Les nerfs à vif de John Lee Thompson

Le titre américain peut se traduire comme « le cap de la peur » ou « la peur au collet » ; il dit bien l’atmosphère angoissante du film. Le noir et blanc de la vengeance initiée par le crime face à la justice instaure un climat de souricière : que faire ? Toute action raisonnable est barrée. Un cap est franchi, où la société est impuissante. A chacun de se débrouiller pour survivre…

Cette mise en situation est très américaine, dans un pays où le collectif ne compte que dans les communautés religieuses des bleds agricoles. Pour les autres, chacun pour soi !

Sam Bowden (Gregory Peck) est avocat installé dans une petite ville tranquille. Un jour, en sortant du tribunal, un homme l’aborde en lui subtilisant ses clés de voiture alors qu’il est au volant et qu’il s’apprête à démarrer, farfouillant une seconde dans sa sacoche pour vérifier on ne sait quoi. Max Cady (Robert Mitchum) est un puissant animal portant panama et cigare, qui se rappelle à son bon souvenir. Car, il y a huit ans et demi de cela, Sam a témoigné contre lui dans une affaire d’agression sexuelle. Il a vu de ses propres yeux comment Max traitait les femmes – à coups de poing.

Depuis, dans sa prison où il s’est morfondu, Max a rêvé chaque jour de tuer celui qui l’avait fait enfermer. Puis il a réfléchi, car cette brute est douée de ruse. Il a fait son affaire à son ex-femme, remariée avec un plombier qui lui a enfournée une flopée de gosses. Son affaire, c’est-à-dire la menace physique sous les coups, l’écriture sous contrainte d’une lettre d’amour désirant le revoir pour une nouvelle nuit de noce, puis une orgie de trois jours avant de relâcher sa proie, meurtrie, essorée, mais sans moyen juridique d’accuser de viol répété son ex-mari – puisque la lettre existe. Car Max a étudié le droit en prison, à sa manière obsessionnelle, dans le but de se venger.

Après la première passe d’arme verbale avec Sam, Max le poursuit partout où il va, au bowling, sur la côte, se contentant d’être là en arborant un sourire satisfait, distillant des menaces de plus en plus précises concernant la femme et surtout la fille de l’avocat. Ce n’est pas pour rien qu’il lui conte comment il s’est vengé de sa propre femme, après la prison, parce qu’elle l’avait laissé tomber.

Sam se sait menacé. Cady connait sa maison, a empoisonné sa chienne en plein jour – mais pas de preuve. Son ami inspecteur (Martin Balsam), à qui il demande conseil, ne voit rien qu’il puisse faire en-dehors de la loi : vérifier que Max Cady s’est bien enregistré comme tout détenu sorti le doit auprès de la police de la ville, vérifier ses moyens d’existence pour le coffrer en délit de vagabondage, le mettre en cellule de dégrisement pour la nuit au sortir d’un bar. Mais rien n’y fait, la loi ne saisit ni l’intention ni la menace verbale, seulement les faits : les actes, les écrits, les témoignages.

Un détective privé (Telly Savalas), plus libre que la police, est engagé pour voir s’il n’y aurait pas moyen de coincer Cady. Mais celui-ci est adroit et ne commet aucune erreur. Il va même jusqu’à provoquer Sam en lui rappelant son témoignage et ce qui risque de s’ensuivre sur sa fille, lorsqu’il lève une poule conne dans un bar et la tabasse rudement dans un hôtel. Le temps que le détective alerte la police, il a filé par la porte de derrière et tellement terrorisé la fille qu’elle ne veut pas témoigner et s’enfuit par le premier autocar en partance.

La justice est faite pour les êtres humains, mais que peut-on contre une bête ? C’est la conclusion à laquelle arrivent les raisonnables : l’avocat, le commissaire, le détective. Le tuer serait un meurtre qui mettrait Sam au banc de la société et détruirait sa vie et sa famille – réalisant ainsi la vengeance de Cady. Il ne reste comme moyen que celui des chasseurs envers un animal trop puissant : le piège.

Sam va donc simuler un départ en avion vers Atlanta, après avoir planqué femme et fille dans une péniche amarrée dans un bayou. Avec un adjoint du shérif local, demandé par l’inspecteur, il va revenir et surveiller les femmes, tandis que le détective va tout faire pour être suivi jusqu’à la planque. Max Cady ne pourra que venir se venger et il sera pris en flagrant délit.

C’est à peu près ce qui se passe, sauf les inévitables dérapages du trop beau scénario. Je ne vous dis pas comment tout cela finit, sauf que c’est bien haletant, avec bagarre dans la boue et empoignade des femmes terrorisées. Une ambiance d’obscurité glacée à la Hitchcock (John Lee Thomson est né en Angleterre), malgré une musique parfois lourdement Hollywood.

Robert Mitchum, torse nu et pieds nus pour nager vers la péniche, apparaît comme une sorte de zombie effrayant, ayant presque tous les accessoires du diable : la puissance physique, la nudité sensuelle, le langage rauque et les invites sexuelles. Les Yankees n’en ont jamais fini avec la Bible, ni avec le monde en noir et blanc qu’elle suggère. Max Cady est le Mal, sa ruse en fait l’incarnation du Malin. Il a la poitrine velue et ne manquent que les pieds de bouc et la queue dressée pour être comme son Maitre…

Gregory Peck joue l’homme sain et installé dans la société, beau, professionnel et décidé, jamais en marge de la loi. Même au tout dernier moment, comme si les bêtes devaient être traitées en humains (ce qui, aujourd’hui, ressurgit dans la pensée Vegan, signe de faiblesse vitale).

Quant aux femmes, elles ont le rôle hystérique conventionnel de tous les films américains jusqu’aux dernières décennies. La fille (Lori Martin), bien qu’arrivant à peine à l’épaule de son père, est habillée et coiffée comme une adulte en miniature, toute d’émois et de niaiserie, ne sachant jamais comment réagir. L’épouse, bourgeoise emperlée et emberlificotée dans ses robes serrées, fait toujours comme si de rien n’était, ne pouvant imaginer une seconde que le Mal existe ni qu’elle pourrait faire attention. Elle va faire une course « de quelques secondes » – qui durent un bon quart d’heure – alors que sa fille sort du collège et que le méchant rôde ; elle reste hypnotisée par l’apparition de Cady sur la péniche où elle se croyait en sécurité, sans même saisir le couteau de cuisine qui se trouve à portée. Toute une époque de femelle comme soumise au modèle chrétien de vierge et mère !…

Depuis le 11-Septembre, les Américains ont appris non seulement que le diable existe toujours, malgré l’avancée du niveau de vie, mais que ni la loi ni la technologie ne protègent in fine de qui vous veut du mal. Il s’agit de garder toujours les réflexes de survie des pionniers face au monde hostile. L’être humain qui se réduit au rang de bête doit être traité comme une bête, pas comme un homme. Car, lorsque tous les moyens sociaux sont épuisés, c’est lui ou vous.

DVD Les nerfs à vif (Cape Fear) de John Lee Thompson, 1962, avec Gregory Peck, Robert Mitchum, Polly Bergen, Universal Pictures France 2016, blu-ray €6.75

Un remake de Martin Scorsese avec Robert de Niro en Max, sorti en 1991, n’a pas la même intensité, introduisant le sexe et la culpabilité chrétienne dans la famille Bowden et faisant de « la bête » une sorte de justicier.


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