Articles tagués : lac nasser

Temple de Philae

Le temple d’Isis est peu encombré de groupes car nous sommes à l’heure du déjeuner. Seul un troupeau de Yankees narcissiques agace, se prenant en photo devant les ruines avec des poses de star comme à Disneyland. Les grandes juments blondes aux shorts très courts, et dont le haut sans soutien-gorge dégage toujours le nombril nu, cravachent les jeunes mâles bodybuildés par le sport universitaire, dont le cerveau semble réduit par compensation à un pois chiche. Le saut en l’air devant les ruines et au milieu du kiosque de Trajan semble le dernier must de la mode sur les réseaux sociaux.

Selon la légende égyptienne, le roi Osiris aurait été tué par son frère Seth, qui aurait dispersé son corps dans tout le pays. Son épouse Isis aurait récupéré les restes pour les rassembler ici, à Philae. Il aurait été érigé par les souverains lagides (dynastie hellénistique, 332-30 avant) sur un sanctuaire antérieur, qui serait l’œuvre d’Ahmôsis II (Amasis, 570-526 avant), pharaon de la XXVIe dynastie. La fermeture du temple est ordonnée vers 530 de notre ère sous Justinien.

Nous visitons les différents bâtiments, observons les gravures en hauts-reliefs souvent colorés, écoutons la énième description du pharaon faisant offrandes aux dieux en reculant devant les prêtres, goûtons le climat doux et léger de l’île sur laquelle le temple a été reconstitué. Je songe que si la mer doit monter en raison de la fonte des glaciers due au réchauffement climatique inévitable, alors le sauvetage des temples sera à refaire en Égypte. La trace noire de la crue du Nil arrive en effet à peine à 4 ou 5 m en dessous du niveau des bases. J’observe un marchand du temple musulman étaler son tapis pour faire sa prière en plein midi, en direction approximative de la Kaaba, mais sous un tamaris.

Nous reprenons la petite barcasse conduite par un grand Noir au visage riant, fan de Bob Marley (« c’est l’Afrique », me dit-il). Il est cette fois accompagné d’un mousse nubien d’une douzaine d’années qui se met à l’avant silencieusement pour faire la traversée. Il se place dos au mât de poupe et les bras écartés, comme offert en croix pour on ne sait quel sacrifice au tourisme. À mon avis, il joue à l’ankh. Il largue les amarres au départ puis les rattache à l’arrivée, ce qu’il lui vaut un petit bakchich, offrande traditionnelle entre Arabes. Il n’a pas dit un mot.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Temples d’Abou Simbel 2

La façade, creusée dans la falaise, présentes quatre colosses à son effigie : le roi du Nord, le roi du Sud, le roi de l’Est et le roi de l’Ouest. L’un d’eux a été détruit par un tremblement de terre, le pharaon n’est donc plus le roi de l’un des points cardinaux. Les scènes célèbrent la bataille de Qadesh en 1275 avant, en l’an V du règne de Ramsès II, contre le roi hittite Muwatalli. Il a été découvert par hasard le 22 mars 1813 par l’historien suisse Johann Ludwig Burckhardt, car entièrement ensablé. Élevé en 1265 avant notre ère, le temple était à 200 m plus à l’est et 65 m plus bas à l’origine. Il a été haussé pour le sauver des eaux par un démontage en 1042 blocs de 20 tonnes chacun, « massacrés à la scie » disent les Égyptiens, selon Mo. Il a été remonté en 1968, cinq ans plus tard.

La première salle hypostyle, d’une hauteur de 10 mètres et profonde de 18 est soutenue par huit piliers osiriaques représentant le roi en dieu Osiris, bras croisés sur la poitrine et mains tenant les sceptres osiriens : le fouet nekhakha et le sceptre heka.

La seconde salle hypostyle présente les habituelles scènes d’offrandes, de guerre et de victoire.

