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Philippe Labro, Des bateaux dans la nuit

C’est le quatrième roman de ce littéraire d’aujourd’hui 86 ans passionné de journalisme et d’Amérique. Il fut de la génération des colonisés par le soft-power yankee, les fantasmes de modernité d’après-guerre et d’épopée western. Il a osé demander – et a obtenu – en 1954 à 17 ans une bourse Zellidja pour étudier aux États-Unis, à l’université en Virginie, et il voyage au pays de ses rêves. Il en tirera plusieurs romans. Des bateaux dans la nuit reprend à 46 ans la manne biographique très riche de l’auteur en sa maturité. Il est revenu des Yankees, du vide abyssal de leur existence matérialiste, et tente de dresser un état mental de l’après-68.

Woijek Drifter est un journaliste qui a l’âge de l’auteur. Il a beaucoup bourlingué, ne s’est jamais fixé. Marié à une immigrée qui lui impose sa nombreuse famille, il est assez lâche pour ne pas divorcer. Il a une maîtresse américaine à Washington, Joyce, mais elle n’est pas « joice » comme on disait dans l’argot des années soixante, autrement dit pas heureuse. Et puis soudain…

Le destin bascule. Alors qu’il est en infiltration dans une dictature d’Amérique du sud (très à la mode dans les années 70) pour contacter un prêtre français emprisonné et torturé, son chef grand patron de presse le rappelle en urgence à Paris. Henri Lescrabes se meurt du crabe, un cancer. Il est obsédé par la fin d’un jeune chanteur célèbre passé par la fenêtre de son appartement. Jason Villaï un soir s’est envolé – et s’est empalé sur les piques de la grille du jardinet. On a parlé de suicide mais Lescrabes n’est pas convaincu. Il y a quelque chose à creuser, quelque chose d’important pour Drifter, qui tient à sa vie personnelle.

Le drifter est en anglais celui qui dérive, qui charrie, en bref le vagabond qui accumule. Labro ne choisit pas ses noms au hasard, ils ont tous un sens caché. Drifter est orphelin d’origine polonaise, probablement juif comme Lescrabes ; il a été élevé par un parrain humaniste, prof de lettres célibataire qui l’a pris sous son aile. Il est devenu journaliste pour sortir de cette atmosphère de livres et il en porte l’uniforme de ces années-là, l’imperméable blanc à ceinture.

A l’enterrement au Père Lachaise de Lescrabes, il renoue avec Andrea, une jeune collègue qui a été dépêchée la première sur les lieux de la mort de Villaï. Il commence donc son enquête avec elle. Puis il creuse en se rendant sur place. Il rencontre le concierge, ancien « factionnaire français » des colonies qui a pris un polaroïd maladroit du cadavre empalé, surpris alors qu’il essayait l’engin, cadeau d’une nièce. La photo est floue mais une tache jaune en arrière-plan intrigue : il y avait quelqu’un. Drifter finira par savoir qui – et cela ne lui plaira pas. Lescrabes avait raison, l’événement le touche en effet dans sa vie personnelle.

Le roman alterne en cinq parties les histoires des personnages : Lescrabes, Drifter, Andréa, Marie-Luc, Joyce. La partie IV est la plus indigeste. Elle comprend moins d’action et plus de verbiage psychologique. La plongée dans les turpitudes égoïstes et sexuelles d’une riche épouse oisive et frigide de magnat américain pouvait peut-être émoustiller les lecteurs sous Mitterrand ; elle écœure et lasse aujourd’hui. Ce monde des vieux qui ont bâti l’actuel est répugnant et l’on comprend pourquoi le sexe, l’argent, l’appétit de pouvoir et le narcissisme férocement égoïste peuvent régner aussi fort quarante ans plus tard. La pute des stars Joyce, qui a « feuqué » (de l’américain to fuck – faut-il traduire ?) avec tous les mâles qu’elle voulait détruire faute elle-même de pouvoir jouir, a quelque chose de diabolique, possédée d’un instinct de mort destructeur. Drifter s’y est brûlé les ailes ; Lescrabes réussit in extremis à lui donner les moyens de s’en sortir. Il revivra avec Marie-Luc, elle-même divorcée d’un mari violent.

