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Hubert Monteilhet, Les mantes religieuses

La mante religieuse est un insecte prédateur qui dévore tout ce qui passe à sa portée – y compris le mâle après copulation. Elle est dite religieuse de par la position de ses pattes avant, qui rappelle l’attitude de la prière. Un titre adéquat pour l’auteur, libertin qui donne ici son premier roman, dans le genre policier. Hubert Monteilhet, fils de magistrat, est décédé en 2019 à 90 ans et a écrit une soixantaine de romans policiers, historiques, d’essais, de littérature pour enfant. Malgré l’amoralisme affiché dans ses œuvres, il fut dit-on bon père et bon époux.

Il imagine les ravages de l’argent sur les femmes de son époque. Paul Canova, universitaire en Sorbonne, publie sur l’histoire romaine avec érudition. Marié, un fils, il souscrit avec l’héritage de sa grand-mère en Suisse deux assurances, une vie et une décès, pour des montants élevés. Son épouse meurt d’un cancer et il se remarie avec sa secrétaire, Vera, à qui il confie son fils durant son absence à Rome pour travaux universitaires. Curieusement, l’enfant décède de « fièvre » ; le médecin a des doutes, mais sans preuve évidente. Son épouse accuse la nouvelle assistante de vol, ce qui est faux, mais elle se suicide. Paul Canova est ainsi à merci : plus de fils, plus d’assistante.

Vera monte alors un complot avec un collègue de son mari, Christian Magny, plus jeune. Elle le persuade de lui présenter Béatrice, une de ses élèves, comme nouvelle assistante. Laquelle, poussée par Vera, devient la maîtresse de Paul. Vera pousse Christian à épouser Béatrice, devenue entre temps sa maîtresse. C’est un peu compliqué, mais le devient plus encore. Durant son voyage de noce, Béatrice soupçonne son mari de coucher avec Vera Canova et décide – nous sommes après-guerre dans l’essor de la technique – d’enregistrer à son insu ses conversations. Lors de l’une d’elles avec Madame Canova, Béatrice apprend qu’elle n’est qu’un rouage du complot qui aboutira à sa mort par balles, en même temps que celle de Paul Canova. Christian jouera en effet le mari bafoué surgissant chez lui en pleine intimité de sa femme avec son amant, ce qui lui permettra d’éliminer les obstacles. Madame Vera Canova pourra toucher les assurances vie et décès. Veuf, Christian pourra alors épouser la veuve Canova, après un délai décent, et profiter lui aussi des millions…

Béatrice se couvre par l’enregistrement ; elle en fait des copies, en dépose une avec son testament chez un notaire ; le fait savoir à son mari pour qu’il l’épargne, et à Madame Canova pour qu’elle la rétribue. Oie blanche jusque-là, elle découvre qu’un être peut être cynique et pervers, allant jusqu’à utiliser le crime pour parvenir à ses fins et assouvir son désir d’argent. Vera est en effet une Russe échappée à grand peine des griffes soviétiques ; elle a connu la pauvreté, les pénuries, et veut s’appropier la fortune bourgeoise sans aucun scrupule. Pour l’auteur, la simple description des mœurs doit éclairer le lecteur sur les faibles humains. Jouets de leurs propres passions, ils s’abîment dans leur folie au lieu d’user de leur raison. La vérité n’appartient à personne, mais la peinture est en soi une morale.

Paul Canova est tué, Christian est acquitté pour crime passionnel, mais Vera refuse de l’épouser, préférant le dédommager, d’autant que Béatrice refuse de divorcer – exprès. Révoltée par ce qu’elle a observé, elle va pousser à bout Christian et Vera pour, en cette vie, leur faire prendre conscience de leur crime et l’expier, sans attendre l’au-delà. Le mâle est miné, éliminé ; reste la femelle, la mante religieuse éhontée. Béatrice devra simuler sa propre mort de maladie pour que Vera, par crainte du testament révélateur de son crime, brûle ses billets acquis par l’assurance et apprenne… que finalement Béatrice lui a menti.

Le roman est composé comme les Liaisons dangereuses par lettres, rapports, journaux intimes, dépêches de presse. Cette mosaïque donne divers points de vue et évite à l’auteur de prendre parti. Il reste le démiurge, au-dessus des passions, le chroniqueur historien des faits. C’est un peu déconcertant pour le genre policier, mais s’apprécie sur la durée.

« L’amour paternel, la rigueur des contrats, la générosité des fiançailles, les espérances de la maternité, la valeur du sacrement, les joies du mariage, les privilèges de l’époux, la conscience de l’avocat, la majesté des tribunaux, la grandeur du remords, la crainte des fins dernières, le tragique de la pénitence, jusqu’aux affres de la maladie, tout a été foulé aux pieds, sataniquement, comme si le Malin avait voué quelques êtres à jeter un ridicule pathétique sur cette création dont il est privé » p.190. En effet, tout ça pour ça ! Certes, la morale est conventionnelle, mais elle est un garde-fou des passions destructrices. Être libertin, ce n’est pas dénier la morale commune, mais observer sans déni ni oeillères comment elle se pratique. La plupart portent un masque et affichent la vertu, tout en la transgressant ici ou là ; les pires nient la morale et entrent alors en territoire inconnu, où tout est permis.

