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Claude Delay, Marilyn Monroe – la cicatrice

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La blonde Marilyn Monroe n’était pas blonde mais brune et ne s’appelait ni Marilyn ni Monroe mais Norma Jeane Baker ; elle n’adoptera son nom de scène qu’à 30 ans. Son existence tout entière était fabriquée – par elle-même pour compenser son rejet par son père dès avant sa naissance et la folie de sa mère, puis les faillites successives de ses nourrices jusqu’à se retrouver abandonnée à l’orphelinat.

Le sex-symbol de l’Amérique, la pin-up nue des calendriers 1952 (ce qui lui a rapporté 50$), est pathétique et agaçante, emplie de chaos et pétrie de contradictions. C’est le mérite de Claude Delay de mettre en littérature cet éclatement, en 58 chapitres allant d’une demi-page à plusieurs, chacun centré sur un événement-clé de cette existence évanouie à 36 ans. Juste avant de se flétrir, comme si le destin avait réservé à Marilyn en fille celui d’Achille garçon : une vie brève mais glorieuse plutôt qu’une vie longue et terne.

Elle aurait 88 ans aujourd’hui si elle ne s’était pas bourrée de pilules (demerol, phénorbital, amytal, pentothal, nous dit-on p.247) et de champagne, si elle n’avait pas avalé des milliers de bites par la bouche et le vagin, si elle n’avait pas avorté au moins 13 fois ni fait quatre ou cinq fausses couches. Elle, l’orpheline, rêvait d’une vie popote, dans une maison à elle et entourée d’enfants, à cuisiner des spaghettis ou des carpes à la juive. Car elle était pleine de bonne volonté, l’orpheline délaissée : elle voulait qu’on l’aime. Elle lisait donc des livres pour s’instruire et plaire aux écrivains du cinéma, elle apprenait la cuisine de ses multiples maris, l’irlandais Jim Dougherty, le sicilien Joe DiMaggio ou le juif Arthur Miller. Sans parler de ses nombreuses liaisons avec quiconque se montrait viril et protecteur – idéal de ce père qui lui a manqué : Yves Montand, John et Robert Kennedy… Elle aurait bien aimé Clark Gable mais celui-ci l’a ignorée courtoisement. Deux pages, Jimmy et Colin, l’un américain et l’autre anglais, tous deux à peine 18 ans, l’auraient bien aimée, mais elle préférait les brutes viriles.

marilyn monroe ventilee

La bombe platine qui reçoit sans dessus ni dessous, vit nue chez elle dans un désordre dantesque, ne porte jamais de sous-vêtements et montre son sexe (teint en blond et brossé) au-dessus de la grille d’un métro où est installé (pour la photo) un gros ventilateur. Elle est pute pour séduire, pour qu’on l’aime, elle a faim de reconnaissance, de caresses, d’amour. John Huston : « Comme les vraies putes, les bonnes, tu ne fais pas semblant. Tu paies de ta personne, de ton corps, de ton âme » p.254. Elle joua dans quelques 33 films et enregistra quelques 33 chansons ; d’innombrables photos furent faites d’elle, plus ou moins déshabillée, elle barrait de feutre rouge indélébile les négatifs qui ne lui plaisaient pas.

« En vérité, le manque d’équilibre intérieur est ce qui interroge le plus dans l’alchimie si particulière de Marilyn : une sexualité dans laquelle elle se complaît, ruse et s’épanouit et l’attendrissement qu’elle provoque. Une sorte de candeur baigne la jeune femme de nostalgie. Comme si le nid, le nostos, faisait toujours défaut » p.230. Elle est toujours en retard, non pour se faire désirer mais pour muter de Norma en Marilyn : « La fabrication est longue et dure de cinq à neuf heures » p.270. Elle ne peut être elle-même puisqu’elle n’existe pas, n’ayant jamais été désirée ni aimée enfant. Ses mensurations, « 94-53-89 » (p.297) ont été un cadeau de la nature qui l’ont transformée dès l’âge de 13 ans ; les garçons de son âge sifflaient déjà lorsqu’elle passait en pull moulant, les seins hauts, et déjà sans aucun dessous. A l’américaine, elle est devenue quelqu’un à la force des poignets, self-made woman qui ondule de la croupe, provoque des seins et invite de la bouche.

marilyn monroe bouche

L’auteur choisit la fin qui lui convient, sans livrer les doutes et les hypothèses. Pour elle, c’est son dernier psychiatre Greenson qui est responsable des « valises » de pilules qu’elle avalait ; pour elle, c’est le clan Kennedy qui est responsable de sa mort par surdose (ou par produits incompatibles), alors qu’elle notait tout dans un petit carnet pour éviter le reproche de ne jamais rien retenir de ce qu’on lui disait. Trop de secrets d’État ? Une vengeance de la Mafia ? Et la fin n’arrête pas de finir : plusieurs chapitres encore après la mort de Marilyn.

Mais ces petites imperfections n’enlèvent pas la vision d’écrivain, ni l’empathie de Claude Delay pour son personnage. Elle tire le fil de son histoire via la double cicatrice de son abandon parental initial et de son opération vaginale à la fin de sa brève existence. 52 ans après avoir disparue corps et biens, Marilyn résiste – idole, symbole, people.

