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Martha Grimes, Ce que savait le chat

Des chats et des pompes, voilà les accessoires du roman. Une jeune femme trop bien habillée est retrouvée tuée derrière un pub où vivent deux chats, dont l’un n’est pas le bon. Celui qui a vu le meurtrier a disparu. Le superintendant Jury, commissaire en français, est chargé de l’enquête par Scotland Yard, on ne sait trop pourquoi. Peut-être parce que deux riches excentriques donnaient une fête ce soir-là à deux pas et qu’il convient de marcher sur des œufs ?

Jury va au pub, à la terrasse arrière duquel a eu lieu du crime, une fois la nuit tombée. Il apprend d’une Dora de 7 ans, toute dépenaillée comme chez Dickens, que le chat noir qui donne son nom au pub (d’où le titre anglais du roman) a été substitué. Morris n’est plus là et un autre a pris sa place. Comme il est détective, et de la police, il doit le retrouver bien vite. Mais il n’existe pas qu’un chat de Chesham, même noir. L’enquête va le mener vers Harry, escroc méphistophélique accusé d’un meurtre de femme que Jury n’a jamais pu prouver, et de la séquestration de deux enfants dans sa propre maison, qu’un chien a retrouvés sans que Harry puisse être impliqué. Harry est riche et adore déguster le vieux vin français dans un pub spécialisé. C’est une niche à Jury qui explique le va-et-vient des chats noirs. Le chien Mungo, qui parle chat comme vous et moi, opère les intermèdes qui, avouons-le, ont peu à voir avec l’enquête pour meurtre mais donnent une satire désopilante des comportements humains.

Il y aura deux autres meurtres, toujours sur le même genre de personne, des jeunes femmes trop bien habillées qui se révéleront être toutes des escortes, et toujours tuées de deux balles dans la poitrine, la première pour faire mal, la seconde au cœur. Mais pas toujours avec la même arme. Attention, escorte n’est pas pute, bien qu’on puisse penser le contraire. Le client, en général chic et riche, paye, mais pour avoir de la compagnie dans une soirée, pas toujours pour finir au lit. Encore que ce ne soit pas exclu. C’est le métier qui veut ça. Du bon argent vite gagné pour aider une vieille marraine ou épargner pour la retraite. Sans parler des robes habillées, des bijoux, des chaussures, cadeaux des clients.

Les filles tuées ont toujours une profession officielle dans la société, comme bibliothécaire ou secrétaire. Elles sont alors insignifiantes, habillée gris, gagne-petit, passe-partout. Ce n’est que le week-end qu’elles se métamorphosent. Tous les cadavres portent des chaussures invraisemblables, des créations de grands chausseurs pour femme, Jimmy Choo, Louboutin, Manolo Blahnik. L’épouse handicapée d’un inspecteur en a même toute une collection de luxe que la fortune de sa famille lui a permis d’acquérir, sans jamais pouvoir les porter. Elle s’est fait renverser par une voiture sur un passage piéton, croyant bêtement que les automobilistes étaient obligés par le Code de s’arrêter. Certes, c’est la loi, mais un piéton ne fait pas le poids. Mieux vaut penser que la loi du plus fort reste meilleure que la loi votée pour éviter ce genre d’ennui.

Les meurtres semblent ceux d’un tueur en série, mais pourquoi être allé à Chesham alors que les autres ont eu lieu à Londres ? Mystère – s’il n’y avait le chat enlevé. Harry, ni vu ni connu, serait-il impliqué ? Jury ne rêve que de lui mettre le grappin dessus, mais le sire est habile. Et son chien Mungo fait des siennes. Quel est le lien commun entre toutes ces filles, si ce n’est leur profession bis ? Se connaissaient-elles ? Avaient-elles les mêmes clients ?