Le roi Ramsès aimait beaucoup sa femme préférée Néfertari, ce pourquoi il lui a élevé un temple jumeau du sien. Entièrement creusé dans la roche, il comprend six colosses, quatre de Ramsès et deux de Néfertari. Les guides n’ont pas l’autorisation de parler à l’intérieur des temples, ce qui est heureux puisque la foule y est extrêmement dense. Aussi, Mo nous fait-il un exposé sur le parvis avant de nous laisser un long temps libre pour que nous puissions visiter et photographier à notre aise.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , ,

Temples d’Abou Simbel 1

Nous sommes debout à cinq heures, peu de temps après la prière chantée par le muezzin de la mosquée voisine. Le jour se lève à peine, le soleil filtre ses rayons roses au travers des nuages, à l’horizon des collines est du Nil. Nous avalons juste un café en poudre et hop ! Nous serons les premiers à l’entrée du site qui n’ouvre qu’à six heures tapantes. Nous serons les premiers aussi dans le temple de Ramsès II. Ce sera bientôt la foule, compacte, serrée, sans masques. Pire encore une heure plus tard au temple de Néfertari. Les marchands du temple dans l’allée qui conduit à l’entrée du site ne sont pas encore ouverts, et nous évitons ainsi les accroches commerçantes pour des bibelots et tapis sans aucun intérêt. Les pires sont les gamins, dont la jolie frimousse incite à faire plaisir.

Abou-Simbel est le nom du paysan qui guidait les explorateurs au début du 19e siècle. Ces temples ont été élevés par Ramsès II dès sa montée sur le trône. Le pharaon devait en effet commencer tout de suite l’édification de son temple funéraire car il ne savait pas combien de temps il allait régner ni l’heure à laquelle la mort allait le prendre. Pour des raisons politiques, le grand roi Ramsès a décidé d’élever aussi un temple funéraire aux abords de la Nubie afin de marquer son territoire. Son véritable temple funéraire est dans la Vallée des rois.

Le naos contient quatre dieux : Ptah dieu créateur toujours dans l’ombre, Amon le premier à être caressé par le soleil levant, puis Ramsès et Horus. Nous avons la chance d’être entrés les premiers et de voir, sans personne ou presque, le soleil levant effleurer les statues une à une d’une chaude lumière rose puis dorée. Nous sommes la veille du 21 octobre qui est le jour anniversaire de la naissance de Ramsès II. Le seul autre jour de l’année où le soleil baigne ainsi les statues est le jour de son intronisation, le 21 février.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Vers Abou-Simbel

Après le déjeuner de purée de sésame, de tajine de poisson et de frites, de banane et d’orange, le bateau fonce sur Abou-Simbel pour que nous puissions voir le temple depuis le large, comme le pharaon le faisait lorsqu’il venait en visite il y a 3300 ans et 65 m plus bas. Car le temple a été remonté de cette hauteur et a été déplacé de 200 m pour rester sur la colline ; du large, nous en voyons la coque artificielle de l’arrière en béton. Nous faisons un tour d’honneur avant de repartir dans une anse du port, près du pont où s’effectue l’amarrage. Des gamins de pêcheurs piaillent et crient, allant même jusqu’à se baigner, mais tout habillé selon la pudeur rigoriste néo-islamique, un seul torse nu. Pourtant, ils sont cachés par les herbes et nul ne peut les voir.

Nous faisons un petit tour dans le quartier où s’ouvrent des boutiques le long de la rue principale. Nous croisons des commerçants, dont un avec sa machine à pain qui les enfourne sur une plaque tournante dont la durée de révolution suffit à cuire la pâte. Comme toujours, nous avons droit à des gamins accrocheurs, intrigués par ses touristes différents de ceux qui passent en car climatisé.

Nous allons assister, sauf Prof qui le snobe, au son et lumière de 18h30 qui dure 50 minutes devant le temple d’Abou-Simbel. L’ensemble est assez banal, le texte grandiloquent n’apporte pas grand-chose, l’intérêt principal est de voir les deux temples de Ramsès II et de Néfertari illuminés. Plus d’Espagnols que de Français ce soir et nous devons porter les écouteurs de traduction.

