Articles tagués : mout

Temple de Louxor à la nuit

Nous quittons Karnak pour Louxor où nous arrivons à la nuit qui tombe. Le soleil se couche rapidement et donne une belle couleur dorée au dromos, l’allée des sphinx, aux colosses illuminés, à la forêt de colonnes. Le temple a été construit sur la rive est du Nil à l’emplacement de l’ancienne cité de Thèbes en 1400 avant J-C. Il est dédié au dieu Amon mais aussi à Mout et Khonsou. Jadis, lors de la fête religieuse annuelle d’Opet, les statues des trois dieux étaient transportées du temple de Karnak au temple de Louxor par une allée de 700 sphinx, récemment restaurée. Une mosquée incongrue est bâtie au centre du temple et elle déverse sa litanie de prières par haut-parleurs dès le soleil couché. Ramsès II a ajouté les colosses et deux obélisques au temple d’Amon érigé par Amenhotep III, dont l’un a été donné à la France et trône sur la place de la Concorde.

Le temple de Louxor la nuit est beau. L’on n’y remarque moins les hordes touristiques alors que se détachent les colonnes dressées vers le ciel bleu sombre où, là-haut, commencent à briller les étoiles. Je retiens cette jeune Américaine blonde en short de jean vraiment très haut sur les cuisses et sa chemise nouée lâche sur son ventre nu. Elle est élancée et gracieuse dans la semi obscurité et ne pourrait se montrer plus déshabillée. Une baffe par elle-même aux rigoristes de l’islam – heureusement absents de cet endroit païen.

Nous reprenons la barcasse pour traverser et retourner à l’hôtel. Douche et rangement des affaires avant le dernier dîner comme hier : soupe de poulet, légumes tomates curry, salade, dessert de semoule sucrée.

L’hôtel Shéhérazade est recommandé surtout aux Français semble-t-il, car la terre battue de la rue qui y accède, entre des habitations populaires où jouent au foot des gamins pieds nus, peut rebuter les anglo-saxons. Mais le bâtiment est calme avec un jardin intérieur. Il a dû être beau il y a dix ans mais, comme tout en Égypte, il est mal entretenu. La rupture du tourisme dû à la pandémie y est certainement pour quelque chose, mais c’est avant tout un tempérament. Il y a aucun responsable effectif, aucun contrôle, tout se délite et on laisse faire. Nous sommes chambre 201 – qui est au premier étage, mesuré à l’anglaise. Les matelas sont bons. L’escalier est décoré de peintures naïves représentant les contes des Mille et une nuits puisque Shéhérazade en est l’héroïne principale.

Et puis c’est le départ pour Paris.

Le nouveau Grand Egyptian Museum n’est ouvert que depuis le 16 octobre 2024. Nous ne le verrons pas.

FIN

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Temple de Karnak

Nous joignons Thèbes, le temple est immense, 123 hectares, pas encore dégagés du sable dans sa totalité ; seuls 14 hectares sont fouillés jusqu’au sol antique. Nous sommes devant le gigantesque temple d’Amon, « le Caché », construit et remanié plusieurs fois par les pharaons du Nouvel Empire, de 1580 à 1085 BC. Les conceptions différentes, les vengeances et le souci d’effacer les traces des schismatiques ont fait construire et détruire les bâtiments. Il en reste un gigantesque chaos qu’il est difficile de comprendre aujourd’hui.

karnak architraves

Faisons plutôt comme Flaubert, laissons-nous impressionner : « la première impression de Karnak est celle d’un palais de géant. » Sous Ramsès III, 81 322 personnes servaient le temple dans toute l’Égypte, car son clergé possédait 2393 kilomètres carrés de champs le long du Nil. Le dieu Amon forme ici une triade avec Mout, déesse du ciel, son épouse, et Khonsou, dieu lunaire représenté en enfant porteur d’un croissant de lune, leur fils. Toute la famille était réunie, augmentant la puissance du lieu. On a comparé le temple à une centrale nucléaire où quelques techniciens, les prêtres, canalisaient des flux énormes d’énergie. Les multiples enceintes, les cours, les couloirs, les cachettes contenant des statues secrètes, accréditent cette idée de puissance formidable. Les prêtres rendaient des oracles par la barque d’Amon.

