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Monte Cappane sur l’île d’Elbe

La nuit fut bonne, fatigue aidant ; le réveil a lieu plus tôt, à 6h30, pour partir gravir nos 1000 m de dénivelée avant la chaleur. Le petit-déjeuner est pris à l’hôtel avant d’aller remplir les bouteilles à la source. Elle est si fréquentée par les locaux qu’un arrêté du maire conseille aux habitants de ne pas exagérer ! Dans le petit matin, les vieux qui viennent s’approvisionner en bidons de Chianti de trois litres, s’exclament : cinghali ! Les sangliers ont en effet foui les bordures en pierres des vignes pour tenter de manger les raisins. Mais la clôture a tenu.

Une lente montée commence dans la vallée par un sentier mieux aménagé qu’hier. Nous allons le long du torrent presque à sec, parmi les châtaigniers et les chênes lièges. Dans le sous-bois, nous voyons un bouquetin qui fuit sans se presser. Dans un fourré, au passage à gué du ru où ne subsiste qu’un peu de boue, nous avons entendu les sangliers ; ils se cachent mais ne sont pas très sauvages. Ils ont été dérangés de leur bauge.

La montée se fait plus roide dans le maquis, sur le flanc sud-est du torrent, avant de déboucher sur la crête vers 650 m.

Nous la prenons alors vers le nord-est pour aborder les abords du mont Capanne, 1018 m, qui est notre destination.

Le chaos de roches et un peu casse-pattes, mais le clou est un dôme de dalles en via ferrata. Les grandes chutes de granit pentues sont plantées de pitons soutenant un câble métallique auquel se tenir à mesure qu’on grimpe.

Rien de vertigineux, tout juste de l’aérien ; rien de technique, tout juste du fatigant. Car se tenir au câble et grimper les jambes, répartir en équilibre le poids du corps, ne va pas sans effort.

Quand il pleut, le tout doit être glissant et mieux vaut ne pas s’y avancer. Mais la journée est belle, à peine voilée.

Nous atteignons le sommet du mont Capanne, parmi les touristes en nombre venus par téléphérique de l’autre côté. Nous allons jusque sous les antennes pour faire « la » photo de groupe, comme tout le monde.

Nous pique-niquons au bord de l’aire pour hélicoptère, devant quelques Allemands avec gosses qui s’empressent de redescendre avant la fermeture prandiale de la télécabine de 13h30 à 14h30. Un petit blond florentin et sa sœur ne tiennent pas en place ; je ne parviens pas à les capturer sur numérique. Ils jouent avec moi sans le vouloir car je les reverrai en fin d’après-midi, en bas du téléphérique, aussi insaisissables, jusqu’à leur voiture garée en bord de route, qui indiquent qu’ils habitent Florence. Un petit Allemand est tendre avec son père plutôt enveloppé mais ne tient pas plus en place, lacets défaits et démarche sautillante ; il souffre en outre de trachéite de ne pas se couvrir – un vrai gavroche le nez au vent. Un couple de vieux au style californien, en maillot de bain, cuivrés, cheveux longs tenus par un bandana, le corps flasque, ont le genre à avoir eu 20 ans en 1968 et de n’avoir jamais quitté l’époque. Ils sont à la fois laids par leur apparence de septuagénaires et ridicules par leur affichage de jeunesse perpétuelle flétrie.

Nous étions huit à monter ce matin, les six autres sont venus tranquillement par la télécabine – en apportant le pique-nique collectif. Ils ont pris le bus de 10h40 et nous ont rejoints alors que nous arrivions au sommet. De loin, nous apercevons la Corse.

Les descendeurs partent avec Denis car le sentier est long (près de 2 h) et pénible (ravagé par les baskets de touristes). J’ai décidé de prendre la télécabine pour descendre, ce que les Italiens appellent cabinovia – le funiculaire. Il vous dévale 644 m de dénivelée en une quinzaine de minutes, comportant 59 cabines où l’on peut tenir jusqu’à trois. Mais en général, un grimpeur et son sac à dos suffisent pour emplir la cage métallique ouverte sur le vide, qui ressemble fort à une cage à oiseau en métal peint en jaune d’œuf. Un couple avec enfant, un adulte et deux enfants, ou encore trois copains sans sac et assez jeunes, donc minces, peuvent tenir en une fois.