Nous ne dînons qu’après de jus de tamarin, d’une soupe minestrone, d’un curry de légumes et de bœuf, d’une salade mixte et de gombos épicés, enfin de melon d’eau. À midi, le plat principal était présenté en barquette d’aluminium comme s’il était décongelé. Peut-être le cuisinier a-t-il préparé en grande quantité ses plats à terre pour se simplifier la vie et les servir selon nombre de convives ?

C’était notre dernier jour de navigation. Nous nous couchons tôt car nous nous levons à cinq heures pour être à l’ouverture des temples d’Abou-Simbel avant tout le monde.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , ,

Oiseaux du lac Nasser

Nous sommes à la moitié du séjour. J’ai passé une bonne nuit et mes narines s’ouvrent au petit matin aux odeurs d’eau douce et de terre, le plaisir du bateau. Le petit-déjeuner est à sept heures, une heure plus tard que d’habitude. Nous sommes tous levés avant. Les faucons ont leur nid un peu plus haut sur les rochers, ils surveillent les alentours.

Hier soir, un lézard et une araignée assez gros ont tenté de pénétrer sur le bateau par le câble d’amarrage. Ils ont été chassés à coup de balai, engendrant une cavalcade qui nous a un moment inquiétés. Les pêcheurs sont partis tôt ce matin en barques et leurs cabanes sont désertes. Ils vivent ici à l’année mais pas tous en même temps ; chacun passe trois mois, sauf le mois interdit qui se situe en mai.

Après un petit-déjeuner d’omelette et de Vache-qui-rit, nous partons pour deux heures de randonnée. L’objectif est de « voir les oiseaux ». Sur les rives où pousse le tamaris et le roseau, de nombreux oiseaux ont leur nid : les aigrettes, les hérons cendrés, les vanneaux à éperon, même les cigognes. Nous les voyons surtout de loin, nous sommes trop agités et trop bruyants pour eux. En revanche, d’innombrables traces marquent le sable ocre : les chèvres, un félin, le renard des sables, le lézard, les serpents. Des trous de fourmi-lion parsèment le sable. Tous les serpents ondulent vers l’eau.

Le campement du chevrier et (probablement) de son fils n’est pas établi au bord de l’eau, les fauves et les reptiles vont boire, mais à l’intérieur, sur le désert. Les matelas sont dressés sur des armatures de lit surélevé pour éviter les rampants. Pas de troupeau en vue, ni de chevrier. Des toiles d’araignée indiquent qu’ils sont partis depuis un moment, le troupeau ramené à son propriétaire, comme en témoigne un carnet à spirale laissé là qui liste une série de courses avec leur prix pour se faire rembourser. Un abri en briques séchées permet d’entreposer quelques bidons tandis qu’un enclos non terminé protège un peu les chèvres. Le sol est parsemé de crottes de bique et une chèvre morte pue dans un coin. Le coup d’un serpent, peut-être.

Nous retournons au bateau par une boucle dans le désert. La marche dans le sable est toujours aussi pénible au col du fémur, mais dure aujourd’hui moins longtemps. À 10 heures, nous sommes de retour sur le bateau où un grand gobelet de tamarin sucré bien frais nous attend.

Nous avons visité à l’aller les abris des pêcheurs. Une allée bordée de plantations d’herbes aromatiques, de basilic, de citronnelle et d’un plan de pastèque aboutit aux baraques qui sont ouvertes sur un côté. Des centaines de pains sans levain sèchent sur une claie et sur le pont d’une vieille barque. Des mouches agaçantes nous harcèlent lorsque nous sommes près des côtes la journée et les moustiques le soir.

