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48 heures de Walter Hill

Duo de choc entre Nick Nolte et Eddie Murphy. Ce film a initié la mode des buddy movies, très yankee, et surtout très commercial. Il est sensé amuser pour faire du fric. Beau succès aux États-Unis, sans doute parce que le mot « fuck » est prononcé 48 fois, moins en France. Il faut dire qu’on est dans le macho et le vulgaire, les filles ne sont que des formes langoureuses et des chattes à remplir, les truands des salauds à trucider à grand coups de bastos avant qu’ils ne le fassent, et les bagnoles des jouets à brutaliser en faisant tanguer la péniche et crisser les pneus. Je n’ai pas ri une seule fois.

La scène commence hors d’un pénitencier où les condamnés à plusieurs centaines d’années de prison (la vanité américaine) raclent une ancienne voie de chemin de fer. Arrive un pick-up Ford antédiluvien qui dérape sur le chemin. En sort un Indien musclé qui quémande de l’eau. Un forçat le provoque et ils se bagarrent, le temps de détourner l’attention du garde à fusil et de le descendre, avec un autre en prime. Fuite du malfrat avec l’Indien, complice. Ce sont Albert Ganz (James Remar) et Billy Bear (Sonny Landham). Ils sont logés par la police et deux inspecteurs pensent les serrer avec une pute, mais Ganz en débardeur de laine (!) la prend comme bouclier, à poil, pour descendre les deux inspecteurs trop confiants dans leur supériorité numérique. L’inspecteur de police du San Francisco Police Department Jack Cates (Nick Nolte), un solitaire mal aimé des autres, assiste au désastre sans guère intervenir : bien fait pour eux.

Il est donc chargé par son chef noir de retrouver les deux en fuite. Lesquels vont vouloir récupérer le magot d’un casse, caché par un complice noir, Reggie Hammond (Eddie Murphy), lui-même en tôle. Cherchez le complice et vous aurez les tueurs, ainsi raisonne Cates. Pour cela, rien de plus simple (à la portée d’un cerveau de plouc yankee) : faire de Reggie un collabo – avec pour carotte une permission de sortie de 48 heures. D’où le titre, pas futé, du film.

Dès lors l’action s’enclenche, Reggie connaît le bar favori, un texan où seuls les Blancs sont admis ; il obtient, en jouant le flic trumpien avec la plaque de Jack, l’adresse de la pute favorite dans Chinatown ; laquelle a fait fuiter le mâle juste avant que les flics ne débarquent. Lui Reggie ne pense qu’à s’en faire une de pute, car il n’a pas baisé depuis trois ans (rires gras). Bref, multiples crissements de pneus plus tard, poursuite dans le métro, filature de l’intermédiaire Kelly (David Patrick Kelly) dont la copine a été prise en otage par les deux tueurs (une habitude), poursuite en bagnole d’un bus pris par les malfrats, fusillade… Deux balles dans le buffet pour l’un (un bon Indien est un Indien mort), une autre en pleine tronche pour l’autre (irrécupérable), et tout est réglé.

Flics vengés, justice faite, fric récupéré, Reggie remis en tôle pour la fin de sa (courte) peine. Jack est content, le yankee moyen aussi, le spectateur d’aujourd’hui moins – sauf les Russes, les trumpistes et les zemmouriens. Les temps ont changé et la grosse ironie vulgaire des années post-Nixon ne passe plus autant chez les gens sensés. A voir pour le décalage, beaucoup d’action et de bagarres macho, mais à part ça, une psychologie ras le front de gros lourd.

Grand prix au Festival du film policier de Cognac 1983

Meilleur film au Prix Edgar-Allan-Poe 1983

DVD 48 heures (48 Hrs.), Walter Hill, 1982, avec Nick Nolte, Eddie Murphy, Annette O’Toole, Frank McRae, James Remar,‎ Paramount Pictures France 2000, anglais doublé français, italien, espagnol, 1h36, €5,79, Blu-ray €14,99

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Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone

Un western « spaghetti » des années 60 qui expose trois solitaires sans aucune morale. Alors qu’autour d’eux se joue une guerre de civilisation entre « esclavagistes » du sud et industriels Yankees du nord, ils ne poursuivent qu’un seul but : le fric. Il s’agit de retrouver un magot de 200 000 $ caché dans une tombe d’un cimetière situé quelque part. Un malfrat a piqué la somme à ses complices, avant de fuir. Il s’agit de le retrouver. Il a changé de nom ? Il s’agit de faire parler qui le sait – et de descendre les témoins.