Le lecteur retrouvera avec plaisir le commissaire Jury, son sergent Wiggings, son supérieur Racer, Phyllis la légiste et Carol-Anne la voisine, l’ami Melrose Plant, ex-lord Ardry, et ses animaux dans le parc du château, le cheval Chagriné, le bouc Chaviré, le chien Chahut. Ce dernier, un berger de montagne trouvé par Jury déshydraté et affamé sur un pas de porte, soigné par un vétérinaire, a été laissé par Jury comme par hasard sur la propriété de Melrose, pour qu’il soit adopté. Bien qu’il ait déjà un nom sur son collier Joey, l’ex-lord Ardry a tenu à le rebaptiser pour qu’il commence lui aussi par ch…

Martha Grimes, Ce que savait le chat (The Black Cat) – Une enquête de Richard Jury, 2010, Pocket 2012, 478 pages, €9,00

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Martha Grimes, Le collier miraculeux

Un collier qui est un pub dans l’East End londonien et un qui est volé à une soixantaine de kilomètres de Londres, dans un village à la mode. S’il est « anodin » en anglais, il se transmute en « miraculeux » en français – mystère du traducteur. De fait, il est d’émeraude de fine eau, presque bleue, gravée en Égypte. Mais ce n’est pas ce qui importe. Malédiction de l’argent ou pas, il a tué, par deux fois, deux jeunes filles. Une fois à Londres dans le métro, une autre fois à une soixantaine de kilomètres, dans le village. Un chien a retrouvé un doigt, qu’une vieille fille a pris pour un os, avant de hurler et de prévenir « la police ». Qui n’est, dans ce petit village de Littlebourne, que municipale en la personne d’un agent unique, Peter Gere.

Le divisionnaire du Yard Racer arrache le commissaire Jury à son projet de week-end à la campagne, dans la propriété de son ami le douzième comte Ardry, lequel a renoncé à ses titres pour se faire appeler simplement Melrose Plant. Scotland Yard se doit d’enquêter sur ce meurtre sanglant d’une jeune fille, ce cadavre aux doigts coupés à la hache dans la forêt marécageuse où ne vont que les ornithologues fanatiques. L’enquête sera longue et hachée entre Londres et Littlebourne, et suffisamment tordue pour que le lecteur soit content, mais seulement à la fin.

Le sel de ce roman policier est ailleurs. Il réside dans la caricature des bons Anglais vus par une Américaine de l’Ohio, docteur ès lettres. Tout le village y passe – tout le monde se connait, à commencer par l’irascible et insupportable famille de sir Miles Bodenheim, qui se prend pour un Trump de village, imposant ses vues, parlant haut et fort, injuriant tout le monde, à commencer par les fonctionnaires de la poste ou de la police, à se demander pourquoi on les paye. Seule Emily Louise Perk échappe à leur snobisme et à leur mépris, parce qu’elle a 10 ans, pas les yeux dans sa poche ni sa langue, et qu’elle soigne admirablement les chevaux et poneys de ces aristos. Il y a aussi les sœurs Craigie, la forte en gueule qui aime les oiseaux et traque à la jumelle dans la forêt tous les matins la marouette ponctuée, et l’effacée au museau de mulot qui joue les diseuses de bonne aventure lors de la fête du village. Miss Pettigrew tient un salon de thé où l’on cause, la place du village n’étant qu’un estomac de la Grand-Rue, spécialiste des muffins à la carotte ou aux aubergines (!). Polly Praed au regard violet, est autrice de romans policiers d’une banalité déconcertante, mais forte en imagination pour tuer de multiples façons littéraires les quatre Bodenheim.

Chacun a reçu sa lettre anonyme, écrite au crayon de couleur, chaque missive d’une couleur différente, les accusant de diverses incongruités. Est-ce le fait du tueur ? Ou de la tueuse ? Mais à qui profite le crime ? Il se trouve que le secrétaire de lord Kennington a disparu il y a quelques mois avec un collier d’émeraude de grande valeur ; il l’a sans doute volé, après avoir fait main basse sur plusieurs autres bijoux du collectionneur invétéré qui croyait les avoir égarés. Mais où est-il ? Nul ne sait rien, ni du voleur, ni du bijou. Ils se sont comme volatilisés.

Sauf que des indices concordant relient Londres et Littlebourne, et que Jury va enquêter aux deux endroits. Les filles tuées se connaissaient, l’assassinée du bois, pressentie nouvelle secrétaire de la veuve Kennington, vivait à deux pas de la station de métro où la fille de 16 ans a été frappée à mort alors qu’elle jouait du violon pour se payer un jean de marque. Le commissaire va faire la connaissance de la famille Cripps, sortie tout droit de Dickens, avec la mère éléphantesque, pondant un gosse tous les ans et en ayant déjà six, braillards et dépenaillés, jouant sans culotte dans la rue, et le père exhibitionniste que le fils aîné – dans les 8 ans – commence à imiter. Il fera la connaissance au pub Le collier miraculeux d’un maître-sorcier, expert en jeu de rôles, dont une carte dessinée pourrait donner la clé de l’énigme.