Les « bateaux dans la nuit » sont une métaphore : « Voilà, c’est simple : il y a des bateaux qui se croisent dans la nuit, et nous, on est à bord. Si on a de la chance, si c’est la pleine lune et s’il n’y a pas de brouillard,et si les navires se rapprochent et s’abordent enfin, on peut se reconnaître de pont à pont et qui sait, parfois, s’atteindre et s’étreindre. La plupart du temps cela ne se passe pas ainsi » p.328. Mais l’on peut rencontrer alors une personne à aimer. « On en revient toujours à ceci, qui est l’amour et son manque » p.337. Or le journalisme, à force de voir des horreurs et d’en rendre compte, pousse au cynisme et pourrit l’être par mimétisme avec le monde. On ne veut plus voir : comme Drifter avec Joyce. Lescrabes finalement l’a sauvé.

L’auteur cause en style simple, un brin vulgaire, en bref journaliste. Ce pourquoi cela se lit bien, hors les longueurs déjà indiquées. Il ponctue son roman de détails glanés en professionnel, comme le crack qui surgissait, plus puissant que la cocaïne et qui allait faire des ravages en favorisant la psychose paranoïde ; ou encore ce « virus jamaïcain » (découvert en 1983 seulement) qui affectait les gays lurons de New York et de Londres et qui allait entraîner la réaction puritaine la plus vive, alors même que la gauche au pouvoir libérait les mœurs (toujours en décalage, les gens de gauche) ; ou enfin cette remarque que les stars ne regardent jamais leurs fans inconnus dans les yeux pour éviter le phénomène d’adoration due au lien par le regard, déclenchant une fixation maladive qui pourra finir par du harcèlement ou un assassinat (p.142).

Philippe Labro, Des bateaux dans la nuit, 1982, Folio 2019, 407 pages, €7,25 e-book Kindle €9,49

Les romans de Philippe Labro déjà chroniqués sur ce blog

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Philippe Labro, Manuella

Une histoire de fille, une ado bourge à la fin du siècle précédent – il y a une génération. Manuella se sent mal dans sa peau, trop grosse, trop moche, trop frivole – trop nulle. Elle a 17 ans mais n’a encore jamais baisé alors que tout le monde autour d’elle en parle, des adultes qui semblent obsédés à ses copines qui « l’ont » fait et aux garçons qui ont regardé des pornos à 12 ans et qui voudraient bien reproduire. Un David, vers ses 15 ans, a tenté mais elle n’a pas compris, le connaissant depuis l’enfance ; elle a refusé, indignée. Elle reste hors des statistiques qui observent qu’en France « la première fois » se situe vers 17 ans (à cette époque).

Et Manuella réussit le bac ; elle a mal travaillé, trop zappé, incapable de se concentrer – mais elle l’a eu, et avec mention assez-bien. Comme quoi le fameux bac n’est depuis trente ans qu’un chiffon de papier qui ne sanctionne guère qu’une présence au lycée, pas l’acquisition d’un savoir. La chute en première année de n’importe quoi ensuite n’en est que plus dure !

Mais cette initiation réussie la pose enfin comme une pré-adulte. Elle n’est plus l’ado infantile qu’on doit surveiller, tanner pour qu’elle bosse, discipliner. Ce qui lui permet enfin d’abandonner son narcissisme de bourgeoise immature et d’expérimenter ailleurs : en vacances, au travail l’été. D’observer les autres avec moins de critique revancharde et plus d’indulgence. Cet épanouissement progressif fait beaucoup pour l’attrait du livre, écrit comme d’habitude au galop et captivant. L’auteur sait conter.

Et Manuella entre enfin dans les statistiques ; elle baise. Avec le trop beau Pietro, un garçon de peut-être 25 ans parfait, gracieux, séduisant, les muscles longs et les épaules vigoureuses, « athlète et ballerine » (p.108) qui sait parler. Il a le charme et l’énergie de la jeunesse et envoûte littéralement le monde autour de lui. Il a surgi brusquement des eaux au mouillage en Corse après un crawl souple, ruisselant, en slip sur le pont tel un jeune dieu. Femmes et hommes en ont été éblouis et il n’a de cesse de les enchanter de son bagout. Très sensible à l’impression qu’il donne et aux changements d’atmosphère, il s’adapte et ensorcelle de formules et de citations, avec toujours le sourire et le mot qu’il faut. Manuella a été subjuguée comme les autres.

