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Martin Suter, Je n’ai rien oublié (Small World)

Martin Suter est un écrivain suisse allemand de Zurich ; il aime écrire sur l’actualité et évoque dans ce roman la maladie d’Alzheimer. D’où le titre en français du film qui en a été tiré, bien plus compréhensible que le titre bizarrement anglais de l’édition en suisse allemand… Quant au style, il a la lourdeur de l’esprit germanique, peu enclin au brillant du thriller et emporté dans quelques longueurs par le souci de précision clinique sur la maladie. Ce n’est pas un roman qu’on relit volontiers.

Conrad Lang est à 63 ans un homme à tout faire d’une famille de riches industriels suisse, les Koch. Ayant le même âge, il a servi de compagnon de jeu et de lièvre dans les études pour le fils Thomas, et d’objet accessoire pour la famille. Il est le fils d’une amie d’Elvira, la mère de Thomas, qui est partie avec un Anglais durant la guerre et n’est jamais revenue. Les deux enfants sont élevés ensembles, Tomi et Koni s’interchangent. Mais Conrad n’est pas un frère pour Thomas, seulement un alter ego qu’on tolère et qui porte le sac.

Adulte, Thomas n’est pas destiné à reprendre les rênes de la fabrique, sa mère continue de surveiller les affaires jalousement. Ce sera Urs, le petit-fils (Philippe dans le film français), qui reprendra le flambeau. Le règne saute une génération, comme dans la famille royale britannique. Quant à Conrad, on lui confie le gardiennage de la villa de Corfou, dans laquelle la famille ne vient presque jamais. Une retraite pas vraiment dorée, solitaire, mais surtout loin de la famille. C’est qu’il peut la mettre en danger…

Il met le feu accidentellement à la grande maison et commence à avoir des absences répétées. Rapatrié dans sa ville d’enfance, il assiste au mariage d’Urs (Philippe) avec Simone mais s’alcoolise trop. Il va progressivement sombrer dans l’ivrognerie et la démence, malgré l’amour que lui porte Rosemarie. Laquelle ne peut plus se charger de tout pour cet homme désormais dépendant et incontinent. Elvira, la mère de Thomas qui a toujours gardé un attachement incompréhensible pour Conrad malgré sa morgue, propose de l’installer avec une garde-malade dans la maison d’ami de la résidence. Il sera soigné et surveillé. Car si Conrad perd de plus en plus sa mémoire récente, des souvenirs très anciens resurgissent avec une précision diabolique. Cela inquiète furieusement Elvira – aurait-elle quelque-chose à cacher ?

Simone, l’épouse d’Urs, va se poser progressivement des questions parce que les souvenirs de Conrad ne coïncident pas avec l’histoire que raconte la famille. Son commentaire d’albums de photos, qu’Elvira a d’abord cachés après en avoir nié l’existence, excite notamment la curiosité. Lorsque Simone les retrouve et les photocopie à l’insu d’Elvira, elle fait parler Conrad. Et une vérité surgit, différente de la belle histoire familiale…

Le thème du roman est plus la maladie d’Alzheimer que l’intrigue de famille, ce qui est dommage pour le rythme du récit. Le lecteur comprend assez vite quel secret est dissimulé, même s’il ne devine pas la fin, assez inattendue. Le cerveau se détruit peu à peu et incite a accepter béatement son sort. Sauf que… Simone insiste ; des traitements expérimentaux existent, pourquoi ne pas les tenter ? La fortune et la réputation de l’entreprise Koch vont tout lui permettre, malgré la vieille Elvira et en dépit du malade. Simone a enfin un but et quelque chose à faire, elle qui se sentait inutile comme une pièce rapportée. Elle révélera le romanesque de cette histoire : le secret de famille, le mensonge et le crime.

Prix du premier roman étranger France 1998

Martin Suter, Je n’ai rien oublié – Small World, 1997, Points Seuil 2000, 361 pages, €7,80

DVD Je n’ai rien oublié, Bruno Chiche, 2011, avec Gérard Depardieu, Alexandra Maria Lara, Françoise Fabian, Niels Arestrup, Nathalie Baye, Orange studios 2011, 1h33, €6,94 Blu-ray €13,14

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Yesterday de Danny Boyle

Un drôle de remake d’une uchronie déjà tentée avec Johnny Hallyday (Jean-Philippe de Laurent Tuel)mais cette fois appliquée à l’icône anglaise des Beatles revue Bollywood.

Jack Malik, indien poupin et velu à la barbe qui lui fait une gueule de dacoït (Himesh Patel), est un looser dans son coin de l’est Suffolk bordant la mer. Lorsqu’il n’est pas manutentionnaire à mi-temps dans le supermarché du coin, il gratouille de la guitare devant des publics tout à autre chose : se pinter draguer, bavasser. Lorsqu’il est « invité » dans un festival, c’est pour quelques moments dans une grande tente quasi vide où des vieux se reposent et où des gamins sont assis à glander. Il veut arrêter la scène malgré Ellie, son amie d’enfance qui joue les impresarios (Lily James).

Lorsqu’elle le laisse un soir près de son vélo, Jack est décidé à laisser tomber. C’est le destin qui va lui tomber dessus : il s’emmêle, mêle-tout comme pas un. Une étrange panne électrique plonge le monde entier dans le noir, tel un bug d’an 2000. De quoi faire percuter le cycliste par un bus qui passait par là, les deux sans lumière dans une rue éteinte.