Tuco Benedicto Pacifico Juan Maria Ramirez, le Truand (Eli Wallach), est un criminel. Blondin le Bon (Clint Eastwood, 35 ans à l’époque) le délivre des chasseurs de prime et noue un contrat avec lui. Il va livrer Tuco aux autorités, encaisser la prime et couper d’une balle de fusil la corde qui le pend pour qu’il puisse s’enfuir. De quoi se partager les dollars et recommencer ailleurs. La belle vie – qui dépend quand même de l’adresse de Blondin. Par ailleurs, la Brute Sentenza (Lee Van Cleef), tueur sans remords, a été payé comme mercenaire par Baker (Livio Lorenzon) soldat confédéré qui a piqué l’or avec Stevens et Carson. Il paye Sentenza 500 $ pour savoir où est son complice parti avec le magot. Il devra l’assassiner. Sentenza apprend de Stevens que le dernier se fait appeler désormais Bill Carson. Il tue Stevens pour honorer son contrat – ainsi qu’un de ses fils qui a surgi avec une arme. Mais Stevens vient de le payer 1000 $ pour tuer Stevens, ce qu’il fera sans état d’âme : « j’honore toujours mes contrats ». Il va ensuite traquer le Bill, dans son régiment en fuite devant les Yankees.

Lassé, Blondin rompt son contrat avec Tuco, garde la dernière prime sans partager et l’abandonne dans le désert. Quelques 120 km avant le premier village. Mais Tuco est un dur et s’en sort. Il se refait une arme avec plusieurs revolvers de l’armurerie bancale du vieux du coin, pique un chapeau, et part sans payer. Il traque Blondin pour se venger. Alors qu’il va réussir, Blondin déjà la corde autour du cou dans une chambre d’hôtel où il l’a surpris par la fenêtre après qu’il ait massacré de trois balles les trois complices recrutés par Tuco pour faire diversion, une canonnade yankee fait s’écrouler la façade – et Tuco se retrouve un étage plus bas, dans les décombres. Blondin en profite pour filer. Tuco va cependant le retrouver et inverser les rôles : c’est Blondin qui doit marcher dans le désert, sans chapeau et sans eau, en suivant le cheval où Tuco se pavane, gourde bien remplie et parasol rose de pute pour le protéger du soleil.

C’est presque la fin pour Blondin, ravagé par la soif et brûlé par les rayons, lorsqu’un véhicule confédéré tiré par six chevaux surgit sur la piste. Tuco l’arrête et trouve des Confédérés morts, sauf un caporal qui s’appelle Bill Carson. Il révèle l’emplacement du magot, le nom du village, le lieu du cimetière, mais réclame de l’eau avant de donner le nom sur la tombe. Tuco part chercher sa gourde mais, le temps qu’il revienne, Carson est mort. Blondin, qui avait rampé jusque là, a recueilli le nom de la bouche du mourant. Info ou intox ? Tuco le con le croit, et Blondin lui devient alors un ami précieux qu’il faut sauver pour qu’il se rétablisse. Bien joué ! Il conduit le déshydraté vers une mission franciscaine où son frère Pablo (Luigi Pistilli) est père supérieur. Blondin est soigné, Tuco sermonné. Il a toujours été fils de pute, et a abandonné sa mère qui est morte sans le revoir.

Reprenant le véhicule, et déguisés en soldats confédérés, ils croisent une troupe qui s’avance. De loin, les uniformes sont gris et le con Tuco hurle alors « vive la Confédération ! ». Dommage… ce n’tait que la poussière du chemin sur des uniformes bleus de Yankees. Les voilà prisonniers en camp – où Sentenza joue le sergent. Il escroque les prisonniers et fait vendre leurs effets par ses complices, dont le caporal Wallace (Mario Brega), gros tas sadique qui adore tabasser les prisonniers sudistes récalcitrants, tandis qu’un orchestre imposé joue de la musique pour masquer les cris. Tuco se fait mettre une raclée par le gros Wallace pour qu’il avoue le nom de la tombe au magot dans le cimetière, mais c’est Blondin qui le sait, pas lui. Sentenza change alors de tactique. Blondin ne parlera pas, autant feindre de s’allier avec lui pour aller chercher l’argent. Non sans recruter six hommes de main dans le régiment pour contrer Blondin. Tuco, lui, est emmené par Wallace en train pour être fusillé plus loin. Il ne tarde pas à tomber volontairement du convoi sous prétexte de pisser, entraînant le gros Wallace qui s’assomme sur une pierre et que Tuco achève sans remord. Sauf qu’il reste menotté à lui et qu’il doit trouver comment couper la chaîne. Un autre train fera l’affaire, les roues vont la couper.

