Articles tagués : anne d’autriche

Jean d’Aillon, Le secret de l’enclos du Temple

1647 connaît la seconde des révolutions contre la royauté en France. Après la Ligue des Grands, le Parlement des Frondeurs – avant la prise de la Bastille et la décapitation du roi. Les Anglais sont déjà en train de réduire l’absolutisme en 1649 (deux ans plus tard…) en exécutant leur roi Charles 1er. Mais, en France, et surtout à Paris, ce ne sont que vaniteux et couards, poses théâtrales et négociations en coulisses – les promesses n’engageant jamais que ceux qui les croient. Mazarin est expert en cet art de dire oui en pensant non, et de louvoyer sans cesse.

Le petit roi Louis XIV est encore trop jeune pour s’imposer (9 ans en 1647), et c’est sa mère, la rigide et butée Anne d’Autriche, qui gouverne jusqu’en 1651. Elle a fait casser le testament de Louis XIII qui instituait un conseil de Régence avec Monsieur, Gaston de France, et Henri de Condé en tant que premier prince de sang, en plus de Mazarin, et de quelques ministres dont le chancelier Séguier. La guerre civile des Princes et du Parlement durera jusqu’en 1652. Louis aura alors 14 ans et le pouvoir li sera donné par sa mère dès 13 ans (pas comme aujourd’hui où la minorité dure trop longtemps !).

C’est dans ce contexte historique, soigneusement documenté par les mémoires de Bussy-Rabutin et du cardinal de Retz, que l’auteur situe son intrigue policière. Dans une maison du Temple, à lui offerte par son oncle grand prieur, le comte de Bussy découvre une croix templière sur une pierre scellée ; derrière la pierre, un coffret contenant des pièces d’or et un rébus. Le rébus pourrait résoudre l’énigme du Trésor du Temple, jamais retrouvé.

Bussy, qui court les aventures à l’épée et au vit, fait appel à son ami d’enfance Louis Fronsac, marquis de Vivonne, connu au collège de Clermont. Fils de notaire, Louis adore résoudre les énigmes et a déjà débrouillé quelques affaires policières, l’une faisant même échapper le Mazarin à une mort certaine.

Dans ce Paris crasseux, nombreux, agité de gueux, nos nobliaus vont se débattre comme diables en bénitier. Les ménagères crédules croient au diable et à la damnation ; elles se font circonvenir par des prêtres confesseurs peu éthiques qui leur soutirent des pistoles et sautent leur vertu. Un mari monte même une cabale fort bien imaginée pour faire condamner sa femme pour sorcellerie après avoir épuisé tout le bien du ménage pour payer son exorciste. Durant les troubles, ce ne sont que pillages et viols de femmes et d’enfants, massacres de ceux qui résistent ou ne pensent pas comme la foule – un vrai réseau social de l’époque, la foule, la même bêtise Mitou, la même veulerie à « être d’accord », les mêmes hurlements avec les loups. Mais il suffit d’un bretteur un peu habile ou d’un homme qui résiste en cassant quelques têtes pour que tous fuient, la queue entre les jambes. Gueulards mais pas courageux, les bourgeois parisiens…

Durant les troubles, Louis, aidé de son spadassin fidèle Bauer, rempare son manoir de Mercy, non loin de Chantilly, contre les bandes de reîtres appelées – mais non payées – par le Mazarin qui les fait approcher de Paris. Il organise sa défense avec ses paysans, et même les enfants déjà grands s’y mettent. Si plusieurs paysans sont tués, aucune femme ni fille ne sont violées et les reîtres ont beaucoup de morts.

Malgré l’avalanche des noms assénés au lecteur, avec un index en début de volume pour s’y retrouver (Charles de Baatz seigneur d’Artagnan, Louis et Armand de Bourbon princes de Condé et de Conti, Basile et Nicolas Fouquet, Jean et Mathieu Molé, Marie de Rabutin marquise de Sévigné Vincent Voiture poète…) – l’action ne tarde pas à prendre le pas sur l’exposé, et les chapitres avancent allègrement. Une façon de relire son histoire en s’amusant, et, avec l’auteur, nous y sommes. La Fronde est mal connue de nos jours, éclipsée par le « Grand » siècle absolutiste. Elle a eu pourtant les mêmes causes qu’en Angleterre, et aurait pu aboutir comme là-bas à une monarchie tempérée par une constitution, ce qui ne sera opéré qu’au XIXe siècle – mais sans succès car c’était déjà trop tard.