karnak horus pharaon

Une rangée de sphinx protège l’entrée, côté Nil. Ils ont des corps de lions gardiens (puissance agressive) et des têtes de bélier à cornes recourbées (image d’Amon). Le grand pylône d’entrée date des Ptolémée (III° siècle BC) et protège le temple des forces impures. Sa forme évoque le hiéroglyphe de l’horizon et signale la fonction cosmique du site. De hauts mâts en bois de plus de trente mètres étaient jadis encastrés dans les rainures verticales du pylône ; ils représentaient les piliers sur lesquels repose la voûte céleste. La surface du pylône elle-même est gravée de reliefs représentant la puissance et montrant la défaite définitive du chaos grâce à l’action du pharaon. Cinq pylônes de plus en plus petits se succèdent ensuite dans l’enceinte.

karnak colonnes

Dans la grande cour, une statue colossale de Ramsès II (1290 BC) se dresse. Ce pharaon a fait terminer la grande salle hypostyle que nous verrons après. Le roi se tient dans une attitude osirienne, les bras croisés sur la poitrine tenant la crosse et le fouet, symboles respectifs du pouvoir et d’Osiris. Sa reine, Nofretari, est représentée à ses pieds, toute petite. L’immense salle hypostyle de 134 colonnes a été construite entre les règnes d’Horemheb et de Ramsès II. Cette colonnade massive enserre, bien qu’aujourd’hui on voie le ciel. C’est du Monumenthâl à la germanique, du massif, du carré Kolossal ! Le temple est la version totalitaire de l’État, la première image du « roi-soleil » si chère aux nostalgies françaises d’où, peut-être, leur fascination actuelle pour ces vestiges ! Dans l’Égypte ancienne, le pouvoir royal était un attribut du créateur du monde, le dieu soleil Rê, dont le pharaon était le fils. D’essence divine, ce pouvoir était absolu, il ne pouvait se partager. Pharaon était acteur unique de l’histoire ; il combattait perpétuellement pour la sauvegarde de l’ordre idéal du monde et de la société, selon les Lois établies par le créateur contre le désordre de la réalité et les faiblesses humaines. Le politique était religieux, servi par la machine administrative des scribes fonctionnaires.

karnak pharaon

C’est peut-être ce symbolisme qui séduisait si fort Mitterrand, probable dernier roi-républicain, soucieux de l’équilibre du monde, de la place de la France et du progressisme scientiste. L’axe du temple figurait la course du soleil du jour à la nuit. Le passage graduel de la lumière à l’obscurité, des cours ouvertes aux salles obscures, conduisait au sanctuaire qui contenait la statue du dieu. Ce point figurait l’extrémité du monde, où terre et ciel se rejoignent dans les ténèbres du crépuscule. Résidence terrestre du dieu, microcosme sacré entouré de murs qui le protégeaient du profane, chaque journée voyait se rejouer le mystère de la création renouvelée. Chaque jour les prêtres réveillaient la statue de la divinité, l’habillaient et la promenaient ; au soir on la recouchait dans ses bandelettes, pour son séjour dans la nuit et dans le royaume des morts. Le Soleil était la vie, le dieu, l’espoir d’un monde après la mort, comme il resurgit de l’horizon à chaque aurore. Sur la statue d’un prêtre de la XXIIème dynastie à Karnak était gravée cette formule : « le fugitif instant où l’on perçoit les rayons du soleil vaut plus qu’une éternité passée à régner sur l’empire des morts. »

karnak bulle personnage

L’allée centrale rassemble une foule si grande que l’on se croirait à Lourdes ou au Vatican. Il n’en est rien. Ici, les touristes vont au temple comme au supermarché en Europe : le site se consomme allée par allée, il « faut tout voir ». Et les groupes ignares boivent les explications de guides incultes, en mitraillant de photos ineptes bobonne et les mioches devant les sphinx ou les colonnes. Remarquent-ils – mais il faut lever les yeux jusqu’à 22,40 mètres au-dessus du sol et se poser la question – que les fûts des colonnes sont comme des tiges énormes, et que le chapiteau est une fleur ouverte de papyrus ? Que les douze colonnes de la nef centrale sont plus hautes que la centaine d’autres qui les bordent (14,74 mètres) dont les chapiteaux ne sont que des fleurs de papyrus en boutons ?