Blondin se méfie de Sentenza et de sa bande. Il descend le premier un petit matin en feignant d’être surpris par sa survenue subreptice ; il descend le second dans un village dévasté parce qu’il le suit sur ordres de Sentenza et que le moment est propice. Tuco, parvenu au même endroit, prend un bain moussant dans un claque et descend un troisième qui le braque, sans savoir que le revolver de Tuco est caché sous la mousse. Ce qui nous vaut une sentence bien frappée, comme souvent dans le film : « quand on doit tirer, on tire, on ne raconte pas sa vie ». Blondin reconnaît le son du revolver de Tuco et le rejoint pour s’associer contre Sentenza, qui garde encore quatre sbires. A deux, ils vont les descendre car ils tirent plus vite. Sentenza se terre.

Les voilà partis pour le village, que seul Tuco connaît. Ils suivent la carte et doivent traverser un pont. Ce sont encore les soldats qui les en empêchent, les Yankees de leur côté qui les font prisonniers, les Confédérés sur l’autre rive. On se canonne, on s’étripe rituellement chaque jour, on ramasse ses blessés. Tout ça pour rien, pour un pont que chacun veut garder intact comme « point stratégique ». Le capitaine yankee en a marre de cette guerre absurde et de ce pont qui tue. Son rêve, il le dit aux deux lascars, serait de le faire sauter et qu’on n’en parle plus. Mais il a des ordres. Tuco a clamé qu’ils étaient là parce qu’ils voulaient s’engager. Le capitaine les prend sous son aile pour leur montrer que c’est idiot. Lors d’une attaque traditionnelle à mi-journée, Tuco et Blondin avisent des explosifs dans une caisse. Ils profitent de la trêve destinée à ramasser les blessés pour mettre la caisse sur une civière et aller piéger le pont. Le capitaine est blessé, mourant, mais veut survivre jusqu’à entendre l’explosion du pont. Il est vite soulagé.

Une fois le pont ruiné, les troupes vont s’amuser ailleurs et les deux compères peuvent traverser à gué sans problème. Ils trouvent le village, l’église détruite, et le cimetière. Blondin, humain, assiste aux derniers instants d’un jeune Confédéré en lui faisant fumer l’un de ses cigares, dont il semble avoir une provision sans jamais se réapprovisionner ; pendant ce temps, Tuco l’avide enfourche le cheval et galope pour être le premier. Blondin, avisant un canon, y applique le bout incandescent de son cigare et tire. Tuco tombe. Il court à pied jusqu’au cimetière. Mais, avec la guerre, il est devenu immense et Tuco le con erre en courant entre les tombes, ayant le tournis (ainsi que le spectateur à cause de la caméra). C’est qu’en piégeant le pont, menacés de sauter avec lui en cas de fausse manœuvre, chacun a livré à l’autre sa bribe d’information sur le magot : le cimetière s’appelle Sad Hill (la colline de la tristesse) et sur la tombe est marqué Arch Stenton. Blondin avait donc dit vrai, il n’a pas menti pour que Tuco le sauve de la soif.

Tuco trouve enfin la tombe d’Arch Stenton. Il creuse avec une planche de cercueil mais Blondin, qui l’a rejoint tranquillement, lui jette une pelle et énonce une nouvelle sentence définitive : « il y a deux sortes de gens : ceux qui ont un revolver et ceux qui creusent. Tu creuses » Une seconde après, une nouvelle pelle est jetée. C’est Sentenza qui les a suivis. Sauf que le magot n’est pas dans la tombe, le cercueil ne recèle qu’un squelette ancien. Blondin n’a pas tout dit mais sait où il est. ll va s’écarter d’eux, inscrire le nom sur une pierre, et que le meilleur tireur gagne. Longs moments de caméra sur les visages, les mains, l’attente. Avec une musique lancinante. Pas difficile : Blondin est le meilleur. Il abat Sentenza, tandis que Tuco cherche frénétiquement à tirer mais son revolver est vide. Blondin en a ôté les balles pendant qu’il dormait. Il le fait donc creuser là où il faut et Tuco sort six sacs de pièces d’or très lourds. Blondin reprend alors le contrat initial : part à deux.

Mais il fait monter Tuco sur une croix branlante et se passer la corde autour du cou, mains attachées dans le dos : les dollars, ça se mérite. Il s’éloigne à cheval, laissant le complice méditer sur sa fin dernière. A distance, misant sur son habileté mais aussi sur la chance (une sur deux), il tire pour couper la corde. Dieu le veut, il réussit. Tuco a sa part, lui la sienne (mais pas de cheval pour la porter), stridulations de coyote de la musique de Morricone, fin de l’épisode – qui a duré près de trois heures.