Un ministre qui n’écoute pas et se rempare derrière l’Église, une reine qui n’écoute pas et veut tout garder comme avant, un Parlement manipulé et des Grands dont l’ego est surdimensionné – tous ces personnages classiques rejouent sans cesse la même scène politique – hier comme aujourd’hui !

Jean d’Aillon, Le secret de l’enclos du TempleLes enquêtes de Louis Fronsac, 2011, J’ai lu 2012, 704 pages, €2,80, e-book Kindle €8,19

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Autres romans policiers historiques de Jean d’Aillon déjà chroniqués sur ce blog :

Catégories : Livres, Politique, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Paul Doherty, L’homme masqué

Paul Doherty L homme masque
L’énigme du Masque de fer a fait couler beaucoup d’encre. L’homme emprisonné ici ou là pour finir à la Bastille était-il le frère jumeau de Louis XIV ? Impossible, répond Paul Doherty, professeur anglais d’histoire médiévale. La cour ne connaissait aucune vie privée et la reine accouchait en public. Mais pourquoi son visage devait-il rester caché sous un masque de velours ou de fer, sauf à quelques personnes – dont le superintendant Fouquet ?

Dans ce roman policier historique, le spécialiste anglais des intrigues moyenâgeuses ouvre une hypothèse audacieuse. Il se fonde sur la correspondance amoureuse secrète et chiffrée de la reine Anne d’Autriche, mère du roi Louis XIV. Il crée le personnage de Ralph Croft, faussaire anglais recherché par les polices du monde connu et emprisonné à la Bastille. Le Régent, avide de belles femmes qui veulent savoir, le gracie officiellement s’il réussit à percer l’énigme. Il devra enquêter dans les archives, lui qui les connait sur le bout des doigts, percer les codes, et dire le fin mot. Inutile de dire que chacun cherche à utiliser l’autre pour ses propres intérêts et que le Régent n’a guère l’intention de laisser filer le détenteur d’un terrible secret si celui-ci parvient à le connaître…

L’homme au masque a été arrêté près de Dieppe sur lettre de cachet royale en 1669. Il devait être surveillé de près durant trente ans dans diverses prisons, Sainte-Marguerite puis Exilles, jusqu’à sa mort à la Bastille le 19 novembre 1703. A chaque fois, sa cellule devait être invisible de l’extérieur, les murs, sol et plafond devaient être grattés pour éviter tout message, sa vaisselle réservée et surveillée après chaque repas pour qu’il ne fasse passer aucun écrit, son linge lavé et repassé sous surveillance constante, puis mis en coffre et brûlé une fois usé.

Louis XIII, fils d’un roi baiseur mort trop tôt, avait du mal avec les femmes. Très pieux, la chair lui répugnait et son épouse, reine venue d’Espagne, était trop jouisseuse et expansive pour lui. Marié à 14 ans, il attendit 18 ans et des promesses à la Vierge avant d’engendrer Louis XIV. S’il est certain que le Roi-Soleil était bien le fils de sa mère, certains doutent qu’il fut fils de son père. On dit que les testicules du roi étaient celles d’un enfant et qu’il n’atteignit sa maturité qu’à 30 ans passés… Mais ce ne sont que des on-dit.

En ce cas, si le Masque de fer ne devait pas montrer son visage, était-ce parce qu’il ressemblait fort à Louis XIV ? S’il ne pouvait être son jumeau, pouvait-il être son demi-frère ? Ou bien Louis XIV et le Masque étaient-ils tous deux fils d’un autre, un amant de la reine qui ressemblait au duc de Buckingham, son amour éternel ?

Ralph progresse pas à pas, captivé par cette énigme qui pourrait changer la politique du temps. Voilà que surgissent les malandrins, les gitans et même les Templiers ! Nous sommes entre ‘Da Vinci code’ et Hugh Corbett. Avec les mêmes approximations topographiques sur Paris que Dan Brown : de la cour du Louvre on ne peut, même à l’époque, apercevoir les tours de Notre-Dame (p.20) ; ni tourner de la rue aujourd’hui de Rivoli « vers l’Opéra », qui n’existait pas encore (p.54) : il a été fondé par Napoléon III ; ni dire que le grand Maître templier Jacques de Molay a été « exécuté sur le parvis de Notre-Dame (p.92) car il a été brûlé dans l’île face au Louvre, de nos jours square Henri IV où une plaque le rappelle.