Il l’a reconnue comme une égale car elle n’est pas dupe de son rôle bouffon et sent la fragilité derrière la comédie. Elle est « pure », Manuella. Il l’appelle Ella et pas Manu comme les autres, « pour contrer les vieux » – et leurs préjugés. Invité à un dîner de pâtes carbonara avec les dix-huit de la résidence de vacances (construite par le père de Manuella et son associé Chuck), le garçon vient pieds nus en pantalon blanc et veste rouge à boutons dorés de Sargent Pepper. Il ne porte rien dessous et les femmes n’auront de cesse de le déshabiller pour « essayer la veste » afin qu’il reste torse nu entre elles, « poitrine et muscles dehors ». Pietro est de suite surnommé « le haricot » par un Chuck trop épais et velu pour l’égaler en délicatesse physique et prestance de conversation.

Après ce moment de sensualité exacerbée auquel les hommes eux-mêmes ne sont pas restés insensibles, les commentaires et les ragots vont bon train : un vrai réseau social, cette résidence ! Pietro est accusé à demi-mots par les femmes de baiser plusieurs filles, en don Juan de plage éphémère qui aime ça, fier de son corps et de son éclat. Ce qui n’est pas vrai, mais les fantasmes explosent. Chuck, jaloux, suggère qu’il est probablement gay ou au moins bi, trop beau pour un vrai mâle, et qu’il se tape peut-être et le vieux et la vieille, riches Italiens qui l’accueillent sur leur bateau de grand luxe, d’où il est venu à la nage. Ce qui est faux là encore mais titille Manuella.

Lorsque le navire de croisière va partir, emportant Pietro sans qu’il ait dit qui il est ni ce qu’il fait dans la vie, Manuella n’y tient plus. Spontanée comme une ado, décidée comme une adulte, elle provoque le destin en se rendant en dinghy directement sur le bateau le soir, pour y rencontrer le jeune homme. Elle lui déboutonnera sa veste à boutons dorés pour toucher sa poitrine, il lui retirera son débardeur sous lequel elle ne porte rien, tous deux retireront d’un coup leur jean porté à cru et ils se retrouveront nus pour faire l’amour. Doucement elle sera pénétrée, progressivement ravie ; lui impressionné et ému, graduellement amoureux.

De retour à Paris, elle voudra l’oublier ; ils n’ont pas même échangé un numéro de téléphone. Son amie Daph, victime d’un accident de voiture avec le moniteur de colo Cédric surnommé Cèdre, accaparera son cœur ; un projet en Australie pour l’année post-bac monopolisera son attention. Puis elle reverra Pietro la veille du départ à Paris, dans la grisaille de l’automne, vêtu d’un pull et d’un imper, entouré de mômes qu’il surveille. Il lui avouera être prof de français et remplacer un collègue. Il voudra la revoir et elle dira peut-être.

Le frimeur a fait le bidon en vacances parce qu’il était dans un milieu de frimeurs, mais il est autre dans la vraie vie, plus profond. Elle l’a percé à jour et il l’aime pour cela car elle estime l’homme vrai et pas l’histrion. Se sentant inculte après sept années de collège et lycée (on le serait à moins!), elle lui demandera de lui envoyer en Australie un livre à lire tous les quinze jours durant ses huit mois passés là-bas. Après… c’est une autre histoire qui commencera peut-être.

Philippe Labro, Manuella, 1999, Folio 2001, 256 pages, €7,50 e-book Kindle €7,49

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Philippe Labro, Franz et Clara

philippe labro franz et clara

Beaucoup d’écrivains, l’âge venu, se retournent sur l’enfance. Chacun est alors tenté d’écrire son « Petit Prince ». Outre Saint-Exupéry, Hugo écrivit « Les Misérables », Montherlant « La Ville », Queneau « Zazie » et Déon « Thomas et l’infini ». Pour Philippe Labro, il s’agit de Franz.

