Articles tagués : flûte

Vermeer « exposition du siècle » à Amsterdam

Le Rijksmuseum d’Amsterdam organise l’exposition du 10 février au 4 juin 2023, ouverte tous les jours de 9h à 17h, avec 28 tableaux originaux de Johannes Vermeer de Delft (sur les 37 attribués au peintre) dont la fameuse Jeune fille à la perle, la « mascotte des pays-Bas ».

Dans une suite de salles à part du musée, les 28 tableaux retenus sont exposés par thème. Les salles sont tendues de rideaux bleu sombre mais les tableaux sont petits et la foule ne cesse de s’y agglutiner. Des vieilles restent ainsi trois ou quatre minutes devant chaque tableau sans bouger, à commenter les petits détails dans les coins, sans aucun égard pour ceux qui voudraient bien voir aussi. Une maman explique à ses deux petits garçons pourquoi la dame fait ça ou est comme ci. Je ne comprends pas le batave, mais je trouve cette éducation à l’art national tout à fait sympathique.

Comme d’habitude, les cartels d’explications qui donnent le titre et la date, agrémentés éventuellement de quelques commentaires, sont écrits en petit, alors qu’il est difficile déjà de voir. Il faut prendre son mal en patience, s’immiscer dans la foule pour arriver enfin devant le tableau et pouvoir l’examiner à loisir et prendre quelques vues. Cela demande de la patience, d’autant que si les dames peuvent être surmontées par les deux bras tendus afin de photographier, c’est impossible pour les hommes car les Hollandais sont vraiment très grands. Ce sont évidemment les petits détails qui comptent dans l’œuvre de Vermeer et observer de près les tableaux est indispensable pour bien les repérer et s’imprégner de la couleur véritable. Les photographies, en effet, ne rendent jamais les couleurs originales.

Les mêmes objets récurrents reviennent dans les tableaux, souvent empruntés à la maison de la belle-mère, des pichets, des vases, des chaufferettes, des instruments de couture ou de cuisine, des robes ou des châles. Chaque tableau transmet une morale, donne une leçon. Certains étaient destinés à des catholiques, comme Sainte Praxède ou le Christ entre Marc et Marie, ou encore l’Allégorie de la foi. Mais, dans ses débuts, Vermeer avait du mal avec les perspectives, en témoignent les seins mal placés de Diane. Le liant de sa peinture est de l’huile de noix, ce pourquoi les analyses scientifiques contemporaines ont déclassé certaines attributions dont le liant était au blanc d’œuf. Mais pourquoi Vermeer n’aurait-il pas aussi utilisé le blanc d’œuf comme liant si, par exemple, l’huile de noix était devenue rare ou trop chère ? Le blanc de plomb en fond de tableau donne un glacis à la couleur pour la lumière tandis que les petites touches de pinceau en pixel de certains tableaux dénotent l’usage de la camera obscura venue d’Italie, ce procédé optique qui grossit à l’aide d’une lentille.

Les objets symboliques au XVIIe siècle sont par exemple les instruments de musique. Le virginal (sorte de petit clavecin destiné aux jeunes filles, d’où son nom) est considéré comme pur tandis que tous les instruments à cordes comme le violon, la viole, le violoncelle, ou encore les instruments à vent comme la flûte, était considérés comme impurs. Pour la flûte (phallique), on devine pourquoi, mais pour les cordes, c’est moins évident. Le luth figure un vagin mais le sexe pouvait tout simplement être évoqué par un oiseau. Ce pourquoi La fille en bleu qui joue du virginal devant un violoncelle est dans l’entre-deux sexuel : va-t-elle céder ? Cette énigme suspendue plaisait beaucoup aux mécènes. Quant aux chaussures, et aux cruches, ce sont également des codes du sexe que tous les contemporains de Vermeer connaissaient.