En bref, du plaisir ironique, une enquête qui erre un peu mais trouve sa cohérence, un bonheur de lecture. Rappelons, pour la bonne rigueur, que l’ironie est le fait de se mettre à distance pour critiquer les contradictions humaines, tandis que l’humour est un tempérament qui englobe ces contradictions dans une humanité commune. Ce roman policier n’est pas anglais, mais émricain ; il manie l’ironie, pas l’humour.

Martha Grimes, Le collier miraculeux (The Anodyne Necklace), 1983, Pocket policier 2005, 352 pages, occasion €1,82, e-book Kindle

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Martha Grimes, Vertigo 42

Martha Grimes a su inventer un univers particulier et des personnages attachants. Mais plus le temps passe, plus elle semble tourner à vide – en rond – répétant les mêmes scénarios avec les mêmes rituels et moins d’humour. Le commissaire Jury semble n’avoir rien à faire de la journée, ce qui lui permet d’aller de Londres au Northumberland, puis à 300 km, puis à Londres, et de nouveau… Son comparse Melrose, lord Ardry, est ici plus effacé, se colletant moins à sa redoutable « tante » (par alliance) Agatha et éclusant plus de whisky à son club ennuyeux, le Boring’s. Le sergent Wiggins reste gourmand et abonné au thé tandis que les protagonistes des meurtres sont éclatés.

L’intrigue se disperse donc avant de trouver son chemin, non sans mal et digressions. Une mort de maîtresse survenue aujourd’hui aurait à voir avec une mort d’épouse il y a seize ans, laquelle serait le développement d’une mort d’enfant il y a vingt-deux ans… En effet, une fille vêtue d’une robe rouge vif décolletée et de sandales à talons hauts extravagants est retrouvée morte au pied d’une tour. Un chien erre dans le village, marqué Stanley au collier ; son maître est retrouvé tué d’une balle dans une ruelle. Dans le même temps Tom Williamson, veuf de Tess depuis seize ans, convoque le commissaire Jury au sommet de la tour Vertigo 42 à Londres pour prendre de la hauteur sur l’affaire : il n’a jamais cru que sa femme soit tombée de vertige dans l’escalier de la terrasse, encore moins qu’elle se soit suicidée. C’est pourtant ce qu’a conclu le coroner à l’époque.

Jury découvre que tout part d’une réunion gamine dans la grande propriété des Cytises, dans le Devon, où Tess, en mal d’enfant, invite à des goûters des orphelins adoptés de la haute. Lors du dernier, il y a deux garçons, le beau Kenneth de 12 ans dont les filles sont toutes amoureuses, John dit Mackey parce que son nom est McAllister, 10 ans, intelligent et sensible, auquel Tess s’est surtout attachée, et quatre filles, Madeline 12 ans, Veronica 9 ans, Arabella 8 ans, plus Hilda 10 ans, fillette méchante et langue de vipère. Elle a été retrouvée morte dans le bassin à sec où elle était tombée. Tess a été vaguement accusée mais elle était en train de préparer le gâteau ; l’autre adulte, Elaine, lisait dans son fauteuil au-dehors mais sans surveiller les enfants qui, d’ailleurs, jouaient à cache-cache dispersés un peu partout. Dont John grimpé dans un cytise, dont il a ingurgité des graines toxiques, ce qui lui a valu l’hôpital ! Le coroner a conclu pour Hilda à une mort accidentelle, mais tous ne l’ont pas cru.

Jury laisse faire l’inspecteur local sur la mort de la fille en rouge – le suicide paraît invraisemblable avec de telles chaussures pour monter les innombrables marches puis enjamber le parapet à hauteur de poitrine. Il envoie le sergent Wiggins sonder Kenneth, l’ex-12 ans devenu gay et féru de pâtisserie, sur ce qui a pu se passer il y a vingt-deux ans comme sur les causes de la mort de Tess que tous les enfants aimaient. Il rencontre lui-même chacun des ex-enfants – devenus tels qu’en eux-mêmes ils se montraient déjà : John médecin humanitaire, Madeline vendeuse de mode, Veronica flanquée d’une mère autoritaire donc férue de garçons pour y échapper. Manque curieusement Arabella – il la retrouvera au deux-tiers du livre.