Navigation et lecture jusqu’à une dune de sable jaune d’œuf qui tombe dans le lac. Le bateau amarré à la rive, nous pouvons à nouveau nous baigner. L’eau est encore glauque mais moins chargée cette fois, surtout rafraîchissante. L’un des hommes se baigne avec nous, non par plaisir mais pour déboucher une canalisation sous la coque. La plage est en pente et Prof s’y vautre, le roi n’est à ce moment-là pas son cousin.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Temple Ramsès II de la Vallée des lions

Le dernier monument dans l’oasis est celui de Wadi El Séboua, ce qui signifie la vallée des Lions, en raison des sphinx rangés de part et d’autre de la cour d’entrée. Érigé entre l’an 35 et l’an 50 du règne, c’est un temple funéraire pour Ramsès II, avec rappel de sa victoire sur les Hittites, les captifs aux barbes asiatiques attachés par le cou ou empoignés par les cheveux. Il a été démonté et rebâti à un niveau supérieur à quatre kilomètres plus à l’ouest sur le site de la nouvelle Seboua. La cour intérieure est bordée d’une série de Sphinx, le vestibule en hauts-reliefs peints représente le pharaon et sa reine, quatre statues monumentales de Ramsès II hautes de six mètres dont une, du côté sud, dans l’attitude traditionnelle « de la marche militaire », dit Mo, jambe gauche en avant. Un dieu lui donne la vie par l’ankh, cette clé à boucle célèbre dans les pendentifs exposés à destination des touristes.

Les Égyptiens antiques célébraient dans chaque dieu l’énergie de la vie, sous la forme qu’il prenait. Même le crocodile était vénéré sous les traits de Sobek. Cet animal est certes dévorant, donc néfaste, mais aussi prolifique, donc fertile et faste. Le soleil était le plus grand dieu, il donne l’énergie à tout, aux plantes, aux animaux, aux hommes, à pharaon. Râ était au principe même de la vie. Akhénaton en fera son seul dieu, au détriment d’Amon, ce qui lui vaudra les foudres du puissant clergé de Thèbes et de voir son nom martelé sur toutes les pierres où il apparaissait une fois son règne terminé.

Au seuil du vestibule, sur la droite, au soleil, un long et très fin serpent ne bouge pas, caché derrière un néon d’éclairage au ras du sol. Il ne semble pas être une vipère au vu de sa tête non triangulaire, mais difficile de dire s’il est venimeux ou pas. Chacun passe cependant soigneusement au large.

Le bateau est venu s’amarrer tout au bord et l’échelle est mise, non pas la passerelle en bois peinte et glissante. Le karkadé frais et onctueux nous attend en bienvenue comme le bol de sang frais revigorant le vampire au matin. Nous reprenons la navigation avant de déjeuner. Certains prennent déjà une douche alors que la journée n’est pas terminée ; ils en reprendront une le soir venu ! L’eau est pourtant rare sur le bateau mais les habitudes comptent plus que la sobriété écologique – c’est dire pour le reste : électricité, carburant, déchets… Et pourtant, la COP 27 a eu lieu en Égypte en novembre 2022 – il est temps de charmer l’scheik. Au déjeuner, purée et pâtes baignées de viande, salade mixte, orange verte mais mûre, à peler.

Avant le remplissage du lac Nasser, quatorze temples ont été démontés grâce à l’UNESCO, dont quatre donnés aux pays qui ont participé, dont un aux États-Unis. Les dix restants ont été remontés plus haut sur les collines, dont les trois de ce matin et ceux que nous verrons ensuite, les plus célèbres : Philae et Abou-Simbel.

Nous allons prendre notre premier bain de lac, autrement dit dans le Nil. Le fleuve en amont du barrage est plus propre qu’en aval car moins de gens résident sur ses rives. L’eau est douce mais limoneuse, assez chaude, pas transparente. Je n’ai vu ni crocodile, ni serpent, ni autres nageurs. Pendant ce temps, Prof monte la dune jaune d’œuf d’El Malqui qui plonge directement dans le lac aux eaux vertes. Il ne veut pas faire comme les autres. Il ne porte pas de chaussures de marche fermée mais des sandales et se brûle les pieds au sable chauffé depuis ce matin par un soleil implacable. Il ne peut aller qu’à la moitié du sommet avant de redescendre.

