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Jonas de Christophe Charrier

Première réalisation d’un nouveau talent, ce film ambitieux ne répond pas entièrement à ce que l’on pouvait en attendre mais il se regarde avec sentiment. Jonas (Nicolas Bauwens) est un garçon de 15 ans timide, qui se cherche, fils unique d’un papa beauf adepte de Johnny (Pierre Cartonnet) et d‘une mère insignifiante (Marie Denarnaud). Un soir, à une station service, son père part quelques minutes et le retrouve terrorisé dans la voiture qu’il a verrouillée.

Le spectateur comprend très vite qu’il s’agit d’un traumatisme dû à ce qui lui est arrivé. Flash-back : Jonas fait son entrée en troisième, fils unique et solitaire qui se laisse conduire par le destin. Une fille s’intéresse à lui et il se dit pourquoi pas mais, dès la première heure du premier jour dans la première classe, un garçon s’impose à côté de lui : Nathan (Tommy-Lee Baïk). Un tout petit peu plus âgé que lui et plus mûr au point de se prendre pour un adulte, il s’est fait virer de son collège de curés et est nouveau au collège public de Toulon. Il assure, à l’aise de sa personne et tout en aisance avec les autres qui commencent à se moquer de son amitié exclusive. C’est qu’il aime les garçons et, malgré l’histoire abracadabrante qu’il conte à Jonas qui la gobe, il a dû être renvoyé pour avoir séduit un petit copain de classe.

L’ami de Jonas en quatrième, Nicolas, a déménagé, suivant sa mère qui a divorcé et Jonas en est meurtri. Son petit cœur de 15 ans est vulnérable et jamais autant le spectateur mâle et mûr, surtout s’il a élevé des garçons, n’a autant envie de le prendre dans les bras malgré sa grande carcasse. Son père le fera une fois. Nathan lui offre tout ce qu’il n’a pas : l’audace, l’affection, quelques baisers et caresses (mais on n’en saura pas plus), la transgression de fumer, la protection vis-à-vis des autres – et même sa Game boy (qu’il doit trouver trop gamine pour lui désormais). Jonas est un faire-valoir mais aussi un ami, dans l’ambivalence de l’adolescence. Il va jusqu’à se laisser taxer d’une cigarette qu’il a soigneusement « préparée » exprès par un envieux qui les traite de tapettes, du haut de son machisme manifestement jaloux. A la façon dont il regarde le beau Jonas, on sent qu’il le désire tout en résistant à ce qui est pour lui une déviance morale. Ayant fumé, il est malade et dégueule tripes et boyaux devant toute la classe au gymnase. Il n’y reviendra pas et Jonas est ébloui de cet exploit, après l’avoir été par le torse de Nathan au vestiaire.

Mais Nathan va plus loin, peut-être pour « conclure », comme on dit dans Les Bronzés. Il l’invite chez lui et c’est toute une procédure parce que la mère de Jonas veut rencontrer celle de Nathan (Aure Atika ), prendre son numéro de téléphone, laisser des antihistaminiques faire ses recommandations et ainsi de suite. Mais tout se passe bien. Nathan va avoir un petit frère et sa mère, enceinte jusqu’aux yeux alors que son mari est absent pour trois semaines, aime avoir des gens à la maison.

Ils vont au cinéma voir Nowhere, un film américain de 1997 déjanté qui glorifie sexe et drogue à l’adolescence tout en étant hanté par l’amour et par la fin du monde. Nathan offre à Jonas sa Game boy et ils s’embrassent goulûment dans l’obscurité. Une fois sortis, Nathan veut entrer dans une boite gay, le Boys ; pour lui, il suffit d’oser. Mais il se fait jeter, n’ayant manifestement pas 18 ans, encore moins son copain Jonas. Un homme qui vient de sortir leur propose alors d’aller dans une autre boite, « à quinze minutes », où il peut les faire entrer. Jonas rechigne à aller avec un inconnu ; Nathan, aveuglé par son pouvoir de séduire, accepte.

