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Montaigne contre les drogues et pratiques de la médecine

Le chapitre XXXVII qui clôt le Livre II des Essais a pour étrange titre « De la ressemblance des enfants aux pères ». En fait, il traite de la médecine et des médicaments. C’est un long plaidoyer contre l’usage des drogues et autres recours aux charlatans. Car « la médecine », du temps de Montaigne, est restée celle des Romains et durera jusqu’à l’essor de la chimie dans la société industrielle du XIXe. Molière s’en moquera, tout comme le fait Montaigne.

Celui-ci commence par se plaindre d’être affligé depuis quelques mois de « coliques » – elles sont néphrétiques, il parlera peu après de « gravelle » – nous dirions aujourd’hui des calculs rénaux. « Je suis aux prises avec la pire de toutes les maladies, la plus soudaine, la plus douloureuse, la plus mortelle et la plus irrémédiable », dit-il. Les causes en sont connues : l’alimentation. Selon le Vidal, « Chez les personnes qui ont un terrain propice, une hydratation insuffisante et un régime alimentaire riche en protéines et en sel favorise la formation de calculs urinaires. » On sait que l’aristocratie du XVIe siècle favorisait la viande à outrance, souvent salée pour sa conservation, et dédaignait les légumes, ne buvant que du vin faute d’eau saine. Les inconvénients du « bio » intégral…

Montaigne poursuit son texte long et digressif par sa « ressemblance aux pères » – les siens. « Il est à croire que je dois à mon père cette qualité pierreuse, car il mourut merveilleusement infligé une grosse pierre qu’il avait en la vessie ; il ne s’aperçut de son mal que le soixante-septième ans de son âge, et avant cela il n’en avait eu aucune menace ou ressentiment aux reins, aux côtés, ni ailleurs ; il avait vécu jusque lors en une heureuse santé et bien peu sujette à maladies ; et dura encore sept ans en ce mal, traînant une fin de vie bien douloureuse ». Montaigne honnit les médecins : « cette antipathie que j’ai à leur art m’est héréditaire ». Et de citer son père qui mourut à 74 ans, son grand-père à 69, sont arrière grand-père près de 80 «  sans avoir goûté aucune sorte de médecine ». Lui mourra à 59 ans, probablement d’une tumeur de la gorge.

Car la médecine n’est pas une science mais seulement un art. « La médecine se forme par exemples et expériences ; aussi fait mon opinion ». Et pas un médicastre n’est d’accord avec un autre. Or « c’est une chose précieuse que la santé », dit Montaigne, et la confier aux drogues et aux médecins est jouer avec sa vie. « J’ai quelques autres apparences qui me font étrangement défier de toute cette marchandise. Je ne dis pas qu’il n’y en puisse avoir quelque art ; qu’il n’y ait, parmi tant d’ouvrages de nature, des choses propres à la conservation de notre santé ; cela est certain ». Aujourd’hui encore, la liste des médicaments inutiles, voire nocifs, s’allonge tandis que des traitements jugés inutiles sont avérés. Mais – « de ce que j’ai de connaissance, je ne vois nulle race de gens si tôt malades et si tard guérie que celle qui est sous la juridiction de la médecine. Leur santé même est altérée et corrompue par la contrainte des régimes. Les médecins ne se contentent point d’avoir la maladie en gouvernement, ils rendent la santé malade, pour garder qu’on ne puisse en aucune saison échapper leur autorité ».

C’est donc contre le pouvoir médical et pour la liberté humaine que milite Montaigne. Il ne nie pas le savoir médical ou pharmaceutique. Il observe cependant avec bon sens que le médecin ne guérit guère et que la patience parfois suffit à le faire. « Il n’est nation qui n’ait été plusieurs siècles sans la médecine », dit-il, « et les premiers siècles, c’est-à-dire les meilleurs et les plus heureux. » En revanche, dès qu’un médecin paraît, chacun se découvre aussitôt affligé de maux. Car mettre des mots sur les maux suffit à rendre malade. Le docteur Knock, film avec Louis Jouvet d’après une célèbre pièce de théâtre de Jules Romains en 1923, l’a démontré, et Montaigne le relate dans un « conte » qu’il fait à la fin de sa longue et décousue note. « Platon disait bien à propos qu’il n’appartenait qu’aux médecins de mentir en toute liberté, puisque notre salut dépend de la vanité et fausseté de leurs promesses. »

