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La Guerre des Rose de Danny DeVito

Sous Reagan président, l’Amérique coule des jours en apparence heureux : liberté d’entreprendre et aisance matérielle, fierté retrouvée. Sauf que… la société ne reflète les individus que statistiquement, chacun en son intime n’est pas forcément heureux malgré l’argent gagné et le succès social. C’est ce qui arrive au couple Rose, Oliver (Michael Douglas) et Barbara (Kathleen Turner).

Un avocat (Danny DeVito) reçoit un client qui veut divorcer. Celui-ci ne prononcera pas un seul mot, se contentant d’être tout ouïe, potiche idéale pour conter une histoire (il partira d’ailleurs sans divorcer…). L’avocat lui raconte comment – après treize ans ! – il s’est remis à fumer. Ce fut le jour où Madame Rose est venue dans son bureau pour le harceler sexuellement, ayant en vue de lui faire fléchir son mari pour qu’il lui laisse la maison. Il n’y a pas que les hommes qui soient coupables…

Mais commençons par le commencement. Il était une fois deux étudiants un jour de pluie. Lui, Oliver, étudie le droit et compulse dans une vente de charité le catalogue des objets présentés ; elle, Barbara, entre par hasard, les seins nus pointant net sous sa robe mouillée de pluie. Elle repère Oliver et le suit lors des enchères en attendant de prendre le ferry. Il veut une sculpture ivoire et elle renchérit. Non pour avoir l’objet mais pour ferrer le mâle – voire le contrer. Car elle est gymnaste au Collège et ne supporte pas qu’un homme puisse s’imposer. Lui la rattrape et l’embrasse avant le ferry – qu’elle ne prendra jamais car l’aventure se termine par une partie furieuse et conjointement désirée de jambes en l’air.

Mariage, deux gosses, sapin de Noël. Quatre ans plus tard, le couple n’a pas beaucoup d’argent mais émerge. Barbara offre à Oliver, qui seul travaille, une voiture : celle dont il rêve, une Morgan. Puis aux enfants qui ont 3 et 4 ans, des sucreries – au prétexte qu’assouvir les désirs sucrés empêche de devenir obèse. Sans transition, sept ans plus tard, les deux gosses sont gros et Barbara ne rêve plus que d’entreprendre autre chose de mieux réussi : installer une maison. Elle trouve une vieille bâtisse dont la propriétaire vient de passer l’arme à gauche et convainc Oliver de l’acheter en travaillant encore plus et en empruntant à la banque. Elle va passer des années à l’aménager elle-même, à la garnir de meubles, à la parer de tissus, à disposer des bibelots.

Les enfants désormais sont grands, ils partent au collège, la maison est parfaite – Barbara s’ennuie. American way of life, au secours ! Que faire quand on n’a plus rien à faire ? Que jouir de ce que l’on a mais sans le temps de le faire ? Car Oliver, qui a bâti sa réputation dans un cabinet d’avocats, travaille beaucoup et doit répondre à ses clients jour et nuit. Barbara est frustrée, elle voudrait qu’il la considère, qu’il s’intéresse de nouveau à elle. Mais elle a pris son indépendance depuis longtemps, pour les gosses, puis pour la maison. Les rôles ont divergé et Oliver saisit mal comment il devrait d’un coup en revenir aux premiers temps. Egoïste ? Oui mais par habitude, parce qu’elle a pris en main la maisonnée en le laissant tout seul gagner de l’argent (illustration parfaite du couple traditionnel). Et que l’argent n’est pas une rente mais un labeur de tous les instants pour séduire, entreprendre, réussir.

Le féminisme est-il soluble dans le couple ? Si Madame a ses tâches et Monsieur les siennes, tout va bien ; si Madame s’ennuie, alors les ennuis commencent. Barbara décide de vendre ses préparations culinaires dont la réputation commence à dépasser le cercle de ses amis. Elle fonde une société de restauration, demandant à Oliver de regarder le contrat – mais celui-ci tarde et oublie, ce sont les affaires de sa femme, elle peut se prendre en main puisqu’elle le veut. Mais ce n’est pas cela qu’elle veut au fond : elle voudrait qu’il s’intéresse à elle, à ce qu’elle entreprend. Il aime sa cuisine, notamment son pâté, mais ne supporte pas qu’elle raconte mal les anecdotes devant ses invités. Dans son monde professionnel il l’ignore, la rabaisse ; elle souffre de cette distance, de son rire qu’elle caricature.

