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Claude Rodhain, L’ombre du Roi-Soleil

Ce roman historique commence par une jeune Louyse de 13 ans qui rêve de conquérir le monde en regardant ses seins pousser. Sa mère la rabroue, qui a besoin d’elle pour l’aider à trier des herbes destinées à faire des potions. Elle connaît les simples, ceux qui guérissent et ceux qui sont dangereux, avec les doses à ne pas dépasser et les mélanges nécessaires. Elle fait de l’argent avec, de plus en plus d’argent, ce qui va entraîner des jalousies. Dénoncée comme empoisonneuse par une voisine, elle est arrêtée avec son mari par Nicolas Gabriel de La Reynie, lieutenant général de police du roi, soumise à la question et brûlée en place de Grève à Paris comme possédée par le démon.

Louyse se retrouve seule à 15 ans et décide de monter à la capitale. Elle n’a pas d’idée en tête, sinon de quitter son patelin. Elle entre dans Paris et est repérée lors d’une échauffourée où elle n’est que spectatrice par un adjoint du lieutenant de police, qui l’appréhende moins pour ce qu’elle a fait que pour ses beaux yeux. Car elle les a fort lumineux et perçants. Cette étrangeté n’est pas normale. Loin de la mettre dans son lit, l’homme la met au cachot, subjugué, ayant découvert qu’elle est la fille de l’empoisonneuse récemment partie en fumée et qu’elle emporte avec elle des fioles de potion. Mais la belle en avale une gorgée et dit que cela peut guérir sa femme, prise de coliques frénétiques. De fait, elle s’apaise en quelques jours.

L’adjoint évoque alors son cas avec le lieutenant général et La Reynie la prend sous sa protection. Lui va être séduit et la met sur sa couche – avec son consentement, l’auteur écrit après mitou. Défloration, plaisir partagé, philtre d’amour conseillé par un mystérieux masque noir, rien ne nous est épargné des détails croustillants dans ce Paris infecté d’odeurs nauséabondes, décrites par les mémoires du temps. Consentement car la mère de Louyse lui apparaît régulièrement, comme si sa fille était voyante. Elle la conseille et l’incite à voler de plus en plus haut.

Louyse, a désormais 18 ans – l’auteur écrit à l’ère du politiquement correct. Elle peut donc séduire pas moins que le roi Louis XIV, le fils inespéré de Louis XIII qui cherche à imposer sa volonté absolue aux Grands qui ne cessent de comploter contre son bon plaisir. Il fera de Louyse, sortie de rien, une marquise et la couchera dans son lit. Mais sans lui faire de bâtard, comme il en avait l’habitude. La jeune fille passera « dix ans » avec lui, ce qui est beaucoup pour l’appétit du jeune roi qui sautait d’un vagin à l’autre. Intelligente et pleine de bon sens, elle le conseille sur la politique, rabaissant Fouquet, intervenant sur l’esclavage… Une vision très XXIe siècle du rôle des femmes et des préoccupations « sociales » !

Las ! Complots et gambades sont les loisirs de la Cour, réduite à la figuration. Une obscure affaire de politique étrangère liée au roi Charles II d’Angleterre, lui-même à peine d’être renversé, va emporter Louyse dans ses méandres, malgré elle. Destin tragique, car elle ne l’a pas voulu ; elle aimait Louis-Dieudonné mais la justice est la même pour tous – l’auteur écrit en avocat du XXIe siècle, l’époque louisquatorzième était moins rationnelle. Il n’y a qu’un pas du Capitole à la Roche tarpéienne et Louyse le franchit sans le voir.

Une belle histoire de jadis, écrite avec allant, sur un siècle d’or de la France.

Mais prendre pour décor l’histoire n’est pas sans danger pour l’auteur inexpérimenté. Il est nécessaire de se documenter soigneusement pour ne pas commettre d’impairs. Le lecteur moyen n’y verra que du feu mais le lecteur cultivé sera gêné par les libertés prises avec la réalité.

C’est ainsi p.5 qu’il est fait mention d’Étampes et d’un bourg de Charronnes qui n’existe pas. Jusque-là, rien de grave, c’est licence d’imagination. Mais lorsque l’auteur situe p.10 le bourg en bord de Seine, rien ne va plus : Étampes est sur la Juine, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Paris et de son fleuve.