Pour que ça guérisse, il faut y croire – mais où est la science alors ? Il suffit d’un dieu comme à Lourdes ou d’un gourou, d’un placebo ou d’un aliment qui sert à tout : l’ail, l’huile d’olive, le vinaigre, le citron, la pomme… Les charlatans de nos jours en font le marketing. Car le mal est plus souvent dans la tête que dans le corps, les gens sont volontiers hypocondriaques. D’ailleurs, note Montaigne, plus les drogues sont exotiques, plus elles paraissent précieuses, et plus elles sont censées guérir. Le sel de l’Himalaya ou l’algue bleue du Japon sont aujourd’hui vantés ainsi par les paramédicaux. « Car qui oserait mépriser les choses recherchées de si loin, au hasard d’une si longue pérégrination et si périlleuse ? »

En revanche, dit Montaigne les bains ne font pas de mal, s’ils ne peuvent faire du bien. Montaigne les a assidûment fréquentés (Bagnères, Plombières, Baden, Lucques), plus pour leur agrément de paysage et de compagnie que pour leurs vertus curatives – en lesquelles il ne croit guère. Mais se baigner et se laver ne lui paraissent pas à dédaigner, en ces années de saleté corporelle par crainte du froid considérée comme une vertu – jusque dans nos années cinquante.

Laisser le pouvoir aux médecins, « c’est la crainte de la mort et de la douleur, l’impatience du mal, une furieuse et indiscrète soif de la guérison, qui nous aveuglent ainsi : c’est pure lâcheté qui nous rend notre croyance si molle et maniable ».

Le texte se termine par une lettre « à Madame de Duras », née Marguerite de Gramont, une terre du Languedoc, afin de justifier son propos sur la médecine. Ce n’est pas opiniâtreté, ni désir de gloire à vaincre la douleur, ni masochisme – mais une méfiance héréditaire, une « ressemblance des enfants aux pères ».

Ainsi se termine le Livre II des Essais. Montaigne a 47 ans.

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Claude Pinganaud), Arléa 2002, 806 pages, €23.50

Michel de Montaigne, Les Essais (mis en français moderne par Bernard Combeau et al.) avec préface de Michel Onfray, Bouquins 2019, 1184 pages, €32.00

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Steven Saylor, Un Égyptien dans la ville

En 56 avant notre ère, deux personnes étranges viennent frapper un soir à la porte de Gordien le Limier dans sa demeure romaine : un philosophe grec déguisé en femme et un galle, prêtre châtré du culte de Cybèle maquillé et couvert de bijoux. Le Grec est Dion, rencontré par Gordien en -90 lorsqu’il hantait le port d’Alexandrie, juste avant qu’il n’achète au marché une esclave à peine nubile, la moins chère du lot, cette Bethesda aujourd’hui mère d’une Gordiane de 13 ans dont il allait faire sa femme.

Dion est ambassadeur d’Egypte venu implorer le Sénat romain de ne pas annexer son pays en prétendant qu’un testament du roi Ptolémée XI a légué son royaume à Rome. Dion vu son ambassade attaquée, ses amis décimés, il a failli lui-même être empoisonné et n’a plus confiance en personne – sinon en Gordien, « l’homme le plus honnête de Rome » selon les mots de Cicéron. Gordien reconnait le vieux maître mal déguisé, évoque le bon vieux temps de sa jeunesse et des échanges philosophiques, lui offre à dîner, mais il ne peut l’aider. Il doit partir le lendemain dès l’aube en Illyrie (actuelle Albanie) voir son fils Meto, soldat auprès de César.

Dion est assassiné dans la nuit qui suit, le volet de sa chambre forcé et plusieurs coups de poignard portés au thorax. Une jeune esclave sur laquelle il assouvissait ses instincts avait été intime avec lui juste auparavant mais était sortie de la chambre. Gordien se sent coupable de ne pas avoir aidé son ancien mentor et consent volontiers à enquêter sur la requête de Clodia qui soupçonne le jeune et beau Marcus Caelius, son ex-amant, du meurtre.

Clodia est une mûre matrone mais a gardé un corps superbe qu’elle met en valeur par des tuniques transparentes et des exercices sexuels réguliers. Elle va volontiers aux beaux jours dans ses jardins au bord du Tibre où, depuis une tente rouge et blanche au pan relevé sur le fleuve, elle peut suivre à loisir les ébats de tous les jeunes hommes et garçons qui viennent se baigner (« de 15 ans ou plus » se croit obligé de préciser le puritain yankee sommeillant chez l’auteur) et, « fiers de leur corps, se mettre nus ». Elle en convie parfois un ou deux à venir partager sa tente car elle aime cueillir les fruits à peine mûrs.