Il n’est pas un extraterrestre blondinet et solitaire mais un brunet au bord de la puberté. Étrange enfant parce que surdoué, trop mûr parce que mal aimé. Il est de cette terre sans y être, comme le « Petit Prince » ; il est enfant sans parents, qui se sont disputés jusqu’à la mort ; il est héritier d’empire comme l’autre fut de sa planète.

Et il rencontre au bord du lac l’adulte qui va lui dessiner un mouton. Ou plutôt une femme de 8 ans plus âgée que lui, Clara. Elle va lui esquisser ce que peuvent être ces bizarres relations humaines qui font souvent faire n’importe quoi : l’amour. Oh, bien sûr, entre une femme de 20 ans et un garçon de 12, il ne peut guère se passer de choses qui alarment les censeurs. Surtout sous la plume de Philippe Labro. Mais enfin, n’y a-t-il que le sexe pour faire vendre ? N’y a-t-il que le sexe dans l’amour ?

Clara n’est pas heureuse elle non plus. Elle a perdu sa mère à la naissance et son père vers 12 ans, d’une crise cardiaque, sous ses yeux. Elle s’est enfermée dans la routine d’un orchestre parce que l’amour, là aussi, lui a manqué. Sa chrysalide ne s’est pas ouverte. Et c’est le garçon qui va forcer la porte. Pas physiquement, non, je vous vois venir, du moins pas tout de suite, l’auteur obéit au moralement correct de décence ! Mais psychologiquement, sans aucun doute. Cet enfant solitaire et bien élevé va l’intriguer ; ce qu’il dit la fera réfléchir ; ses questions deviendront les siennes. Et… Clara va s’attacher à Franz comme à un petit frère, puis comme à un amant virtuel, puis comme à un mari possible, puis comme à un rêve passé… De quoi quitter son nid et son éternelle recherche de père. Franz va l’arracher à sa routine, la faire sortir d’elle-même, exiger d’elle qu’elle obéisse à son talent.

Il n’y a pas d’amour impossible et l’âge n’a aucune importance. Pour le sexe si, mais pas pour l’amour. Notre époque, qui confond les deux de façon infantile, voire névrotique, apprendra là quelque chose qui la fera peut-être mûrir. Labro nous rappelle que ce qui se passe entre deux êtres de plus profond n’est pas forcément génital. Que toute relation ne se fait pas au lit. Utile rappel, semble-t-il !

Voici donc une histoire simple, comme Flaubert aimait à y travailler. Mais Philippe Labro n’est pas Flaubert et peut-être a-t-il été pris par l’urgence pour la sortir de soi. 180 pages c’est peu, et le roman obéit à la mode du zapping, chère aux lecteurs moyens : ils ont horreur de « se prendre la tête » et renoncent à tout ce qui ressemble à « un pavé ». C’est dommage pour la profondeur psychologique des personnages. C’est dommage pour le style, que le goût d’auteur pour la dramatique média empêche de se déployer. En témoigne l’ultime phrase du livre qui gâche tout, faisant retomber l’élan dans le pathos people.

Et pourtant, ce livre en forme de conte garde la force initiale du ressenti, une émotion maîtrisée par les mots mais qui aime à prendre pour référence la musique. L’auteur a-t-il été dépassé par l’énormité du sujet ?

Est-il retombé dans la facilité d’époque pour « conclure » ce roman, qu’il a tronqué en nouvelle ? L’époque, Philippe Labro l’a vécue dans la trépidation médiatique et l’a aimée pour cela même. L’époque semble avoir submergé l’écrivain, peut-être. Il est bien mûr pour son âge, ce garçon ; elle est bien paumée, cette fille. Et l’époque, justement, se révèle par ces deux-là.

