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Fin du débat et de la recherche…

Cette rentrée Covid à la française précipite les tendances à l’œuvre dans la société d’appauvrissement. Il n’y a plus de débat, il n’y a plus de recherche.

Le débat demande un effort et une culture, il bouscule l’hédonisme flemmard ambiant ; la recherche « prend la tête ». A quoi bon « penser » si les autres le font pour vous ou se réfèrent au Livre unique et éternel ? Mieux vaut être bête dans le nid bestial qu’intelligent humain dans la société. A quoi bon savoir si le savoir est aussi incertain, changeant et sans cesse contesté ? Les « experts » de santé sur le Covid ont montré qu’ils étaient aussi démunis que vous et moi, le bon sens souvent en moins ; comme des histrions de télé, ils ont péroré et affirmé tout et son contraire, pour se rétracter une semaine après.

Donc à quoi bon le débat démocratique ? A quoi bon la recherche du savoir ? Ce mois-ci disparaissent justement deux revues qui portent ces titres : Le Débat de Pierre Nora et Marcel Gauchet chez Gallimard et La Recherche au Seuil. Le Débat ne fait plus recette, bien que son compte d’exploitation ne soit pas dans le rouge ; il ne fait plus recette auprès des intellectuels, toujours aussi peu nombreux à lire la revue qu’il y a… quarante ans – bien que les effectifs universitaires aient triplé. Vous avez dit baisse de niveau ? Peut-être, puisque l’on donne l’accès à l’université à n’importe qui, via un « bac » octroyé à neuf lycéens sur dix qui se présentent. A quoi bon apprendre et travailler si le sésame vous est donné sans effort, par pure démagogie ? La Recherche fusionne avec Science & Avenir, revue de journalistes et non de chercheurs, abaissant le niveau. Ceux qui cherchent répugnent à diffuser leur savoir ; ils n’ont plus les mots pour ça, l’éducation « nationale » ne leur a pas appris. Ils deviennent aussi de plus en plus spécialistes, au détriment de la synthèse qui donne cohérence. Il y a probablement aussi, côté lecteurs, la baisse d’attrait du texte au profit de la vidéo et du « jeu ». Le temps disponible n’est pas infini et ce qui est pris par le ludique offert par le tout numérique mord sur le temps (et le goût) de lire. Quant à réfléchir, vous n’y pensez pas !

Pire, à mon avis : les sociétés, partout sur la planète, se referment sur leur petit nid communautaire – et ce n’est pas une future loi Macron qui va y changer quelque chose. A quoi bon débattre si c’est pour s’opposer à ses « frères » ? Au contraire, dans la fratrie, la tribu, le parti, le peuple, la race, l’unanimisme prévaut : qui n’est pas avec nous est contre nous. C’est ce qu’ont dit tous les totalitaires qui rêvaient de société fusionnelle, forgée comme une épée par le feu et le sang. Et cela vient de loin, de la vérité révélée, du bibliquement correct, de la ligne catholique (qui veut dire universel). Tout ce qui « n’est pas très catholique » est suspect, donc hérétique, donc condamnable. Sauf repentir public et conversion à « la vérité d’Evangile », l’impétrant sera rejeté hors du genre humain, donc brûlé ou noyé, en bûcher, en four ou en Seine selon saint Barthélémy, comme on dit à Paris.

Dès lors que le collectif l’emporte sur l’individuel (combat éternel des « socialistes ») et que « l’Etat » impose ses normes (édictées par quelques-uns selon leur bon plaisir, comme sous un régime qu’on appelle Ancien sans voir qu’il ressurgit) ; dès lors que la bande l’emporte sur la personne, que la foule précipite le lynchage de tous ceux qui osent dévier du plus petit commun dénominateur (la ménagère de moins de 50 ans) – alors à quoi bon penser, connaître, s’informer, apprendre, faire effort ? Les réseaux sociaux ou « le » Livre vous disent ce que vous devez penser et vous enjoignent « d’être d’accord » sous peine de honte sociale et de bannissement haineux. Le lynchage médiatique fait führer ! Les bons sentiments (dénoncer le viol, le harcèlement fait aux femmes, la pression sexuelle sur les mineurs sportifs des deux ou trois sexes, l’impunité des nantis au pouvoir) partent d’une louable intention – mais ils dérivent aussitôt, par tropisme de bande, aux excès, à l’exaltation malsaine, à la prise de pouvoir de qui « ne se sent plus », noyé dans la masse et son anonymat.