Dans ce troisième opus de la série policière historique sur Rome, l’auteur relâche un peu son filtre pudibond – sauf pour son personnage principal Gordien et pour sa famille qui restent bien bourgeois et convenables au sens de la morale américaine. Mais les ébats dans les bains sont décrits avec jubilation, les dîners spectacles permettent aux amants de se montrer à Clodia, des rumeurs les plus folles et les plus sexuelles font se délecter les badauds du forum, les vers obscènes du poète Catulle, amoureux éconduit de la belle Clodia, sont colportés avec délice.

Et le meurtre dans tout ça ? Nul doute que le roi Ptolémée ne soit dans le coup, mais qui a payé le meurtrier ? Qui a tenu le poignard ? Qui a cherché à empoisonner Clodia après Dion ? La puissante famille des Clodii – Clodia et son frère trop aimé Clodius – mandatent Gordien pour découvrir des preuves contre Marcus Caelius. Mais si ce n’était pas lui ? ou pas tout à fait lui ? ou lui qui doit porter le chapeau ?

Rien n’est simple et les armes de la séduction valent autant que les armes létales. L’argent corrompt presque tout, sauf l’honnêteté et la loyauté. Gordien ne se laissera pas faire et ce qu’il découvrira dans sa propre maison a de quoi effrayer tout bon époux et père. Mais l’esclave que Dion a fouetté et baisée raconte sa nuit – et alors tout bascule.

Dans cette enquête aux multiples miroirs Rome tout entière se révèle aux premiers temps de César, à peine vainqueur en Gaule. Et toute l’Amérique de l’auteur se lit en filigrane, ce qui enlève un peu de sel historique – à moins que la dépravation humaine ne soit éternelle comme la Ville et que l’orgueil impérial ne soit poursuivi par les Etats-Unis du XXe siècle. Comment faut-il lire, en effet, ce genre de phrase : « Rome sait comment s’y prendre pour assimiler tout ce qui se présente – arts, coutumes et même dieux et déesses – et en faire quelque chose de typiquement romain » p.211. N’est-ce pas le cas de nos jours du melting-pot yankee ?

Un bon roman de mœurs malgré quelques anachronismes comme « météorite » ou « touriste » essaimés ici ou là par un auteur trop au présent ou par un traducteur malavisé. L’intrigue rebondit sur la fin comme il se doit et le lecteur en sera somme toute abasourdi.

Steven Saylor, Un Egyptien dans la ville (The Venus Throw), 1993, 10-18 2000, 381 pages, €7.80 e-book Kindle €9.99

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Steven Saylor, L’étreinte de Némésis

Après l’enquête précédente huit ans auparavant, Gordien le Limier a adopté Eco, le fils muet que sa mère avait abandonné. Le jeune homme a désormais 18 ans et porte depuis quelques mois la toge virile. Gordien est amoureux de son fils, « il ressemblait à une statue de Narcisse contemplant son reflet sous le ciel étoilé » p.29. Il lui est aussi cher que son esclave égyptienne Bethesda, qu’il affranchira, épousera et dont il attendra un enfant à la fin.

Mais un coup est frappé un soir à sa porte du quartier de l’Esquilin à Rome : un officier, bras droit de Marcus Crassus, riche rival de Pompée, vient le quérir pour une enquête secrète. Dans sa villa de Baia, au nord du golfe de Naples, Lucius le cousin de Crassus a été assassiné. Comme la révolte de Spartacus bat son plein en Italie, deux esclaves sont vite soupçonnés, d’autant qu’ils ont pris des chevaux et ses sont enfuis. Les chevaux reviennent sans eux au matin.

Le scénario est trop simple pour le Limier, trop évident, comme si l’on avait mis en avant de faciles boucs émissaires dans une affaire privée et familiale un brin tortueuse. Crassus est très riche et se moque pas mal des esclaves. Lucius vivait dans une villa qui est la propriété de son cousin et, comme le bétail contaminé est abattu pour éviter toute contagion, tous les esclaves doivent être massacrés pour donner l’exemple. Rome se doit d’être impitoyable aux émules de Spartacus le Thrace qui tue les hommes et les garçons et viole les femmes romaines avant de piller les maisons. Aux jeux funéraires qui suivront les sept jours du deuil de Lucius, les quatre-vingt-dix esclaves seront sacrifiés dans une arène après les combats de gladiateurs sur ordre de Crassus.