Grand prix de littérature policière 1960

Hubert Monteilhet, Les mantes religieuses, 1960, Livre de poche 1971, 191 pages, €3,99, e-book Kindle €7,99

Hubert Monteilhet, Romans criminels, Omnibus 2008, 812 pages, €20,71

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Ann Rule, Si tu m’aimais vraiment

Ce thriller commence comme un roman policier. La nuit du 19 mars 1985, Linda, sixième épouse de David Brown, est assassinée de deux balles dans son lit. Son mari est absent, parti « faire un tour en voiture » et sa fille Cinnamon, 14 ans, est sortie dans le jardin ; elle ne se sentait pas très bien. Sa belle-sœur de 17 ans, Patti, s’occupe du bébé de Linda et David, Krystal. C’est le mari qui appelle la police mais, chose curieuse, il n’est pas entré dans la chambre de sa femme ; il ne sait pas si elle est morte.

Ecrit comme un rapport de police, le livre est en quatre parties : le crime, l’enquête, l’arrestation, le procès. Ce ton objectif et neutre, axé sur « les faits » précis, minutieux, maniaques, bien dans la mentalité américaine, ne fait pas du livre un roman mais plutôt un compte-rendu de chercheur ou de journaliste d’investigation.

Mais c’est que tout est vrai… Ann Rule, décédée en 2015 à 83 ans, outre ses cinq enfants a été inspecteur dans les forces de l’ordre de Seattle et a collaboré avec le FBI dans l’analyse des tueurs en série – dont le fameux Ted Bundy qu’elle a rencontré sur la Crisis Clinic Hotline de Seattle, sur lequel elle a fait un livre. Le personnage principal du livre chroniqué ici, David Arnold Brown, a réellement existé. Il est décédé en prison en 2014 à 61 ans.

Il a persuadé sa fille de tuer sa belle-mère, et la sœur de celle-ci de montrer comment faire à l’adolescente, lui se contentant du beau rôle de conseiller. Perturbé par une mère autoritaire et abusé sexuellement durant son enfance (a-t-il dit), ce pervers narcissique s’est déniaisé à 15 ans avant d’épouser successivement toutes les adolescentes qui lui passaient sous la main, la dernière en date étant Patti. Sœur de son épouse Linda, toutes deux issues d’une famille pauvre à la mère alcoolique, il a pu aisément les contrôler. Il a fait venir dans sa maison Patti dès l’âge de 11 ans et a aussitôt abusé sexuellement d’elle. Elle était en adoration devant lui et a fait tout ce qu’il a voulu. A 18 ans, elle aura une fille de lui, Heather, qu’il refusera d’assumer bien que marié secrètement avec Patti à Las Vegas après la mort de Linda.

David Brown a surtout touché plus de 830 000 $ des assurances sur la vie qu’il avait pris sur la tête de son épouse au cas où elle décèderait. Outre le sexe, compulsif, pas moins de trois rapports par jour, l’argent est le mobile. David Brown s’est fait tout seul contre son milieu dégénéré ; il a connu le succès avec son entreprise de récupération des données informatiques sur des supports endommagés, fondée au bon moment. Mais il lui fallait de l’emprise pour se faire reconnaître, et il n’hésitait pas à manipuler quiconque pouvait lui servir, les très jeunes filles qui le voyaient comme un protecteur (jusqu’à ce qu’elles deviennent mères et qu’il les jette), et les gros bras en prison, qu’il payait pour tenter d’assassiner les enquêteurs.

Cinnamon a tiré, mais le pistolet lui a été mis dans la main pas Patti sur l’incitation et les conseils de David. Tous trois sont solidairement meurtriers. Mais il faudra des années d’investigations obstinées par Jay Newell, enquêteur, et Jeof Robinson, substitut du procureur, pour que la vérité sorte entière et que David Arnold Brown soit rattrapé par la justice et enfermé pour la vie.

Pour ceux que les arcanes retors de l’âme humaine intéressent, ce livre assez long et détaillé qui se lit comme un roman policier en dépit de son style de procureur, fournit ample matière à réflexion.

Ann Rule, Si tu m’aimais vraiment (If You Really Loved me), 2000, Livre de poche 2001, 509 pages, €0.89 occasion

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Jean-Louis Etienne, Clipperton

jean louis etienne clipperton
Jean-Louis Etienne, tout le monde le connaît après L’expédition médiatique Transantartica, mais Clipperton, qui connaît ? J’ai déjà parlé de cet atoll de moins de 4 km de diamètre perdu à 400 km des Marquises, à 6000 km de Tahiti et à 1300 km du Mexique. Clipperton, alias l’île de la Passion, est appelée ainsi en souvenir du jour de Pâques 1711 où elle fut découverte par les Français Mathieu Martin de Chassiron et Michel Dubocage.