Claude Delay, Marilyn Monroe – la cicatrice, 2013, Fayard, 335 pages, €20.90
Marilyn Monroe vue par les wikipedes
Le dossier officiel du FBI

Attachée de presse Guilaine Depis

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William Faulkner, Sartoris

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Premier roman écrit, difficilement publié, ce ne fut pas à lui que l’auteur né en 1897 dut son succès. Le lecteur y trouve cependant tout ce qui fait l’atmosphère Faulkner, les terres confédérées, la campagne, la transition des époques et la fatalité. Les coupes opérées par un mentor sur le manuscrit de l’aspirant-écrivain rend le livre un peu heurté, passant sans transition d’un sujet à l’autre, de la saga familiale aux querelles de cuisine, d’une course en voiture aux vertus des mulets, des vieux nègres naïfs aux gamins blancs sortant de l’école débraillés, d’une engueulade au menu somptueux d’un dîner de Thanksgiving, d’une chasse au renard aux tombes ridicules du cimetière.

Mais le style emporte tout, à l’opposé de son contemporain Hemingway. Un rien baroque avec un brin d’humour. Comment ne pas rire, presque un siècle après, de cette exclamation sincère d’une jeune fille : « Je n’ai jamais vu de femme lire Shakespeare. Il parle trop. (…) Shakespeare n’a pas de secrets. Il dit tout. – Je comprends, il n’avait pas le sens des nuances ni le don des réticences. En d’autres termes, ce n’était pas un gentleman… » (III 1).

Faulkner est le Proust du vieux sud, léchant d’une langue gourmande et parfois empâtée de bourbon la luxuriance de la campagne, des plantations de coton et de cannes à sucre, la fragrance des fleurs qui explose au printemps, remuant jusqu’aux vieilles filles et faisant monter des histoires aux lèvres des tantes, fouillant d’un œil aigu les traumatismes intimes, décortiquant la psychologie des vaincus du sud. Il obtiendra le prix Nobel de Littérature en 1949.

Toute la société américaine 1920 est en transition, la vieille aristocratie sudiste vaincue par les Yankees encore vivante, les fils bâtisseurs de banques et de chemins de fer, les petits-fils héros de guerre en Europe. Tout va très vite et « l’vieux temps » – que regrette Simon le nègre – ne peut jamais revenir. Certains appellent ce temps-là décadence, d’autres suivent le mouvement. Les Sartoris, futiles et fanfarons, ont brillé en aristocrates ; ils ne sont plus adaptés à l’époque démocratique où la balle de mitrailleuse et la machine les fauchent tout autant que les autres.

faulkner photo

Bayard est le rejeton d’une famille de Sartoris qui se sont illustrés durant la guerre de Sécession ; lui et son jumeau John se sont illustrés dans la Grande guerre. John a été abattu, comme l’ancêtre au même prénom, pour un motif aussi futile que lui. Bayard son frère ne s’en est pas remis. Il hante le pays avec sa voiture de sport, incongrue dans cette campagne du Mississippi restée traditionnelle. Il provoque le sort par la vitesse, obscurément coupable d’être vivant tandis que son jumeau n’est plus. Il rend folle Narcissa, qui est amoureuse de lui et deviendra malgré lui sa femme ; il tue son grand-père cardiaque en loupant un pont ; il cherche à se châtier, à défier le destin, il aspire à la mort qui a emporté un frère meilleur que lui.

Comme tous les Sartoris et comme l’auteur, il soigne tout ce qui ne va pas au whisky, notamment sa névrose, buvant rituellement dès le matin ces toddies composés de citron, de sucre, de glace et de bourbon. Car personne n’est à l’aise dans l’existence Sartoris. A l’inverse des MacCallum, bien posés dans la vie, vivant en tribu soudée dans la campagne. Une multitude de personnages passent, pittoresquement décrits, avec ce sens aigu de l’observation que donne l’amour des êtres au milieu desquels on a vécu. Snopes est un comptable transi d’un impossible béguin ; le gamin de 12 ans débraillé et pieds nus à qui il fait écrire ses missives enflammées anonymes apparaît avisé et obstiné. Le docteur Peabody est un bon gros hâbleur mais le cœur sur la main ; son seul fils de 30 ans habite New York où il exerce comme chirurgien réputé ; les tantes vieilles filles veillent sur les maisonnées.

Les Sartoris ne se font pas au monde tel qu’il va ; ils ont tous un comportement suicidaire, au grand dam des femmes de la famille qui cherchent à régenter ces sales gosses et à conjurer leur sort. Il y a une séparation biblique très américaine dans cette incompréhension congénitale des hommes et des femmes, le mythe Brad Pitt et le mythe Marilyn Monroe, le gamin tout fou et la pétasse despotique. Le vieux John s’était fait descendre par les Yankees alors qu’il allait rechercher une boite d’anchois au camp où il venait d’enlever un général par un audacieux coup de main ; le vieux Bayard a une crise cardiaque dans l’auto conduite trop vite par son petit-fils Bayard jeune ; John, le jumeau de Bayard, se fait descendre par un Boche en frimant avec son avion techniquement pas au niveau des ennemis ; Bayard jeune le suivra dans un même défi, bien plus tard, inapaisé jusque là. Reste un bébé, que Bayard a fait à Narcissa, marié on ne sait comment (le lecteur l’apprend incidemment après coupures du manuscrit original).

Narcissa qui « lut pour son propre compte une histoire de gens fictifs, dans un monde fictif où les choses se passaient comme elles devaient se passer » III 8. Bienvenue en littérature ! Faulkner mérite encore d’être lu.

William Faulkner, Sartoris (Flags in the Dust), 1929 revu 1957, Folio 1977, 473 pages, €7.98

Faulkner, Œuvres romanesques tome 1, Gallimard Pléiade, édition Michel Gresset 1977, 1619 pages, €57.00

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