L’ombre portée des colonnes est un havre de fraîcheur dans la touffeur du soleil impitoyable. Les scènes rituelles gravées sur les fûts sont parfois colorées comme des cases de bandes dessinées. J’apprécie quelques instants de solitude relative, loin du guide. Je visite aussi la suite seul. Une seconde cour recèle deux obélisques, pointus comme des broches à rôtir – c’est d’ailleurs ainsi que les ont nommé les grecs : obeliskos. Ils servaient de protection, tels des paratonnerres. Celui qui s’élève Place de la Concorde à Paris vient de Karnak ; il est celui de Ramsès II, offert par le gouvernement égyptien et ramené en 1833.

karnkar frise

Le lac sacré a été reconstitué. Des touristes idiots font sérieusement sept fois le tour du scarabée de granit « porte-bonheur » posé sur un bloc près de l’édifice du roi Taharqa. Quatre tas de chair affalés le long du mur des propylées du sud font rire les voyages scolaires indigènes. Ce sont trois femelles anglo-saxonnes rougeaudes aux épaules dénudées, et leur mâle qui a enlevé son tee-shirt sur sa chair pâle et tremblotante de poisson. Le ridicule non seulement ne tue plus mais n’affleure même plus à la conscience. L’Anglo-saxon, hors de chez lui, se sent tellement le représentant d’une haute civilisation qu’il s’imagine donner le ton au monde entier.

C’est ensuite une grosse allemande qui se fait prendre par son mec derrière une statue sans tête, sous les colonnes de la salle hypostyle. Rien de graveleux, rassurez-vous, mais une photo ringarde avec la grosse prenant le corps de déesse de la statue pour une photo en pied avec sa propre tête qui dépasse du corps de la statue. Un petit Blanc joue aux cailloux et ses parents le regardent, attendris, sans prêter aucunement attention aux bas-reliefs antiques. Une maman pose d’autorité sa petite blonde devant un colosse pour la photo – c’est déjà plus adapté, la petite devient la reine du pharaon ainsi statufié. Viendra-t-il un jour réclamer son dû ?

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Louxor

Nous reprenons le minibus avec des paniers repas. Nous sommes aujourd’hui vendredi, jour férié musulman, et le restaurant ne sert pas. Pendant que l’auto attend à la sortie de la ville le convoi de police qui se formera jusqu’aux limites de la province, nous dévorons les provisions. Poulet grillé, purée de sésame en barquette plastique, yaourt au concombre et ail, une salade de tomates et concombres, des galettes de pain et du riz pour ceux qui ont faim ! Un pot de gelée au lait vient terminer ce repas, avec une bouteille d’eau de marque Baraka, embouteillée en Égypte par Perrier-Vittel.

voiture de flics egypte

Le minibus roule déjà dans la campagne, le long du Nil. Nous voyons depuis la terre les rives vues jusqu’ici depuis le fleuve. Ce ne sont que champs – pas très grands – et villages de terre – aux aouleds pieds nus en galabieh, aux vieux en turbans blanc, et aux ânes. Bien que jour saint, tout ce monde ramasse quand même la canne à sucre ou le trèfle ou emmène au marché des cageots de tomates empilées dans les bétaillères. Nous longeons de temps à autre la voie ferrée. Quelques trains passent, presque vides.

A l’arrêt inter-région, où la voiture de police sensée nous accompagner prend la tête du convoi étiré sur plusieurs kilomètres, des gamins viennent nous proposer des boissons à vendre, ou des foulards. Adj en achète un « pour sa mère », pour 20 livres. Le vendeur, qui a à peu près son âge, embrasse le billet pour porter chance à son commerce. L’une de nous tente d’en acheter un pour le même prix, mais pas question : « ça, c’est le prix pour Égyptiens ; pour les étrangers c’est 25 livres ». Elle n’achète pas.

paysage egypte

Nous sommes de retour en fin de journée à Louxor, pour retrouver ses deux colosses et l’hôtel. Avant de dîner, nous décidons de passer le Nil pour aller voir Louxor. La barcasse qui nous fait passer est maniée par Omar, un autre jeune ami de Dji. Il a 14 ans, même s’il en paraît plus. Il l’avait pris comme aide-felouquier l’an dernier, mais une cliente a fait une remarque de bonne-conscience-repue sur « le travail des enfants » et il n’ose plus. Le grand rêve du gamin est quand même de quitter son petit boulot de passeur pour quelque chose qui lui fasse voir plus de pays et connaître plus de gens. Je reconnais bien là les aspirations constantes de la jeunesse. Ici, ils sont adultes bien plus tôt qu’ailleurs.

garcon égypte

En cherchant du change, nous passons devant l’hôtel Winter Palace. S’il est aujourd’hui noyé dans les constructions encore plus laides du monde moderne, Pierre Loti le dénigrait déjà en 1907 : « Winter Palace, un hâtif produit du modernisme qui a germé au bord du Nil depuis l’année dernière, un colossal hôtel, visiblement construit en toc, plâtre et torchis, sur carcasse de fer. » Je ne sais comment il a été construit, mais il dure encore. Loti affectait parfois un snobisme qui faisait chic dans les salons parisiens.