Et c’est là que l’on ne peut plus raconter tant le film est tricoté comme un thriller et qu’il serait dommage de gâcher le plaisir de la découverte. Il est monté en allers et retours entre le gamin de 15 ans (la partie la mieux réussie tant les acteurs jouent juste) et l’adulte de 33 ans (Félix Maritaud) qui a physiquement changé au point d’en être devenu genre boxeur sur le retour, se perd dans la cigarette, les baises frénétiques d’un soir et l’errance. Brancardier à l’hôpital, et apprécié des malades car il est empathique par tempérament, il ne peut se fixer et son mec le jette parce qu’il le trompe à gogo avec n’importe qu’elle bite bien montée sur un corps jeune et musclé. Le spectateur s’aperçoit que l’adulte abîmé est le résultat du traumatisé adolescent. D’autant que Jonas s’entête à fumer comme Nathan, à jouer sur sa Game boy donnée par Nathan, et à rechercher la famille de Nathan dix-huit ans après. Il fait la rencontre bébé qui devait naître lors de leur ultime virée, Léonard (Ilian Bergala), qui porte beau ses 18 ans à la plage avec sa meuf.

Et tout se dévoile à Léonard et à sa mère, dans l’horreur du souvenir et la compréhension de leur amitié de jadis, comme si tout ce qui survient aujourd’hui était « normal », la nouvelle norme pour adolescents surprotégés et mal surveillés.

Les parents inaptes veulent établir un cordon sanitaire moral tandis que la société ne cesse d’offrir l’étalage des turpitudes (la clope, le film, la boite) ; les parents déboussolés croient que nier les dangers ne les font jamais apparaître et, lorsqu’ils surviennent brutalement, l’ado est nu et démuni face à eux parce qu’il n’a pas appris à les anticiper, ni à leur faire face. Les gays sont acceptés en principe, et en principe dès l’âge de 15 ans – mais réprouvés dans la réalité (Jonas ne peut en parler à ses parents, il est jalousé et moqué dans sa classe). D’où un moralisme exacerbé qui monte – et qui ne sert à rien, qu’à se cacher la tête dans le sable.

Meilleur téléfilm au Festival de la fiction TV de La Rochelle 2018

DVD Jonas, Christophe Charrier, 2018, avec avec Félix Maritaud, Nicolas Bauwens, Tommy Lee, Aure Atika, Outplay 2018, 1h22, €17,99

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Aguas Calientes

Notre hôtel est le Pachacutec, situé assez haut dans les rues du village. Diamantin : « même pour l’hôtel, il faut encore monter ! » Il est vrai que depuis deux jours, nous sommes plutôt gâtés en termes de grimpette ! Fortune, qui aperçoit des chocolats à vendre sur un étal, poursuit Fortunat, son mari, pour lui agripper ses bourses. Lui ne veut pas  lui donner en entier parce que « tout va y passer, elle ne peut pas se retenir ». L’hôtel est confortable pour une nuit, chaque chambre a deux lits et sa douche, que nous nous empressons de prendre, et ses toilettes privées. Un autre avantage est que l’hôtel est tout proche de l’établissement thermal qui donne son nom au village. Un centre de bains municipaux a été aménagé au débouché des sources chaudes qui sortent de la montagne.

Je m’y rends un peu plus tard, par curiosité et désœuvrement. Les bains sont érigés en plein air dans une faille de la hauteur. Sortent ici plusieurs sources thermales soufrées. L’entrée coûte 5 sols. Un bâtiment en dur est muni de cabines de déshabillage pour « damas » et « caballeros ». Une fois prêt, on emporte tout et l’on dépose ses affaires sur des claies bien en vues des bassins. Des tuyaux d’eau chaude et froide permettent de se laver dans des bacs avant d’entrer se tremper dans l’un des quatre bassins. Le grand est agréablement tiède, les autres de chaleur croissante. Ne sachant quels sont les usages, je suis l’exemple d’un jeune natif qui entre dans le grand bassin pour y rester longtemps, le dos au mur, les bras étendus. On ne nage pas, on bouge peu, parfois on plonge la tête sous l’eau, mais le but est plutôt de se détendre dans la chaleur. Les adultes d’ici ont la peau foncée naturellement, mais n’ont de bronzées que les parties du corps non protégées par les vêtements ; ils travaillent et n’ont pas le temps de s’exposer. Et ce n’est pas dans les mœurs. Les gamins, par contre, sont bronzés partout ; ils doivent nager et se dénuder régulièrement. La montagne muscle le ventre et les cuisses plus que les bras ou la poitrine. En altitude, le travail des forces n’est pas le même qu’en plaine. Par contraste, ce jeune Américain d’une vingtaine d’années venu ici avec ses copains présente une musculature – certes cultivée aux appareils – bien mieux équilibrée et plus esthétique.

