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Mirage d’Edward Dmytryk

Dans un immeuble de Manhattan, toutes les lumières s’éteignent. Deux petites secrétaires en profitent pour convier un beau gosse qu’elles aperçoivent à la lueur d’une bougie (Gregory Peck), à les suivre dans un amphi vide pour « s’amuser ». Mais celui-ci, nommé David, décline, trop solitaire et sérieux pour une « orgie », comme il le dit à son patron qui doit aller voir le directeur.

Il quitte l’immeuble par l’escalier et descend les vingt-sept étages à l’aide d’une lampe de poche (il faut toujours avoir une lampe dans les gratte-ciel…). Là, il rencontre une belle femme (Diane Baker) qui reconnait sa voix et évoque des souvenirs récents, mais David Stillwell ne sait rien de tout cela. La fille qui avouera plus tard s’appeler Sheila s’enfuit par les sous-sols et David, qui la suit pour en savoir plus, croit descendre quatre étages alors qu’il n’en existe qu’un…

C’est le début d’une suite de décalages entre la réalité et ce qu’il croit être : son barman favori ne l’a pas vu depuis un certain temps, sa serviette est vide alors qu’on lui réclame un papier, chez lui un homme à pistolet lui ordonne de s’envoler pour les Antilles où « le commandant » (Leif Erikson) l’attend, son frigo ne contient rien comme s’il n’avait pas vécu ici ces dernières années. Il est suivi, menacé, poursuivi. De mystérieux comparses tiennent absolument à récupérer quelque chose qu’il est censé posséder, ou le conduire au mystérieux « commandant ». Et ils n’hésitent pas à tuer, même les leurs !

David va voir un psychiatre célèbre (Robert H. Harris), dont le livre en vitrine (trait d’humour : il est soldé au quart du prix) annonce la célébrité. Celui-ci ne le croit pas ; une amnésie peut être temporaire, quelques heures ou deux jours, pas durer depuis deux ans. David avise donc une agence composée d’un seul détective privé (Walter Matthau) dont c’est la première affaire (autre trait d’humour du film) pour enquêter sur sa propre personne. Il se croit comptable dans une société à New York qui n’existe pas, ne sait pas même en quoi consiste le métier de comptable.

Il s’avère qu’il a subi un choc psychologique grave et que la mémoire ne lui reviendra que par bribes ; sa conscience a refoulé un événement impensable. Pourquoi cela a-t-il eu lieu dans cet immeuble de Manhattan, au moment même où le célèbre Charles Calvin (Walter Abel) un politicien partisan de la paix mondiale vient de tomber par sa fenêtre et s’écraser sur le trottoir ? Qui cherche à manipuler un petit comptable dont le bureau n’existe même pas ? A le désorienter pour le faire passer pour fou ? A lui faire endosser la responsabilité d’un crime sur un portier qui le connaissait ? David a dans l’esprit l’image d’une conversation de deux hommes sous un arbre, dans un parc californien ; l’un d’eux, il finit par le reconnaître, est lui-même – mais qui donc est l’autre et pourquoi refuse-t-il de s’en souvenir ?

Dans les années soixante, Hollywood savait faire d’autres films que du sexe torride, des fusillades monstres, des super-héros et des explosions spectaculaires. Nous sommes ici dans un film psychologique à l’américaine, c’est-à-dire moins théoricien du sexe à tout prix qu’observateur du comportement pratique. Tout repose sur le jeu des acteurs et Gregory Peck en beau ténébreux amnésique est parfait. La séduisante Diane parvient à jouer la passion avec quelque succès et « les méchants » sont tout à fait déplaisants.

Mais il y a plus grave : « la paix mondiale » est-elle possible par la seule volonté humaine ? Ne faut-il pas que la technique (cette fée américaine qui exhausse tous les vœux) lui vienne en aide ? Si l’on découvrait un moyen de rendre inoffensive la radioactivité des bombes, cela serait-il la meilleure ou la pire des choses ? Car l’homme est un loup pour l’homme – et pas seulement les mâles comme le croient les ignaresses (féminisation d’ignare qui fait genre) – mais dans le sens générique et neutre de l’espèce, comme « la » langue française (appelée aussi « le » français) connote ce terme.

Un noir et blanc des années soixante au suspense élaboré et récemment réédité qui se laisse regarder sans temps mort.

DVD Mirage, Edward Dmytryk, 1965, avec Gregory Peck, Diane Baker, Kevon McCarthy, Jack Weston, Leif Erikson, Walter Abel, George Kennedy, Walter Matthau, Robert H. Harris, 1h48, Movinside 2018, anglais-français, standard €16.99 blu-ray €19.99

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Le bal des maudits d’Edward Dmytryk

Le titre français tente d’exploiter la vision moraliste de l’antinazisme, tandis que le titre américain fait référence aux jeunes « lions », c’est-à-dire les guerriers, partis combattre pour un idéal avant de se retrouver plongés dans l’inhumanité foncière de la guerre. Je ne sais pas ce que « maudit » veut dire dans ce film de 2h40 qui veut tout embrasser, le bon comme le mauvais, l’Allemand, le Juif, l’Américain. Tous seraient-ils maudits ? Ou seulement certains ? Et pas dans un seul camp ?