On ne s’est pas ennuyé. A chaque scène qui tourne mal, un retournement de situation intervient, souvent comique. L’action rebondit, toujours dans le même sens : le magot, le seul sens de la vie pour un Yankee d’origine. Il aurait pu n’y avoir qu’un seul gagnant, le plus habile, le plus intelligent, le plus complet. Mais il y en a deux, l’autre est un pauvre gars qui mérite aussi de vivre.

Celui qui se dit le Bon est anarchiste et perso, un sans nom comme la tombe du magot, fils de pute comme les deux autres, en plus humain ; le Truand est un bâtard à l’humanité blessée ; il n’y a que la Brute qui soit un robot sans âme, un pro à l’américaine sans rien d’humain. Et pourtant, on aimerait y croire : le Bon serait l’Europe idéaliste, la Brute l’ordure Poutine, le Truand le foutu Tromp. Mais ce n’est pas si simple. De leur point de vue, chacun a partiellement raison ; leur tort est de se croire missionnés pour gagner seul, sans aucun égard pour les autres. Or nous voulons croire que la Force ne crée pas le Droit et que l’entraide est un bien mutuel… Toute l’Evolution d’Homo Sapiens. Le miracle de Sergio Leone est donc cet équilibre ; il ne prend position ni pour l’un, ni pour l’autre, mais les laisse vivre leur vie, s’affronter, et voir ce qu’il en reste.

DVD 2025 03 16 Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo), Sergio Leone, 1966, avec‎ Clint Eastwood, Eli Wallach, Lee Van Cleef, Aldo Giuffrè, Mario Brega, MGM 2006,doublé Allemand, Français, Anglais, 2h51, €10,00, Blu-ray MGM 2020, anglais, français, €14,50

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Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola

L’Italie populaire dans toute sa répugnante splendeur, loin de lidéalisme du peuple prolétaire sain des communistes ou des fascistes, vue par l’œil acéré et moqueur d’Ettore Scola. Une smala des Pouilles – qui évoque le mot pouilleux – s’entasse en bidonville à Rome, sur une huitième colline d’où l’on aperçoit le dôme de Saint-Pierre. Ils sont une vingtaine de tous âges à vivre sous le même toit de tôles et de cartons, mêlés dans la promiscuité des nuits moites, forniquant sur leurs grabats sans souci des gosses ni des autres. Une païennerie de sauvages très années post-soixante-huit, loin de Dieu, avec le rut en point d’orgue et le lento de la morale immémoriale et du pater familias omnipotent méditerranéen.

Giacinto (Nino Manfredi) est un dieu tonnant, borgne comme Polyphème, propriétaire d’un million (de lires) touchés par l’assurance pour avoir perdu un œil au travail. Il ne fait plus rien, se laisse vivre, maugréant cependant contre tous ces « parasites » d’enfants, petits-enfants, beaux-fils, brus et conjointes qui ne cessent de copuler et d’en faire d’autres, des bouches à nourrir et des culs à vêtir. Tous sont mal foutus, même le chien n’a que trois pattes. Un fils a perdu une jambe, un autre est cocu, Fernando est à la fois pédé et travelo (Franco Merli, qui a joué dans les films de Pasolini Salô ou les 120 journées de Sodome) – ce qui ne l’empêche pas de sauter sa belle-sœur par derrière car, lorsqu’elle se lave les cheveux, non seulement elle ne sait pas qui c’est mais elle ressemble à un garçon. Giacinto, qui le voit gobe un œuf – symbole de la fécondation à venir… Une fille couche, une autre fait le tapin, une dernière travaille comme aide-soignante chez les bonnes sœurs, une de 14 ans « fait des ménages » (n’ayant encore « rien à montrer ») – mais elle sera en cloque à la fin. De qui ? Quelle importance – « c’est toujours la famille » ! Quant à la mémé (Giovanni Rovini), elle touche une pension et tous les gars vont avec elle à la Poste pour se la partager ; elle n’a droit qu’à une sucette, comme les gosses les plus grands, et regarder la télé.