Page 7, il est indiqué aussi « le secret de la confession » de la part d’un… pasteur protestant, or les calvinistes récusent la confession obligatoire et personnelle, au rebours des catholiques.

Page 15, le vocabulaire employé est celui d’aujourd’hui (« féminisme », « construction sociale », « intégration sociopolitique »), complètement anachronique ; il fait tache pour évoquer le temps de Louis XIV.

Les fortifications à Paris de Louis XIII, dont l’auteur fait un rempart infranchissable, commencent à être rasées dès 1660, Louyse peut donc entrer à sa guise sans passer par « une porte dérobée » p.30.

Qu’à la rigueur une « mégère » cite Bossuet p.32 car ses sermons étaient publics, mais pas « les vers d’Hugo » p.129 : il n’est né qu’en 1802 !

De même p.25 « l’huile d’olive » dans la soupe de pois cassés est une vision XXe siècle de la cuisine, le lard était plus réaliste (nettement moins cher et moins étrange au goût d’alors) au nord des pays à huile.

Il y a sans doute erreur p.78 sur les « cinquante-cinq pieds » de la taille d’un bonhomme ! Un pied-du-roi mesure 32,484 de nos centimètres révolutionnaires en 1668, ce qui ferait un gaillard de pas moins de 1786 mètres de haut ! Cinq pieds et cinq pouces seraient plus réalistes, environ 1m75.

Une relecture s’impose pour la prochaine édition.

Claude Rodhain, L’ombre du Roi-Soleil, 2013, Editions La route de la soie, 267 pages, €18,00

Un autre ouvrage de Claude Rodhain déjà chroniqué sur ce blog

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Patricia Cornwell, Havre des morts

La Cornwell me déçoit de plus en plus. J’avais beaucoup aimé ses premiers livres… d’il y a plus de trente ans mais, comme souvent avec le succès, le talent se dégrade. Patricia Cornwell est devenue non seulement paranoïaque après le 11-Septembre, comme la plupart des Yankees surpris au nid et dans leur arrogant confort moral missionnaire, mais elle s’est faite la vulgarisatrice de la technologie la plus avancée – la seule « Mission » qui semble rester au peuple dont l’âme s’est perdue dans la malbouffe, la psychopathie et la brutalité. Elle n’hésite pas à le dire p.98 : « La guerre est devenue notre industrie nationale, comme l’ont été autrefois l’acier, les chemins de fer et l’automobile. Voilà le monde dangereux dans lequel nous vivons et je ne crois pas que cela puisse changer ».

Kay Scarpetta, médecin légiste, est donc devenue militaire après une brève expérience comme indépendante. Elle travaille à Dover, la base aérienne militaire sur laquelle les sacs contenant les corps des soldats tués au combat à l’étranger sont rapatriés. Avec l’essor de la technologie informatique, c’est désormais l’autopsie virtuelle qui permet le renseignement avancé. L’étude des débris dans les corps, la forme des plaies, les effets du souffle des explosions, donnent de « précieuses » indications sur les armes utilisées et sur leur provenance. Notre Kay effectue donc une spécialisation de six mois, loin de Cambridge où elle est censée dirigée un centre mixte de médecine légale pour l’État et l’université.

Elle devait rentrer depuis plusieurs semaines déjà mais c’était constamment retardé sous divers prétextes. Voilà que brutalement un hélicoptère piloté par sa nièce Lucy et dans lequel se trouve le gros flic Marino vient se poser sur la base pour l’emmener immédiatement. Elle doit rentrer d’urgence car un jeune homme a été trouvé mort dans le parc de Cambridge, promenant son lévrier, apparemment d’une crise cardiaque. Sauf qu’il a saigné dans la housse à la morgue et que c’est inexplicable. Son adjoint Fielding est curieusement injoignable et Kay doit retrouver sa position de directrice pour organiser les études sur le cadavre.