Malgré ces détails, l’enquête est enlevée, agréable à lire et offre une passionnante solution à cette énigme historique.

Paul Doherty, L’homme masqué, 1991, 10-18 2010, 213 pages, €7.10

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Stefan Zweig, Nouvelle du jeu d’échecs

stefan zweig nouvelle du jeu d echecs
Dernières nouvelles de Zweig avant sa mort, dans ce court roman écrit sous forme d’une longue nouvelle. L’auteur l’envoie aux éditeurs deux jours avant de disparaître, comment ne pas y voir un testament ? Le thème en est le jeu, mais aussi l’intellect et l’argent, peut-être la mise en branle simultanée de ces trois étages de l’humain que sont la passion, la raison et les pulsions. L’écriture en est fiévreuse, attentive, tout entière orientée vers les personnages, à leur écoute, selon le meilleur Zweig.

Czentovic est un paysan du Danube ignare et quasi illettré, élevé par un curé dès 12 ans, après la mort du père dans un naufrage sur le fleuve. En regardant jouer, l’adolescent assimile les coups. Il n’est que tactique, dans l’imitation lente et méthodique, porté par l’intuition immédiate. Il devient cependant champion du monde, peut-être parce que ce calculateur vivant aussi bête dans la vie courante qu’un guichet administratif, n’a pas le raisonnement brouillé par les émotions et les pulsions.

Sur un paquebot transatlantique entre New-York et l’Europe, un industriel ingénieur américain, très sanguin et à qui rien ne doit résister, le paye pour jouer contre lui. L’amateur perd, évidemment, mais durant la revanche, il est sauvé de la honte par un passager qui par hasard passait par là. C’est un aristocrate, ancien avocat d’affaires en Autriche, arrêté après l’Anschluss par la Gestapo pour lui faire avouer qui détient quoi dans la riche société viennoise. En quelques coups, il limite les dégâts et assure une partie nulle. Czentovic, intrigué et stimulé, se laisse convaincre – contre paiement – de jouer à nouveaux quelques parties. L’avocat n’est pas un joueur d’échecs, ni professionnel ni amateur, mais laissé à l’isolement dans une chambre d’hôtel réquisitionné durant plusieurs mois afin qu’il craque, il n’a rien trouvé de mieux que de refaire dans sa tête les parties d’échecs d’un manuel volé dans une poche militaire. Ayant épuisé les combinaisons du livre, il imagine des parties contre lui-même, jusqu’à la fièvre.

C’est ce qui va le faire libérer, l’excès de ratiocination conduisant à la folie. Il porte la représentation mentale au point de devenir quasi schizophrène et d’oublier tout réel. Il n’est pas tacticien méthodique comme un calculateur, mais stratège de haut vol qui modélise une dizaine de coups d’avance. L’aigle contre le bovin, l’intelligence contre la stupidité brute, peut-être est-ce le message, alimenté et augmenté par la barbarie commerçante de la mentalité américaine sous les traits de McConnor, le medium de la rencontre contre qui rien ne résiste ? Est-ce le paysan du Danube contre l’intellectuel de Vienne ? Le nazisme fruste contre la vieille civilisation européenne, poussé par le commerce yankee ? Les relations humaines sont-elles sur le mode du jeu d’échecs ?

Cette nouvelle préfigure en tout cas les coups de la politique soviétique (que Poutine reprend avec un cynisme répugnant), mais illustre aussi le délire de la raison en finance (qui a causé la crise de 2007), autant que la bêtise administrative au front de taureau (que Hollande voudrait affaiblir par son « choc de simplification »). Politique, finance, administration, toutes ces façons de faire oublient l’humain en faveur du modèle, la réalité des choses pour l’abstraction des stratagèmes.

Grave message de Stefan Zweig à ses lecteurs, à la veille de quitter ce monde qui le déçoit – et qui reste le nôtre.

Stefan Zweig, Nouvelle du jeu d’échecs (1942), Folio classique 2013, 160 pages, €3.33

Stefan Zweig, Romans, nouvelles et récits tome 2, Gallimard Pléiade 2013, 1584 pages, €61.75

Tous les livres de Stefan Zweig chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,