Les trois morts du début sont-elles liées ? Le ou la coupable est-il le ou la même ? Y a-t-il un ou une complice à chaque fois ? La raison initiale entraîne-t-elle la théorie des dominos ? La fin ira de retournement en retournement, mais le lecteur aura bien attendu. Au total, la pirouette finale rattrape le corps de l’enquête qui reste assez décevante, comme si l’auteure s’était lancée sans trop savoir où aller, plaçant les scénettes habituelles avec ses personnages fétiches un peu au hasard. 

Martha Grimes, Vertigo 42, 2014, Pocket 2017, 475 pages, €7.95 e-book Kindle €8.73

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Martha Grimes, Le paradoxe du menteur

L’auteur se renouvelle tout en conservant la petite bande de ses personnages favoris et le ton satirique porté sur la société anglaise. L’énigme est cette fois un paradoxe quasi quantique : une femme est-elle vivante ou morte ? Telle la chatte de Schrödinger (dont rien ne dit que ce fut un mâle), nul ne peut le savoir qu’en mesurant de visu sa présence. Or cette mesure même risque de la tuer… La femme, comme la chatte, est donc vivante et morte à la fois, tant que l’on ne peut la voir.

Un soir, dans un bar à vins de Londres, le commissaire Jury côtoie un beau parleur. Séduisant, gourmet, riche, il lui fait goûter des vins français choisis, l’invite à dîner et lui raconte comment Hugh, un ami à lui savant physicien a perdu sa femme, son fils et son chien neuf mois auparavant alors qu’ils allaient sans lui visiter une maison en province. Les trois ont été vus puis ont tout simplement disparus.

L’enquêteur est titillé, ses petites cellules grises se mettent en branle, il demande des précisions. Et le feuilleton de cette histoire sans fin se poursuit de soirée en soirée, comme un conte des Mille et une nuits. Tant que l’histoire continue, il n’y aura pas meurtre, la femme survivra. La maison à louer est abandonnée, son propriétaire est un anglo-italien qui l’a laissée telle parce qu’elle appartenait à sa mère. Mais lui ne s’y plaît pas, son humidité, son isolement dans les bois loin du village et ses fantômes du passé ne sont pas sa poésie. Il a préféré habiter San Gimignano, près de Florence, et le lecteur le comprend sans peine.

Jury mandate son ami Melrose pour se rendre dans la propriété, rencontrer l’agence de location et les dernières personnes qui ont vu la mère et l’enfant – sans oublier le chien Mungo. Mais ce dernier est mystérieusement « revenu » et Harry le bel homme s’occupe de lui. Mungo ne dit rien mais n’en pense pas moins ; il désire aider Jury dans sa quête car lui connaît la vérité ! La femme de l’agence, un couple d’une maison à huit cent mètres, visitée elle aussi par la mère et son petit garçon, une fillette qui joue dans le bois près de la maison isolée, tous ont vu Glynnis et Robbie. Le garçon de 8 ans est autiste et ne parle pas mais il jouait dehors avec le chien. Dès lors, que sont-ils devenus ?

Jury soupçonne qu’on les a enlevés, mais aucune rançon n’a été demandée. Qu’ils sont morts, mais aucun cadavre n’a été retrouvé. Qu’ils ont volontairement coupé les ponts, mais Harry affirme que son ami Hugh était très amoureux de Glynnis et que c’était réciproque, seule l’école spécialisée pour l’enfant posait problème entre eux, ce pourquoi Glynnis aurait voulu quitter Londres pour un coin plus tranquille.

Après force vin, whisky et divers mets au menu des pubs, bars et autres clubs anglais, Jury va découvrir – outre la mécanique quantique et la théorie des supercordes – que les « mondes parallèles » sont plus dans l’imaginaire que dans le réel en ce qui concerne physiquement les gens. Mais toute vérité est aussi relative et comporte une bonne dose de croyance. Il y a ce qu’on veut croire par histoire personnelle et préjugés, mais aussi ce qu’on est disposé à croire parce que bien raconté. Si non è vero, è bene trovato ! aiment à dire les Italiens. Hugh est-il fou ? Harry est-il raisonnable ? Glynnis a-t-elle vraiment disparu ? Mungo le chien a-t-il fait tout seul des kilomètres pour revenir chez lui ?