De retour d’hôpital, les dents de devant cassées, Jack se voit offrir un dentier, un bus miniature (humour anglais qui est plutôt ici de la grosse ironie) et une guitare neuve puisque la précédente a fini sous le bus. Lorsqu’il essaye son nouvel instrument, il interprète tout naturellement Yesterday des Beatles, chanson créée en 1965 la plus reprise de tous les temps. Il avait l’habitude de la jouer. Silence recueilli de ses amis ; ils n’ont jamais entendu une aussi belle chanson… Etonnement de Jack : ne connaissent-ils pas les Beatles ? De fait non, pas plus que le groupe Oasis, le Coca Cola, la cigarette ou Harry Potter (nouvelle grosse ironie uchronique).

Jack se dit alors, poussé par Ellie, qu’il a peut-être une chance de percer dans ce monde musical qui l’a pour l’instant rejeté. Il se remémore une à une les chansons des Beatles dont il se souvient, puis le souvenir des lieux mêmes ravivent sa mémoire. Il interprète Let it be devant ses parents qui s’en foutent, sinon de lui faire plaisir, préoccupés plutôt de boire de la bière, de répondre à la sonnette et au téléphone (ironie toujours aussi grosse). Jack ne tarde cependant pas à être repéré par Ed Sheeran (joué par lui-même), célèbre voisin du Suffolk à Framlingham, qui le demande en première partie de son concert à Moscou. Bien qu’un peu retardé par rapport à l’ère Poutine avancée, Back in the USSR connait un franc succès.

Sheeran en parle à une productrice de Los Angeles, Debra Hammer (Kate McKinnon), executive woman marketing aux dents longues et avide de fric durement gagné sur le dos des créateurs. Elle le lance carrément à Jack : « vous allez gagner beaucoup de fric et on vous prend presque tout ». Grosse ironie là encore (l’humour anglais est bien loin). Commence alors le grand écart entre un Jack né pour végéter popote dans sa petite ville de province anglaise et la star speedée du barnum américain qu’exige le business. Lors du Meeting des meetings marketing (rien que ça, un Grrrrand meeting comme les socialistes français le qualifieraient, tout colonisés qu’ils sont par l’esprit yankee), le Noir chef (Lamorne Morris) démolit les icônes Beatles reproposées par Jack au nom du politiquement correct : un album blanc c’est « un peu trop blanc, non ? pas assez de diversité », Sargent Peppers etc. « c’est un peu long et compliqué pour un titre, non ? », et ainsi de suite. Ed Sheeran de son côté lui dit que Hey Jude sonne moins bien que Hey Dude, peut-être parce que Jude sonne un peu trop juif ? Où l’on observe que l’industrie du disque n’a rien à foutre de la création musicale mais ne songe qu’à formater un produit prêt à consommer tout de suite, selon la mode de linote du temps. Et que les twenties du siècles suivant ont peu à voir avec l’univers des sixties dont la génération précédent la précédente se souvient.

Jack se ronge : le fric l’indiffère ; il est comme frère et sœur avec Ellie mais celle-ci songe à l’amour. Lui l’aime-t-il ? Oui ? Peut-être ? Il n’y a jamais pensé. Lors d’un concert sur le toit à Gorleston, deux fans l’approchent pour lui dire qu’ils connaissent les Beatles mais qu’ils sont très heureux que lui donne vie à leurs compositions. Ils lui donnent l’adresse de John Lennon (Robert Carlyle) qui n’a pas été assassiné parce qu’il n’a pas été célèbre ; lorsqu’il le rencontre, John (très zen) lui donne cette leçon de vie : dire à la fille qu’on aime qu’on l’aime et toujours dire la vérité. Jack part en pèlerinage à Liverpool sur les traces des Beatles. Flanqué de son ami Rocky (Joel Fry) qui foire tout mais pas ça, il court in extremis après Ellie qui reprend le train pour Londres à la gare de Liverpool après être venue le rejoindre la veille ; elle lui demande de choisir entre elle et sa nouvelle carrière. Inapte à décider, Jack « choisit » de laisser faire, donc sa carrière.

Mais de retour à L.A. il demande de donner un « grand » concert à Wembley, en Angleterre, où il interprète les chansons de son « grand » album dont la sortie est ainsi annoncée pour un « grand » succès commercial et une montagne de fric (pour la yankee Debra). A la toute fin, il a demandé à Rocky de lui laisser le micro pour une courte annonce : il dit à son public qu’il n’a rien écrit, ni composé, mais que ses chansons sont celle des Beatles dont il cite les quatre noms ; qu’étant plagiaire, il ne saurait en faire du fric et qu’il met donc gratuitement en ligne son album. Debra est folle mais la morale est sauve et l’Europe sauvée de l’emprise américaine.

Je reste mitigé quant au film. La musique des Beatles est un bain de nostalgie, mais interpétée plutôt qu’interprétée par Himesh Patel qui a refusé le play-back. L’acteur principal est peut-être le symbole de la mondialisation à l’anglaise (celle qui Brexit à toute force) mais ne convainc pas les continentaux que nous sommes. Quant à l’historiette amoureuse, elle est plus une valse-hésitation qu’une poésie sixties. Reste qu’on ne s’ennuie pas et que, pour une première fois, on voit le film avec un certain plaisir.

DVD Yesterday, Danny Boyle, 2019, avec Himesh Patel, Lily James, Ed Sheeran, Kate McKinnon, Joel Fry, Universal Pictures, 1h51, €10.  Blu-ray €14.65

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