La descente seule coûte 12 €, la montée et la redescente 18€. Nous sommes cinq à opter pour le téléphérique et nous prenons un pot au bar-restaurant du départ. Un moment, les nuages montent et il pleut un peu, mais cela ne dure pas. Ceux qui descendent n’ont rien pris.

Dans le couloir du téléphérique, le sol est jonché de chapeaux et casquettes imprudemment gardées sur la tête alors qu’il y a toujours du vent. Quelques canettes et bouteilles aussi. Les gens qui montent présentent toutes les attitudes : désinvoltes au point de se retourner (ce qui fait tanguer la cabine), agrippés des deux mains aux barreaux, assis dans le fond plus grillagé, embrassés sans rien voir, serrant dans ses bras un enfant… Le téléphérique a son point d’arrivée près du village de Marciana.

La route de liaison passe sous le village de Marciana, étagé en hauteur. Seuls les cafés et glaciers se trouvent à proximité, l’intérieur du village est vide malgré sa forteresse, son musée, ses églises. Nous n’avons que trois-quarts d’heure avant le bus prévu à 16h07 et nous parcourons quelques rues ; malheureusement elles montent et nous renonçons vite, la journée a été assez rude comme cela. Nous visitons l’église Santa Croce au plafond peint à fresques avant d’aller prendre un granité citron (2 € le verre moyen) en attendant les autres.

Ils ne tardent pas à arriver et nous occupons à nous quatorze la moitié du bus. Il met 45 mn pour rejoindre Pomonte par la côte. Le ciel est gris, la plage quasi vide et il fait lourd. Le bus nous ramène vers 17h20 et nous pouvons jeter un œil dans l’église de Pomonte qui est ouverte. Un vitrail moderne derrière le chœur est de bel effet au soleil couchant.

Dans la cour familiale de notre chambre d’hôte, trois enfants jouent à Batman avec les déguisements de rigueur. Il y a Giacomo, le fils de la maison, 8 ans, sa petite sœur Rita déguisée en princesse, 6 ans, et un copain, William, 9 ans. Il s’agit du petit blond costaud que j’ai vu hier à la plage plonger du rocher. Je l’ai reconnu à ses cheveux très blonds, à ses yeux bleu clair, mais surtout à sa médaille de cou, un soleil en ronde bosse d’acier poli. Une fille dans les 11 ou 12 ans, Paola, vient aussi jouer un moment, mais ne s’attarde pas. Ils sont bruyants et pleins de vie, je n’ai pas envie de lire et je les écoute, allongé sur mon lit après la douche. Ils articulent bien l’italien – du pur toscan – même si je ne comprends pas tout. William a la voix rauque ; il paraît un petit dur sans cesse à s’exercer, bon copain plein d’initiative et sans peur.

Nous nous donnons rendez-vous pour l’apéritif au café en face d’hier, afin de ne pas faire de jaloux parmi les commerçants, dit Denis. Les boissons sont les mêmes mais le service est moins bon et les antipasti plus réduits ; les patrons sont anciens. L’ado solaire d’hier soir repasse depuis la plage, toujours torse nu mais les cheveux plaqués par le bain. Peu de monde revient comme lui de la mer. Il enfile une ruelle sur le côté d’une boutique juste après l’église.

Le restaurant de l’hôtel est le même qu’hier, avec Simone en patronne à petite robe noire, que nous avons vue en maillot de bain cet après-midi avec les enfants. Spaghettis aux fruits de mer, pavé de poisson et des fruits, le tout accompagné d’un vin blanc toscan de l’année. Le poisson serait du tchernia, « qui ressemble à du saint-pierre ? » dis-je à Denis (à cause de l’animateur de télé). Les convives du restaurant d’hier et d’avant-hier logent à l’hôtel et nous les revoyons souvent. J’ai remarqué un ado carré et sa sœur, dans les 13 et 11 ans, émouvants à observer. Lui responsable, elle discrète, tous deux jouant un jeu social face à leurs deux parents.

