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Montaigne disserte sur la grandeur romaine

Au chapitre XXIV du Livre II des Essais Montaigne prend de la hauteur par rapport à son propre temps. Quoi de mieux que de le comparer à ses chers Romains ? Il oppose « les chétives grandeurs de ce temps » – le sien – à la grandeur romaine et qualifie de « simplesse » l’égalité formulée par certains. Non, son temps n’est pas romain ; non, son temps n’est pas grand. Il est plutôt en décadence par rapport à l’antique. Encore que l’antiquité eût connue elle aussi la bassesse.

Propos qui n’est pas nouveau tant la scie du « c’était mieux avant » continue de courir dans les oreilles. C’est toujours mieux hors de chez soi, l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin, il n’y a plus de jeunesse, plus de goût au travail, plus de grandes âmes, il leur faudrait une bonne guerre… Montaigne rappelle Cicéron dans ses Épîtres (ou Lettres) aux familiers, citant une lettre où César donne la Gaule en royaume à un certain Marcus Furius, recommandé par lui. « Il n’était pas nouveau à un simple citoyen romain, comme était lors César, de disposer des royaumes, car il ôta bien au roi Déjotarus le sien pour le donner à un gentilhomme de Pergame nommé Mithridate. » Donc, la concussion n’est pas nouvelle ; elle avait lieu sous les Romains comme du temps de Montaigne, de « mon royaume pour un cheval » à « Paris vaut bien une messe. ».

Mais la réalité de Rome n’était pas l’idéal de Rome. Et cet idéal demeure le même au temps de Montaigne. « Marc-Antoine disait que la grandeur du peuple romain ne se montrait pas tant par ce qu’il prenait que par ce qu’il donnait. » Antiochus, qui « possédait toute l’Égypte et était apte à conquérir Chypre », se vit rappeler à l’ordre par un émissaire du sénat romain. La vertu plutôt que la fortune lui importait le plus. De même, « tous les royaumes qu’Auguste gagna par droit de guerre, il les rendit à ceux qui les avaient perdus, ou en fit présent à des étrangers. » Montaigne trouve cela grand – et nous pouvons mesurer combien Poutine est d’esprit petit boutiquier et avare à cette aune.

Citant Tacite : « Les Romains, dit-il, avaient accoutumé de toute ancienneté, de laisser les rois qu’ils avaient surmontés en la possession de leurs royaumes, sous leur autorité, à ce qu’ils eussent des rois mêmes, outils de la servitude » (Vie d’Agricola, XIV). Soliman lui-même, grand Turc célèbre de son temps, fit de même du royaume de Hongrie, dit Montaigne. Comme quoi « avant » et « aujourd’hui » peuvent se ressembler si la grandeur y règne. Ce n’était pas mieux avant mais cela peut être pire aujourd’hui : tout est question de caractère.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Les 90 ans de Fragonard à Grasse

C’est en 1926 que fut créée par Eugène Fuchs la parfumerie Fragonard à Grasse. les voyageurs fortunés en vacances sur la côte d’Azur sont à l’époque de plus en plus nombreux, ils ont de l’argent et aiment se distinguer par la mode: les produits parfumés leurs sont destinés. Le peintre des dernières années heureuses de l’Ancien régime, Jean-Honoré Fragonard (originaire de Grasse), donne son nom à la nouvelle entreprise. Quatre générations plus tard, l’usine tourne bien, la vente par Internet s’établit, en plus des boutiques à Paris, Nice, Cannes, Avignon, Saint-Paul de Vence, Eze village, Milan – et Grasse.

A côté de l’usine de Grasse, un ancien bâtiment provençal du XVIIIe siècle sert de musée du costume et du bijou. il montre surtout l’agencement des pièces d’apparat et du coucher, avec du mobilier traditionnel. Le jardin, en réfection jusqu’à l’été, permet une détente au calme au cœur même de la ville.

musee Fragonard flacons

L’estagnon (qui signifie étain en provençal) a été la création emblématique de la Maison. La Seconde guerre mondiale a généré une pénurie de verre, que le parfumeur a remplacé par de la dorure d’aluminium pour ses flacons. Les pomanders sont un héritage du Moyen-Âge. Ces pommes d’ambre, d’où leur nom, contenaient du parfum sensé protéger des épidémies, notamment de la peste. Les vinaigrettes recelaient un petit linge imbibé de vinaigre, protection portative contre les infections.