Arrivent Juan, Périclès, Gisbert et Mabel. Je les suis dans les autres bassins plus chauds et plus petits. Nous sommes bien à nous tremper à température du bain, jouissant de la caresse maternelle de l’eau. Etant là depuis un certain temps déjà, je finis par sortir, amolli. Je repars comme j’étais venu : sandales, short, serviette de bain, moins les seuls 5 sols que j’avais emporté. Je désinfecte mes plantes de pieds avec une serviette bactéricide avant de remettre les chaussures. Les bords de piscine et les vestiaires ne sont pas très sains et l’eau chaude favorise la vie bactérienne, même si l’eau est soufrée. J’ai vu une Américaine en faire autant avec un spray.

A la nuit tombée, je fais un petit tour dans ce gros village. Il n’y a pas grand-chose à voir. Comme les stations de ski de nos régions, tout est voué au tourisme donc au commerce. Il s’y trouve de multiples babioles, des nourritures de toutes sortes, de l’épicerie, des boissons, des souvenirs… Gamins et gamines déambulent en proposant aux étrangers leurs colifichets, sans trop insister. Dans les conversations que les filles déjà grandes ont entre elles, on sent l’avidité commerçante, la rapacité pour les sols à grappiller. Le cafetier de la place les connaît bien et change quelques-uns de leurs dollars en sols, après les avoir regardés par transparence, par peur des faux. Je prends une bière à 3,5 sols. Des Argentins, assis à côté, achètent des cartes postales à un gosse, deux bracelets d’amour à une fillette, des brochettes de viande à une femme installée sur la place qui grille à la demande. Une mère et son jeune fils ont installé une loterie pour les enfants un peu plus loin. C’est un enclos entouré de barrières de cordes au centre duquel trône un étal de bonbons disposés par lots. Pour un sol, le gosse qui joue a droit à trois anneaux. Il doit les lancer un par un sur les bonbons qu’il convoite. Si l’anneau l’entoure, il gagne la friandise. Mais le plus souvent les anneaux – qui sont en métal – rebondissent sur le bois de l’étal et tombent par terre. Rares sont ceux qui gagnent, souvent par chance, parce que le rebond est retombé sur un autre lot. Le gain est manifeste pour le tenancier de la loterie, mais le jeu y est.

Avant le repas, prévu dans un restaurant, certains prennent l’apéritif dans un bar qui diffuse de la musique américaine. Ambiance de boite qui me rebute mais dans laquelle certains retrouvent leurs marques. Diamantin danse avec Salomé, en Parisien branché. Le son est trop fort, l’atmosphère artificielle ; je sors dans le jardin en attendant. Il y a là trois fillettes vendeuses de colifichets qui discutent entre elles de la recette du jour, un jeune local à la recherche « d’ambiance » qui ne s’attarde pas, grommelant en espagnol : « il n’y a là que des gringos. » Il ne soupçonne pas que je le comprends.

Repas banal : soupe aux pâtes (trop), truite grillée (panée), papaye-banane-confiture. Choisik, qui aime beaucoup le vin blanc, pousse un peu à la consommation mais force est de constater que le blanc est meilleur que le rouge. Lever tôt demain, aussi je vais me coucher sitôt l’addition laborieusement partagée. Les rues sont vides, hormis quelques enfants qui jouent encore sur le pas de leurs portes. Un tout-petit reste perdu dans un rêve de cerf-volant au milieu de la rue, en pleine obscurité.

Plusieurs heures plus tard, Périclès rentre très allumé d’une soirée dansante dans les bouges d’Aguas Calientes.

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Ragdoll contre Chat noir

Moi, je suis LE chat de la maison. Oh, il y en a bien un autre, qui était d’ailleurs là avant moi, mais c’est un Noir, un prolo habitué à vivre dans le jardin et à se débrouiller, je l’ai relégué à la cave. Moi, je suis un chat de race, je suis un Ragdoll – lui m’appelle volontiers Ral’bol ; je crois que c’est une injure. Mon père était siamois et ma mère persane ; je devais avoir une grand-mère birmane aussi, je ne sais pas. J’ai les longs poils de ma mère et la facétie comme la couleur de pelage de mon père. Celui-là, je ne l’ai pas connu, heureusement d’ailleurs, on dit que les pères chats mangeraient bien leurs rejetons qu’ils considèrent comme des proies dès qu’ils bougent.

