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Anne Holt, Bienheureux ceux qui ont soif

Un roman policier norvégien, une autrice originale, journaliste, policière, avocate, et… ministre de la Justice pendant quelques mois dans le gouvernement travailliste Jagland, du 25 octobre 1996 au 4 février 1997 ! Ce roman a été écrit avant d’être ministre – ce qui se comprend au vu de la fin.

Au début, des samedis sanglants à Oslo. Pas de cadavre mais des mares de sang. Pour la plupart, c’est du sang de porc. Mais il y a aussi un peu de sang humain. Comme si l’on avait voulu noyer l’humain dans le cochon. Ne serait-ce pas anti-musulman ? En regard, il y a les problèmes d’immigration, qui commencent dès l’après-guerre du Golfe, au début des années 1990. Certaines gens sont gênés des demandeurs d’asile venus d’Iran, du Koweït, des gens qui ne travaillent pas en attendant leur sort mais touchent une allocation.

La régularité des samedis sanglants s’interrompt une fois, avec un viol. Non que le viol soit exceptionnel dans la ville, mais exceptionnel par sa violence. L’étudiante en médecine qui vit seule dans un appartement d’une cité a été prise lorsqu’elle rentrait chez elle, le coup classique, l’agresseur l’a suivie et l’a poussée à l’intérieur alors qu’elle déverrouillait ses serrures. C’est bien, les serrures, installées par papa pour la sécurité – sauf quand on passe un temps fou à les ouvrir pour entrer ! Après cela, Kristine a été frappée, déshabillée, pénétrée par-devant puis par derrière, pilonnée, ravagée. L’homme, musclé, déterminé, était en érection permanente. Peut-être les stéroïdes de sa musculation ?

L’enquête n’a pas de piste : pas de téléphonie mobile, pas d’ADN, pas de caméras de surveilla,ce à l’époque, une enquête à la traditionnelle fondée sur les témoignages et les recoupements. Il faut interroger le voisinage qui, en général, n’a rien vu, rien entendu, ne veut pas d’ennui. Oh, il y a bien un vieux qui se souvient vaguement d’une voiture rouge inconnue dans le quartier, mais pourquoi le dire aux flics ? Il y a bien le voisin d’en face qui passe la vie à la fenêtre, à collectionner tout et n’importe quoi, y compris les immatriculations des voitures dans la rue. Encore faut-il penser à traverser la rue.

En bref, rien. Le père de Kristine, dentiste à al retraite, voit bien que la police est débordée et qu’un viol n’est pas une meurtre. L’enquête passe après d’autres méfaits qui s’accumulent. Il va donc enquêter de son côté, doubler la police, tandis que Kristine, prostrée une semaine durant, reprend du poil de la bête avec l’idée de la vengeance. Père, fille, flics, vont se retrouver au même endroit au même moment, chez le criminel violeur…

Mais il ne faut pas en dire plus.

C’est bien mené, se lit bien, pas un grand roman, avec une fin qui laisse sur sa faim, mais qui rencontre les idées populaires. Toujours est-il qu’en Norvège, au début des années 1990, on prenait le viol des femmes au sérieux, bien plus que dans les pays latins, dont la France.

Anne Holt, Bienheureux ceux qui ont soif, 1994, traduit du suédois, Points policier Seuil 2007, 231 pages, €13,80, e-book Kindle €13,99

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Clare Mackintosh, Te laisser partir

L’autrice est une ancienne policière anglaise du début des années 2000 qui, après 12 ans de service, s’est mise à écrire. Ce livre est son premier roman, inspiré d’une enquête vécue. Les détails sont donc vécus. L’intrigue est à deux étages et garde le suspense jusqu’à la fin.

A Bristol, dans le sud-ouest de l’Angleterre, tout proche du Pays de Galles, une mère ramène son enfant de 5 ans de l’école. Pas de papa, il ne voulait pas d’enfant et il l’a quittée. Il pleut, il fait nuit, la maison toute chaude est proche. Mais voilà, maman ne fait pas attention, elle lâche la main du gamin parce qu’on est presque arrivé. Et ce qui devait arriver arrive, le petit garçon fait comme d’habitude, il court, il traverse la rue sans regarder – il ne regarde jamais, et maman le sait. Elle n’a pas fait attention. Et boum ! Le petit Jacob est percuté par une voiture, qui surgit tous phares allumés, au-dessus de la vitesse autorisée. Le corps est brisé, la mort instantanée. Désespoir… Il aurait fallu, mais on ne l’a pas fait.