musee Fragonard boites bergamote

De petites boites fabriquées en écorce parfumée des fruits du bergamotier sont appelées « bergamotes ». Décorées, elles abritaient des poudres de parfum et servaient surtout de cadeaux amoureux.

musee Fragonard necessaire de voyage

Chacun pouvait les emporter dans une valise nécessaire de voyage. Il y avait du personnel en ce temps-là et les porteurs nombreux permettaient de ne pas faire attention au poids des malles et autres sacs de nomade.

musee Fragonard biscuit erotique

Le salon de réception était décoré de biscuits de cheminée (porcelaines cuites sans émail), à scène amoureuse ou érotique, et de peintures de libertinage léger.

musee Fragonard tableau libertinage

musee Fragonard esprit de collection

Un lieu réservé aux collections exposait les curiosités de ce monde littéraire et académique plus que scientifique – « l’honnête homme » éclairé du XIXe siècle.

musee Fragonard tete empereur auguste

Tout ce qui provenait de l’antiquité romaine était réputé chic, comme cette tête probablement de l’empereur Auguste, bien abimée.

musee Fragonard bureau

La chambre était munie d’un meuble bureau qui servait à écrire la nombreuse correspondance en usage en ces temps où les transports restaient longs et où l’on se voyait peu.

musee Fragonard chambre

musee Fragonard chambre chaise percee

Une chaise percée servait de toilettes, à l’époque où le tout-à-l’égout n’existait pas.

musee Fragonard chambre enfant berceau

La chambre d’enfant montre un berceau aisé à balancer, un cheval pour plus grand.

musee Fragonard chambre enfant chaise de bebe

La chaise de bébé était toute simple et le petit ne risquait pas de tomber.

musee Fragonard chambre enfant jouets

Des jouets de toutes époques sont rassemblés en vitrine, comme cette patinette en bois et cette cible pour tirer à l’arc.

musee Fragonard cuisine

musee Fragonard cuisine casseroles

La cuisine provençale, réservée au personnel de maison, était fonctionnelle avec ses tomettes au sol faciles à laver et ses carreaux de faïence bleue au mur pour éviter les projections de graisse de cuisine.

musee Fragonard pressoir a huile

musee Fragonard flacons huile d olive

Un pressoir à huile d’olive était apprécié du personnel.

musee Fragonard eau de cologne

Le Musée Provençal du Costume et du Bijou, 2, rue Jean Ossola, 06130 Grasse, téléphone 33 (0)4 93 36 91 42

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Auguste, mort en 14, au Grand Palais

auguste tete bronzer paris expo grand palais

Il y a 2000 ans mourait l’empereur romain Auguste. Car il n’y a pas que la guerre à « célébrer » en cette année 14. Outre 1914 et 1944 (tiens, on a « oublié » 1954 en France ?), la première année 14 de notre ère était l’apogée de l’empire romain.

Jésus n’était qu’un petit garçon quand Auguste régnait sur le monde connu – la lex Titia lui ayant conféré depuis -43 l’impérium triumviral pour 5 ans renouvelables. Prénommé Octave, adopté par César sans être de son sang, il a pris le nom d’Auguste qui signifie le vénérable.

Rome, dont nous nous faisons gloire de descendre culturellement, avait des habitudes juridiques bien loin de l’assistanat surveillé de notre État-providence : familles recomposées, adoptions rapides et changements de noms – sans évoquer les mignons et les amis de sexe, socialement bien mieux acceptés.

oreste et pylade copie romaine paris expo grand palais

Moi, Auguste, empereur de Rome (jusqu’au 13 juillet) est une exposition bien faite, aérée et cohérente, qui va contre les idées reçues : la liberté, à Rome sous l’empire, apparaît bien plus grande qu’en France sous la démocratie… Il est vrai qu’il n’y avait pas la télé, et que les histrions étaient cantonnés aux intermèdes des jeux du cirque, ce lieu vraiment « collectif » où « le peuple » communiait dans la grandeur nationale. Pas comme maintenant, où nous avons les mots sans les choses, où le collectif est une incantation et le peuple un fantasme. L’héritage de César était un État fort, des provinces réorganisées et romanisées (« civilisées »), les ordines voués au service public. Auguste a ajouté à cette potestas (ce pouvoir institutionnel) l’auctoritas (l’autorité charismatique).