La chaufferette est souvent représentée dans les tableaux du temps, pas seulement chez Vermeer. Elle n’était pas seulement destinée à chauffer la pièce, mais, placée sous les jupes, établissait un courant d’air chaud qui titillait agréablement le sexe de la servante en train de s’activer, ou de la jeune fille en train de coudre, sans culotte à l’époque. La seule présentation d’une chaufferette à proximité d’une jupe donnait à imaginer immédiatement les sensations de la fille. Pour le tableau intitulé La laitière, le symbole est accentué par le fait que cela se passe dans l’arrière-cuisine, où les amours ancillaires étaient courants, et avec le lait qui coule, figurant les flots de sperme.

La lettre est un autre objet symbolique du siècle ; Vermer en use et en abuse, manière de présenter des femmes plus ou moins « compromises ». Car de nombreuses femmes de bonne bourgeoisie, le mari ou les fils partis sur la mer durant des mois, voire des années par la Compagnie des Indes orientales, devaient vendre leur corps pour subsister en attendant leur retour, faute de ressources. C’était admis par la société, et reconnu comme honorable. Dans l’un des tableaux, le rideau théâtralise la scène et le regard du spectateur se fait indiscret. Il pénètre dans l’intimité d’une femme qui lit une lettre à sa servante, laquelle a un petit sourire en coin de connivence. La femme n’est pas vertueuse car elle porte une viole. Un balai et des chaussures sont placés en premier plan, ce qui n’est pas par hasard. Il s’agit tout simplement de la scène d’un bordel, présenté depuis l’entrée.

La jeune fille au chapeau rouge est clairement en train de draguer, les lèvres humides entrouvertes et le regard dirigé droit vers le spectateur. Elle l’invite à venir la voir de plus près et même à s’accoupler.

La joue sur la main est une attitude qui signifie la pensée ou le songe, pas la mélancolie. Elle n’a pas ce sens négatif du spleen que donnera le romantisme.

La Femme à la balance ne pèse rien. Le tableau en arrière-plan est le Jugement dernier, les perles devant elle figurent les richesses matérielles. La jeune fille hésite, résiste à la tentation. Elle balance, vêtue de bleu comme la Vierge. Tout comme la fille, de dos à la fenêtre, debout devant son virginal mais avec un Cupidon tout nu en peinture au-dessus d’elle. Vertu ou désir ?

Le « petit pan de mur jaune » qu’a évoqué Proust dans la Vue de Delft très détaillée, est l’auvent d’un toit mais Proust avait vu le tableau avec son vernis ancien qui l’avait foncé. La restauration l’a rendu plus clair. Le paysage présente le Schie Canal encadré par les portes de Schiedam (à gauche) et de Rotterdam (à droite), ainsi que la Nouvelle Église (Nieuwe Kerk) éclairée par le soleil. Les détails, vus de près, montrent le pointillé du peintre, peut-être dû à la caméra obscura. Selon Jan Blanc, auteur de Vermeer : La fabrique de la gloire chez Citadelle & Mazenod, cette Vue de Delft serait une représentation symbolique de la Jérusalem céleste. Le ciel immense, les clochers plus hauts qu’au naturel, la Niewe Kerk éblouie par le soleil levant, le canal plus large que dans la réalité, seraient une déclaration d’amour à sa ville natale. La minutie des détails serait comme une prière car, dans la conception calviniste, Dieu est partout.

Pour Jan Blanc, trois enjeux capitaux ont dominé Vermeer : le respect des traditions artisanales de la peinture néerlandaise ; la valeur de ses œuvres, à laquelle le peintre accorde de l’importance en développant des stratégies sociales, commerciales et symboliques habiles ; enfin le prestige personnel qui le conduit à se présenter comme un artiste universel, voulant égaler des plus grands de son époque. Le jeux de lumière, les instants volés et l’ébauche d’une histoire rendent les scènes peintes par Vermeer universelles et éternelles : elles sont humaines.

Catégories : Art, Pays-Bas, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Caravansérail de Sélim et camping au doudouk

Article repris par Medium4You.