Gordien est furieux, humaniste avant la lettre, préchrétien dans un monde pourtant resté bien païen au 1er siècle avant. L’auteur rejoue les bons sentiments de La Case de l’oncle Tom et assimile peut-être trop vite esclaves nègres des Sudistes avec les esclaves des Romains. C’est du moins l’impression qu’il laisse par sa propension à s’apitoyer sur n’importe lequel – surtout s’il est jeune et mâle. C’est le cas pour Apollonius, grec de 18 ans bâti en athlète avec une grâce de dieu, dont l’officier bras droit de Crassus est éperdument amoureux ; c’est le cas pour Alexandros, jeune Thrace musclé et velu dont Olympias, apprentie Sybille, aime à baiser le beau corps ; c’est le cas pour l’enfant Meto, vaillant et dégourdi, qui doit y passer avec les autres. Autant la précédente enquête était centrée sur Cicéron, autant celle-ci est intégralement centrée sur l’esclavage sous toutes ses formes : aux galères, au service dans la maison, aux champs, dans les mines.

Lucius a été retrouvé dans son atrium mais n’est pas mort sur place, quelqu’un l’a transporté. Il est décédé d’un coup violent à la tête mais l’arme n’a pas été retrouvée. Des documents comptables manquent dans la bibliothèque et de mystérieux plouf retentissent près du hangar à bateaux, en contrebas de la villa sur les hauteurs avec vue sur la mer. Flanqué d’Eco, Gordien enquête, mais piétine longtemps car l’énigme est particulièrement coriace.

Ce n’est qu’in extremis, après avoir interrogé la Sybille de Cumes environnée d’herbes odoriférantes et côtoyé les bouches de l’Hadès dans les vapeurs de soufre des solfatares, s’être à demi noyé pour découvrir une grotte dans la falaise, avoir été battu une fois et assommé une autre, qu’il va approcher la vérité. Mais celle-ci est à peine croyable. Est-ce vraiment lui le coupable ? Evidemment non, il n’y aurait de coup de théâtre sans cela car ce roman historique est aussi un roman policier. L’érudition n’empêche nullement l’action, ni l’enquête les sentiments familiaux. Autre coup de théâtre, Eco retrouve la voix, une émotion et quelques herbes suffisent à le guérir de cette inhibition due à une maladie d’enfance.

Le lecteur aura pénétré l’intimité de l’existence à la villa avec ses bains privés chauffés par le volcanisme, ses fresques décoratives de dauphins et poissons, ses élevages de murènes, ses plats d’oursins au cumin sous la lumière douce de Campanie. Il mesurera aussi l’inflexibilité de la loi romaine et la cruauté de la fameuse « vertu » vantée dans les textes classiques sur lesquels nous avons peiné au collège en classe de latin. Les Romains sont loin des Grecs, plus matérialistes et concrets, moins cultivés et intellectuels. Marcus Crassus a parfois même des propos de « vertu romaine » qui susciteront le fascisme, tant la grandeur de Rome passe avant les sentiments des individus. Steven Saylor rend bien l’esprit du temps, malgré une faiblesse anachronique pour les esclaves. Némésis, la juste colère des dieux, ne permet pas tout aux humains : l’équilibre doit être respecté pour l’ordre du monde.

Steven Saylor, L’étreinte de Némésis (Arms of Nemesis), 1992, 10-18 Grands détectives2000, 368 pages, €3.24 e-book Kindle €9.99

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Aguas Calientes

Notre hôtel est le Pachacutec, situé assez haut dans les rues du village. Diamantin : « même pour l’hôtel, il faut encore monter ! » Il est vrai que depuis deux jours, nous sommes plutôt gâtés en termes de grimpette ! Fortune, qui aperçoit des chocolats à vendre sur un étal, poursuit Fortunat, son mari, pour lui agripper ses bourses. Lui ne veut pas  lui donner en entier parce que « tout va y passer, elle ne peut pas se retenir ». L’hôtel est confortable pour une nuit, chaque chambre a deux lits et sa douche, que nous nous empressons de prendre, et ses toilettes privées. Un autre avantage est que l’hôtel est tout proche de l’établissement thermal qui donne son nom au village. Un centre de bains municipaux a été aménagé au débouché des sources chaudes qui sortent de la montagne.