Comme d’habitude, Lucy est maniaque et ingérable, Marino vulgaire et bavard, le centre en complète désorganisation. Le roman se déroule avec très peu d’action et beaucoup de bavardages, le lecteur est dérouté par des retours en arrière et des transitions sans rupture de chapitre lorsque quelqu’un raconte à quelqu’un d’autre ce qui s’est passé. Le tout est brouillon et foutraque, rempli de méls et de coups de téléphones, avec la hantise du complot. Kay flanqué de son mari Benton, qui a repiqué au FBI, reste sans dormir plus de 36 heures, jusque vers la page 512, ce qui est loin de clarifier la situation. Elle est dépassée, ne comprend rien, a été tenue à l’écart pour d’obscures raisons. Pour un thriller, la méticulosité des détails sur le mobilier, la puissance des bagnoles, le paysage enneigé ou la façon dont sont habillés les gens prend un tour ridicule tandis que l’intrigue se perd dans les méandres tortueux des cerveaux de ceux qui savent et ne disent rien et de ceux qui parlent tout en ne sachant rien.

On comprend à la fin que c’est grave, la miniaturisation numérique prenant des proportions nanotechnologiques qui permettent d’instiller drogues et poisons à l’insu de quiconque pour le faire dérailler ou commettre des actes que sa raison aurait refusés. Exit Fielding, dépassé par son passé, violé à 12 ans par une femme psy qui l’a laissé tomber mais père d’une fille qui l’a découvert sur le net… (si vous suivez encore, ça va, vous pouvez lire le livre). Les meurtres se succèdent, dont celui d’un petit garçon de 6 ans à qui l’on a planté sadiquement des clous de tapissier dans le crâne avant de lui piquer ses pompes, celui d’un jeune footballeur américain soigneusement torturé au merlin avant de l’achever – et celui d’un petit génie israélien de l’informatique espionné par une micro-caméra. Tous sont liés, mais comment ? Seul le chien fait l’objet de compassion.

Patricia Cornwell, Havre des morts (Port Mortuary), 2010, Livre de poche 2012, 567 pages, €8.70 e-book Kindle €8.49

Les thrillers policiers de Patricia Cornwell déjà chroniqués sur ce blog

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Matilde Asensi, Iacobus

Aimez-vous le mystère, le moyen-âge, les Templiers ? Lisez ce livre, vous allez être servis ! Matilde Asensi est journaliste espagnole, elle a baignée toute petite dans ce monde catholique et vénérable des pèlerinages et des églises. Pour son second roman (mais le premier traduit en français), inspiré du Nom de la rose et du Da Vinci code, elle frappe fort. Un moine-soldat de trente ans, Galcerán, appartenant à l’ordre des Hospitaliers pour une faute sociale de jeunesse que nous découvrirons, est mandaté par le pape Jean XXII pour enquêter sur les morts mystérieuses de son prédécesseur, le pape Clément V, du roi de France Philippe le Bel et de son grand chancelier Guillaume de Nogaret. Maurice Druon a écrit une vaste fresque historique passionnante sur Les rois maudits.

C’est que ces trois hauts personnages avaient pour point commun la malédiction in extremis du Grand maître des Templiers Jacques de Molay, brûlé par ordre royal après un procès d’inquisition stalinien. Tout visiteur dans la capitale peut d’ailleurs voir la plaque apposée à l’endroit du bûcher, dans ce square du Vert-Galant qui fait face au Louvre, dominé par le pont Neuf. L’ordre du Temple était devenu très puissant, suscitant des jalousies dans l’église et le siècle, possédant même une forteresse aux marges du Paris médiéval, aujourd’hui le quartier du Temple. L’ordre était réputé être aussi fort riche, ce qui suscitait les convoitises royales, l’État étant toujours à sec pour dépenser sans compter par bon plaisir politique (tradition française qui dure jusqu’à aujourd’hui).

Rivalité de puissance et volonté de taxer ont donc fait chuter le Temple. Sauf que l’on a trop volontiers oublié sa troisième force : celle de la connaissance. S’étant frottés aux pays d’Orient, dépositaires de la culture grecque via les érudits persans, les chevaliers du Temple avaient acquis des savoirs en médecine, en poisons, en alchimie, qui les rendaient redoutables. On dit même qu’ils avaient découvert sous le temple de Salomon à Jérusalem l’Arche d’alliance, véritable pile de Leyde composée de bois d’acacia et d’or pur, qui permet la puissance à qui sait s’en servir.

