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Le samouraï de Jean-Pierre Melville

L’un des meilleurs films avec Alain Delon dans toute sa gloire, avec La Piscine et Plein soleil. C’est une tragédie de la solitude, une fois de plus, l’éternel replay à la Ripley de l’abandon dans l’enfance. Le samouraï est un être implacable, sans affect, un tueur à gage. Il opère avec minutie, couvrant ses arrières, se fabriquant un alibi. Il séduit les femmes qu’il utilise mais ne les aime pas. Il est seul et solitaire, avec pour seul compagnon un oiseau.

A Jeff Costello (Alain Delon), le professionnel, est confié un contrat sur la tête d’un patron de boite de nuit parisienne. Il l’exécute. Il vole une voiture, une DS Citroën dont il a tout un jeu de clés de contact du modèle et dont il va faire changer les plaques à Montreuil. Sa maîtresse Jane (Nathalie Delon), lui fournit un alibi pour l’heure de la mort, une table de jeu privée un autre. Mais il est reconnu dans le couloir de la boite par la pianiste Valérie (Cathy Rosier), une métisse de Martinique, qui le voit clairement à moins d’un mètre, tandis que les serveurs ne l’aperçoivent qu’en silhouette en imperméable mastic et chapeau sur les yeux.

Curieusement, Jeff ne se débarrasse pas de ce déguisement reconnaissable, qui fournit le portrait-robot des témoins, ce qui serait la moindre des choses. Aussi, quand les flics qui sont en nombre à l’époque raflent tout ce qui porte chapeau et imper dans Paris la nuit, il est du lot. Parmi les quatre cents suspects, quelques-uns sont retenus, dont lui, bien qu’il se soit débarrassé de l’arme et des gants qu’il portait. Les alibis tiennent, les témoignages sont contradictoires, sauf celui de la fille du couloir et celui du « fiancé » en titre de Jane (Michel Boisrond). La première affirme que ce n’est pas lui qu’elle a vu, le second affirme que c’est bien lui qu’il a aperçu. Pas lui dans le couloir de la boite de nuit où le crime a eu lieu ; lui dans l’entrée de l’immeuble de son alibi.

Jeff Costello est donc relâché. Mais le commissaire qui a du nez (François Périer) sent que quelque chose ne tourne pas rond. Selon les méthodes autoritaires et quasi fascistes de l’époque, il va donc faire pression sur les témoins pour qu’ils revoient leurs témoignages, et va faire suivre Costello où qu’il aille. Pas difficile semble-t-il de savoir où il habite ; un gros micro d’époque est donc posé chez lui, qu’un flic va écouter dans l’hôtel en face. Sauf que l’oiseau en cage (un bouvreuil) est agité et que le samouraï, attentif à tout ce qui change dans ses habitudes de solitaire, s’en aperçoit et découvre l’engin. Le bouvreuil est un oiseau très discret qui s’éclipse dès qu’on l’approche – tout comme son maître. Jeff va donc téléphoner d’un café au lieu de le faire de chez lui.

En allant rendre compte de la réussite de son contrat, l’intermédiaire (Jacques Leroy) tente de le tuer. Le commanditaire n’a pas apprécié qu’il ait été arrêté et, même relâché, qu’il puisse mener à lui. Jeff détourne l’arme mais est blessé à l’avant-bras gauche. Il se soigne tout seul, comme un soldat – comme un samouraï. Mais il veut ne pas laisser impuni une telle entorse aux règles. Quel serait le métier si chacune des parties ne respectait pas son contrat ? Aucun affect, comme par exemple la vengeance, juste les affaires.

Il va donc retrouver la pianiste de jazz de la boite pour en savoir plus. Elle lui demande de lui téléphoner deux heures plus tard mais elle ne décroche pas. Lorsqu’il revient chez lui, Jeff trouve une fois de plus son oiseau agité – et est braqué par l’intermédiaire qui a voulu le tuer. Sauf que, cette fois-ci, c’est pour le rassurer : ses alibis ont tenu et la police l’a relâché. Il lui propose donc un second contrat pour deux millions de francs en liquide, payé d’avance. Jeff, qui n’aime pas être menacé, malmène l’intermédiaire et lui fait avouer le nom du commanditaire mais accepte le contrat. Il le laisse cependant ligoté chez lui pour qu’il ne puisse alerter son chef et que, s’il ne revient pas, la police le trouve et lui fasse cracher le morceau.