Je m’y rends un peu plus tard, par curiosité et désœuvrement. Les bains sont érigés en plein air dans une faille de la hauteur. Sortent ici plusieurs sources thermales soufrées. L’entrée coûte 5 sols. Un bâtiment en dur est muni de cabines de déshabillage pour « damas » et « caballeros ». Une fois prêt, on emporte tout et l’on dépose ses affaires sur des claies bien en vues des bassins. Des tuyaux d’eau chaude et froide permettent de se laver dans des bacs avant d’entrer se tremper dans l’un des quatre bassins. Le grand est agréablement tiède, les autres de chaleur croissante. Ne sachant quels sont les usages, je suis l’exemple d’un jeune natif qui entre dans le grand bassin pour y rester longtemps, le dos au mur, les bras étendus. On ne nage pas, on bouge peu, parfois on plonge la tête sous l’eau, mais le but est plutôt de se détendre dans la chaleur. Les adultes d’ici ont la peau foncée naturellement, mais n’ont de bronzées que les parties du corps non protégées par les vêtements ; ils travaillent et n’ont pas le temps de s’exposer. Et ce n’est pas dans les mœurs. Les gamins, par contre, sont bronzés partout ; ils doivent nager et se dénuder régulièrement. La montagne muscle le ventre et les cuisses plus que les bras ou la poitrine. En altitude, le travail des forces n’est pas le même qu’en plaine. Par contraste, ce jeune Américain d’une vingtaine d’années venu ici avec ses copains présente une musculature – certes cultivée aux appareils – bien mieux équilibrée et plus esthétique.

Arrivent Juan, Périclès, Gisbert et Mabel. Je les suis dans les autres bassins plus chauds et plus petits. Nous sommes bien à nous tremper à température du bain, jouissant de la caresse maternelle de l’eau. Etant là depuis un certain temps déjà, je finis par sortir, amolli. Je repars comme j’étais venu : sandales, short, serviette de bain, moins les seuls 5 sols que j’avais emporté. Je désinfecte mes plantes de pieds avec une serviette bactéricide avant de remettre les chaussures. Les bords de piscine et les vestiaires ne sont pas très sains et l’eau chaude favorise la vie bactérienne, même si l’eau est soufrée. J’ai vu une Américaine en faire autant avec un spray.

A la nuit tombée, je fais un petit tour dans ce gros village. Il n’y a pas grand-chose à voir. Comme les stations de ski de nos régions, tout est voué au tourisme donc au commerce. Il s’y trouve de multiples babioles, des nourritures de toutes sortes, de l’épicerie, des boissons, des souvenirs… Gamins et gamines déambulent en proposant aux étrangers leurs colifichets, sans trop insister. Dans les conversations que les filles déjà grandes ont entre elles, on sent l’avidité commerçante, la rapacité pour les sols à grappiller. Le cafetier de la place les connaît bien et change quelques-uns de leurs dollars en sols, après les avoir regardés par transparence, par peur des faux. Je prends une bière à 3,5 sols. Des Argentins, assis à côté, achètent des cartes postales à un gosse, deux bracelets d’amour à une fillette, des brochettes de viande à une femme installée sur la place qui grille à la demande. Une mère et son jeune fils ont installé une loterie pour les enfants un peu plus loin. C’est un enclos entouré de barrières de cordes au centre duquel trône un étal de bonbons disposés par lots. Pour un sol, le gosse qui joue a droit à trois anneaux. Il doit les lancer un par un sur les bonbons qu’il convoite. Si l’anneau l’entoure, il gagne la friandise. Mais le plus souvent les anneaux – qui sont en métal – rebondissent sur le bois de l’étal et tombent par terre. Rares sont ceux qui gagnent, souvent par chance, parce que le rebond est retombé sur un autre lot. Le gain est manifeste pour le tenancier de la loterie, mais le jeu y est.

Avant le repas, prévu dans un restaurant, certains prennent l’apéritif dans un bar qui diffuse de la musique américaine. Ambiance de boite qui me rebute mais dans laquelle certains retrouvent leurs marques. Diamantin danse avec Salomé, en Parisien branché. Le son est trop fort, l’atmosphère artificielle ; je sors dans le jardin en attendant. Il y a là trois fillettes vendeuses de colifichets qui discutent entre elles de la recette du jour, un jeune local à la recherche « d’ambiance » qui ne s’attarde pas, grommelant en espagnol : « il n’y a là que des gringos. » Il ne soupçonne pas que je le comprends.

Repas banal : soupe aux pâtes (trop), truite grillée (panée), papaye-banane-confiture. Choisik, qui aime beaucoup le vin blanc, pousse un peu à la consommation mais force est de constater que le blanc est meilleur que le rouge. Lever tôt demain, aussi je vais me coucher sitôt l’addition laborieusement partagée. Les rues sont vides, hormis quelques enfants qui jouent encore sur le pas de leurs portes. Un tout-petit reste perdu dans un rêve de cerf-volant au milieu de la rue, en pleine obscurité.

Plusieurs heures plus tard, Périclès rentre très allumé d’une soirée dansante dans les bouges d’Aguas Calientes.

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