Ma mère, en revanche, je suis resté quelques mois avec elle. Pas assez longtemps me dit mon maître car si je sais chasser, ça c’est dans les réflexes, je ne sais que faire de la bête une fois morte. « Cela se mange, ça ? ». Ma mère aurait dû m’apprendre en découpant ma première proie d’adolescent sous mes yeux, pour me montrer comment faire. Soit elle ne savait pas, soit elle s’en est bien gardée, soit elle n’a pas eu le temps. Je crois que la dernière hypothèse est la bonne. C’est pourquoi je dépends aujourd’hui des autres, c’est-à-dire des hommes. Je reste infantile, pas fini ; je ne chasse que les boites ouvertes et les croquettes en gamelle. La collectivité, dans sa maternelle bonté, se charge de la remplir chaque jour contre due reconnaissance politique, frottements, passage sur les genoux et ronronnement. Je n’ai plus ma mère, il faut bien remplacer.

Le chat Noir, lui, condescend à accepter les croquettes en apéritif mais il chasse. Quand il ne chasse pas, il préfère les morceaux cuisinés, ça le change, un peu d’épices, du beurre. Ah, les filets de poulet rôtis dans le beurre fondu… Voilà de l’oiseau encore chaud et savoureux comme on en trouve pas dans la nature ! C’est un chat à la bonne franquette qui a vécu avec des ouvriers sur un chantier. Il aime tous les restes des hommes, le gras, le grillé, les morceaux de fromage et même le chocolat. Le plus noir possible, le chocolat ; ça doit avoir un vague goût de rat tout chaud crevé… Il chasse et quand il est tapi dans un buisson on ne voit que les yeux. Il les ferme à demi pour ne pas se faire repérer comme s’il mettait des lunettes de soleil. Il croque volontiers les merlettes, insouciantes comme tous les piafs. Même les pigeons s’il peut, ils sont lourds et bien dodus, il doit y avoir à manger là-dedans. Moi, je le regarde car je ne pourrais pas ; pas assez vif, pas assez de savoir-faire. Dommage pour les pies, c’est agaçant ces bêtes-là, ça vous croasse dans les oreilles, on se les ferait bien. Un bond, un coup de dents, et hop ! Mais vous avez vu leur bec ? Avant de bondir, il faut toujours se demander où est le bec, comme le livre que lit ma maîtresse. C’est une attitude pessimiste, j’en conviens, mais prudente : même le chat Noir ne se risque pas sur les pies. Il se contente de les faire fuir en accourant ventre à terre. Mais il ne leur saute pas dessus, ah non !

Ce chat, il me fait envie ; il sait faire tout ce que je ne sais pas, grimper aux arbres à toute vitesse, ramper sans bruit entre les herbes, bondir d’un coup sur le mulot qui passe ou l’oiseau qui se pose, me flanquer une rouste quand je le titille de trop près. Alors je m’avance, pas à pas, très lentement pour ne pas déclencher le réflexe de chasse, un truc inscrit dans nos schémas instinctifs, je fais semblant de rien, je reste à la distance de sécurité, puis, à deux fois la distance, je le nargue un peu, queue relevée pour dire qu’ici c’est chez moi. Il ne dit rien, indifférent au gosse de riche que je suis à ses yeux, incapable de se débrouiller, dépendant de la sécurité sociale des hommes. Il est plus grand, plus musclé et plus fort, le Noir, il pèse un quart de plus que moi à presque 7 kg. Quand il me flanque une rouste parce que je suis allé renifler d’un peu trop près ses croquettes dans la cave, son territoire, les poils répandus ne sont pas les siens. Il a comme une cuirasse lisse de fourrure drue ce gouttière, les griffes glissent dessus comme sur un poil téfal, tandis que moi, avec mes mèches persanes et le sous-poil confortable en-dessous, ça accroche trop. Je ramasse d’ailleurs les brindilles quand je vais trop dans le jardin.