Après nous avoir embrouillés bel et bien – à croire qu’elle ne savait comment s’en tirer elle-même – notre auteur virtuose retombe sur ses pattes en beauté, telle une chatte de Schrödinger sortie sans dommage de sa boite quantique ! Non sans suspense et frissons sur la fin, tant Martha Grimes aime à faire planer sur les enfants les pires turpitudes.

Martha Grimes, Le paradoxe du menteur (The Old Wine Shades), 2006, Pocket 2010, 475 pages, €7.90

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Martha Grimes, L’inconnue de la crique

Melrose Plant, alias lord Ardry,  décide de fuir son agaçante tante Agatha en Cornouailles. Il avise un manoir sis sur la falaise battue par les vagues et lui trouve un air sinistre de vieux film anglais. Il la loue donc pour trois mois de vacances. Las, tante Agatha va le retrouver et il n’aura de cesse que d la fuir en s’inventant mille choses intéressantes à faire. Comme s’intéresser à l’histoire du manoir par exemple.

Elle est triste, quatre ans auparavant, deux enfants sont morts sur les marches menant au bas de la falaise. Les parents étaient sortis, la cuisinière gouvernante au lit, tout semblait calme… et puis un cri. On a retrouvé Noah et Essmé, 5 et 8 ans, main dans la main, étendus en pyjama près du canot amarré. Ils n’étaient pas tombés, ils ne semblaient pas avoir été poussés, mais ils se sont noyés. Les parents se sont sentis coupables de n’avoir pas été là, la mère de n’avoir pas cru les récits des enfants sur la dame et le monsieur qui leurs parlaient près des bois. Ils se sont séparés, ils sont partis à Londres. Seul reste le grand-père, le vieux Moe qui est le roi du poulet et a lancé une chaine de restaurants rapides mais de qualité aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Lui s’est retiré dans une maison de retraite qui fait maison de santé pour incurables, choisis par lui et financés par lui. Il n’aime rien tant que débouler en fauteuil roulant droit sur la personne qui le nargue et de piler net,  bien qu’il puisse marcher sans fauteuil. Mais cela fait plus véridique.

C’est dans cette atmosphère que Plant découvre le village pittoresque et touristique de Cornouailles. Un garçon à tout faire est omniprésent : barman, serveur de restaurant, cuisinier, chauffeur de taxi, pâtissier. Johnny n’a que 17 ans (mais oui, on peut conduire dès 16 ans au Royaume-Uni) mais a les traits droits et la beauté pâle des personnages romantiques. Il est très attaché à sa tante Chris… qui soudain disparaît sans prévenir, ses meringues refroidissant encore dans le four.

Le même jour, un cadavre est retrouvé dans la crique de Lamorna, tout près de là, le fragment d’une cassette vidéo dans la main.

Tout alors peut commencer, le décor est planté. Le commandant Macalvie passait par là, le sergent Wiggins est appelé en renfort depuis Londres, le commissaire Jury reviendra à temps d’une mission en Irlande du nord. Les personnages familiers réunis, l’enquête rebondit de l’un à l’autre et s’étoffe de digressions plaisantes sur les mœurs anglaises.

Humour et cruauté peuvent résumer le roman. Le whisky côtoie le thé et le Martini dans les gorges profondes, le jeune Johnny entreprend vite et bien tout ce qu’il faut, y compris les tours de magie qui le fascinent (et vont le sauver), le cadavre se révèle une actrice du porno un temps lady, la tante retrouvée et reperdue, un cadavre de plus qui n’est peut-être pas le bon, le sida sans gaieté en prime. En bref, de quoi déconcerter et ne retrouver le fil qu’à la fin. Mais que de moments délicieux entre temps, décrits avec cette douce ironie qui est la patte de l’auteur.

