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Colette, Les vrilles de la vigne

Livre bariolé, fait de pièces et de morceaux, il s’agit d’un recueil d’essais et de poèmes en prose publiés dans diverses revues. Colette s’y cherche, sa vie change, Willy s’éloigne. Femme séparée, saltimbanque, lesbienne, Colette est réprouvée par la « bonne » société et fait front.

Elle utilise pour cela le procédé de Marcel Schwob, l’un de ses contemporains, de faire parler des animaux. C’est le dialogue entre Toby-Chien et Kiki-la-Doucette, chatte. Mais aussi une « rêverie de Nouvel An » pour faire le bilan du passé. « Nuit blanche » et « Jour gris » se succèdent devant le « Dernier feu » pour parler des « Amours » et d’« Un rêve ». Il faut faire face, se masquer, d’où « Maquillages » et « Belles-de-jour » pour se demander « De quoi est-ce qu’on a l’air ? » et s’en foutre. Donc la « Guérison », le « Miroir » où Colette se mire en Claudine, la « Dame qui chante » et la « Partie de pêche » en « Baie de Somme » où la célibataire invertie esseulée contemple les familles à marmaille et les enfants patauds comme de petits animaux. Pas son truc à Colette, elle préfère « Music-halls », ce qui termine le recueil.

En vingt textes hétéroclites mais finalement organisés, on s’en aperçoit a posteriori, Colette se précise. En 1908, Sidonie-Gabrielle a 35 ans, l’âge mûr, le début de la fin pour la femme dont l’acmé se situait selon Balzac, auteur chéri de Colette, à 30 ans. L’immoraliste gidienne féministe, fille de capitaine d’Empire, fait le bilan. Le rossignol ligoté par les vrilles de la vigne est cet amour hormonal de la jeune adolescente romantique, emportée par son lyrisme et tombée « amoureuse » sans savoir ce que c’est, qui se retrouve ligotée à un mari par les liens du mariage, « les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes… » La jeune fille, naïve rossignolette, « crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient » p.959 Pléiade.

Pour résister à la tendance naturelle féminine à se laisser faire par les hommes, à se laisser emprisonner par les convenances, à se laisser être conforme au miroir de la société, une seule façon : élever la voix. Écrire, chanter, s’exprimer. « Pour me défendre de retomber dans l’heureux sommeil, dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue, j’écoute le son de ma voix… » p.960.

Colette, Les vrilles de la vigne, 1908, Livre de poche 1995, 125 pages, €2,00 (Amazon indique un prix faux) ; e-book Kindle0,94

Édition pédagogique Bac 2023, Sido suivi de Les vrilles de la vigne, Livre de poche 2022, 384 pages, €6,20

Colette, Œuvres tome 1, Gallimard Pléiade 1984, 1686 pages, €71,50

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Avril mois d’Aphrodite

aphrodite de cnide nue main sur sexe

Avril n’est pas attesté en français avant l’an mille ; auparavant on parlait bas-latin. Le nom latin aprilis viendrait de l’étrusque qui l’aurait emprunté au grec aphrô. C’est du moins ce que recense le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, aux éditions Robert – LA référence du bon français.

Avril serait donc le mois d’Aphrodite, le second mois de l’année romaine, qui voit à la fois le printemps et la fête de Pâques. Un délicieux mot perdu du français parle d’ailleurs d’avrillées pour désigner les averses de printemps, bienfaisantes aux récoltes.

Aphrodite, déesse de l’amour, jaillit de l’écume en sa nudité. Elle naît de la vague, « déesse nue aux longs cheveux tombant jusqu’aux chevilles, le galbe affolant de ses fesses et cette main, oui, cette main que ne cessait de montrer son sexe sous prétexte de le cacher« , écrit avec un enthousiasme d’adolescent Jacques Lacarrière dans son Dictionnaire amoureux de la Grèce.