Je préfère les fauteuils et les lits élevés, disputant parfois la place à Minette. D’autre fois, je ne la vois même pas, une énorme peluche nous séparent, tout va bien.

Le Noir est venu tout seul dans la maison, il s’est fait adopter. Il va de maître en maître faire sa campagne électorale, frottements, coups de tête sur la main ou le visage qui s’avance, ronronnement, le grand jeu de la séduction, quoi. Il vient de la rue, il sait y faire le démagogue libertaire, il a bien fallu qu’il se nourrisse au début. Moi, je viens d’Espagne, d’un restaurant de l’intérieur où l’on m’a trouvé. J’étais très jeune et très maigre, ne mangeant que ce que j’arrivais à grappiller sous les tables, chassé à coups de balais par les serveurs. Ces maîtres qui aiment les chats m’ont pris en pitié, ils m’ont donné une boite dont ils ont toujours un exemplaire dans la voiture pour des cas comme le mien. Quand ils se sont levés pour partir, je les ai suivis. Quand ils m’ont encouragé à sauter dans leur voiture, je n’ai fait ni une, ni deux. Les débuts ont été durs, vétérinaire, médicaments, nourrissage. Je dormais beaucoup. Mais comme j’étais jeune, j’ai surmonté. Sauf que je n’ai pas appris la vie de chat, quoi. Je suis dépendant, presque chien, malheureux sans compagnie. Sauf que je n’obéis pas aux ordres, faut quand même pas exagérer, social-libéral peut-être mais pas socialiste, non. Pour moi il n’y a pas de sens de l’Histoire, à chacun sa liberté.

Je suis très jaloux, exclusif comme tous les Ragdolls, je ne supporte pas que l’on caresse Minette ou – pire ! – le Noir. Je fais « grrr ! » et « fsschhh ! » puis je commence à chanter, du profond de la gorge, comme un bébé humain qui pleure. Je suis LE seul chat de la maison, les autres n’ont qu’à bien se tenir. Même si j’ai le dessous à chaque fois dans les bagarres, j’ai remarqué que celui qui crie le plus fort devient le plus légitime aux yeux de tous ; l’autre finit par se sentir coupable et laisse la place. C’est ce qui est arrivé au chat Noir, sa légitimité en a été écornée. C’est ce que disait Rousseau, un autre livre que lit mon maître, je connais les lois de la nature donc ce que je dis doit être la volonté générale. Et ça marche, les chats comme le Noir n’ont qu’à bien se tenir. La Minette aussi, ah mais !

Rousseau m’est sympathique ; si j’avais des petits je les aurais laissés comme lui à leurs diverses mères, je ne m’encombre pas de niards miaulant. Je les aurai aussi laissés à poil baguenauder dans la nature, pour qu’ils apprennent. Ce qui m’intéresse, c’est la sécurité et la chaleur du collectif, croquettes tous les jours et genoux à volonté devant la télé. Ou dans une vasque à fleurs, s’il fait beau, au soleil. Les mômes, ils n’ont qu’à se tailler un territoire ou apprivoiser d’autres maîtres. Sauf mes filles ; je les aurais bien prises dans mon harem. Car, hein, je suis LE chat de la maison. Dans chaque maison il n’y a qu’un SEUL chat, même s’il peut y avoir plusieurs chattes. Mon territoire est bien marqué, j’ai laissé mon odeur partout et je fais le tour pour la renouveler chaque jour, surtout au printemps.

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William Dickinson, Des diamants pour Mrs Clark

Les années 1980 étaient l’âge d’or du thriller américain. Bien avant Internet et les séries télé sur smartphone,  la lecture offrait à la génération d’avant un plaisir rare. Pris n’importe quand n’importe où, dans un moment de silence.

La lecture trente ans après montre une Amérique figée dans sa caricature. Mieux perceptible par ce qu’elle est devenue que par ce qu’elle présentait alors. Et pourtant… il suffit de lire : tout y est. L’arrivisme forcené, la violence de petit malfrat, le culte du fric à un point insensé, la morale biblique pour la suivre ou en prendre l’exact contrepied.