Car il se rend chez le commanditaire Olivier Rey, à la même adresse que Valérie qui est sa maîtresse, dont il veut manifestement se débarrasser. Tout en semant dans le dédale des lignes de métro les cinquante flics et vingt auxiliaires que le commissaire a mis à ses trousses : on avait les moyens en personnel, dans la police de l’époque ; une gabegie inefficace, car Jeff échappe à ses suiveurs/suiveuses. Il vole une seconde DS et se rend chez le commanditaire, qu’il descend alors que l’autre s’apprête à tirer sur lui. Puis il va dans la boite où il doit exécuter le contrat.

Sauf que, cette fois-ci, il a décidé qu’il était bidon. Peut-être tombé amoureux de la victime désignée, en tout cas heurté par le manque d’honneur des commanditaires de la nouvelle époque, il ne peut plus être solitaire, ni lui-même. Il se suicide donc comme un samouraï pratique le seppuku d’honneur, en menaçant d’une arme vide sa victime potentielle, ce qui fait tirer les flics postés à proximité qui ont réussi à le localiser. La tragédie est consommée dès son entrée : il laisse son chapeau au vestiaire, mais aussi le ticket qu’on lui donne. Il passe un moment au bar et fixe le barman dans les yeux pour qu’il le reconnaisse bien, cette fois-ci. Il est auparavant allé chez sa maîtresse alibi pour lui rendre visite et savoir que tout va bien. Il a organisé sa fin en bon professionnel.

La mise en scène sobre et les dialogues a minima font de ce film un grand film psychologique et de suspense. La noirceur du métier mime celle de la nuit interlope et de ce Paris de grisaille des années post-guerres coloniales où l’argent est roi, l’organisation anonyme la règle, et plus aucun honneur n’est reconnu comme valeur humaine. Le meurtre est devenu une industrie, un service payé par les requins des affaires. On ne se bat plus par passion mais pour l’argent. Seul le commissaire cherche à coincer le tueur par passion, mais « les procédures » et la fonctionnarisation croissante feront dériver aussi ce métier vers l’anonymat industriel et la rentabilité. Film de la fin d’une époque, d’un Paris bourgeois véreux, du duel flics et voyous. Mai 68, l’année suivante, allait balayer tout cela – au grand dam d’Alain Delon qui regrettera le bon vieux temps de sa jeunesse et virera réactionnaire. Pourtant non, ce n’était pas « mieux avant ».

DVD Le samouraï, Jean-Pierre Melville, 1967, avec Alain Delon, François Périer, Nathalie Delon, Cathy Rosier, Jacques Leroy,, Rene Chateau 1001, 1h40, €14,99

avec digibook et livret Pathé 2011, €23,22

Blu-ray 4K ultra HD, Pathé 2024 €19,99

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Destination Cuba

Les États-Unis et Cuba pourraient rouvrir leurs ambassades avant le sommet des Amériques, au Panama, qui se tiendra les 10 et 11 avril. François Hollande devrait se rendre à Cuba… C’est assez pour me faire ressouvenir de mon voyage dans l’île Caraïbe, il y a quelques années. La fin de l’isolement de l’un des derniers pays « communistes » de la planète n’est pas encore pour demain, Fidel Castro se dresse toujours en statue du Commandeur ; mais la fin est proche. Évidemment, Cuba est sur la liste des États soutenant ou finançant le terrorisme ; son retrait de cette liste doit d’abord être soumis au Congrès, dont les deux chambres sont dominées par les Républicains – franchement hostiles au régime Castro. Mais une levée d’embargo profiterait à l’agriculture américaine : un million de tonnes de blé est acheté chaque année par Cuba au Canada et à l’Europe. Il serait moins cher de le transporter depuis la Floride, en face. De quoi susciter la convoitise capitaliste…