Nous avons deux heures de navigation avant de nous amarrer sur la rive d’une crique. Le temps de prendre le thé avec un cake fait sur place par le cuisinier ; il a embaumé un bon quart d’heure avant d’être servi. Une fois le bateau éteint, nous effectuons une montée rituelle sur la colline pour « voir le coucher du soleil ». À nos pieds toujours ces pierres volcaniques dentelées, piquetées et trouées. Avec les bombes volcaniques, toutes rondes et fort jolies, nous montons un petit cairn.

Je prends ma douche du soir, froide mais pas fraîche. L’eau a été réchauffée toute la journée dans son réservoir. Ce doit être l’eau du Nil, le bateau n’emporte pas assez d’eau douce purifiée pour tous nos besoins. Peut-être y a-t-il un filtre. La nuit tombée, un fennec, attiré par la curiosité, détale sur la rive. Des libellules biplans avec deux fois deux paires d’ailes comme les avions de 1914, nous ont suivies à la montée et disparaissent avec le jour. Nous avons rencontré les traces de chèvres et d’autres animaux sur la rive sableuse. C’est le coin où elles vont boire.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,

Temples du lac Nasser

Nous visitons le temple Dakka consacré à Thot, le dieu lunaire à tête d’ibis. Habile au calcul, il est le maître des écrits et a donc la fonction de messager entre les dieux. Le temple était exceptionnellement orienté vers le Nord afin que la barque de Thot ramène la Déesse Lointaine dans l’île de Philae, où le grand pylône du temple est tourné vers le sud pour l’accueillir. Il a été érigé par le roi Ergamène, contemporain du pharaon lagide Ptolémée II. Il a régné de -295 à -275 comme roi de Meroë. La déesse Lointaine était la fille du Soleil. Elle personnifie Tefnout mais aussi Sekhmet et abandonne son père sous forme de lionne pour fuir dans le désert oriental en Nubie. C’est une référence à la morsure du soleil au désert. Râ envoie Thot sous forme de babouin pour l’apaiser et la faire revenir. Le dieu verse du vin dans le Nil et la lionne boit ce qu’elle croit du sang ; apaisée par le breuvage, elle se réveille en chatte. Le temple de Dakka a été déplacé dans les années 1960 de 50 km au sud-ouest.

Ce temple est simple et pédagogique, organisé de façon standard. Mo, qui se dit « égyptologue » pour avoir suivi quelques années d’études d’histoire de l’Égypte antique en plus de sa licence de langue française, nous expose le plan-type du temple égyptien. Il s’agit d’une pyramide renversée sur le côté, montrant la hiérarchie progressive du sacré. Au début, la base : les pylônes qui ouvrent sur la cour intérieure à ciel ouvert, le public est admis ; ensuite le pronaos ou salle à colonnes, plus restreinte, ou un public plus étroit peut tenir ; ensuite la salle hypostyle ou vestibule, réservée aux élites, encore plus petite et couverte d’un toit ; l’antichambre, réservée aux prêtres et aux nobles plus bref que la salle précédente, enfin le sanctuaire, strictement réservé aux prêtres et au pharaon, avec au centre le naos, l’endroit le plus secret, où le Dieu lui-même est enfermé pour protéger l’espace sacré. Dans la niche figure la statue du dieu qui est lavé et habillé chaque matin lorsque le soleil pointe à l’horizon, et nourri d’offrandes deux fois par jour. Les offrandes contiennent un message, un don humain qui doit entraîner un contre-don divin. Tout est purifié par l’eau du Nil, l’eau de vie. Chaque temple a sept portes, chiffre symbolique, et le saint des saints est réservé, tout comme le sommet de la pyramide qui touche le ciel, est réservé à pharaon comme lien le plus pointu avec le dieu soleil. Les quatre angles du temple sont fixés d’après la position des étoiles face à la Grande Ourse. Le temple est un espace clos et une réduction du monde, et le pharaon, héritier du démiurge solaire, agit dans ce lieu préservé pour lier les dieux à l’univers. L’offrande est un retour d’énergie des hommes aux dieux, un échange vital qui fonde une économie du monde. Elle renouvelle l’acte créateur.