auguste imperator paris expo grand palais

Comment ne pas faire le parallèle avec notre époque, où le pouvoir ne confère manifestement pas l’autorité (François Hollande en est le triste exemple), où l’État se délite dans l’indécision et la synthèse du tout le monde il est beau et gentil, où le millefeuille des collectivités perd les actions publiques de la commune à l’UE (en passant par les groupements de communes, les cantons, les métropoles, les départements, les régions, la nation), où la « civilisation » recule dans les banlieues décomposées où prolifèrent les religions sectaires, où les tenants du « service public » prennent l’outil de travail national pour leur propriété, les accords des partenaires sociaux pour quantité négligeable et le vote du Parlement pour rien… Où est aujourd’hui la puissance morale d’un De Gaulle, d’un Mitterrand, d’un Giscard, voire même d’un Sarkozy ? Octave Auguste l’avait, François Hollande non. Être un chef ne s’apprend pas à l’ENA, ni surtout au parti Socialiste.

auguste jeune homme paris expo grand palais

Mais la com’ existait déjà, avec ces statues et portraits de l’empereur et de sa famille, ornant les places publiques, les autels aux dieux et les lieux officiels. Imagine-t-on François Hollande statufié sur 2m50 de haut devant l’Arc de triomphe et son autel à l’intérieur de Notre-Dame ? Auguste a longuement préparé sa succession, mais il n’avait pas de fils. Son neveu Marcellus, pressenti, mourut avant d’être adopté. La fille d’Auguste, Julie, mariée avec Agrippa, eut deux fils, Caius et Julius César, dont les frais visages enfantins sont présentés comme des têtes coupées par quelques révolutionnaires, mais ils sont morts avant d’avoir été majeurs. C’est donc son beau-fils Tibère qui fut adopté par Auguste, avec l’obligation d’adopter lui-même Germanicus, son petit-neveu.

torse apollon paris expo grand palais

Dans l’exposition, vous ne verrez pas que des statues. Des reliefs sculptés comme ce délicat torse d’Apollon ornaient les autels publics tels l’Ara pacis, l’autel de la Paix, et les urnes funéraires. Car, autre différence avec nous, les Romains se faisaient surtout incinérer. Des fresques et peintures, aux coloris gais, illuminaient les murs des maisons austères, une villa des pentes du Vésuve est reconstituée, donnant une idée du quotidien romain rendant plus vivants la lecture d’Alix ou d’Astérix. Une colombe en verre bleu contenait de la poudre à fard ; comme les ampoules de médicament aujourd’hui, on devait casser sa queue effilée pour faire sortir l’ingrédient. Des gobelets en argent montraient en bas-relief des scènes de la mythologie grecque.

bain athlete gobelet argent romain

Il y avait peu de monde, le matin où je suis allé voir cette exposition. La faute peut-être à cette grève des cheminots qui s’éternise, sans raisons autres que de vagues craintes futures sur un statut privilégié, accaparant le bien public comme s’il était aux syndiqués et non à tous les citoyens. Les sorties scolaires se répandaient plus volontiers au musée de l’Armée, les canons, fusils et uniformes parlant plus, probablement, aux profs accompagnateurs que l’époque romaine connotée « bourgeoise ». C’est dommage car l’époque d’Auguste a beaucoup à nous apprendre sur aujourd’hui : un empire aussi composite que l’Union européenne, des religions aussi variées et aussi sectaires, des factions politiques aussi virulentes, une lutte des classes pour les biens… Sauf que l’État était fort, que la vertu régnait dans l’administration et que l’autorité de celui qui fut porté puis maintenu au pouvoir était incontestable.

Du 19 Mars 2014 au 13 Juillet 2014, tous les jours de 10h à 20h, nocturne jusqu’à 22h le mercredi, fermeture hebdomadaire le mardi.
Le site officiel
La Rome d’Auguste en trois minutes (pour les zappeurs nuls) 

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