Aphrodite est une vigueur génésique, un appel au désir, un élan vital. Est-ce par hasard si la démographie « naturelle » des humains retrouvait son énergie à ce moment ? Dupâquier montre que la conception des petits d’hommes avait son creux en mars et qu’avril la voyait remonter.

conception des enfants avril dupaquier

Les Aphrodite’s Child furent un groupe de rock « progressif » créé par Vangelis en 1968 et qui s’est séparé en 1972. Ils chantaient les années baise, Let Me Love, Let Me Live. L’appel hormonal du désir.

Quant à la coutume du « poisson » d’avril, que les gamins accrochent au dos des personnes trop sérieuses pour s’en moquer, elle remonterait au XVIème siècle seulement. On dit que le roi de France Charles IX décida, par l’Édit de Roussillon, que l’année débuterait le 1er janvier au lieu de fin mars. Ceux qui n’étaient pas au courant se voyaient rappeler cette nouveauté par le signe du zodiaque, le poisson qui marque la fin de l’hiver.

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Alain Finkielkraut, Et si l’amour durait

En ce très court essai littéraire de 155 pages, Monsieur le professeur de culture générale à Polytechnique et producteur de l’émission ‘Répliques’ à France-Culture parle de l’amour. Pour cela, rien de tel que la littérature, car la sociologie est décevante : elle ne décrit que le trivial qui survient au présent, pas la psychologie humaine. En revanche, malgré les profs dans le vent qui préfèrent les Skyblogs ou les pubs, malgré le courrier du cœur des magazines pour coiffeuses, malgré les présidents qui trouvent les classiques ringards, les romans français aident à comprendre et à penser l’amour.

Est-ce le « grand » amour romantique, éternel, platonicien, rêvé par les midinettes ? Pas vraiment… L’amour « durable » (comme l’énergie du même nom) doit être défriché dans la tradition et non pas comme si la génération pubère créait elle-même ce monde ex nihilo. Alain Finkielkraut, titillé par une commande de conférence à la BNF et excité par un séminaire sur le sujet devant ses étudiant(e)s de Polytechnique, s’est fait la douce violence de se pencher sur le sujet.

Il a pris pour cela des œuvres représentatives, à ses yeux, de cet amour « durable ». Madame de La Fayette écrit La Princesse de Clèves pour dire tout le mal qu’elle pense du donjuanisme de « galanterie » tant vanté par la vieille France, et tout le bien qu’elle pense de la fidélité morale, même après la mort. Ingmar Bergman, dès Les Meilleures Intentions, démontre combien l’exigence moderne de « vérité » totale, de transparence jusqu’à l’obscène, ne peut que tuer le sentiment d’amour car il n’est pas fait que de sexe, loin de là ! Philip Roth, dans Professeur de désir, passe étape par étape les stades de ce qu’on appelle « amour », mot-valise : le sexe, la passion, l’entente durable. Milan Kundera dans ce merveilleux roman qu’est L’insoutenable légèreté de l’être va définir la meilleure tempérance comme « amitié érotique », où le durable consiste dans le sentiment d’amitié – alors que l’érotisme torride du sexe ne résiste pas aux ans (usure des habitudes et fatigue physique de l’âge). C’est intelligent, bien frappé et littéraire.

L’amour ? Pour le comprendre, il faut se soustraire à l’alternative trop simple de l’idéalisme et du réalisme, celle qui court les magazines et la télé. Amour de convenances qui est alliance de patrimoines familiaux, bien oublié aujourd’hui (sauf dans les pays musulmans), amour coup de foudre qui ne dure que ce que durent les roses, l’espace d’un matin, idéal de notre temps qui rêve la répétition infinie du toujours jeune, aucun Hâmour (comme le persifflait Flaubert) ne tient dans la réalité des êtres. L’amour est autre et c’est Madame de La Fayette qui nous l’apprend il y a plusieurs siècles : « Il connaît la grâce de vivre pour quelqu’un et de s’aimer moins que l’être qu’il aime » p.20. Quel scandale pour la postmodernité adolescentrique du présent perpétuel ! Ce pourquoi le président Sarkozy a effectué plusieurs sorties contre ce roman mis au concours administratif d’un poste de cadre B.