L’enquête démarre mal. La mère n’a rien vu, ne sait même pas qui était au volant, homme ou femme, s’il y avait un passager, la couleur de la voiture, encore moins sa marque. Le véhicule a fait demi-tour, le conducteur n’est pas sorti pour aider ni appeler les secours, il a fait un délit de fuite. S’il a frotté un arbre, la police ne retrouve aucune trace. Sauf peut-être un fragment de phare, brisé à proximité. Il s’avérera qu’il n’a rien à voir. Aucun témoin, aucune piste, pas même une trace de freinage à cause de la pluie. Point mort ; au bout d’un an, on classe l’affaire, puisqu’on ne peut avancer.

Mais l’inspectrice stagiaire Kate en est bouleversée. Tout de même, un enfant ! Qui aurait pu agir ainsi ? Avec l’autorisation de Kay son capitaine, mais sans l’aval du préfet de police, elle continue à chercher sur ses heures de loisir : les caméras de surveillance, les témoignages de conduite dangereuse. Dernier appel à témoins avant le classement définitif… et crac ! Il permet de relancer la piste.

Pendant ce temps, en chapitres intercalés un peu déconcertants au début parce qu’ils sautent du coq à l’âne et d’une personne à une autre, Jenna, une femme, plaque tout. N’emportant qu’un petit bagage, son ordinateur portable et un coffret de souvenirs, elle jette son téléphone mobile et prend les transports jusque loin. Le petit village de Penfach est isolé, en bord de mer, avec de hautes falaises au-dessus de la plage. C’est là que Jenna s’installe, dans un cottage délabré, loué pour presque rien à un berger sur les conseils de la tenancière du camping. Les gens ne viennent que pour les vacances, la saison d’hiver est vide. Elle est bien, elle peut oublier.

Sauf que son passé la rattrape. Pour vivre, elle vend des photos sur le net et dans le village à la haute saison. Sa spécialité est l’inscription sur le sable, pris devant la mer au soleil rasant, ou couchant, ou sous les nuages. Un succès grandissant. Mais avec le net, quiconque est un peu avisé remonte l’adresse. La police aussi. Sa voiture a été retrouvée, un impact sur l’avant ; elle-même a été pistée, elle est arrêtée. Elle avoue tout.

Fin de l’histoire ? Non, seulement fin de la première partie… Car la seconde verra la situation se complexifier. Jenna a peur, mais de quoi ? Ou de qui ? Pourquoi veut-elle aller en prison ? Pourquoi ne dit-elle rien ? Son apparence est trompeuse et tout le monde se laisse prendre, mais pourquoi ? Ray et Kate font creuser, et trouver. Ce sera pire qu’imaginé.

Un peu de psychologie, sans vraiment insister ; une enquête qui s’enlise avant de se relancer ; des protagonistes qui agissent en parallèle. Ce n’est pas un grand roman policier, mais il se laisse lire avec assez d’appétit. Il est dans l’air du temps : l’autrice est femme et les femmes sont à l’honneur, victimes, forcément victimes. Même les plus sages comme Meg, l’épouse du capitaine Ray, qui a renoncé à sa carrière policière (comme l’autrice?) pour élever ses enfants, dont le garçon, Tom va mal. A 12 ans, il devient grognon, paresseux, sèche l’école. Il vole, en tant que chef de bande. L’adolescence ? Son père qui ne s’occupe pas assez de lui ? Faut-il devenir délinquant pour que papa policier se préoccupe de son enfant ? Les hommes sont des salauds, depuis tout petits. Il désobéissent à leur mère, se rebellent, prennent les filles en prédateurs, voire pire. Cette rengaine est un peu lourdingue et caricaturale, mais fournit la clé de l’énigme.

Si vous trouvez les débuts un peu longs, n’oubliez pas de tenir jusqu’à la seconde partie !

Theakston’s Old Peculier Crime Novel of the Year Award 2016

Prix du meilleur roman international au Festival Polar de Cognac 2016

Prix des lecteurs, sélection 2017

Clare Mackintosh, Te laisser partir (I Let You Go), 2014, Livre de poche 2017, 508 pages, €8,70, e-book Kindle €8,99

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Vers le haut Atlas marocain

Surprise à l’arrivée à Marrakech : il ne fait que 25°, pas plus qu’à Paris ! Il y a quelques années, l’aéroport était encore tout simple, de couleur rose comme la terre alentour. Nous nous transportons à l’hôtel Kenza, avenue El Mansour, un quatre étoiles de bonne facture. Les chambres sont avec balcon en décrochement. Mais l’insonorisation est inconnue ici. Le béton armé résonne, l’immeuble est bruyant la nuit, d’autant que la rue est très passante le samedi soir. Deux mariages en convois vont se succéder ! Sans parler des appels du muezzin dès l’aube depuis les mosquées voisines.