C’est pour cela que le pape est inquiet : ne va-t-il pas être le prochain sur la liste ? Ces trois morts dans l’année, selon la malédiction de Molay, sont-elles naturelles ? Galcerán va enquêter… et découvrir qu’à chaque fois deux mystérieux personnages étaient dans les parages, disparaissant aussitôt le décès constaté. Jean XXII va donc – grâce à Galcerán – signer l’accord de créer un ordre nouveau de chevalerie catholique, au Portugal. Même s’il sait que le roi du Portugal protège les Templiers sur sa terre et que les derniers qui ont échappé vont s’y rallier.

Mais pour être moine obéissant au pape, soldat chargé d’une mission pour l’Église, on n’en est pas moins homme. Galcerán de Born fut jadis chevalier, d’une bonne famille de noblesse catalane. S’il est entré dans les ordres, ce n’est que sur injonction familiale après avoir connu l’amour à 16 ans. Le premier chapitre le voit rechercher un enfant de 13 ans, trouvé bébé à la porte du monastère Ponç de Riba. Missionné par le pape, il a tous les pouvoirs nécessaires et en use pour engager le novice comme écuyer. Il le nomme Jonas parce qu’il veut le ramener à la lumière après son purgatoire monastique. Ce piment adolescent va injecter de l’humour dans cette quête trop grave. De l’amour aussi, parce que ce garçon est son fils mais qu’il ne lui dit pas de suite. Peu à peu, ces deux êtres solitaires et soumis à obéissance vont se lier, se trouver, s’éduquer l’un l’autre. Jusqu’à remettre en cause ce que la société leur a jusqu’ici imposé.

Car le pape ne s’en tient pas là. Avide d’or et de puissance comme Philippe le Bel, il va lancer Galcerán sur les traces du trésor des Templiers, jamais retrouvé. Le surnom du moine est en effet ‘le Perquisitore’, qu’on peut traduire par enquêteur. Il n’a pas son pareil pour observer, faire parler les gens, mettre bout à bout les indices. Parlant l’espagnol, l’italien, le français et l’arabe pour le présent, le grec et l’hébreu pour le passé, le moine-soldat est aussi versé dans les sciences médicales, apprises dans les traités grecs, arabes et juifs. Il a donc les connaissances suffisantes pour déchiffrer les codes. Car le trésor est disséminé sur le chemin de Compostelle, dissimulé sous des constructions religieuses ornées de symboles à décrypter. Lequel chemin n’est pas celui de Jacques, récupération papale pour garder le pouvoir, mais celui de Priscillien, évêque de Galice du IVe siècle condamné pour hérésie par Rome (p.352) ! Galcerán et Jonas vont rivaliser d’observation et d’acuité intellectuelle pour découvrir quelques dépôts. Aussitôt pillés par les sbires du pape…

Menacé par cette milice papale, écœuré par l’avarice de l’Église et sa volonté de tout régenter, jusqu’aux idées de chacun, le moine-soldat hospitalier va décider de jouer les Jonas pour lui aussi. Il va quitter son ordre sans ordre, pour disparaître avec les siens. Avec son fils qu’il doit parfaire pour qu’il devienne un homme, et que sa mère n’a jamais voulu reconnaître par rigidité sociale. Avec cette femme juive rencontrée à Paris, Sara au teint de lait et aux taches de rousseur, appelée sorcière parce qu’elle maîtrise les poisons et parce que son intelligence lui permet de deviner le destin de ceux qui viennent la consulter. Galcerán de Born va quitter son ordre, sa famille d’origine et jusqu’à son nom pour commencer une autre vie, avoir un autre enfant. Sauf qu’il reste médecin et enquêteur dans l’âme, ce pourquoi il va travailler à consolider ce contrepouvoir au pape et à l’Église que sont les Templiers dont la renaissance a lieu sous un autre nom.

Aventure, mystère, amour, tous les ingrédients sont réussis pour un bon roman policier. Le lecteur apprendra des choses nouvelles : sur le Temple, le pape et le chemin de Saint-Jacques. Il sera ému par les relations père-fils, par les relations femme juive-moine catholique, par l’éveil des consciences. Car tous les personnages évoluent, jamais figés dans leur rôle, ce qui donne au texte une résonance vivante qui parle à chacun de nous. Un bien beau livre qui vous tiendra en haleine, par action, par passion et par raison. Il vous donnera les clés de la liberté !

Matilde Asensi, Iacobus – une enquête du moine-soldat Galcerán de Born, 2000, Folio policier 2007, 387 pages, €7.69 

Les autre romans de Matilde Asensi chroniqués sur ce blog

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