Fasciné par la planète, le médecin Jean-Louis Etienne, sa famille et toute une équipe d’explorateurs sponsorisés par GDF, Unilever, Canal+ et quelques autres, dont EADS pour la liaison satellite à haut débit, décident de s’installer sur cette île déserte et sans eau potable, de décembre 2004 à mars 2005. Ils accueillent par roulement régulier des chercheurs scientifiques français, espagnols, américains et mexicains. Ils appartiennent pour la France, au CNRS, au Muséum national d’histoire naturelle, à l’IRD, l’EPHE ou l’INRA.

Leur objectif ? Réaliser un inventaire complété de la faune et de la flore sur ce lieu préservé des routes maritimes. Ils ont voulu créer une base de données pour l’évolution de la biosphère et du climat, à partir des changements observés dans ce lieu clos.

carte clipperton expedition jl etienne

Dans ce livre grand public disponible en poche, Jean-Louis Etienne, avec le talent pédagogique qu’on lui connaît, raconte les aléas de l’organisation, combien les douanes mexicaines sont réticentes et bureaucratiques, voire corrompues ; combien l’époque, plus qu’avant, exige multiples sécurités et assurances en tous genres ; combien faire cohabiter des chercheurs à l’ego bien dimensionné n’est pas toujours aisé ; combien aussi l’histoire de cet atoll perdu a donné lieu à des bagarres diplomatiques entre Français, Américains et Mexicains, allant jusqu’à l’arbitrage international du roi d’Italie ; combien les fous sont ici chez eux, formant la plus grosse colonie de tout le Pacifique et combien les rats, tombés d’un navire échoué il y a quelques dizaines d’années sont des prédateurs redoutables. Mais combien aussi il est plaisant de constater l’adaptation à un milieu hostile du lézard, d’explorer le « trou sans fond » du lagon et de chercher « le trésor de Clipperton ».

Sans parler des gigantesques thoniers mexicains, équipés de sonars dérivants et d’hélicoptères, qui viennent traquer le thon au point d’assécher la nourriture des oiseaux. Les fous et frégates doivent chercher leurs proies jusqu’à 300 km pour nourrir leurs petits. Pas grand-chose à manger pour les humains non plus, qui dépendent des rotations de bateaux, tant les rares cocotiers de l’île sont exposés aux ouragans, et puisqu’aucune source d’eau potable ne surgit.

cabane etienne sur clipperton

En revanche, quelle belle expérience de la nature, loin du monde et entouré d’eau sans cesse en mouvement ! Quelle riche expérience humaine, en couple où chacun a sa tâche, avec les chercheurs tous passionnés de leur domaine, mais aussi avec les bébés, les deux petits garçons Etienne et Eliott 3 ans – et le bébé Ulysse qui fera ses premiers pas sur l’île. Ces matins solitaires où Jean-Louis s’éveille très tôt, comme son dernier fils, et part marcher sur la grève dans l’aube naissante, l’enfant curieux de tout contre sa poitrine, sont des moments magiques.

Tout comme le jour où un plongeur a remonté le couvercle d’un très vieux coffre de mer, arraché par 52 m de fond. Ou encore lorsqu’un autre a ramassé un paquet suspect (comme on dit volontiers à la SNCF)… qui se révélera bourré de cocaïne ! En quatre mois, ce ne seront pas moins de 25 kg de cocaïne qui seront ainsi récupérées, échouées après largage en mer de trafiquants de drogue probablement surpris par la police. Le fait est régulier, l’équipage du Prairial, la frégate de surveillance maritime sur zone, a découvert le 14 avril 1.2 kg de cocaïne sur l’atoll de Clipperton, alors qu’une mission de recherches passait quelques jours sur l’atoll à la suite de l’expédition Etienne.

eliot et ulysse jouent sur clipperton

L’auteur raconte bien, il instruit par petites touches sans jamais ennuyer, mêle les anecdotes personnelles aux réflexions sur le climat et sur la faune, regarde grandir ses fils. Eliott doit aujourd’hui avoir 14 ans et Ulysse 12… Il a tenu un Journal des enfants, destiné à l’école d’Eliott et à l’Éducation nationale, durant tout le séjour, préoccupé de transmettre le savoir et la sensibilité à la nature.

Jean-Louis Etienne, Clipperton – l’atoll du bout du monde, 2005, Points aventure 2015, 287 pages, €6.60

Expédition Clipperton sur le site de Jean-Louis Etienne
Tout savoir sur le site dédié à Clipperton : http://clipperton.fr/

La question au Ministère des Affaires étrangères posée le 29 mai 2014 par le sénateur Christian Cointat concernant l’accord de pêche franco-mexicain dans la ZEE de Clipperton – et son application semble-t-il « laxiste » – n’a reçu aucune réponse : « la question a été retirée pour cause de fin de mandat »… Notre « démocratie » représentative fonctionne si bien, n’est-ce pas ?

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