Les parois du temple montrent le pharaon aux deux couronnes enchâssées l’une dans l’autre, celle de haute et celle de basse Égypte. Le pharaon jeune est représenté mettant le doigt dans sa bouche ou avec une mèche qui lui pend le long du visage comme c’est la mode chez certains pré-ados aujourd’hui. Nous distinguons la déesse lionne Sekhmet incarnant l’œil du soleil qui grille les ennemis du créateur, le dieu faucon Horus jeune homme triomphant comme le soleil et fils d’Isis, le dieu chacal Anubis gardien des nécropoles, le dieu bélier Amon le caché totem de la ville de Thèbes. Le pharaon brûle de l’encens de la main droite et verse du vin de la main gauche, tout en reculant face aux prêtres qui s’avancent en portant la barque des dieux. Cette scène d’offrande se retrouve pratiquement dans tous les temples. Dans le pronaos subsistent quelques traces de peintures chrétiennes, lorsque le lieu fut transformé en église. Une scène intéressante montre l’arbre sacré sous lequel se trouve le babouin de Toth tandis que le dieu du Nil verse de l’eau sur ses feuilles.

Le temple Meharraka est d’époque gréco-romaine, entre -30 et plus 14 de notre ère. Il est inachevé et ses chapiteaux sont originaux, en rondelles accolées dites « papyriformes ». L’un des gardiens profite de notre présence pour balayer une merde d’âne qui gît sur le sol, le temple étant ouvert à tous les vents. Temple Dakka

Temple Meharraka

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Marche au désert

Ce matin, lever à six heures mais je suis réveillé avant car nous nous sommes couchés tôt hier soir. Je goûte le bonheur des petits matins sur le Nil même s’il s’agit ici d’un estomac du Nil que ce lac de barrage. Le petit-déjeuner est de crêpe feuilletée au fromage, accompagnée de mélasse, de confiture, d’un œuf dur, d’une salade de tomates et concombres. Je bois cinq gobelets successivement de café, de thé, d’anis et d’eau plate. Je suis lesté pour la randonnée, car nous allons passer quelques heures dans le désert, au bord du lac, avant la visite des trois temples. Nous commencerons par le dernier pour finir par le plus beau, selon Mo.

Nous naviguons une dizaine de minutes avant de descendre à terre, chaussures aux pieds et sac au dos. D’innombrables traces dans le sable montrent la vie nocturne : le renard, le lézard, les serpents, les chèvres et diverses espèces d’oiseaux – où se mêlent parfois des traces de semelles de randonneurs. Tout au bord du lac fleurit une culture de melon jaune et autres courges, sous protection de plastique, avec arrosage ou goutte-à-goutte, une eau du Nil pompé au diesel. Les plants encore bébés sont protégés par un gobelet de plastique souple, le même que celui du karkadé que l’on nous sert en bienvenue. Si nous bannissons le plastique, il fait florès encore dans tout le tiers-monde fier de sa modernité. Cela pour ne pas que les oiseaux mangent les jeunes pousses. Mo nous dit que le terrain est gratuit, concédé par le gouvernement et sans aucune charge durant cinq ans, jusqu’à ce que la production s’établisse ; ensuite un impôt est prélevé, mais c’est souvent l’occasion pour les agriculteurs de s’en aller faire autre chose ailleurs.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Sur le lac Nasser

Nous naviguons jusqu’au soir, nous marcherons demain. Le bateau met le cap direct au sud. Les heures de la sieste sont propices à écrire son carnet ; j’ai pour ma part un peu dormi dans la voiture. Sur un îlot, des cabanes de pêcheurs émergent ; pas un être vivant à l’horizon, ils rentreront le soir. Les pêcheurs viennent de toute l’Égypte et exploitent en exclusivité quelques mois par an un secteur loué par le gouvernement. La contrainte est qu’un mois entier est interdit totalement à la pêche, au moment de l’alevinage. Les pêcheurs se relaient en famille de façon à garder toujours deux ou trois personnes sur place. Ils font sécher leurs poissons lorsqu’ils ne peuvent pas les livrer par camions frigorifiques.