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Vallée d’Artcha Maidan et gorges de la Sarimat au Tadjikistan

Notre nuit est chaude, dans le calme étonnant de la maison de terre. Ni les ânes, dont le braiment hystérique est vraiment laid, ni le chant matinal des coqs déplumés aperçus hier ne nous troublent. Le jour, par la fenêtre, nous réveille vers 6 h. Cela paraît tôt, mais nous nous sommes couchés dès la nuit tombée, avant 20 h. Les malades semblent aller mieux, altitude, fatigue et parasites cédant progressivement la place.

La bouillie d’avoine, servie ce matin pour caler les estomacs, rencontre un certain succès mais pas le saucisson, de porc cette fois, pour la minorité non-musulmane et essentiellement russe du pays. Rios nous dit « qu’en hiver » même les musulmans du pays se laissent tenter par la viande de porc puisqu’il n’y a rien d’autre d’assez gras à manger pour résister aux basses températures.

Lorsque nous quittons la ferme, c’est pour rejoindre la piste d’hier et la prolonger. Il fait plus frais au matin et c’est moins désagréable. Lorsque nous marchons au soleil il est très vite accablant, mais de larges plages d’ombre dues aux falaises nous ménagent des instants glacés. Nous longeons le même torrent, sur les bords duquel poussent des eucalyptus. Ils donnent de l’ombre pour les pauses.

Lors de l’une d’elles, nous rencontrons une famille russe de Saint-Pétersbourg. Leur origine est reconnaissable et je la donne à Lufti avant qu’il ne parle avec eux. Comment en juger ? Eh bien par ce chic décontracté de citadin cultivé, un rien branché à l’américaine, par lequel un Pétersbourgeois veut se distinguer des moujiks et surtout des administratifs Moscovites. Lufti en est soufflé. Outre le guide tadjik aux cheveux longs, les Russes sont quatre. Un jeune homme d’environ 18 ans est le plus flamboyant avec sa chemise blanche ouverte sur la gorge, son teint rose, ses lunettes noires et son foulard noué sur la tête en pirate. Elancé et musclé, il porte un gros sac à dos avec les affaires de sa mère (qui ne porte rien). Le garçon est le portrait du père en plus fin, avec encore cette grâce de poulain qui n’a pas fini de croître. Il est manifestement la fierté des parents, de sa mère qui lui pose la main sur le bras, du père qui le couve du regard. Sa sœur, plus effacée, semble un peu plus âgée.

La piste reprise, en sens inverse des Russes, les ânes ne tardent pas à nous rattraper et nous pausons pour les laisser passer. Une petite brise tiède sèche la transpiration dès que l’on s’arrête. Sur la basse continue du torrent s’élèvent des cris aigus d’oiseaux, rares parce qu’il y a trop peu d’arbres. Parfois poussent quelques têtes de coquelicot d’un rouge vif. Nous croisons quelques gamins montés sur des ânes et des adultes qui se rendent aux villages voisins.

Des bergeries de pierres sèches, aux toits en claie de bois recouvertes de terre, sont installées le long de la piste à un endroit.

Nous suivons la rivière, donc sa vallée appelée Artcha Maidan. Lors d’une pause, à la fin, je veux remplir ma gourde déjà vide de la chaleur du matin. Le groupe s’éloigne sur le sentier. Mais je glisse sur le rocher mouillé et me voilà à prendre un bain glacé dans le torrent à remous. L’eau est peu profonde et je me redresse bien vite, mais je suis trempé. Le soleil est tel que c’en est presque un bonheur. Je ne tarde pas à sécher, seul le slip restera mouillé plusieurs heures. Je comprends pourquoi les soldats dans la jungle n’en portent jamais : l’humidité qu’il garde, dans les plis serrés sur la peau, engendre irritations et mycoses.

