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Mexico cathédrale

Devant la cathédrale, contraste bien mexicain, des danseurs aztèques effectuent une ronde préhispanique et compliquée au son de tambours et de flûtes. Adultes et enfants en pagnes, aux coiffures de plumes, s’évertuent à ressusciter les anciens rites pour ancrer la mexicanité dans le quotidien. Deux ou trois d’entre eux font la quête sur la fin.

La cathédrale a mis trois siècles pour être achevée – en 1813 seulement. Sa façade massive, à trois portails, est en pierre sombre, volcanique, prises à la pyramide démolie comme pour le Palais National. Le sombre et le massif plaisent à l’austérité espagnole – pour l’extérieur. L’intérieur, par contraste, regorge de pompe et de dorures sur 118 m sur 54.

Les chapelles nombreuses, consacrées aux Vierges, Bambino et autres saints « guérisseurs » ou intercesseurs, ont du public. Je dénombre la chapelle du Pardon, celle de la Conception Purissime, celle du Saint Enfant Captif, celle de saint Pierre, celle des Reliques – où le grand Christ aurait été offert par Charles Quint – la chapelle des Rois au retable tout de pâtisserie dorée datant de 1737, celle à saint Philippe de Jesus – saint mexicain – la chapelle de Notre-Dame des Douleurs, celle de Notre-Dame de la Solitude, celle des saints Cosme & Damien… Un prêtre en aube blanche et chasuble violette confesse en public, le confessionnal étant ouvert de toutes parts aux regards. Ici, la contrition se doit d’être devant tous, même si l’on n’entend point, concession bien américaine au secret de rigueur dans les vieux pays.

Un Christ noir, émacié, est appelé « El Señor Veneno ». Prend-t-il sur lui tous les poisons de la terre afin de curer les maladies ? De là peut-être viendrait son nom et son apparence. Il y a du monde dans l’église, bien plus que chez nous. Une messe se termine, il y en a très souvent, comme en Italie. La communion s’effectue à l’ancienne, avec l’hostie posée sur la langue par le prêtre et non dans les mains en coupe. De fraîches créatures de Dieu sont venues lui rendre gloire en suivant leurs parents.

Au sortir de la cathédrale, nous enfilons une rue du quartier historique bordée de bâtiments datant de l’époque coloniale, l’Avenidad 5 de Mayo. L’une des façades contient même des azulejos. Un café chic s’ouvre dans un grand hall et l’on y sert à cette heure chocolat et pâtisserie. La nuit tombe et le ciel s’est couvert déjà au sortir du Palais National.

Des éclairs commencent à zébrer le ciel tandis que nous nous reposons sur les murets de marbre qui bordent le jardin du Palais des Beaux-Arts de San Carlos, un édifice colonial du 18ème. Nous traversons le parc Alameda Central où les promeneurs restent nombreux alors que les vendeurs forains commencent à remballer.

Un bal populaire en plein air déverse sa musique pour faire tournoyer quelques couples ravis. Les étals de colifichets, boissons ou nourritures font encore quelques affaires. Des gouttes épaisses commencent à tomber, çà et là, comme une rosée. Heureusement, l’hôtel n’est pas si loin. Nous nous y abritons avec plaisir, pour nous reposer de cette journée très dense et recharger les batteries des appareils numériques fort sollicités.

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Robert-Louis Stevenson, Saint-Yves

L’un des derniers romans de Stevenson est resté inachevé mais il conte une aventure épique pour adolescent. Il y a de l’action, des frayeurs, de l’amour, des intrigues. Commencé dans l’enthousiasme en 1893, l’auteur s’en lasse un peu bien que l’histoire lui fasse retrouver l’Ecosse de son enfance et les passions de sa jeunesse dans le Swanson Cottage de Flora qui a réellement existé. Après sa mort et après que sir Arthur Conan Doyle se fut désisté, c’est un critique littéraire écossais, Arthur Quiller-Couch, qui rédigera les derniers chapitres d’évasion en ballon puis en navire corsaire avec fin heureuse.

Le vicomte Anne de Kéroual de Saint-Yves a vu ses parents puis ses marraines successives guillotinés sous la Terreur. Elevé par bilingue en anglais par un oncle, il s’engage dès son adolescence dans les armées de Napoléon sous le nom Champdivers qui est celui de sa mère. Elevé au grade de caporal, il est fait prisonnier par les Anglais en 1813 et le lecteur le retrouve enfermé à 25 ans dans le château d’Edimbourg.