La « vérité » alors n’existe plus ; n’existent que des « vérités alternatives » (autrement dit des croyances), des fake news (faits déformés), du relativisme généralisé (« ça dépend du point de vue »). Est « vrai » ce que moi et ma bande pensons, tous les autres sont des salauds, des immondes – en bref des « nazis », cette catégorie mythifiée de l’antihumain d’aujourd’hui (comme si les Tutsi et les Pol potes après les staliniens étaient humainement plus méritants et plus généreux !).

Débattre ne sert plus qu’à voir se liguer contre soi tous les autres ; penser par soi-même et apprendre ne sont plus des moyens d’émancipation des déterminismes (biologiques, familiaux, sociaux, nationaux), mais des handicaps qui isolent du nid.

Exit donc Le Débat au profit de Twitter, et La Recherche au profit de la vulgarisation journalistique de Science & Avenir, un cran au-dessous. La France y perd, les Français deviennent plus pauvres intellectuellement, plus abrutis par le matraquage des réseaux yankees (avant les futurs réseaux chinois ou russes).

Je vois alors couler, comme Joseph Kessel sous l’Occupation, « vers les sables gluants ou les lagunes mortes tous les hommes qui ont la loi de la soumission », Romans et récits I-1, p.1558 Pléiade.

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Fidel meurt mais le castrisme survit

Fidel Castro est enfin mort. La biologie aide l’histoire et c’est heureux. Car, avec la politique enchantée du communisme et du fascisme, le XXe siècle a connu les pires horreurs humaines – au nom d’un avenir radieux. Reste aujourd’hui le salafisme et ses avatars totalitaires, et c’est bien la même forme de société fusionnelle où il n’est qu’un seul dieu, une seule voie, un seul parti.

Certes, Fidel Castro a renversé le régime corrompu de Batista qui avait fait de l’île de Cuba le bordel de l’Amérique, où les casinos et le jeu rivalisaient avec la prostitution et la drogue pour assouvir les riches yankees. Certes, il a établi la souveraineté de Cuba face à son puissant voisin, en dépit d’un embargo. Mais à quel prix ! Obligé de s’allier au diable soviétique pour obtenir du pétrole et vendre son sucre, menant le monde au bord de la guerre nucléaire par affirmation têtue qu’il lui faut des missiles balistiques, réduisant sa population à la misère socialiste durant des décennies… jusqu’aux magasins en dollars réservés à une élite fidèle et la prostitution des enfants endémique auprès des touristes pour acquérir ces fameux dollars de faveur. Que valent trois ou quatre bonnes années initiales contre plus d’un demi-siècle de pénurie et de répression ?

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Fidel est le bâtard d’un riche propriétaire terrien cubain dont le père, venu de Galice, était analphabète. Mais le garçon ne sera reconnu par son père qu’à l’âge de 17 ans. Cette honte des origines et l’éducation en collège catholique, mariste puis jésuite, ne prédisposaient pas le jeune Fidel à être heureux dans la société telle qu’elle était. D’abord nationaliste, puis révolté, il devient communiste par adhésion au « leader maximo » Staline, lui-même maillon du délire rationaliste de refaire le monde à partir d’une table rase.

Car les deux idéologies postchrétiennes nées au XVIIIe siècle en Europe ont accouché chacune de leurs monstres. L’idéologie des Lumières a glorifié la Raison, l’idéologie romantique a réagi en glorifiant le sang et le sol. Pour les Lumières, ce qui était au départ légitime envie de libération des liens obscurs de la naissance, du milieu et de la religion, ensuite légitime envie d’épanouissement via l’éducation et la participation à la vie politique, a dégénéré en diverses utopies totalitaires : Rousseau et sa Volonté générale, Robespierre et son Salut public, Lénine et son avant-garde éclairée, Staline et son régime policier, Mao et ses gardes rouges, Pol Pot et son sociocide de toutes les classes éclairées. Fidel Castro s’inscrit dans cette filiation avec ses 631 condamnations à mort dès les premiers mois de son pouvoir, l’exportation de « la révolution » en Amérique du sud et en Angola, et ses 8500 opposants encore emprisonnés en 2016.