Martha Grimes, L’inconnue de la crique (The Lamorna Wink), 1999, Pocket 2005, 448 pages, €7.90

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Martha Grimes, L’énigme du parc

L’intrigue est compliquée et l’auteur avoue sa sympathie pour le personnage criminel, mais tout le sel de ce roman policier est dans la description des mœurs anglaises. Martha Grimes est américaine, mais elle a saisi l’essence anglo-saxonne du Londonien, depuis l’aristocrate qui refuse ses titres à la serveuse de bar qui essuie avec amour les bouteilles qu’elle sert chaque soir à ses clients. Nous retrouvons aussi les Cripps, famille déjantée d’un village du Yorkshire dans laquelle les enfants s’ébattent dans la plus grande liberté sexuelle, ce qui donne un aspect cocasse aux descriptions apocalyptiques de leurs méfaits somme toutes « normaux ». Le bébé est même prénommé Robespierre.

Le soir d’un samedi, le commissaire principal Richard Jury qui fait le trajet jusqu’à  chez lui en bus à impériale, observe par désœuvrement une belle femme blonde au manteau de fourrure. Il la voit descendre de l’autobus, puis remonter dedans après dizaine de minutes, le véhicule ayant été ralenti par des travaux, ce qui est en soi étonnant. Elle descend au portail du palais des évêques dont les abords à l’abandon ont servi de jardin botanique. Il l’a suivie, sans savoir pourquoi, mais n’a pas pénétré à sa suite. Jury avait oublié sa traque sans motif lorsque, le lendemain, il apprend qu’une femme blonde en manteau de fourrure vient d’être retrouvée morte dans un carré de lavande du jardin des évêques.

Il pense la reconnaître à la morgue, et puis non. Il est persuadé qu’il y a deux femmes qui se ressemblent et que la blonde qu’il a suivi n’est pas celle dont on a retrouvé le cadavre. D’où l’énigme. Jury se heurte au scepticisme de sa brigade de Scotland Yard et doit convaincre le sergent Wiggins, fin observateur et hypocondriaque, tout comme l’inspecteur Chilten, initialement chargé de l’enquête mais à qui il faut arracher chaque renseignement. Il enrôle son ami Melrose, aristocrate foncier qui n’utilise plus son titre de lord mais dont l’aisance lui permet des fantaisies, telle qu’acheter un tableau abstrait sans aucun intérêt, juste pour les besoins de l’enquête.

Cela nous vaut une critique acerbe des galeries d’art de la capitale et du snobisme dont elle fait montre à l’égard des « artistes », enrobant d’un vocabulaire intellectuel sans grande signification les pires abstractions sur les toiles. L’auteur analyse avec le même humour corrosif les horoscopes affirmatifs et fantaisistes, la faune variée des bus londoniens, l’atmosphère enfumée et cosy des pubs, et déniche au chapitre 12 la fameuse soupe Windsor, fleuron culinaire de l’Angleterre victorienne.

Le lecteur qui aime flâner et connaître ces étranges tribus des Angles et des Saxons, sera ravi du voyage. Ceux qui préfèrent l’action brute à l’américaine seront probablement frustrés, car l’enquête avance lentement et ne se dénoue qu’à la toute fin. Mais c’est le plaisir du roman policier que de nous promener dans la noirceur avant de dénouer l’intrigue. J’aime décidément beaucoup Martha Grimes.

Martha Grimes, L’énigme du parc (The Stargazey), 1998, Pocket policier 2012, 479 pages, €7.50

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Martha Grimes, Le crime de Mayfair

Quand les filles portent une écharpe, l’irrésistible tentation est de les étrangler avec. C’est un peu la leçon de ce roman policier so british écrit par une Américaine. Une fille qui faisait du stop est retrouvée morte au coin d’un bois de Devon ; le chauffeur routier ne l’a pas tué, il l’a déposée devant témoin près de la station-service. Un an plus tard, une autre jeune femme est retrouvée morte au coin d’un pub londonien ; le dernier client bourré qui l’a vue lui a peut-être fait son affaire vu qu’il ne voulait pas l’épouser, mais les preuves manquent.

Le commissaire Jury de Londres, flanqué du commissaire Macalvie du Devonshire, vont avoir fort à renifler et à interroger pour débrouiller l’écheveau enchevêtré des raisons et mobiles possibles, dans la capitale et en province. David le londonien joue l’ivrogne dandy mais ce n’est qu’un masque. Sur le domaine, la famille joue la douleur toujours vivace d’avoir perdue Phoebe, jeune blonde d’une dizaine d’années un an plus tôt à Londres.