Fidel castro dictateur

Dans la navette aéroport, à Madrid, je repère deux minettes venues de Paris ; elles se rendent à La Havane. Elles sont « graves » comme dirait l’Adolescent : minaudantes, miaulantes, affichées, supersapées, électriques et narcissiques, elles veulent aller représenter Paris dans les îles. Leur conversation – assez fort pour que tous autour les entende – sinon ce n’est pas drôle – ne porte que sur les garçons : « et Untel, il t’a appelé ? Attend, je vais lui téléphoner. Et Machin ? » Leur but est d’aller tout prosaïquement se faire brancher par les bien montés coupeurs de cannes. S’offrir au tiers-monde, n’est-ce pas faire preuve d’abnégation « dans le vent » ? Le tee-shirt de l’une d’elle annonce la couleur : « Besame mucho !« . En espagnol, cela signifie quelque chose comme baise-moi à mort…

Nous arrivons alors qu’il est 5h du matin en France ; il n’est que 23h à La Havane. Le décalage horaire nous épuise car nous avons tous mal dormi dans l’avion bien rempli, trop serrés, environnés de bruit. Le vol a fait le plein à Madrid de tout un groupe d’Espagnols, des jeunes de 18 ou 19 ans en vacances. Ils sont à mi-année d’entrée en faculté ou en école de commerce, ils se connaissent tous et discutent par groupes. L’un de leur centre est un couple de madrilènes branchés, beaux comme des dieux et aussi à l’aise. Ils s’aiment, se caressent au vu de tous, mignons comme tout. Leur douceur attire les filles comme un aimant et les garçons par rivalité. Ils font cellule et sont en même temps de plain-pied avec les autres, parlant et riant, jouant aux cartes. L’amante porte des cheveux noirs coiffés à la Jeanne d’Arc, un body gris moule sa poitrine appréciable. L’amant a de beaux cheveux aux reflets vénitiens qui lui retombent en mèche sur le front. Il en joue d’un geste machinal et charmant pour les repousser en arrière. Il montre des avant-bras et des épaules de véliplanchiste, bien pris dans une chemise de vichy bleu. Ils apparaissent particulièrement juvéniles et vulnérables au milieu des autres, grands machos aux barbes déjà bleues ou executives femelles au physique de paysannes du Middle-west, qui les accompagnent.

Cuba carte notre circuit

L’aéroport de La Havane est conçu comme une publicité pour le régime. Il est clean, moderne et international – pas du tout « socialiste » comme on peut le redouter. Une aire de jeu pour tout-petits, côté départs, s’aperçoit par la vitre. En revanche, malgré le nombre de fonctionnaires présents aux innombrables guichets, la queue à l’immigration dure longtemps. Il leur faut vérifier le faciès de tous ces étrangers, comparer les passeports avec les listes « noires » établies pour détecter les « espions de la CIA », je suppose.

De l’autre côté, nous accueille un Sergio local parlant français. Il nous déclare être d’origine espagnole, pour se poser au-dessus des métissés, la grande hantise caraïbe. Placide et enveloppé, nous verrons qu’il aime parler ; il débite déjà son discours uniforme au micro, dans le car qui nous emmène à l’hôtel Kohly. Nous n’y passons qu’une nuit courte, de minuit à 5h. L’obscurité est ponctuée des rythmes de la boite de nuit de l’hôtel, en pleine activité hebdomadaire en ces heures du samedi au dimanche. Suivent, au petit matin, des cris et des rires exacerbés des danseurs qui vont se finir dans la piscine. On entend de grands splash et les réflexions de la meneuse, une fille à voix de ventre. Exaspération sensuelle, exténuation physique, rauquerie du désir, tout cela passe par les voix dans le silence de nos insomnies.

L’en-cas du petit déjeuner exige de ne pas être pressé car il arrive un à un, selon les commandes, et parcimonieusement. Le café est à l’italienne, dans des tasses minuscules, peu fait pour abreuver la soif matinale. Les tartines semblent venir de Madrid tant elles se font attendre. Le beurre en plaquettes, lui, est importé de France.