Nous faisons une rapide promenade dans la ville, en taxi jusqu’à la place Djema El Fnaa. Nous dînons au Café de France, sur la terrasse qui la surplombe. Il fait frais ce soir, un petit vent souffle de la mer et l’on aurait supporté une laine sur la terrasse en hauteur. Mais nous n’en avons pas emporté ; pour nous, Marrakech, c’était l’été. Beaucoup de monde erre dans les rues, sur les trottoirs, sur la place, dans un frottement civil plus que par affairement. Les touristes sont peu présents. Des gamins grouillent partout, dépenaillés, barbouillés mais le visage frais. Mobylettes et vélos se croisent et traversent la foule à tout moment, les voitures roulent au pas et au klaxon. Il y aurait 900 000 habitants dans cette perle du sud fondée en 1062. On construit à tour de bras, largement hors de la vieille ville, mais c’est le centre qui attire la foule, par le spectacle qu’il offre. L’humanité s’y montre et s’y côtoie, badaude et grignote, ou mendie. Nous dînons de crudités, de couscous, fruits et thé à la menthe. Un menu basique du pays, aux produits de la terre.

Sur la place, la nuit, des groupes d’indigènes font de la musique, seuls. Personne ne les regarde, le coin de place est déserté par l’heure avancée. Les musiciens sont là, ensembles, et jouent pour eux-mêmes, ou pour Dieu. D’autres mangent sur des tréteaux improvisés, éclairés aux lampes à gaz, de pleines assiettes de frites et de merguez, de pain et d’abats. Certains ne vendent que des escargots, qui cuisent doucement dans une grande bassine. L’acheteur emprunte une épingle à nourrice, désinfectée dans une orange, pour extraire les bêtes de leur coquille.

Retour à l’hôtel en taxi. Nous sommes sept et les chauffeurs craignent la police, qui a la réputation de ne pas être tendre en ce pays. Ils n’acceptent donc que trois personnes par voiture. Pour le dernier, le taxi fait toute une mise en scène : nous montons à trois, puis une fille se cache sous la banquette pour faire croire que l’on n’est plus que deux, et l’on prend le quatrième un peu plus loin… Mais le chauffeur n’en mène pas large. A un moment, il stoppe et éteint le moteur. A-t-il vu la police ? Même pas : « c’i li couffre ! » Il descend et claque le coffre mal fermé de sa vieille Fiat brinquebalante. Et nous repartons.

Après une nuit agitée et le léger décalage horaire (2h de moins), nous sommes réveillés à 6h30 pour un déjeuner à la française. Les bagages sont chargés sur le toit d’une Land Rover, et nous voici à neuf entassés sur les sièges : le chauffeur, Marie-Pierre l’accompagnatrice et le clan des sept : nous. En avant pour huit heures de trajet, 250 km en tout vers l’Atlas, dont 58 km de pistes.

Au bord de la route, des gamins, encore des gamins, quelques vieux sur des mulets qui se rendent au souk voisin, le bric-à-brac des bazars villageois, les tas de ferrailles devant les garages. Sur la grande artère droite bordée d’arbres, une silhouette au loin se précise peu à peu. C’est une toute petite fille, au milieu de la route, qui regarde arriver la voiture sans bouger, hypnotisée comme une chouette. Le chauffeur ralentit, s’arrête, descend. Il ne dit rien mais prend la fillette dans ses bras et va frapper à la première porte pour la confier à qui se trouve là, en expliquant qu’elle ne doit pas rester seule sur la route. Touchante attention d’adulte pour un petit enfant quelconque. Le Maroc est un pays resté largement traditionnel, loin de l’égoïsme des pays dits « civilisés » où morale et sens civique se perdent.