Mais pourquoi la petite fille a-t-elle couru hors de la maison, à dix heures du soir, sans faire attention aux voitures ? Qui donc conduisait le véhicule qui l’a renversée et qui ne s’est arrêté que plusieurs centaines de mètres plus loin, près d’une cabine téléphonique ? Quels sont les liens entre tous ces gens ? Y a-t-il un tueur en série prêt à recommencer ? Une autre femme menacée ?

L’ami Melrose Plant, gentleman qui aide volontiers la police, ne sert dans ce roman pas à grand-chose, sinon à apporter un peu de suspense et d’humour. Il sonde les cœurs à défaut des reins, mais loge surtout dans une auberge explosive où sévissent les Warboys. Toute la famille est loufoque, excitée et d’une maladresse insigne. Même le chien est caractériel. Jury quant à lui, est en butte à la locataire du dessus, une danseuse nue de cabaret qui veut absolument lui faire rompre son célibat bienheureux.

Et brutalement la fin se précipite, le puzzle se met en place… jusqu’au retournement final. Car qui l’on croit n’est pas le bon.

L’intrigue de ce roman est tordue et peu convaincante mais la quête pleine d’humour vaut bien qu’on le lise.

Martha Grimes, Le crime de Mayfair (I am The Only Running Footman), 1986, Pocket policier 2002, 285 pages, occasion, €0.79

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Martha Grimes, L’énigme de Rackmoor

Le lecteur est plongé dans l’Angleterre profonde, celle du Yorkshire, sur la côte brumeuse battue par les flots glacés, surtout en hiver. Car c’est la Nuit des rois qu’un meurtre est commis dans ce repaire jadis de contrebandiers aux ruelles tortueuses. Un meurtre étrange, par un instrument à dents.

C’est l’occasion pour l’inspecteur Jury, venu de Londres sur la demande de l’inspecteur local Harkins, de déployer tous ses talents. Et ils sont nombreux, Jury devant bientôt être nommé commissaire, bien qu’il rechigne à passer des enquêtes de terrain au commandement des hommes. Car Jury sait faire parler les gens, il s’intéresse à eux, il est bienveillant. Ainsi pour cette Juive réchappée des camps qui croit sans cesse qu’on la suit ; ou pour Bertie, gamin de 12 ans aux grosses lunettes flanqué d’un chien terrier nommé Arnold, que sa mère a laissé pour aller faire la vie à Londres, et qui se débrouille tout seul, ma foi pas trop mal ; ou encore pour Julian, beau à se damner, fils du colonel Craël, hobereau local anobli baronnet, mais qui erre mélancolique sur la lande, sans véritable alibi pour le soir du meurtre.

D’autant que la victime est une certaine Miss Temple qui s’est fait passer pour une Miss March, elle-même pupille du colonel durant sa jeunesse et qui s’est enfuie brusquement à Londres, nul ne sait pourquoi. On la dit croqueuse d’homme depuis l’âge de 14 ans. Mais qui est vraiment la victime ? Celle qu’elle était ou celle qu’elle est ? Un peintre qui passait par là l’a vue passer sous un réverbère à une certaine heure du soir, déguisée pour la soirée des rois, juste avant le crime. Il a l’œil perçant et la mémoire photographique – à moins qu’il ne joue aux faux souvenirs pour se disculper ?

Un ami du colonel qui est aussi celui de l’inspecteur séjourne dans la demeure ; il est lord mais n’utilise pas son titre pour se faire appeler simplement Melrose Plant ; il est flanqué d’une tante Agatha qui se prend pour un détective, mais lui ne dédaigne pas d’aider la police car il fait impression et reste affable, curieux de l’être humain.

Nous sommes dans l’atmosphère, nous voilà guidés au travers des arcanes sociales de ce Royaume-Uni ancestral, nous pénétrons l’intimité des familles. Martha Grimes n’est pas anglaise mais américaine ; elle a cependant l’art d’assimiler son milieu d’adoption comme personne. L’humour est toujours là, malgré la cruauté ; le pays en son brouillard est rendu à la perfection ; le sexe et l’argent sont en première ligne sous les illusions de statut social et d’apparences.

Malgré son âge, 36 ans, c’est un grand roman policier comme on les aime, tout en psychologie et en énigmes que l’on prend un plaisir délicat à lire et relire.

Martha Grimes, L’énigme de Rackmoor (The Old Fox Deceiv’d), 1982, Pocket policier 2006, 349 pages, €5.00

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