Une heure plus tard, sous un gros bouquet de saules, au bord du torrent, nous nous arrêtons pour le pique-nique. Lufti veut rafraîchir la bouteille de Fanta, mais l’impétuosité de l’eau finit par l’emporter sans qu’il s’en aperçoive. La boisson fera peut-être le bonheur d’un gamin en aval ? Riz, salade de tomate-concombre-oignon, fromage fondu en rouleau, saucisson de porc et conserves de poissons font notre ordinaire.

Sieste sous le saule aux feuilles vert-doré. Certaines sont trouées par quelque insecte et le soleil joue dans leur dentelle. La brise qui monte dans la vallée les agite doucement, fracassant la lumière comme dans un kaléidoscope. La chaleur est intense par intermittence, lorsque l’astre réussit à percer le feuillage.

Nous poursuivons la vallée par les gorges qui se resserrent autour du torrent, les gorges Sarimat. Puis nous bifurquons brutalement à la perpendiculaire pour attaquer directement la montée. Notre déshydratation est telle que nous avons du mal à grimper les dernières pentes – les plus dures selon le topo d’hier. De petites pommes acides nous rafraîchissent un peu dans le premier tiers, mais nos pauses nécessaires se font chaque fois plus longues. Cela fait déjà onze heures que nous marchons depuis ce matin, avec deux pauses d’une heure à une heure et demie. Le circuit, tel que décrit dans la brochure, est trompeur. Il accumule les temps de marche (que les soviétiques comptent hors de toute pause, au contraire de nous !), les dénivelées (nous partons de 1700 pour arriver à 3000, soit 1300 m dans la seule après-midi), et l’altitude (aucune adaptation, direct à plus de 3000 m le premier jour…).

Nous montons donc ces dernières heures à pas lents, dans la chaleur, vers les bergeries d’altitudes situées sous le col. J’ai descendu trois gourdes d’un litre aujourd’hui, en plus du litre habituel de thé ou café du petit-déjeuner ! Avec la soupe et les boissons du soir, cela fera largement 5 litres.

Des enfants en brochette nous accueillent, en contrebas des bergeries. Ils sont au courant de notre venue, plusieurs treks par an passent rituellement ici. Lufti les connaît bien à force de passages. Les enfants adorent cet événement dans leur existence toujours pareille. Ils vivent rythmés par les saisons : d’avril à octobre en altitude à garder les troupeaux ; le reste du temps en bas, au village.

Nous ne voyons que les plus petits, jusque vers l’âge de dix ans. Les autres sont à l’école ou au travail avec les adultes.

Parvenus aux bergeries, après une forte pente, nous sommes invités à entrer dans une cabane. Elle est tout en longueur, éclairée seulement par la porte. Les pierres sèches laissent filtrer quelques rais de lumière et passer des filets de vent, parfois. Le feu de bois fume, allumé près de la porte. Des tapis usés et terreux sont installés au sol, mais l’altitude semble-t-il les immunise de parasites. Le toit est bas, plat, fait de troncs d’arbres posés sur les murs et étanchéifiés tant bien que mal au torchis. Assis en tailleur tout autour du tapis central, nous buvons le thé rituel (j’en descends six tasses !), mangeons le yaourt de brebis, des abricots et des pommes fraîches du coin. Des bonbons brillants et du sucre candi, achetés en magasin, donnent à l’accueil traditionnel un éclat moderniste. Ils montrent que l’URSS a posé son empreinte. Les petites filles, prenant très au sérieux leur rôle de futures maîtresses de maison, sont aux petits soins pour nous, surtout pour les garçons.

Il nous reste encore une quarantaine de minutes de montée raide après cet intermède de repos. Le camp est installé sur un pâturage à peu près plat, au milieu des bouses, sous le col Tavassang à 3300 m, que nous passerons demain.

Je m’empresse de monter la tente, avec Bénédicte, afin de pouvoir me poser à plat sur le dos, sans plus rien à grimper, et écrire quelques pages reposantes. Le vent thermique qui coule du col nous glace et, dès qu’elle est montée, nous sommes bien sous la tente.

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