Philippe Labro, Franz et Clara, 2006, Folio 2007, 180 pages, €7.10
e-book format Kindle, €7.99

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Stéphanie, Des cornichons au chocolat

stephanie des cornichons au chocolat
Philippe Labro a avoué en 2007 avoir lui-même écrit ce journal intime d’une ado de 13 ans. Même avec les clichés de langage d’époque et les tournures de phrases typiques, l’écriture était trop belle pour être véridique, même si certains ados écrivent bien dans l’émotion de leur âge. Écrivaient, devrais-je dire car une génération a passé et l’Internet a tout bouleversé de la culture et de l’expression. Les ados d’aujourd’hui ne lisent que le minimum scolaire requis, n’écrivent plus aucune lettre – encore moins un journal intime. Tout se passe sur fesses-book (où l’on se montre), plus récemment sur SnapShot (dont on croyait naïvement que les photos s’autodétruisaient au bout de 10 secondes) et sur d’autres sites. Le journal intime est le portfolio des images de soi, le texte a disparu.

Rescapé de l’époque précédente, de l’âge de l’écrit, ce livre court est un Attrape-cœur à la française. Labro joue au Salinger avec une autre génération d’écart, sauf que son personnage n’est pas garçon de 16 ans mais fille de 13. Comme toujours pour l’adonaissance, le romantisme se porte bien et le livre se lit d’un trait. Stéphanie est une collégienne dont presque toutes les copines à la Ferme (le collège) « les ont » (les règles). Pas elle et cela la travaille, d’où cet exercice de selfie par écrit, comme on faisait avant. Qui suis-je ? Où vais-je ? Suis-je normale ? Entre Garfunkel le chat Blue-Point et l’Autre, un collégien plus jeune atteint de myopathie, la très jeune fille ère, solitaire, sans mamie ni papi, entre un père très souvent absent « pour affaires » et une mère midinette égoïste.

C’est surtout aujourd’hui le portrait en creux de cette génération adulte en 1983 – la génération Mitterrand – qui apparaît cruel avec le recul. Les soixantuitards hédonistes ne pensent qu’à eux-mêmes, narcissiques et jeunistes, se moquant pas mal des états d’âme de leur progéniture ; Stéphanie distingue les Gens Heureux (un brin cathos tradis) des parents qui s’en foutent, divorçables (comme les siens) ou divorcés (comme beaucoup de ses copines). Ils s’habillent frime pour faire américains dans le vent, plus jeunes que leur âge qui déjà les avachit ; ils courent et transpirent en salle de gym pour apparaître « en forme » mais signent toutes les dispenses de sport pour le collège ; ils « adorent » manger italien mais par flemme, car la pizza et les pâtes sont vite faites ; ils accumulent des livres sans jamais les lire et vont en vacances à Méribel et à Deauville parce que cela fait chic. Ils considèrent que leur fille est « autonome » et qu’elle « s’assume », mots à la mode pour signifier qu’elle reste souvent toute seule. Ils sont pitoyables, égocentrés, contradictoires, tout leur est permis et seul le présent compte. Les parfaits « bobos » de la génération fric et frime née dans les années 60 et adultes sous la gauche au pouvoir.

Leur adolescente de 13 ans est malheureuse et ne trouve que la fugue pour leur remettre les yeux en face des trous. Comme chez Salinger, le happy end est de rigueur, non sans tragédie pour le chat, symbole d’enfance. Le journal commence avec les règles que toutes ont mais pas Elle, et se termine avec les règles enfin survenues, et une certaine maturité avec. La fin des cornichons au chocolat, dont on apprend chapitre 27 pourquoi : « j’aime les cornichons avec les chocos, parce que la vie que j’ai vécue jusqu’ici, c’est du cornichon et du chocolat, parfois ça fait mal, parfois c’est doux, parfois c’est piquant, parfois c’est agréable, et c’est tout ça qui fait que ma vie elle est comme elle est ».

Les parents d’aujourd’hui ne sont plus autant égoïstes, ils sont plus attentifs à leurs enfants – parfois trop à l’adolescence. Mais « l’âge bête » reste ce qu’il a toujours été, ces hauts et bas permanents d’excitation et d’abattement, d’élans et de déprime, de sentiments éthérés et d’aigu réalisme. Ce roman a passé les années sans presque aucune ride, tout comme l’Attrape-cœur.

Stéphanie – alias Philippe Labro, Des cornichons au chocolat, 1983, Livre de poche 2008, 251 pages, €5.32

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