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Nicolas Beuglet, Le cri

Une inspectrice norvégienne à moitié folle est foutue dehors par son mec en pleine nuit, lorsqu’elle prend un appel du central de police. On saura pourquoi elle sort tout juste des mains manipulatrices des psys. Un patient de l’hôpital psychiatrique de Gaustad, à quelques kilomètres d’Oslo, s’est suicidé tout seul « en s’étranglant à la main », dit le jeune gardien qui a appelé la police puisque les infirmiers ne répondaient pas. Une situation improbable, vite dissipée : on cherche à cacher quelque chose.

L’inspectrice fait son boulot, recoupe les faits, confronte les gardiens séparément, interroge le directeur. Le légiste dit que le patient est littéralement « mort de peur » pas d’étouffement. De plus, son urine présente sur son pantalon mais pas sous lui montre clairement qu’il a été déplacé. Les infirmiers finissent par avouer qu’il a été mystérieusement traité.

C’est le début d’une intrigue romanesque et en même temps glaçante, puisque le directeur incendie carrément l’hôpital. Qu’a-t-il donc de si important à cacher ? Pourquoi les gens interrogés ont-ils peur de parler à cause de leur famille ?

L’intrigue part de faits réels, les expériences de la CIA dans les années de guerre froide. L’auteur s’est longuement documenté, depuis que les archives américaines sont ouvertes. Mais il pousse sa théorie, qui va très loin : pas moins que le sort de l’âme humaine. Pourquoi d’ailleurs seulement « humaine » ? Selon son idée farfelue, que je vous laisse découvrir, pourquoi l’âme de TOUS les êtres vivants ne seraient-elles pas traitées pareil par la physique ? L’auteur garderait-il un reste de superstition chrétienne sur « Dieu » et le Livre ?

Malgré cet invraisemblable, auquel les gens intelligents ne peuvent adhérer (désolé de casser la belle image d’un ex de M6 né en 1974 qui sait faire sa pub dans les médias), le livre est haletant. Le personnage de l’inspectrice Sarah est particulièrement réussi, froide, professionnelle, efficace. Un parfait contraste avec le personnage de Christopher, un ex-reporter de guerre qui n’a pas dû en voir de vraiment dures. Lui se montre trop faiblard en situation, à croire qu’il en raconte plus qu’il n’en a fait. De plus ce genre de prénom américain est particulièrement incongru lorsque l’on apprend que son père est aussi catho tradi.

S’ajoute à l’action un bel exemple d’amour paternel pour un petit garçon de 8 ans, Simon, qui n’est pas son fils mais seulement son neveu. Certes, issu d’un frère adoré, mais sans lien particulier avec le garçon avant d’être forcé de s’en occuper lorsque son frère Adam a eu un « accident de voiture » (sur une route droite). La romance entre Christopher et Sarah, le reporter et l’inspectrice, fait un peu cliché mais correspond à l’époque de bisounours des lectrices. Tout doit se terminer par une bonne séance de sexe partagé, en rêvant bien-sûr du Grand Amour.

En bref, un bon thriller dont les chapitres courts se succèdent et prennent aux tripes. Mais pas un grand roman à la Simenon pour la psychologie, ni à la Ludlum pour l’intrigue – plutôt un roman qui plaît : 540 000 exemplaires pour ses deux premiers romans, dont Le Cri est le premier.

  • Prix Polar des Petits Mots des Libraires
  • Prix du Roman Populaire
  • Prix des Nouvelles Voix du polar
  • Prix Polar en Nivernais

Nicolas Beuglet, Le cri, 2016, Pocket thriller 2024, 558 pages, €9,60, e-book Kindle €8,49

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

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Eliot Pattison, Le seigneur de la mort

Depuis l’an 2000, l’Américain juriste Eliot Pattison écrit sur le Tibet. Il déplore le colonialisme chinois et l’acculturation forcée de ceux-qui-savent-mieux-que-vous-ce-qui-est-bon-pour-vous. Le communisme, cet héritage de gauche dévoyé des Lumières, rencontre le nationalisme du Pays du milieu pour imposer par la force sa vision du monde aux « arriérés » que sont les populations non-Han.

Le Tibet est donc envahi, normalisé, les « dissidents » placés en camps de travail ou en hôpital psychiatrique, les morts servant aux juteux trafics d’organes de la corruption endémique chinoise.

C’est dans ce contexte que l’auteur situe ses romans policiers. Shan est un ancien inspecteur trop intègre de Pékin relégué au goulag parce qu’il a révélé quelques malversations de hauts pontes du Parti. Il n’est personne. Avec les moines tibétains rencontrés dans le camp, il a appris une autre résistance, celle toute intérieure de l’esprit. Les liens des causes et des effets sont enchevêtrés et seule la Vérité permet de comprendre, donc d’avancer. Il le démontre à ses divers maîtres du Parti ce qui lui donne une semi-liberté pour enquêter. Son but ultime est de faire libérer son fils Ko, menacé d’être décérébré comme irrécupérable. Cette dernière enquête est donc cruciale pour lui, comme pour son ancien tortionnaire le colonel Tan, accusé de meurtre.

Car lorsque la ministre du Tourisme de la République populaire et une alpiniste américaine connue sont assassinées de deux balles de gros calibre sur la route de l’Everest, tout ce que la province compte de flics et de services s’entend à dissimuler la réalité pour accuser le colonel Tan, les moines renégats et faire porter le chapeau aux éléments « indésirables » de la société communiste. Mais Shan a vu, il était là. Toute sa tactique va consister à diviser les pontes entre eux pour faire surgir la vérité des faits – et obtenir ce qu’il désire : son fils.

