petit garçon de 6 ans à qui l’on a planté sadiquement des clous de tapissier dans le crâne avant de lui piquer ses pompes, celui d’un jeune footballeur américain soigneusement torturé au merlin avant de l’achever – et celui d’un petit génie israélien de l’informatique espionné par une micro-caméra. Tous sont liés, mais comment ? Seul le chien fait l’objet de compassion.

Patricia Cornwell, Havre des morts (Port Mortuary), 2010, Livre de poche 2012, 567 pages, €8.70 e-book Kindle €8.49

Les thrillers policiers de Patricia Cornwell déjà chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,