Il passe son temps à s’ennuyer et à sculpter de petites figurines qu’il vend contre quelques sous aux visiteuses de prison. C’est là qu’il fait la connaissance de Flora Gillchrist, belle plante de 20 ans dont il tombe amoureux. Elle est chaperonnée par une vieille tante rugueuse et volontaire mais au cœur d’or et aux idées conservatrices pleines de bon sens, typique des femmes sans enfant d’Ecosse (j’ai eu une prof d’anglais de cette sorte). Un codétenu insulte la belle et se moque de Champdivers qui le provoque en duel d’honneur et le tue. Remous parmi les officiels, mais le commandant anglais Chevenix comprend qu’il s’agit d’un crime d’honneur et, entre gentilhommes, ferme les yeux bien qu’il soit lui aussi devenu amoureux de Flora. Recevant aussi la visite d’un notaire mandaté par un grand-oncle émigré en Angleterre où il est riche propriétaire terrien, Saint-Yves prend l’espoir de s’évader.

Ce qu’il fait non sans terreur car il a le vertige, la corde est fine et le mur à descendre très haut. Mais il y parvient et s’oriente vers Swanson Cottage que Flora lui a désigné un jour du haut des remparts de la forteresse. Elle y vit avec sa tante, son jeune frère Ronald qui veut devenir soldat, et un jardinier. Frigorifié par la nuit, trempé de la pluie qui tombe inévitablement quelques heures tous les jours dans le pays, il saute le mur du jardin et se fait reconnaître de Flora qui le planque dans le poulailler. Puis il est introduit dans la maison où la tante et le frère les surprennent. Mais il les enjôle et est prié de fuir vers le sud en compagnie de bergers connus de la famille.

Il traversera le pays jusqu’à rencontrer le grand-oncle mourant qui le fait héritier, au détriment de l’autre vicomte Alain de Kéroual flambeur et vaniteux mais surtout traître à sa patrie, agent triple se vendant au plus offrant. Dès lors, il faut fuir car Saint-Yves reste toujours accusé en Angleterre et en Ecosse du crime de la prison et son rival cousin désire en profiter pour faire casser le testament. Mais le léger et frivole Anne, jamais en reste de galanterie appuyée dès qu’une paire de beaux yeux (agrémentés de seins pommés) se présente, multiplie les bourdes pour se faire repérer. Et ce n’est à chaque fois que par astuce et chance qu’un rebondissement in extremis sauve l’amoureux de la police et de la corde.

Il faut dire que ce roman feuilleton était destiné à un public de jeunes dans les illustrés américains puis anglais – et même français en 1902 dans le journal Le Temps. Saint-Yves sera même publié en 1904 en Bibliothèque verte sous le titre L’Evadé d’Edimbourg. Ce pourquoi Stevenson adjoint toujours un très jeune homme au héros et à l’héroïne, Ronald le frère qui sera enseigne en régiment deux ans plus tard (il a donc 15 ans lors de la première rencontre), et Rowley, jeune homme de 16 ans à belle figure et tout frais de jeunesse comme serviteur. Les chiennes de gardes et autres censeurs moralistes ont beau soupçonner du sexe à tous les étages, moins après Freud qu’après la vulgarisation d’une psychanalyse pour caniches en trois minutes due aux gauchistes des années 1970 sur l’exemple des puritains yankees, la présence de tendres jouvenceaux auprès du héros ne fait pas de lui un inverti. Elle répond au besoin du jeune lecteur (ou lectrice) de s’identifier à une personne de son âge pour vivre ses passions par procuration.

Saint-Yves est un jeune homme sans grandes qualités autres que le courage et l’humanité ; pour le reste, il jette l’argent par les fenêtres et va là où son cœur le pousse. « Le pauvre n’a aucune assurance particulière, aucune supériorité à admirer en matière de fermeté ; il voit le visage d’une dame, entend sa voix et, sans faire de phrases, il s’éprend d’elle Que demande-t-il alors, sinon de la pitié ? » déclare même son père l’auteur au chapitre 28. Mais ses aventures pétillent et rebondissent comme une bille de billard électrique ; c’est là tout son attrait encore aujourd’hui.

Robert-Louis Stevenson, Saint-Yves (St Ives – The Adventures of a French Prisoner in England), 1898, CreateSpace Independent Publishing Platform 2016, 292 pages, €14.72, e-book Kindle €1.90

Stevenson, Œuvres III – Veillées des îles, derniers romans (Catriona, Le creux de la vague, Saint-Yves, Hermiston, Fables), Gallimard Pléiade 2018, 1243 pages, €68.00

Les romans de Robert-Louis Stevenson déjà chroniqués sur ce blog

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Alexander Kent, La croix de Saint Georges

alexander kent la croix de saint georges
En 1813, Napoléon en Europe recule sur tous les fronts. La guerre se déplace vers l’Amérique, où les Yankees tiennent la dragée haute aux tuniques rouges dans le Dominion canadien. L’armée anglaise est battue sur le lac Érié et les bateaux de la Fédération attaquent les convois anglais qui relient l’Europe au continent nord-américain.