Un autre bus nous mène à l’aéroport domestique Waijay, pour le vol intérieur jusqu’à Santiago. Le jour se lève à peine, mais il monte vite. Nous sommes juste au-dessous du Tropique du Capricorne. Les rues de La Havane sont encore désertes dans le gris de l’aube. Il pleut un peu. Mais quelques personnes attendent déjà aux arrêts de bus et un vendeur de beignets s’installe dans sa guérite. Circulent de rares automobiles. Je remarque quelques vieilles américaines, mais pas aussi rutilantes que sur les photos du tourisme. En fait, La Havane les use plus vite que le reste du pays. Sur les murs, les seules publicités sont révolutionnaires.

Cuba slogans revolutionnaires

Avec ses syllabes pleines et ses voyelles qui claquent, l’espagnol sonne ferme et définitif. Le slogan remplace la réflexion, ne reculant pas devant le jeu de mots ou l’association d’idées. Hasta la victoria (jusqu’à la victoire, phrase favorite du Che) sonne comme Hasta la vista (au revoir) ! Nous longeons des maisons basses entourées de quelques arbres qui ont l’âge de la Révolution, parfois munies d’un patio ouvert sur la rue. La banlieue près de l’aéroport domestique s’achève en casernes, usines et baraques. De jour, le soleil brille sur tout cela et donne un air riant aux choses. Dans l’atmosphère d’aquarium de cette aube au ciel bas, cette banlieue nous semble plutôt glauque, comme un bricolage fatigué. L’activisme factice remplace l’enthousiasme déclinant comme ce « Vive le Nième anniversaire de la Révolution ! » qui orne le mur face à l’entrée de l’aéroport domestique.

descamisados cuba

Françoise se dit « linguiste », ce qui fait quand même plus distingué que « prof d’anglais », vous ne trouvez pas ? Elle avoue d’ailleurs avoir des copies à corriger dès son retour… Mais elle angoisse. Elle ne sait pas si le passeport qu’elle présente « est le bon » (en a-t-elle un « vrai-faux » dans une autre poche ?). Elle s’aperçoit qu’elle n’a pas d’« autre gourde » (en dehors d’elle, je suppose ?), ni de canif, alors qu’elle s’est inscrite dans un groupe de randonnée ! Une Anne-Laure a les yeux à fleur de tête et le museau froncé d’un pékinois. C’en est irrésistible, d’autant qu’elle en a la naïveté hargneuse. Elle consulte en marketing et semble vouloir dès la première heure « prendre le groupe en main ». Elle occupe n’importe quel silence que lui laisse (parcimonieusement) Françoise pour nous raconter tout ce qui pourrait lui permettre de se présenter à son avantage. Ainsi, elle a « des amies cubaines » et vient ici souvent, parfois avec son frère qui a vaguement des idées révolutionnaires. Elle-même habite le 8ème arrondissement de Paris et est assistante en marketing pour une boite chic du boulevard Haussmann. En général, elle commence ses interventions de consultante en lançant à chaque patient un ballon tout en lui criant des insultes (passionnant !). Elle n’a pas pris le même avion que nous car elle « voulait voir ses amies » et a pris plutôt « un vol direct Air France », un jour plus tôt, qui ne lui a rien coûté avec les miles qu’elle a accumulé dans ses déplacements professionnels… C’en est saoulant ! Les autres sont plus discrets ; un Philippe deviendra même un ami.

Deux décollages et une escale plus tard, nous voici à l’aéroport de Santiago de Cuba. Il y fait chaud bien qu’une brise réussisse à descendre du nord. Sur le bord de la route, un petit à la main de son père en a ôté son tee-shirt. Nous nous apercevrons bien vite que cette attitude de quitter la chemise est très courante ici – se poser en Descamisado fait éminemment révolutionnaire ! Les automobiles qui circulent ici sont des Lada ou des Moskvitch ; les plus récentes sont japonaises. Je note quelques Fiat, Renault et Citroën. Un bus accordé à notre groupe nous pique au sortir de l’avion. Le chauffeur se prénomme Ricardo.

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