Ce roman policier a pour cadre New York et débute par un meurtre par caprice. Un ado, à peine touché par une Cadillac sur un passage piéton, insulte le conducteur et son patron, ce qui lui vaut une poursuite et la brisure des vertèbres cervicales. Le patron n’est rien moins que l’énorme Willy Harrison, obèse depuis son plus jeune âge et qui en veut au monde entier pour cela. Au lieu de se venger de la malbouffe américaine qui a déréglé ses glandes, il pousse à fond dans le système en offrant du divertissement « interdit » : alcool, boite, baise. Tout pour tous, dans toutes les positions. Evidemment filmé à leur insu en plus d’être visible par des glaces sans tain. Juste pour le plaisir.

Ce Willy avait un frère aîné « normal », Freddy, qui a engendré une nièce, Betty (toujours ce culte des surnoms idiots qui se terminent en y). Mais Freddy a baisé Willy, il ne l’a pas violé mais plus subtilement lui a piqué du fric : un gros paquet, pas moins de un million cent mille dollars. De l’argent de la drogue, qu’il a planqué quelque part, nul ne sait où. Et Willy n’a pas réussi à le faire parler. Pas plus que sa femme, la mère de Betty, enfermée depuis des décennies dans un asile psychiatrique et surveillée jour et nuit au cas où elle laisserait échapper un tuyau.

Betty, quant à elle, s’est enfuie à 16 ans. Elle a changé de nom, s’est faite un peu pute avant d’épouser le brave John, médiocre et honnête courtier d’un diamantaire. Sauf que la boite à putes appartenait à Willy et qu’il a racheté le courtier. Betty est donc coincée, même si son oncle la laisse se débattre, prenant plaisir à observer sa constance et sa hargne. Elle est désormais sa seule famille et ce gros, pourri de fric, est sentimental à ses heures.

Il vit dans une bonbonnière de deux étages dans les derniers d’un immeuble de Manhattan, où il domine New York. Ses gardes du corps lui obéissent au doigt et à l’œil et le couple de domestiques chinois le masse jusqu’à l’extase. Ils éliminent aussi sans pitié sur ordre les gêneurs comme l’ado ; puis le patron de Freddy, trop tenté par une fille moitié garçon, nantie en plus d’un frère jumeau qui la baise ; puis l’enquêteur mandaté pour observer Freddy et ses dépenses insensées pour sa pute de 19 ans prénommée Cool ; puis les jumeaux Slim et Cool, mais lentement, réservés aux étreintes dernière d’un python particulièrement froid et implacable.

Entre temps, Cool a baisé Freddy et lui a soutiré le lieu et l’heure d’une transaction en diamants ; Freddy a baisé John en lui mettant Cool dans les pattes puisque c’est lui le livreur ; et l’enquêteur a baisé Freddy en découvrant qu’il est aux abois. En bref, fric et baise engendrent assassinats en série. Il n’y a qu’oncle Willy qui manipule tout cela. Au grand dam de Betty, sa nièce, qu’il convoque alors qu’elle se croyait oubliée et dont il veut faire son héritière. Si Betty ne tenait pas autant à ses deux petits enfants, elle zigouillerait le monstre et partirait refaire une nouvelle fois sa vie ailleurs. Avec sa mère, qu’elle rencontre, et qui en profite pour lui livrer la cache au fric.

Mais ce n’est pas possible d’éliminer Willy, du moins pas tout de suite, alors elle joue le jeu ; elle attend son heure. Le lecteur, frustré, attend lui aussi car le thriller se termine sur ce constat. Le début d’une longue série d’autres thrillers avec Mrs Clark pour héroïne ? De la bonne came en tout cas, qui vous fera voir d’autres paysages.

L’action va bien, le sang gicle à souhait, la perversité réjouit – tout est dans l’ordre inversé de la morale de rigueur (incarnée par ce brave inspecteur Dawson). Mais ce qui marque le lecteur 2017 est bien plus la peinture de l’Amérique à ras de terre que l’action même. La pauvreté intellectuelle, l’habitude de bouffer n’importe quoi à toute heure, l’avidité pour le divertissement gnangnan ou pour le sexe cucul – tout cela dans des flots d’alcool et de drogue. Mal-vie pour mal-être, la seule façon de sortir la tête de l’eau est d’en vouloir plus que les autres, d’avoir encore moins de scrupules, de jouer encore plus sur la bêtise humaine. Alors le Fric arrive à flot, et avec lui une (certaine) liberté. Bien contrainte, au fond…