La route monte hardiment vers un col. Les lacets permettent de voir le paysage de la vallée, mi-verte, mi-grillée par le soleil.

A 2410 m, le bus nous arrête au caravansérail bien conservé datant de 1326, comme indiqué sur le tympan de l’entrée en arc.

Un marchand arabe nommé Sélim a donné son nom après avoir été pris dans une tempête de neige, mais le bâtiment a été érigé au col à la demande du prince Tchessar Orbélian et achevé en 1332. L’ancienne route commerciale exigeait un abri.

Le caravansérail est le mieux conservé d’Arménie. C’est un long rectangle voûté à trois nefs, enfoncé d’un tiers sous la terre et au toit recouvert de mottes d’herbe. Un hall central sert de passage et de couches de part et d’autre, tandis que les ailes servent aux stalles des chevaux et chameaux. Des trous dans les rebords des mangeoires permettent d’en attacher quatre à chaque arche. Nous pouvons par multiplication compter 56 emplacements de bêtes. Un coin pour le feu, des puits de lumière et à fumée faciles à boucher par l’extérieur en cas de tempête, une chambre pour le chef de la caravane complètent ce simple et ingénieux bâtiment.

Des kilomètres plus tard, au bord de prés à fourrage où s’escriment des faucheurs et des râteleurs de tous âges, le bus emprunte un chemin cahoteux jusqu’à l’aire de camping. C’est un pré fauché où le propriétaire nous accueille. Il se prénomme Tigran, le tigre, nom d’un roi ancien célèbre en Arménie. « Tout autour est à moi », nous dit-il. Il a pris le look cow-boy, chapeau texan, large ceinturon à l’étui poignard, lunettes noires, fort en gueule. Mais il a le profil arménien caractéristique.

Nous installons nos tentes sur un endroit plat tandis qu’un taxi a vomi à une dizaine de mètres ses quatre occupants pour la fauche. L’homme sort du coffre une tondeuse à pelouse (guère plus grosse que les nôtres), la femme commence le café sur un réchaud à gaz, tandis que la tripotée d’enfants part jouer en courant dans l’herbe. Ils nous regardent avec quelque curiosité : nous représentons quelque chose comme leur émission de télé vespérale. L’une de nous tentera de les photographier de loin mais sa silhouette qu’on ne peut ignorer et son absence de discrétion fait qu’elle sera repérée. On l’appelle, elle y va, on lui offre la vodka. Obligée de refuser pour raisons de santé, elle prend quand même une photo de plus près qu’elle montre à tous. Ils sont contents.

Nous sommes quelques-uns à aller sommairement nous laver dans le canal d’irrigation qui court à quelques centaines de mètres. Un vieux m’y demande en russe si je parle russe ; je réponds en russe que non, ce qui a l’air de l’étonner. Si je comprends assez, je ne parle pas vraiment, même si quelques mots et phrases me restent de mon apprentissage d’il y a trente ans… L’orage gronde, un peu de pluie alors que je reviens. Dans mon antre, je l’entends fouetter la toile ; bonheur simple d’être à l’intérieur, au sec et avec toutes mes affaires, robinson en son île.

Le dîner est apporté dans une Volskwagen Jetta par Tigran et son petit frère dans la trentaine. Ce dernier est plus fluet, moins frimeur, et expert en doudouk, cet instrument national arménien qui est une flûte en abricotier. Double salade tomate-concombre avec oignons blancs et herbes mêlées, fromage, puis bœuf étouffé aux pommes de terre et poivrons jaunes. Tout cela, préparé par les femmes de Tigran et son frère, est très bon, longuement revenu. Bien sûr ils sont payés pour cette prestation, location du pré et repas, mais c’est délivré avec sympathie et bonne humeur. Suit du melon et du thé. Le vin local, offert par Tigran, est âpre et un peu piquant, nul doute qu’il n’alimente la turista pour ceux qui en sont déjà sujets. L’Areni de dix ans, acheté par l’un d’entre nous en apparaît nettement meilleur, toujours à la saveur de framboise. Mais il est servi trop chaud et remué.