Arrêt-faim vers 10 h et demie. Il est l’heure pour notre estomac, pas encore au fait que l’heure est une convention et qu’ici elle se décale de deux heures. Azilal est le chef-lieu de la province, donc une ville plutôt grande, mais notre venue fait sensation. On nous regarde avec curiosité, les enfants tournent autour de nous, moins pour nous vendre des cigarettes, ce qui est leur petit métier, que pour nous observer. Ils répondent aux sourires, réservés et discrets, mais curieux. Leur rêve secret serait de nous aborder et de parler avec nous. Mais peu parlent français. Certains jeunes garçons se tiennent les mains ou les épaules ; ils s’aiment chaudement, en copains, ce que nous ne savons plus faire, toujours sous le regard réprobateur du puritanisme yankee. Nous marchons un peu dans les rues de terre battue. De belles maisons de pisé s’élèvent, peintes sur la façade en rouge sang de bœuf, les volets en vert ou bleu pastel.

Le pique-nique véritable a lieu sur la piste, en pleine montagne. Mais le coin est loin d’être désert : on ne fait pas cent mètres sans apercevoir un troupeau et ses bergers, adultes ou enfants. Les bergeries sont bâties de pierres sèches, au loin se distinguent des enclos et des tentes.

Nous approchons du terme de notre voyage en voiture, une vallée verdoyante commence à apparaître à l’horizon. Les villages, superbement bâtis de larges maisons aux murs de terre et aux toits de chaume plats, paraissent riches. L’eau est partout et irrigue les champs et les jardins. Tout y pousse, même l’olivier.

Notre randonnée va pouvoir commencer.

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Jo Nesbo, Le Léopard

Ce roman consistant parcourt une palette psychologique, des réalités sociales et la découverte de pays exotiques : Hongkong, Congo, Norvège de montagne. Le célèbre Harry Hole boit comme un trou (c’est héréditaire), mais son vieux père se meurt. Démissionné de la police, il est convaincu de réintégrer la brigade criminelle parce qu’un tueur en série semble sévir à nouveau. Cassé par ses précédentes enquêtes, notamment la dernière où son ex-femme et son toujours-fils ont failli y perdre la vie, Harry revient.

Une femme est retrouvée morte, le crâne curieusement transpercé de part en part, en étoile. Elle n’est que la première d’une longue liste dont le seul point commun est de s’être trouvée en un certain lieu de la montagne, au même moment. Il faut faire vite, d’autant que la brigade criminelle se voit contester sa capacité d’enquêter par la Kripos, que le ministère envisage de fusionner avec elle pour faire des économies. Rien de tel qu’une guerre des polices pour aider les tueurs. Celui qui nous préoccupe saura en jouer de main de maître.

Je n’ai pas lu les précédents romans policiers de ce Norvégien journaliste économique, mais ce dernier opus est d’une grande richesse tout en restant découpé selon les lois filmiques du genre. Nesbo (avec le o barré qui se prononce ‘eu’) adore les fausses pistes et la paranoïa, le lecteur est constamment bluffé. Je ne sais pas s’il s’agit d’un tic d’auteur, visible dans ses précédents livres, mais ça marche ! Personnages, réalités et pays s’entremêlent dans une intrigue compliquée qu’on ne débrouille qu’à la fin en dansant sur un volcan – c’est dire !…

En revanche, comme trop souvent, je me demande pourquoi l’éditeur français a cru bon de modifier le titre du livre. ‘Le léopard’ ne dit rien de l’intrigue, sinon une rivalité macho entre flics qui a peu à voir avec les meurtres. Le titre norvégien signifie ‘Cœurs blindés’, bien mieux en rapport avec ce qui se passe ! La Norvège est un pays froid, luthérien et pessimiste (chacun connaît ‘Le cri’ de Munch en peinture). Les personnages se blindent depuis tout petit, ayant peur de déplaire, d’être moqués et même d’aimer. Ils n’aiment pas les baffes qu’ils peuvent se prendre en retour. D’où cette réserve norvégienne des sentiments qui peut dégénérer en pathologie du blindage. Qui n’est pas aimé chosifie les êtres. C’est le ressort de l’histoire, où l’inspecteur Harry Hole connaît seul la rédemption.

L’état social, dans un monde cruel, produit des êtres qui n’ont plus guère d’humain. Certains choisissent le carriérisme et d’autres le retrait confortable (les deux chefs de l’inspecteur). Certains choisissent les apparences et d’autres leur réalité personnelle (les assassins). Certains clignotent entre les deux (l’inspecteur et sa collègue), mi figue mi raisin, mi ange mi bête, mi héros mi traître. Humains trop humains.

Jo Nesbo, Le Léopard (Panserhjerte), 2009, Folio policier 2012, 848 pages, €8.65 

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