Intéressant à lire…

William Dickinson, Des diamants pour Mrs Clark, 1985, Livre de poche 1987, 255 pages, €2.00 occasion ou e-book format Kindle €6.99

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Les 90 ans de Fragonard à Grasse

C’est en 1926 que fut créée par Eugène Fuchs la parfumerie Fragonard à Grasse. les voyageurs fortunés en vacances sur la côte d’Azur sont à l’époque de plus en plus nombreux, ils ont de l’argent et aiment se distinguer par la mode: les produits parfumés leurs sont destinés. Le peintre des dernières années heureuses de l’Ancien régime, Jean-Honoré Fragonard (originaire de Grasse), donne son nom à la nouvelle entreprise. Quatre générations plus tard, l’usine tourne bien, la vente par Internet s’établit, en plus des boutiques à Paris, Nice, Cannes, Avignon, Saint-Paul de Vence, Eze village, Milan – et Grasse.

A côté de l’usine de Grasse, un ancien bâtiment provençal du XVIIIe siècle sert de musée du costume et du bijou. il montre surtout l’agencement des pièces d’apparat et du coucher, avec du mobilier traditionnel. Le jardin, en réfection jusqu’à l’été, permet une détente au calme au cœur même de la ville.

musee Fragonard flacons

L’estagnon (qui signifie étain en provençal) a été la création emblématique de la Maison. La Seconde guerre mondiale a généré une pénurie de verre, que le parfumeur a remplacé par de la dorure d’aluminium pour ses flacons. Les pomanders sont un héritage du Moyen-Âge. Ces pommes d’ambre, d’où leur nom, contenaient du parfum sensé protéger des épidémies, notamment de la peste. Les vinaigrettes recelaient un petit linge imbibé de vinaigre, protection portative contre les infections.

musee Fragonard boites bergamote

De petites boites fabriquées en écorce parfumée des fruits du bergamotier sont appelées « bergamotes ». Décorées, elles abritaient des poudres de parfum et servaient surtout de cadeaux amoureux.

musee Fragonard necessaire de voyage

Chacun pouvait les emporter dans une valise nécessaire de voyage. Il y avait du personnel en ce temps-là et les porteurs nombreux permettaient de ne pas faire attention au poids des malles et autres sacs de nomade.

musee Fragonard biscuit erotique

Le salon de réception était décoré de biscuits de cheminée (porcelaines cuites sans émail), à scène amoureuse ou érotique, et de peintures de libertinage léger.

musee Fragonard tableau libertinage

musee Fragonard esprit de collection

Un lieu réservé aux collections exposait les curiosités de ce monde littéraire et académique plus que scientifique – « l’honnête homme » éclairé du XIXe siècle.

musee Fragonard tete empereur auguste

Tout ce qui provenait de l’antiquité romaine était réputé chic, comme cette tête probablement de l’empereur Auguste, bien abimée.

musee Fragonard bureau

La chambre était munie d’un meuble bureau qui servait à écrire la nombreuse correspondance en usage en ces temps où les transports restaient longs et où l’on se voyait peu.

musee Fragonard chambre

musee Fragonard chambre chaise percee

Une chaise percée servait de toilettes, à l’époque où le tout-à-l’égout n’existait pas.

musee Fragonard chambre enfant berceau

La chambre d’enfant montre un berceau aisé à balancer, un cheval pour plus grand.

musee Fragonard chambre enfant chaise de bebe

La chaise de bébé était toute simple et le petit ne risquait pas de tomber.

musee Fragonard chambre enfant jouets

Des jouets de toutes époques sont rassemblés en vitrine, comme cette patinette en bois et cette cible pour tirer à l’arc.

musee Fragonard cuisine

musee Fragonard cuisine casseroles

La cuisine provençale, réservée au personnel de maison, était fonctionnelle avec ses tomettes au sol faciles à laver et ses carreaux de faïence bleue au mur pour éviter les projections de graisse de cuisine.

musee Fragonard pressoir a huile

musee Fragonard flacons huile d olive

Un pressoir à huile d’olive était apprécié du personnel.

musee Fragonard eau de cologne

Le Musée Provençal du Costume et du Bijou, 2, rue Jean Ossola, 06130 Grasse, téléphone 33 (0)4 93 36 91 42

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