La pluie s’est heureusement arrêtée juste le temps de dîner et de faire le feu tandis que résonne la plainte triste du doudouk. Le frère en joue très bien. Tigran l’accompagne en basse continue avec une sorte d’ocarina moderne en plastique ; le frère lui place les doigts sur les bonnes touches pour donner le ton car Tigran ne semble pas avoir l’oreille tout à fait musicale. Même pour les airs gais, tirés de films connus, le doudouk produit une complainte, un air long qui s’évanouit dans l’air sans une seule note sèche. La soirée se termine avec les dernières bûches sèches du feu, alors que la pluie commence à battre les tentes. Les faucheurs sont partis avec l’obscurité, embarquant leurs quatre garçons qui couraient et se battaient dans les herbes comme des cabris lâchés.

Retrouvez toutes les notes du voyage en Arménie sur ce blog

Catégories : Arménie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Les Incas du Pérou

On ne connaît pas l’origine des Incas. Certains les font venir des hautes plaines de l’Amazonie, d’autres du Lac Titicaca… Les Incas ont fondé vers 1200 Cuzco, « le nombril du monde » en quechua. Le grand temple du Soleil est devenu les fondations du monastère Santo Domingo. Douze dynasties incas se seraient succédé à Cuzco. Atahualpa appartiendrait à la treizième. Le premier Inca historique est Pachaculec-Inca-Yupan (1438-1471). « Renversement de l’ordre du monde » signifierait son nom. Les Espagnols découvrirent la ville de Cuzco rebâtie par lui.

Les Incas dominaient un immense empire couvrant le Pérou, la Bolivie, l’Equateur, et une partie de la Colombie et du Chili d’aujourd’hui. Les traces de cette civilisation sont partout, chez les gènes des 10 millions d’indigènes parlant le quetchua, dans les objets des musées, dans les ruines du bâti antique. Les Incas ont beaucoup apporté à l’agriculture et à l’architecture. Comment ne pas être admiratif devant les ouvrages colossaux constitués d’impressionnantes pierres taillées et ajustées qu’on ne peut, entre deux blocs, y glisser la lame d’un couteau ?

Sur les crêtes, ils ont construit Machu Picchu, Pisac, Sacsahuaman, des cités-forteresses approvisionnées et surveillées par tout un réseau de chemins et de sentiers d’approche. Les travaux des routes commencés sous la civilisation Chimu se sont poursuivis. Ils les ont agrandis jusqu’à 11 000 km, une route suivant la côte, l’autre la cordillère.

Si la religion catholique a été adoptée par la majorité des peuples d’Amérique du Sud, l’animisme a conservé ses rites millénaires : lorsqu’on passe un col, vous verrez votre chauffeur descendre de voiture ou de car et poser un caillou blanc sur un tas déjà constitué. Le jour des morts on fait libation sur les tombes, on apporte aux défunts à manger, on trinque avec la tequila, on leur fait donner une aubade. Le lutin bossu et grassouillet (ekeko), censé apporté la richesse, est béni ainsi que tous les autres le 24 janvier à La Paz. Le demi-dieu de l’abondance est porteur de tous les désirs en représentations miniatures tels enfants, nourriture, argent, automobile Mercédès. Les poupées du Pérou en laine, coton et fibres végétales n’étaient pas des jouets mais des idoles rituelles. Les guérisseurs font toujours office de médecins.

La musique demeure l’une des plus belles qu’il m’ait été donnée d’entendre que ce soit dans les auberges, les fêtes populaires, sur une place publique.

Les tambours, (cajas et tinyas), percussions, sifflets, ocarina, flûtes de pan (antaras), flûtes droites (quenas), guitare et violon accompagnent les chanteurs et danseurs de valse créole et marinera.

Hiata de Tahiti

Catégories : Pérou-Bolivie, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,