Vérité qui ne va pas plaire, sauf à la petite juge implacable venue de Pékin pour faire le ménage dans la corruption ambiante, selon les directives du Parti. Car la vérité est que la ministre Wu a été à la tête des gardes rouges qui ont mis à sac la région du temps de Mao, et que la région s’est particulièrement braquée contre les oukases de Pékin, aidée en sous-main de 1942 à 1971 par les Etats-Unis qui faisaient passer des armes et entraînaient l’armée de résistance du Tibet depuis le Népal. Cette double histoire oubliée, celle de la Révolution culturelle qui a fait beaucoup de mal à la Chine et celle de la trahison américaine aux résistants tibétains, est volontiers occultée par les livres d’histoire. La vérité est en général ce qui plaît, pas ce qui est…

Le mérite de l’auteur est de resituer ces événements passés dans le présent, avec ses intérêts économiques et ses rivalités politiques, dans un Tibet dont la spiritualité se meurt parce que la région est stratégique pour l’empire.

L’enquête est lente et décousue comme un puzzle dont il faut rattacher les morceaux. Mais tout prend son sens à la fin, sous le regard de Chomolungma, la montagne la plus haute du monde, où Milarepa a passé le bouddhisme en poèmes, il y a mille ans.

Eliot Pattison, Le seigneur de la mort (The Lord of Death), 2009, 10-18 2012, 429 pages, €9.10

Les autres romans sur le Tibet d’Eliot Pattison sur ce blog

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Shane Stevens, Au-delà du mal

Voici pour les vacances un pavé bien saignant et captivant. Pavé par ses 891 pages, saignant parce que plus d’une centaine de femmes violées, d’enfants fouettés, de meurtres par éventration s’y produisent. Captivant parce que l’auteur écrit direct, un fait à chaque paragraphe, qu’il panache comme des séquences de film. Le livre est en trois parties : le bandit, le journaliste enquêteur, la rencontre finale. Nous sommes dans un western, ce mythe de l’Amérique, qui passe de la côte californienne à la côte est, de Los Angeles où tout commence à New York où tout finit toujours.

Qui se souvient de Caryl Chessman ? Ce petit malfrat, braqueur avec armes et violeur récidiviste, a été condamné à mort. Aidé par les intellos contre la chaise électrique, il a engagé toutes les procédures, écrit quatre livres, passé 12 ans dans les couloirs de la mort avant de la rencontrer dans la chambre au cyanure. C’était en 1960. Et si ses viols avaient produit leurs fruits ? C’est ce qu’imagine l’auteur. Ainsi naît Thomas, garçon détesté par sa mère, haï par son père officiel qui sait qu’il n’est pas de lui et qui disparaîtra bientôt, minable, tué dans un braquage foireux. L’enfant est dressé par sa mère au fouet, habitué à la haine. Il finira par l’assassiner à 10 ans et à brûler son corps dans la chaudière. Interné pour cela, il apprendra à ruser pour se fondre dans la société des humains, à jamais amputé de toute empathie et de tout amour.

Il apprend beaucoup par la télévision, notamment sur les mille manières de se fondre dans la société américaine très libre (avant le Patriot Act) où il suffit d’une date de naissance et d’une adresse pour se procurer tous les papiers d’identité nécessaires. Thomas s’évade à 25 ans de l’hôpital psychiatrique en se faisant passer pour mort : il assassine froidement son co-évadé et il lui met son portefeuille et ses vêtements, défonçant son visage pour qu’on ne le reconnaisse pas. Il a subtilisé ses photos et empreintes dans les dossiers de l’hôpital. Le voilà neuf, il ne songe qu’à se venger. Il adule celui qu’il croit son vrai père, Caryl Chessman, il viole et tue en son honneur. Beau gosse, il attire. La baise lui répugne, préférant les pipes, jouissant surtout de se vautrer dans le sang. De ville en ville, il sème son lot de cadavres.

Nous suivons le tueur, l’enquête des polices locale et fédérale, la quête du journaliste d’investigation. Mais l’auteur ne se contente pas d’un thriller sur un tueur en série. Il veut mettre en scène toute l’Amérique. Il passe donc en revue les regards indifférents des voisins de campagne sur l’enfant battu, la solitude des filles seules autour de trente ans, l’enchevêtrement des lois et règlements entre états et fédération, la corruption politique, la spéculation immobilière, les liens des politiciens avec la pègre, la naïveté bobo des psy sur la cure des détraqués, l’usage politique des informations de presse, les maîtresses obligées de tout homme de pouvoir, les petites manipulations entre amis, l’envie de lynchage des « bons citoyens » outrés, l’ère de paranoïa Nixon… C’est une radiographie des États-Unis des années 1970 qui surgit de l’action.

‘Pour cause de démence’ (titre américain d’Au-delà du mal) est un grand livre. Il donne le pourquoi de l’ère Reagan qui suivra, dans les années 1980. Et il se lit comme un thriller, ce qui n’est pas rien en vacances !

Shane Steven, Au-delà du mal (By Reason of Insanity), 1979, Pocket février 2011, 891 pages, €8.45

DVD Crimes of the 20th Century avec bonus : By Reason of Insanity, Sanctuary 2004, €12.49 (en anglais)

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