D’où le divorce. Mais elle veut toute la maison en échange de l’abandon de sa pension alimentaire – car elle gagne toute seule bien sa vie. Gloire à l’ère Reagan : l’entreprise fait florès, chacun peut monnayer ses talents – sauf que chacun se retrouve forcément tout seul et que le couple selon la tradition et l’hymne à la famille qui va avec sont en contradiction avec l’entrepreneuriat concurrentiel. Oliver n’est pas d’accord : certes, elle a trouvé la bâtisse et tout aménagé, mais c’est avec l’argent qu’il a gagné lui que tout cela a pu être acheté. Le reconnaître, compenser, rendre à chacun son dû serait la moindre des choses.

Les gosses, désépaissis avec les années, sont à l’université et regardent navrés le naufrage, tout comme la bonne (Marianne Sägebrecht, pas encore baleine de Bagdad Café). Le fils (Sean Astin) est plus proche du père et la fille de la mère, tout comme celle-ci a son chat Kity (Tyley) et Oliver son chien (Benny). Kity passera sous les roues de la Morgan sans que le conducteur le fasse exprès, Benny passera à la moulinette de Barbara exprès. Un amoureux des chiens ne devrait jamais se mettre avec une amoureuse des chats.

Oliver reste épris de Barbara, mais celle-ci a cessé de l’aimer – si jamais elle l’a vraiment aimé, ce dont je doute, la première scène de rivalité pour la sculpture étant révélatrice de sa volonté de s’opposer, voire de dominer. Elle n’a aimé que le sexe, occasion d’exercer ses talents de gymnaste et, quand le sexe s’est refroidi, elle n’a pas aimé la vie commune.

L’avocat Gavin (Danny DeVito,) ami d’Oliver, raconte alors pince sans rire à son client muet candidat au divorce combien ce fut la guerre, la guerre des Rose, analogue à la guerre des Deux Roses dans l’Angleterre du XVe siècle entre York et Lancastre. Le territoire français une fois fermé aux barons anglais pour y faire conquêtes, la guerre civile des barons anglais entre eux était inévitable pour arriver, piétiner le voisin et monter plus haut que lui. Même chose pour les Rose : une fois les gosses partis et la maison aménagée, la guerre civile n’a pu que naître dans le couple.

Nous passons à la comédie dramatique : aucun ne veut faire de compromis, chacun veut garder la maison. Mais la femme plus que l’homme, qui n’y a mis que sa collection de porcelaines. Le bâtiment n’est d’ailleurs qu’un prétexte à savoir qui domine : lorsqu’Oliver, après moult péripéties drôlatiques que je vous laisse découvrir à loisir, propose à Barbara de lui laisser cette maison et tout ce qu’elle contient si elle lui déclare que la sculpture d’ivoire qu’elle a acquise en renchérissant plus que lui jadis est à lui – celle-ci refuse tout net. Signe que ce ne sont pas les biens matériels qu’elle guigne dans le divorce, mais bel et bien l’affirmation de son pouvoir. La scène où le gros 4×4 macho rouge de Madame (fort à la mode dans les années Reagan) chevauche la Morgan racée blanche de Monsieur en dit long sur le fantasme féministe de niquer le mâle. C’est aussi un peu l’Amérique contre l’Europe, les pionniers contre les traditions.

Tout se terminera… comme il se doit. Personne ne va gagner et, dans un ultime geste d’amour repenti que je vous laisse saisir, Oliver va prendre conscience que Barbara au fond ne l’a jamais aimé.

DVD La Guerre des Rose de Danny DeVito, 1989, avec Michael Douglas, Kathleen Turner, Danny DeVito, Marianne Sägebrecht, Sean Astin, €8.30, blu-ray €15.96

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