Richard Bolitho, amiral, est envoyé par les Lords de l’Amirauté mettre un peu d’ordre dans cette pagaille. Sa flamme d’amiral, qui flotte en haut du grand mât, est la croix de Saint Georges sur fond blanc. Il est accompagné du contre-amiral Valentine Keen, dont Adam Bolitho, son neveu, a accepté d’être capitaine de pavillon. Adam ne s’est pas remis de la mort de Zénoria, la femme de Keen, dont il était éperdument amoureux. C’est moins le cas de Valentine Keen, qui semble se consoler avec la jeune canadienne Gilia, fille de l’armateur Saint-Clair.

Les lecteurs fidèles (et il faut l’être lorsqu’on lit Alexander Kent) retrouveront avec bonheur les personnages auxquels ils se sont attachés au fil des volumes. Les Aventures de Richard Bolitho en sont en effet, avec cet opus, au tome 23, et il y en a cinq qui suivent. Comme disent les marins, il y a de l’eau sous la quille !

C’est l’univers de la mer qui est le vrai héros du livre. Les hommes occupent le décor, mais la mer décide car elle oblige : au courage, à l’obstination, à la loyauté. On ne survit en effet pas longtemps sur un navire de bois, mené par le vent capté par les voiles appareillées dans de multiples cordages, sans les hommes qui montent, orientent et réparent la pyramide de toile ; sans le pilote qui sent les courants et connait les rochers ; sans la hiérarchie, du plus jeune mousse (vers 12 ans) aux plus vieux amiraux. La marine de guerre anglaise est une belle mécanique en ce XIXe siècle qui va voir bientôt disparaître la propulsion à voile…

La mer, la guerre, la marine : « Ici, pas de place pour le contentement de soi, même entre amis. Ils avaient besoin d’un but, d’une ligne clairement tracée, comme le fil du vieux sabre qui pendait à son côté » p.240. Car gagner, c’est prévoir. Comme en politique, l’amiral est obligé à la stratégie et à la discipline. Mais ni l’une ni l’autre ne sont possibles sans objectif définis, sans volonté d’aboutir, ni sans confiance aux hommes. La guerre est la politique poursuivie par d’autres moyens – à l’inverse, qui est fin politicien se doit d’être aussi guerrier.

Une belle leçon pour les minables qui se prennent ces temps-ci pour des politiciens, dans notre France 2016. Que veut-on pour le pays ? Avec quels moyens compatibles ? Avec quels hommes pour agir ?

Loyauté d’un côté, confiance de l’autre – et réciproquement. Ni les chefs, ni les hommes, ne sont des pions que l’on agite au gré des vents. Il faut qu’ils comprennent, qu’ils adhèrent, qu’ils aiment. Rien ne se fait sans eux, ni labourer la mer, ni vaincre au combat, ni remporter la victoire. Ni mener une politique…

Sir Richard Bolitho est obligé de quitter sa femme Catherine, qu’il aime plus que tout, pour aller guerroyer en Nouvelle-Écosse, à l’embouchure du Saint-Laurent qui commande tout le Canada anglais. Halifax est son port d’attache, baie resserrée bien protégée qui abrite trop de bâtiments. Après trente ans de conflits, tous sont fatigués, lui comme son valet Allday, et même son fringuant neveu Adam, qui a perdu l’amour de sa vie.

Mais cela ne les empêche pas de rester attentif aux hommes, jusqu’aux plus humbles, comme ce mousse de douze ans qu’Adam s’est attaché, tous deux seuls survivants d’un navire qu’il commandait et qui a sombré dans un combat naval au tome précédent. Il apprend à lire au gamin et lui offre, pour ses treize ans, un poignard tout neuf qui sanctionne son entré dans la vie adulte. À cette époque, on mûrissait vite, ce qui évitait cette période sentimentale et nihiliste de « l’adolescence », invention moderne, durant laquelle on ne sait ni qui l’on est ni où l’on va.

Vengeances, intrigues, intérêts, commerce, viennent perturber le noble agencement des valeurs de la Marine – mais chacun se débrouille comme il peut dans ces obligations, avec le pragmatisme qui caractérise le tempérament anglais.

Il y a de l’humanité et de l’aventure dans ce tome, des moments de calme et des moments de bataille, des femmes aimées et des hommes qui meurent. Mais toujours, ce qui reste, est l’attention aux autres – sans lesquels on n’est rien.

Alexander Kent, La croix de Saint Georges (Cross of St George), 2001, Phébus Libretto octobre 2015, 398 pages, €10.80
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