Pour les idéologies des Lumières et du romantisme, les solutions sont les mêmes. La société aliène ? – détruisons de fond en comble les liens sociaux au profit du seul lien partisan et de l’allégeance à un chef. Les humains sont inégaux ? – faisons de la culture table rase et instruisons les gamins à la dure, d’une seule façon. La réalité résiste ? – nions la réalité et réprimons tous ceux qui pensent autrement que le pouvoir réputé infaillible. En ce sens, socialisme et fascisme, communisme et nazisme, ont beaucoup de points communs. Ce pourquoi nombre d’intellectuels, tentés par la grande lueur à l’est dans les années 30 après l’absurdité industrielle de la guerre de 14, ont erré du socialisme au fascisme et réciproquement – à commencer par Mussolini. Mais aussi Doriot, Drieu La Rochelle et même Mitterrand, décoré de la francisque par Pétain lui-même avant de s’accoquiner (on ne sait jamais) aux mouvements de résistance.

Ce que ce siècle nous a appris, est qu’il est fondamental de désenchanter la politique, de lui retirer son pouvoir de créer des mythes. Plus que jamais la raison critique doit être mise en œuvre – non pour dissoudre systématiquement tout dans l’ironie grinçante, mais pour relativiser, soupeser, mesurer. Castro est adulé comme l’était Staline et comme l’est encore Sarkozy. Malgré les erreurs, malgré les crimes, malgré le malheur. En ce sens, Mouammar Kadhafi, Saddam Hussein et Bachar el Assad devraient être aussi des héros anti-impérialistes, eux qui ont résisté au grand Satan américain… N’oublions pas que Castro accusait les États-Unis d’avoir eux-mêmes organisé les attentats du 11 septembre 2001.

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Nous allons assister, ces prochains jours, aux hommages des partisans de la répression sociale de tous les déviants, des adulateurs de l’économie autoritaire, des admirateurs de la dictature politique d’un seul. Les Maduro au Venezuela, Poutine en ex-URSS, Xi Jinping en Chine pop, Mélenchon en France insoumise, Lang en France rétro-socialiste, vont regretter « une perte pour l’humanité », une disparition de ce « modèle » qui a su durer depuis 1958 en asservissant les individus à son pouvoir personnel.

Car il faut être habile pour faire surgir le tempérament d’esclave qui existe en chacun par flemme, renoncement ou indifférence. S’aliéner au collectif est une démission de l’être, surtout lorsque le collectif est récupéré sans vergogne par des ego sans scrupules. Les maîtres, à l’inverse, sont indifférents à toute croyance, ils sourient à toute foi et à son inénarrable sérieux qui a l’illusion que le ver humain pourrait se faire dieu tout-puissant, comme s’il suffisait de dire pour tout refaire, comme s’il suffisait d’espérer pour entreprendre…

Ceux qui ne se veulent pas esclaves doivent méditer ce mot de Nietzsche dans Par-delà le Bien et le Mal : la religion ? « un moyen, pour les forts, de dominer ; pour les aristocrates de l’esprit, un moyen de se préserver du vacarme de l’action politique. Pour les moins forts, elle est une discipline, un guide pour dominer un jour, un ascétisme qui éduque. Pour le vulgaire, la religion les rend content de leur sort, ennoblit leur obéissance. » Que ce soit Jéhovah, Dieu, Allah, la race « biologique » ou le communisme « scientifique », toute religion est un opium du peuple et tout clerc de la secte un manipulateur. Fidel en était un – parmi les premiers. Son (mauvais) exemple n’empêchera pas son modèle de se reproduire, tant l’humanité est avide de croire et de suivre, plutôt que de constater par elle-même et d’agir. Castro est mort mais le castrisme a encore de beaux jours devant lui.

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