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Colette, La chatte

Alain et Camille sont deux amis d’enfance habitant Neuilly, villégiature déjà chic entre-deux guerres. Lui vient d’une vieille famille enrichie dans la soie mais en déclin, elle de fabricants de machines à laver en plein essor. Tradition et modernité veulent se marier. C’est une affaire arrangée, mais l’amour ?

Camille va toute nue dans la chambre des noces et cela choque un peu Alain, pas moins nu mais encore sous les draps. Camille veut habiter l’appartement de l’ami Bertrand, parti six mois en vacances, un neuvième étage « quart-de-brie » dans Paris, plutôt que la maison de famille d’Alain où des travaux d’aménagement sont entrepris. Camille veut conduire le roadster plutôt qu’Alain achète et conduise une berline. Camille veut… Mais aime-t-elle ?

Aimer, n’est-ce pas accepter l’autre tel qu’il est et faire des compromis alternés ? Camille étourdit Alain, le sort de sa routine familiale, mais le domine. Il aime sa beauté jeune, moins son esprit piquant, volontiers provocateur. « Elle rayonnait d’une immoralité exclusivement féminine à laquelle Alain ne s’habituait pas. » Mais il y a pire : Alain aime sa chatte chartreuse Saha, habituée du jardin familial et qui dort avec lui la nuit comme le font souvent les chats. Camille déteste cette « rivale », pourtant animale.

Commence alors le dévoilement progressif du caractère de chacun. Saha est un catalyseur de l’inconciliable entre Alain et Camille. Les épouses normales adopteraient la chatte comme on adopte un enfant d’un premier mariage ; pas Camille. Elle révèle sa cruauté de marâtre en cherchant à évincer la bête ; fusionnelle, elle veut accaparer le mâle pour elle toute seule, telle la Trierweiler baisant à pleine bouche son président d’amant Hollande devant la foule. Exclusive, elle veut garder pour elle toute seule l’attention du mari. Mais Alain aime sa chatte et celle-ci dépérit sans lui. Il la prend avec eux dans l’appartement, où elle s’adapte tant bien que mal, mais Camille en veut plus, toujours plus : elle veut la fin de la chatte, sa mort précoce. Elle la pousse du balcon dans le vide.

Heureusement, les chats savent se retourner en tombant et un store au sixième étage amortit la chute. Saha n’est que légèrement blessée. Alain ne comprend pas tout d’abord car Camille ne lui avoue rien, mais lorsqu’il pousse la main de sa femme à caresser la bête, celle-ci feule et se fend d’un vif coup de griffes. Elle a peur d’elle et se défend contre sa tueuse. Alain comprend et s’en va. Il ne reviendra pas.

Rien de commun entre Camille et lui. Elle est plus cruelle qu’une bête, n’utilise rien de la raison humaine ni de sa soi-disant « supériorité » d’être évolué. Elle est un « monstre ». Camille a trahi une fois, elle trahira encore – le divorce, dans un délai décent, ne fait aucun doute. La mufle égoïste, garçonne de la modernité, ne fait pas une bonne compagne pour la vie. La chatte animale, en revanche, est pure nature. Comment ne pas la préférer ?

Alain a, comme tout jeune homme de son temps, peur de « la femme » ; elle lui est mystérieuse. Tout petit déjà, Camille refusait par caprice de le saluer lorsque les parents se rencontraient. Elle est brune et lui blond ; elle le pompe, exige des baisers, l’aspire, le baise. « Elle engraisse de moi », dit-il. Il devrait quitter son royaume de fils unique dans une maison tranquille ; il n’y est pas prêt. Alain a quelque chose de Chéri, d’inachevé, mais n’a pas trouvé sa Léa, seulement une Camille garçon manqué qui vit à ses dépens. Il recule et la chatte est le prétexte, même si elle est l’amour vrai, inconditionnel, qu’une Camille fille unique choyée et égocentrique est incapable de concevoir.

J’aime ce roman félin, révélateur des profondeurs féminines.

Colette, La chatte, 1933, Livre de poche 2004, 158 pages, €7,90 e-book Kindle €6,99

Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00

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Carrie de Brian de Palma

Un film bien daté, du temps que l’Amérique secouait ses vieilleries. Aujourd’hui, hélas, elle y revient.

Carrie (Sissy Spacek) est cette dent gâtée dans la mâchoire de la communauté. Elevée par une mère tarée de religion qui va au porte à porte prêcher la repentance en vendant des Bibles, crinière rousse et grande cape noire, Carrie à 17 ans ne connait rien du monde. Ses condisciples femelles se moquent d’elle parce qu’elle peu sociable et nunuche au volley. Dans les vestiaires, les douches donnent à plein et une nuée de filles à poil, tous seins et chatte à l’air, font hypocritement interdire ce film aux « moins de 12 ans »… C’est là que Carrie se caresse, la savonnette glisse sur sa peau nue pour compenser sa frustration sociale. Et patatras !… Le sang coule, elle a ses règles, elle qui n’a pas été prévenue et n’a jamais vu ça. Panique !

Le bon sens en incrimine la bêtise intégriste qui refuse de parler de la chair, la névrose intime de la « mère » (Piper Laurie) qui n’a jamais voulu avoir commerce de sexe mais que son mari a forcée – et qui a aimé ça ! Depuis, elle l’a chassé ou bien il est parti, écœuré de cette frigidité sans raison (pas même biblique), et la mère a élevé la fille dans la prière, la repentance pour toute la litanie des « mauvaises pensées » qui ne peuvent manquer de surgir mille fois par jour, et dans l’ânonnement littéral des textes sacrés.