Heureusement que Sarkozy en a parlé ! Car ce vieux texte bien oublié, dans une langue trop compliquée, n’était plus guère lu depuis 68 pour cause d’élitisme bourgeois… Finkielkraut se moque (p.34) du réflexe pavlovien des anti-Sarkozy (le plus souvent bobos de gauche branchée) qui prennent automatiquement la posture inverse de la sienne, comme des chiens de Pavlov. La Princesse de Clèves s’élève contre son impuissance à subjuguer le temps : l’amour n’est pas ce qu’il déclare, il n’est pas « éternel » mais hormonal, sauf à devenir durable par agapè au détriment de l’éros… C’est cela le scandale de notre temps, dont Sarkozy, amateur de séries télé populaires en son jeune temps, se fait l’écho amplifié.

L’autre scandale, venu du protestantisme et appliqué avec systématique aux États-Unis, est la transparence, cette exigence de vérité absolue sur tout. C’est l’erreur du vieux Kant que se complaît à citer Finkielkraut selon Bergman : « la tête en avant, la bouche en cul de poule, l’haleine mauvaise, traversant la citadelle des connaissances ». Or la loi n’est pas absolue mais contingente aux êtres particuliers. Il arrive que la sincérité tue les êtres par le choc qu’elle donne et par la névrose de répétition qu’elle engendre. Ainsi, le mari bafoué (Heinrik, père du cinéaste suédois), ressasse sans cesse l’aveu de sa femme et exige toujours plus de détails, lesquels sont obscènes, donc empêchent tout pardon et toute résilience. Le mensonge par charité est parfois la seule voie du bien, celle qui permet de reconstruire…

Troisième scandale de notre temps qui empêche de saisir l’amour : le narcissisme. « Nous avons, nous autres Européens, redoublé l’amour par l’amour de l’amour au risque de substituer celui-ci à celui-là » p.127. On s’admire d’aimer, on se regarde être beau par amour, comme chez Flaubert dans L’éducation sentimentale : « Frédéric Moreau aime Mme Arnoux, mais plus que Mme Arnoux, il aime son amour, il aime l’image de lui-même que cet amour lui renvoie » p.128. Il faut briser les miroirs, surmonter la jeunesse, ce « stupide âge lyrique où l’on est à ses yeux une trop grande énigme pour pouvoir s’intéresser aux énigmes qui sont en dehors de soi et où les autres (fussent-ils les plus chers) ne sont que des miroirs mobiles dans lesquels on retrouve, étonné, l’image de son propre sentiment, son propre trouble, sa propre valeur » (Kundera cité p.132).

Sortir de soi, mûrir enfin, accepter le durable – tout cela est antinomique avec le jeunisme né après 68 et exacerbé par tout ce que la technologie offre de médias pour créer des liens, vivre dans l’instantané, zapper à tout moment. Non, l’amour n’est pas le papillonnage sexuel d’une fleur à l’autre ! Il faut économiser l’énergie pour devenir adulte. L’amour durable – « écologique » pourrait-on dire – est celui que le soleil éclaire, sans consommer ses propres ressources finies : amour de l’autre et non de soi, une bonne dose d’agapè dans son éros.

C’est drôle, j’apprécie Finkielkraut sur France Culture et j’aime ses livres. Mais pourquoi critique-t-il autant l’ère postmoderne (la nôtre) pour y emprunter les tics ? Ainsi fait-il un « livre » en 155 pages seulement (écrit gros), selon la mode qui fait qu’on ne lit plus que les opuscules entre deux stations (d’où le succès d’Indignez-vous ! d’Hessel). Ainsi ne met-il pas de point d’interrogation à son titre, commettant soit une faute de laisser-aller, soit un laisser-aller de « vocabulaire banlieue » où il n’y a jamais aucune interrogation, seulement des certitudes au présent.

Malgré ces petits travers, qui rendent humain malgré tout, Et si l’amour durait est un bon essai qui fait réfléchir. Il fait aimer encore plus la littérature, tout en montrant l’intérêt des livres malgré l’envahissement des écrans.

Alain Finkielkraut, Et si l’amour durait, septembre 2011, Stock, 155 pages, €16.15

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