Nous abordons une crique, à Madiq, où le bateau s’amarre tout simplement à un rocher. Il n’y a ni marées ni courants. Nous descendons à terre pour échauffer un peu la machine, par une échelle cette fois métallique car la pente est importante. Nous regardons se coucher le soleil sur l’horizon brumeux. Les pierres sont en dentelle, effet probable du vent de sable et du soleil. Des pierres rondes comme des bombes volcaniques parsèment le sol avec parfois du grès inclus en elle comme un jaune d’œuf. Cela fait de jolis coquetiers qu’une fille aimerait rapporter, mais son mari lui dit que c’est très lourd dans le sac et qu’il est interdit d’emporter tout élément naturel du pays. Des rapaces planent dans le ciel, des faucons en couple, des corbeaux. Des échassiers guettent dans la partie marécageuse au loin, entre deux îlots. La nuit tombe vite, il est tôt mais nous sommes bas vers le tropique.

Rentrés au bateau, assis à la proue, nous regardons se lever les étoiles, dont Vénus (qui n’est pas une étoile) en premier. Mo a une appli sur les astres sur l’un de ses trois téléphones et vise le ciel pour distinguer les constellations. Nous voyons passer de multiples satellites d’orientation sud-ouest–nord-est ; on dit que l’on peut apercevoir la station spatiale.

Le dîner est à 19h30, la nuit est déjà tombée depuis plus d’une heure. Le cuisinier nous rejoue le ragoût de bœuf épicé au riz que nous avons eu dans l’avion, avec ses légumes verts et ses carottes en dés. Après le dîner, des énigmes. Prof demande quel est le seul mot masculin en français qui se termine par -ette. Personne ne trouve : il s’agit de squelette. Il y a quand même l’Hymette et le Lycabette (mais ce sont des noms propres), le porte-serviette ou le fume-cigarette (mais ce sont des mots composés), le crapette (mais c’est un mot régional pour avare), le pépette (mais c’est un mot belge pour le cul). Il nous demande aussi, fort de ses études en maths, quelle question poser à un gardien de porte qui contrôle avec son collègue celle qui donne sur la liberté et celle qui donne sur la mort, sachant que l’un des gardiens ment et que l’autre dit toujours la vérité. Je crois me souvenir que la réponse est : « est-ce que la porte de ton collègue mène à la liberté ? » S’il ment, il dira oui, donc la sienne est la bonne porte ; s’il dit la vérité, il dira non pour celle de son collègue et la bonne porte reste la sienne. Sur ce, fatigués de notre nuit courte, nous allons nous coucher.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

Assouan

À Assouan, nous prenons encore un taxi pour deux heures de route jusqu’à notre port d’embarquement, au sud des deux barrages. Il s’agit cette fois d’un beau Toyota climatisé et confortable, du même genre que celui qui nous a conduit de l’aéroport à l’hôtel hier soir. Je constate avec plaisir le nombre élevé de Peugeot 504 plus ou moins neuves qui roulent dans les rues – ce fut ma première voiture. Le modèle a été produit au Nigeria jusqu’en 2005. La conduite est lente dans la ville car d’innombrables piétons, des véhicules divers, et des chauffeurs imprévisibles ne cessent d’aller et venir dans tous les sens, sans aucun respect pour la signalisation, ni les bandes continues, ni les feux rouges. Des ralentisseurs en plastique traversent la chaussée, ils sont minces mais très efficaces. Avant de les aborder, tous les chauffeurs mettent en route leurs warnings pour prévenir du ralentissement jusqu’à presque l’arrêt, afin de les passer sans heurt.