Au matin, la fille adolescente de 14 ans sort en bottes jaunes avec une série de seaux à remplir à la fontaine. Les garçons entre 16 et 20 ans sortent leurs scooters et motos et font un rodéo dans le bidonville, soulevant la poussière et envoyant à la gueule de chacun leurs gaz d’échappement. Ils partent « en ville » effectuer des vols à la tire, de petits larcins, tandis que l’unijambiste mendie et planque sous lui les sacs à main volés à l’arrachée aux touristes naïves. Les vieux se placent en rang sur un muret comme des corbeaux de mauvais augure et fument, en silence, regardant leur monde qui fuit. L’adolescente rameute tous les gosses jusqu’à 12 ans pour aller les encager au cadenas dans un enclos où ils ne pourront se perdre ni faire de bêtises. Cela jusqu’au soir où ils seront délivrés, jouant entre temps à des riens, du bébé sachant à peine marcher au préadolescent qui grimpe par-dessus les grillages. Lui, la culotte lourdement effrangée et le tee-shirt troué, n’hésite pas à aller aux chiottes tanner son grand-père pour obtenir mille lires pour le litron de vin qu’il doit aller acheter. Lorsqu’il « fait ses devoirs » devant sa mère qui émince des légumes et sa mémé plantée devant le petit écran à regarder des jeux idiots, c’est pour regarder sans vergogne des revues porno que la voisine, très fière de sa fille bien foutue (dans tous les sens du mot) qui pose nue dans les magazines et se fait payer pour cela. Une pute ? « Non, elle travaille ! »

C’est truculent avec quelques clins d’œil à Fellini pour la pute aux gros seins et à Ferrari pour la grande bouffe. Car le vieux qui ronchonne sans cesse, rabroue chacun en le traitant de fainéant et de cocu (et lui alors ?), couche avec son fusil chargé, tabasse sa grosse et tire sur un fils à le blesser. C’est un boulet. Ne va-t-il pas jusqu’à ramener une grosse pute à la maison (Maria Luisa Pantelant) et à la faire coucher dans le lit matrimonial (taille large) avec lui et sa propre femme Mathilde (Linda Mortifère) ? Les fils adultes en profitent et, lorsqu’il a le dos tourné quelques instants, s’activent sur la pute en cadence. Mais la mama en a marre ; elle veut le faire disparaître et l’expose à la famille dont les enfants ont été emmenés dehors, en coupant du poumon de bœuf sanguinolent. Rien de tel, après le baptême à l’église d’un énième dont Giacinto est le parrain, que la mort aux rats versée à poignée dans un plat succulent des spaghetti à la tomate et aux aubergines grillées, un délice. Giacinto s’empiffre sous le regard attentif des autres, mais il est inoxydable, les pauvres sont impayables et increvables. Et la chimie au rabais pas très efficace contre les rats. Il s’en sort après quelques vertiges et vomissements. Il décide alors de faire cramer toute la volière hostile et arrose d’essence la baraque avant d’y foutre le feu. Mais tous s’en sortent, y compris mémé en chaise roulante. Tous rebâtissent et refont le plein de matelas. La pute reste.

Et le vieux ne trouve rien de mieux pour les faire chier que de vendre son baraquement « avec le terrain y attenant » à une famille immigrée du sud en quête d’un logement pas cher. Sauf que rien ne se passe comme prévu, la matrone refuse et fait disparaître « l’acte de vente sous seing privé » – réputé dès lors n’avoir jamais existé – tandis que Giacinto surgit dans une vieille Cadillac qui peine à monter les côtes, achetée avec le produit de cette vente. Sans savoir conduire ni se conduire, il fonce dans le tas et le gourbi s’écroule presque. Tous le retapent et l’agrandissent ; ils vivront désormais à deux familles, à tu et à toi sous le même toit…

De la réalité cynique du bidonville réel de Monte Ciocci à Rome, avec vue sur le Vatican chrétien qui chante « heureux les pauvres car ils verront Dieu » en se vautrant dans le lucre et (on le découvrira plus tard) le stupre, Ettore Scola en néo-réaliste fait une farce radicale. Le confort petit-bourgeois agité par la société de consommation des années soixante et soixante-dix corrompt les prolétaires qui ne peuvent y accéder. Il les corrompt. Leur obsession du fric les fait voler, tromper, se prostituer. Le moindre argent devient un magot soigneusement planqué en avare pour éviter les convoitises. Le tous contre tous n’est contrebalancé que par le souci de bâfrer et de ronfler (après la baise), au chaud sous le même toit. On se hait à cause du système social mais on ne peut humainement vivre qu’ensemble. Un film d’une bouffonnerie noire très années 70.

DVD Affreux, sales et méchants (Frutti, sporchi e cattivi), Ettore Scola, 1976, avec Francesco Anniballi, Maria Bosco, Giselda Castrini, Alfredo D’Ippolito, Giancarlo Fanelli, Carlotta Films 2014, 1h51, €9,35, blu-ray €9,75

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