Carrie rentre chez elle après avoir fait éclater les ampoules du vestiaire, dans sa panique ; un gamin (Cameron de Palma, 12 ans au tournage) la provoque en passant en vélo trop près d’elle et il tombe ; quand sa mère l’agrippe, elle fait claquer les portes. Aurait-elle « le pouvoir » télékinésique de sa grand-mère ou de sa tante ? La mère, horrifiée, l’accuse de se donner au diable (il est le bouc émissaire rêvé de tous les manques maternels !). Carrie la rouée, enfin mûrie, déclare à sa mère que c’en est fini de son autoritarisme qui ne la protège pas du monde et qui la rend asociale : elle ira au bal de promo de fin d’année au lycée.

Les filles, punies par leur prof de sport un brin facho et peut-être vaguement lesbienne (Betty Buckley) à faire 55 mn de sport supplémentaire par jour d’ici le bal, ou d’en être interdites, décident de se venger. Chris la meneuse (Nancy Allen) est exclue du bal, mais elle entrera pour gâcher la fête. Elle décide son grand con de flirt (John Travolta) à aller faire le mur d’une porcherie pour massacrer un cochon et en recueillir le sang. Dans un seau suspendu au-dessus de la scène, ce sang retombera sur Carrie lorsqu’elle sera au faîte de sa gloire. Car elle sera désignée par les votes truqués comme meilleure danseuse (elle qui n’a jamais dansé) au bras de son cavalier Tommy (William Katt) le meilleur capitaine de foot américain du lycée. Tout est manigancé par les femelles en furie (le diable, chacun sait, séduit surtout les femmes). Les garçons, plutôt au-dessus de tout ça, se laissent faire du moment qu’ils peuvent peloter et embrasser les filles. Sa copine pompe d’ailleurs Travolta dans sa Mustang, ce qui le décide à faire ce qu’elle veut. Comme quoi le sexe conduit au Mal, CQFD.

La fille chargée de ramasser les votes pour l’élection du meilleur couple de la promo échange les papiers pour être sûre que Carrie et le beau blond bouclé Tommy, qui est son copain et qu’elle a obligeamment cédé non sans arrières-pensées, monteront sur la scène. Ce qui est prévu ne manque pas d’arriver. Sous les applaudissements pour sa robe et sa beauté transfigurée par la reconnaissance du public, Carrie reçoit sur la tête dix litres de sang de porc (dont le spectateur qui réfléchit un peu se demande comment il ne s’est pas déjà transformé en boudin depuis le saignement du cochon). Stupeur dans la salle !

Mais la perfidie sociale reprend vite le dessus et les rires éclatent. Tommy a reçu le seau sur la tête et tombe assommé ; il n’est pas pour grand-chose dans la mascarade et s’est presque attaché à Carrie qui a aimé sa rédaction en classe, bien que ce ne soit pas lui qui l’ai écrite. Mais sa semi-innocence ne le sauve pas. Carrie déchaîne en elle les forces mauvaises qui ne tardent pas à asperger par les lances à incendie, qui se dressent toutes seules, les moqueurs excités ; à électrocuter les profs qui tentent de se saisir du micro comme d’un pénis dominateur alors qu’ils ne dominent rien. Tout ce qui rappelle le sexe est puni, selon l’oracle de la mère de Carrie. Et tout se termine par le feu, les portes étant verrouillées par la diabolique adolescente hors d’elle-même par humiliation publique. Elle seule s’en sort, avec la fille qui a poussé Tommy à l’inviter – mais celle-ci devient folle. La malfaisante pétasse à tête de linotte Chris, qui n’aime rien tant que mâcher du chewing-gum en persifflant ses camarades, tente de l’écraser en voiture ; pour une fois, ce n’est pas Travolta mais elle qui conduit. Lorsque Carrie la regarde, elle fait une série de tonneaux et la voiture explose. Il n’y aura pas de survivants dans cette génération au lycée.

La fin va plus loin dans le grand guignol. La mère attend sa fille à la maison, sûre d’elle-même et prête à punir. Après le bain, prière ensemble ; Carrie se repend mais il est trop tard : un couteau surgit dans la main de la mère qui, comme Abraham le fit d’Isaac, croit ordre de Dieu de sacrifier sa fille. Elle la poignarde dans le dos (par lâcheté), mais lorsqu’elle tente de l’achever, l’adolescente la fait transpercer de tous les couteaux qui garnissent la cuisine, la transformant en sainte Sébastienne – sans le courage, ni la beauté, ni la rémission finale. On ne sait si c’est le diable ou si les « pouvoirs » de Carie lui échappent, mais toute la maison s’écroule dans un Armageddon. Une façon de mesurer combien ces imposantes bâtisses américaines ne sont faites que de carton et de plâtras sur une charpente de bois. Carrie disparaît avec sa mère et son handicap religieux.

Sexe, Bible, incendie, explosion finale : voilà les ingrédients classiques du film américain. Ils sont ici tirés d’un roman de Stephen King, mais dans leur caricature. On rit aujourd’hui de ce ridicule affecté, bien que les ados de la fin des années soixante-dix aient beaucoup apprécié. Mais l’on sait toujours combien l’emprise de la superstition religieuse peut rendre idiote la population, hantée par l’au-delà, combien le puritanisme peut aller jusqu’à l’horreur de la chair, de la relation sexuelle comme de toute relation humaine perçue comme une souillure. La pureté « exigée » de Dieu est un fantasme de névrosé, et pas seulement dans le protestantisme !

DVD Carrie de Brian de Palma, 1976, avec Sissy Spacek, Piper Laurie, Amy Irving, William Katt, John Travolta, MGM/ United Artists 2003, 1h38, €11.86

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