Quant au musée, nous le cherchons, mais il est bien plus loin que l’on ne le croyait. Dji nous avait dit : « du Winter Palace, vous en avez pour 6 ou 7 minutes » ; en fait il en faut une vingtaine ! Il est bien présenté, très aéré, avec de jolies choses. Les explications sont fournies au moins en deux langues, parfois en quatre. La lionne Sekhmet se dresse, en granit taillé en 1403 avant, babines avides pleine de crocs. C’est elle qui envoie les maladies, mais elle aussi qui procure à ses prêtres (les médecins) la capacité de guérir. Sobek le dieu crocodile, apparaît redoutable, bien qu’en calcite datée de –1403. Amenhotep III serre les poings, on ne sait pourquoi ; il a les yeux en amande et la bouche régulière. Il s’agit en fait d’un autre nom d’Aménophis III, père d’Akhenaton ; il fut un monarque raffiné et voluptueux qui, déjà, s’est méfié du pouvoir trop grand des prêtres. Moubarak, aujourd’hui, pourrait bien s’en inspirer pour se défier des mollahs. Thutmosis III, vers –1490 offre un torse juvénile et un sourire indéfinissable aux visiteurs. Il succède à Hatshepsout, la reine redoutable, et conquiert le Soudan jusqu’à la quatrième cataracte ; c’était un fameux gaillard. Celui qui est indiqué « Amenhotep IV » est en fait Akhenaton. La statue colossale de son visage présente des traits adolescents accentués à dessein : un profil de poisson avec des lèvres et des narines gonflées avançant comme pour un baiser. Une acromégalie typique de la jeunesse où l’hypophyse travaille fort. On dit que la bouche charnue et les narines palpitantes traduisent le goût de la vie. Le mur des talatates est une paroi reconstituée d’un temple d’Aton érigé à Thèbes et détruit par les successeurs d’Akhénaton, acharnés à extirper son hérésie. Extraits du 9ème pylône de Karnak où ils avaient été réemployés comme de vulgaires blocs de construction, ces 283 blocs présentent sur 18 mètres de long et 3 mètres de haut le roi et la reine rendant hommage à Aton, le disque solaire.

2001 02 Egypte ticket Louxor

Des flèches de Toutankhamon sont présentées en vitrine ; elles sont en bois, en roseau, en plume, en bronze et en os. Le pharaon est présenté tout jeune sous les traits du dieu Amon. Dans la salle du sous-sol, Horemheb est statufié devant Amon. Le dieu est pour lui comme un père, les deux mains touchant ses épaules, les yeux au loin. Un Aménophis III de granit rose montre un visage aux traits ronds, un torse plat, carré, rigide comme une sculpture du Troisième Reich. Parfois, la grandeur dégénère en caricature. En revanche, est présentée une délicieuse Mout aux seins pommés qui tient par l’épaule Amon. Elle a un doux profil nubien et une petite bouche mignonne. De Ramsès II reste un torse en albâtre presque transparent qui accentue son air de jeunesse éternelle ; les muscles sont à peine dessinés, comme s’il sortait de l’enfance – ou renaissait aux regards.

Nous cherchons ensuite le restaurant Jamboree, près de la mosquée, recommandé à la fois par Dji et par le guide du Routard. De par sa proximité religieuse, l’établissement ne sert aucun alcool, et nous devrons attendre pour assouvir notre éventuelle soif de bière. Tenu par des Anglais, il sert plus de plats internationaux (poulet frites, spaghettis bolognaises, pizzas, glaces) que de cuisine « orientale ». Je réussis quand même à trouver de la purée de sésame tahina en entrée, suivie d’une aubergine farcie aux poivrons et au fromage (malheureusement du… chedar !). Il aurait fallu aller là où vont les Égyptiens du cru.

Nous reprenons le petit bateau pour traverser le Nil et rejoindre la rive ouest. Les jeunes se battent pour attraper des clients, à 1 livre chacun la traversée. Ils font vivre en partie leur famille avec ces gains. Pour cinq autres livres, une bétaillère trouvée à l’embarcadère nous ramène à l’hôtel, où nous avons encore la force – ou la volonté ? – de boire une bière. Elle est la première depuis des jours ! Et, comme nous sommes bien ensembles, nous cherchons à retrouver l’atmosphère intime de la felouque en nous installant sur la terrasse de toit de l’hôtel.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,