Irwin Shaw a écrit son roman en 1948, le film sort dix ans plus tard. La guerre s’estompe, l’horreur des camps de concentration se révèle, les historiens commencent leur travail de précision. Et nous sommes en pleine guerre froide avec les anciens alliés : les soviétiques. Le film est engagé dans le pacifisme par son metteur en scène Edward Dmytryk. Dix ans de plus et ce sera 1968 et le bourbier du Vietnam…

Trois destins sont cueillis de 1938 à 1945 : Christian (Marlon Brando), patriote allemand savatier et moniteur de ski qui aurait voulu devenir médecin avant de suivre le nazisme qui semble offrir un nouveau destin à l’Allemagne (notamment l’université gratuite) ; Michael (Dean Martin) un crooner new-yorkais qui hésite à aller au combat mais est poussé à s’engager pour « agir comme un homme » et séduire celle qu’il veut pour femme ; et Noah (Montgomery Clift), jeune juif au chômage, en proie à la xénophobie youpine de ses compagnons de chambrée (jusqu’au retournement moralement correct).

Toute guerre est une faillite humaine, une machine qui broie l’humain en tous, une industrie du massacre sans vergogne, des mitrailleuses qui fauchent indistinctement les hommes aux obus qui font tout sauter dans un rayon de vingt mètres, jusqu’aux « usines » de la mort de la Solution finale finement décrites par un chef de camp chargé d’éliminer des sujets avec seulement dix ouvriers. Comme si la « production » se réduisait à la technique, même lorsqu’elle concerne la mise à mort d’êtres humains.

Evidemment, chacun des trois est amoureux (où serait le courage sans cela ?). Christian rêve de la femme française prénommée Françoise (Liliane Montevecchi), mais y renonce in extremis pour ne pas trahir sa mère-patrie. Michael veut épouser Margaret (Barbara Rush), son égale en intelligence et savoir-faire, mais doit pour cela prouver qu’il est autre chose qu’un dilettante du spectacle. Noah le pauvre et juif tombe raide dingue d’une blonde platinée WASP du Vermont (Hope Lange), dont le père décrit avec complaisance la lignée et les liens… en l’invitant tout de même à dîner.

Même si la narration est confuse et certaines scènes trop longues, parfois à la limite du mièvre, le contraste des destins humains retient, les amours différents attendrissent, les choix personnels captivent. Car Christian, bien qu’il n’ait jamais été nazi, va choisir le destin de son pays, jusqu’à la « repentance » de se faire tuer par un juif américain (Noah) dans une forêt près d’un camp de concentration. Michael, trouillard et narcissique, va s’engager dans l’armée, puis demander sa mutation sur le front de Normandie où il va prouver qu’il peut agir comme les autres, sans héroïsme, juste pour faire le job. Noah, insignifiant social dans les Etats-Unis des années trente, va devenir quelqu’un en séduisant la belle blonde de souche et en lui faisant un gosse, en s’engageant pour sa patrie et en résistant aux brimades du capitaine, du sergent et de ses lourdauds de chambrée ; il va se battre, il en veut, il réussira son destin qui est de s’imposer comme les autres.

Filmer la guerre au ras des hommes permet d’éviter les grands mots de la morale : toute guerre est une horreur, aucune n’est jamais justifiée, sauf lorsque l’on attaque son pays. L’Allemagne produit des officiers nazis croyants, impitoyables et inhumains, mais aussi des patriotes qui croient à une guerre noble. Les Etats-Unis produisent des patriotes engagés contre la barbarie, des héros de l’instant qui aident un camarade, mais aussi des lâches qui se défilent, des pervers qui jouissent de brimer les autres. Le racisme est présent des deux bords, sauf qu’il est une essence en Allemagne et seulement une méconnaissance en Amérique : Noah devient comme tous les autres lorsqu’il se forge son destin lui-même, dans l’amour, dans la chambrée, dans les bagarres, dans le combat. Il est reconnu comme l’un des leurs par les autres Américains irlandais, italiens ou protestants. Impossible en Allemagne, où l’Aryen doré et athlétique, se prend pour le meilleur de l’univers, réduisant tous les autres humains au niveau d’objets à exploiter ou à éliminer…

La guerre change les hommes ; elle montre aussi la trahison ou la fidélité des femmes. Peut-être rend-t-elle les mâles meilleurs ? Elle les pousse en tout cas jusqu’au bout de ce qu’ils sont.

DVD Le bal des maudits (The Young Lions) d’Edward Dmytryk, 1958, avec Marlon Brando, Montgomery Clift, Dean Martin, Hope Lange, 20th Century Fox 2003, €10.00

Coffret 4 DVD, Le Bal des Maudits, La Canonnière du Yang-Tsé, Okinawa, le Vol du Phénix, Fox Pathé Europa 2006, €31.49

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