Les deux barrages hydroélectriques sont à péage, celui des Anglais en 1902 et celui de Nasser en 1970. Le premier a été établi sur 2.5 km et 54 m de haut sur la sixième cataracte pour arroser les champs de coton devant être exporté au Royaume-Uni. Le second est la gloire de Gamal Abdel Nasser, le raïs socialiste panarabe égyptien, 3.6 km de long et 111 m de haut ; sa construction titanesque a duré dix ans et vise à produire de l’électricité pour la population de plus en plus nombreuse, et à réguler les inondations du Nil qui coule depuis ses deux sources sur 6650 km jusqu’à la mer. Il forme le lac Nasser, long de 500 km et large de 16 km, qui occupe 6216 km² d’eau, dont une partie au Soudan (où il s’appelle lac de Nubie). La police est partout, car ces ouvrages sont considérés comme stratégiques pour le pays. Un policier va d’ailleurs nous accompagner durant tout le séjour ; il porte sa vieille Kalachnikov dont le bout du canon est cassé. Nous ne le verrons quasiment pas, il ne viendra pas randonner avec nous comme, paraît-il, les précédents mais restera flemmarder sur le bateau, en vacances.

Suit une route droite dans le désert, rochers gris et sable jaune d’œuf qui ressemble à celui du Tassili. Avant et après le barrage, le paysage reste une étroite bande verte et cultivée de part et d’autre du Nil. De nombreux camions et pick-ups empruntent la route, des bulldozers sont stationnés pour des travaux incongrus sur nulle part. Le chauffeur parvient à rouler à 120 et même 130 km/h. Il met souvent son clignotant en message énigmatique aux non-initiés de la route égyptienne. Est-ce pour dire qu’il se déporte pour éviter le sable qui a envahi le bord de la route ? Ou simplement pour signaler un véhicule au loin à ceux qui voudraient le doubler ? Il le met parfois sans raison compréhensible. Les véhicules en face lui font des appels de phares, de façon tout aussi énigmatique car aucun flic n’est à l’horizon.

Nous arrivons à Garf Hussein, un hameau de pêche où est amarré un grand bateau blanc moderne, tout au bout de la route qui s’arrête ici. Sa passerelle est minimaliste, pour jeunes et agiles, avec des planches clouées en marches inégales. Heureusement que la pente n’est pas trop forte pour notre équilibre précaire après autant d’heures de transport. Le cuisinier du bateau nous accueille avec un karkadé froid de bienvenue, c’est une infusion de fleurs d’hibiscus de la couleur et de la consistance qu’aiment tant les vampires. La plante ferait baisser la tension et traiterait les intoxications alimentaires, dit-on – tout les maux des touristes en Égypte.

Nous avons chacun une cabine car nous sommes très peu nombreux, ce qui me permet d’étaler mes affaires sur le lit d’en face, tout comme Prof ; le couple a droit à une cabine double avec un grand lit matrimonial. Les lits sont perpendiculaires à l’axe du bateau mais celui-ci ne sera jamais en route lorsque nous dormirons. Le lac Nasser est calme le soleil grand. Pleut-il un jour par an ici ? Il faut croire que non, selon les statistiques, seulement quelque chose comme 3 mm par an… avant le réchauffement climatique !

Malgré un en-cas fourré de foul (purée de fèves), puis un autre de falafels (boulettes de purée de pois chiche aux herbes et épices), acheté en voiture ce matin par Mo, nous avons un déjeuner de poisson du lac frit, de riz, de purée de graines de sésame, de crudités et de melon jaune coupé en morceaux. Nous prenons le thé, le café, des infusions sur le pont supérieur, à l’abri du toit où des panneaux solaires accumulent l’électricité pour la nuit. Le capitaine est tout fier de nous vanter ses panneaux solaires qui font écologique, la grande mode des touristes de notre époque. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans. Le paysage que nous côtoyons est désertique, minéral, fait de roches brutes et de langues de sable.

Catégories : Egypte, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,