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Site inca d’Ollantaytambo

Nuit agitée. L’atmosphère lourde de la chambre contraste avec celle de la tente en altitude, le poids des couvertures. Il y a queue le matin aux toilettes, deux pour 18 personnes, en comptant les trois touristes en plus de notre groupe. Queue également au petit-déjeuner où le pain est rationné. Le gros chien de Wendy s’est laissé tracer au crayon deux gros sourcils noirs au-dessus des yeux. Cela n’arrive pas à donner un air sévère à sa tête de labrador à bajoues. Le grand datura blanc laisse pendre ses clochettes odorantes qui ont à nos narines comme un parfum d’ange. Le bougainvillée couleur sang séché part toujours à l’assaut du mur. La montagne trop proche écrase un peu le panorama. Au débouché de la vallée, le massif de la Veronica est poudré de neige.

Dans la ville, sur la place d’armes, ce matin il y a distribution de livrets pour les écoliers d’Ollantaytambo. Une pile de cartons financés par le candidat aux prochaines élections attend les élèves qui arrivent en files dans leur uniforme gris et blanc. J’ai aperçu de loin le petit batailleur d’hier. Ayant eu son album à son tour, il s’est assis sur une marche avec des copains et a entouré de son bras le cou du plus proche pour regarder les pages avec lui.

Le site inca nous attend. Je prends en note ce que nous raconte Juan. 1536 est l’année où commence la rébellion de Manco Inca contre les colonisateurs espagnols. Ollantaytambo est la principale défense de la vallée sacrée. On la renforce à l’époque espagnole. Nous visitons le temple du soleil, qui s’élève haut au-dessus de la ville. La construction, ici, est hiérarchique : plus on s’élève, plus on s’approche du lieu sacré, et plus les blocs sont gros et minutieusement appareillés. Il faut monter plusieurs centaines de marches pour accéder au temple. Au cinquième replat se dresse la paroi à grosses niches trapézoïdales. Le temple est construit de grandes pierres et n’est pas terminé à l’arrivée des espagnols dans la cité. Il ne le sera jamais ; lorsque les espagnols sont annoncés, la dynastie inca en fuite se réfugie à Machu Picchu, puis à Vilcabamba. De la terrasse du temple on aperçoit la ville. Elle est divisée entre ville basse (en plaine) et ville haute (sur les pentes). Les deux villes se rejoignent sur la place de cérémonie, en bas du temple, au pied de la montagne. Les greniers sont construits en hauteur, sur les terrasses, au milieu des pentes. Le vent, souvent fort, séchera les grains.

Les tétons sculptés sur les grosses pierres des murs ne sont pas des décors, mais des aides techniques pour le transport des blocs. Les plus grosses pierres pèsent des tonnes ; elles étaient soulevées par des leviers et transportées sur des rouleaux de bois, retenues par des cordes, dont les tétons servaient de support. Les gros blocs sont arrivés ici par des terrasses reliées entre elles par des déclivités. Ces pierres sont assemblées par des tenons en queue d’hirondelle dans lesquels on pouvait couler du bronze pour tenir l’ensemble. Entre les grosses pierres, on rencontre ici aussi de petits blocages antisismiques. Les petits blocs s’écrasent et peuvent être remplacés si nécessaire sans avoir à rebâtir tout le mur. Les pierres qui restent de la construction inachevée ont été appelées « pierres fatiguées » par les autochtones. Les monolithes géométriques soigneusement polis brillent comme du sucre industriel.

Nous descendons une terrasse, passons un court tunnel à flanc de montagne, pour descendre par un sentier. Juan nous montre de loin le bâtiment de l’entrée : « C’est reconstitué en adobe, c’est une fontaine inca. » Plus loin, avisant une ruine d’adobe au milieu d’une terrasse, probablement un dépôt de céréales : « Ça c’est un rrrenié ! » Diamantin : « un renié ? je ne le vois pas ; j’aime bien les reniés. » Il confondait exprès avec un arbre africain…

Plus bas, quatre mamelons dans une pierre huaca se dressent vers le ciel. Juan nous apprend que leur ombre annonçait le début de chaque saison et « déclenchait » les plantations des céréales dans la vallée sacrée. Les quatre tétons sont « intihuatan », attachant le soleil. A l’est du site s’élèvent les ruines du temple du condor. Pourquoi ce nom ? Il suffit de lever la tête : ciel ! un condor ! En effet, la pierre de la montagne dessine dans l’air bleu la silhouette d’un condor les épaules rentrées, le cou tendu, le bec orienté en direction du temple du soleil.

Naturellement, ce temple a été détruit par les chrétiens. A l’ouest, près de la place des cérémonies, se dresse la fontaine « de l’inca ». Un bassin carré dans lequel on descend par les trois marches symboliques des mondes, apporte directement les eaux sacrées de l’Urubamba. Elle coule par une bouche taillée dans un bloc. Mais la sculpture est telle qu’il suffit de passer une fois sa main sur l’eau pour qu’elle coule en jet, une autre fois pour qu’elle prenne la forme d’une cascade. Ingénieux !

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Vers le col à 4300 m

La nuit a été fraîche, mais réparatrice pour tout le monde. Nous prenons le petit-déjeuner dehors, face au lac où planent quelques bancs de brume qui voilent les couleurs et adoucissent les formes. Nous reprenons le chemin. C’est une piste poussiéreuse où passent surtout camions et vélos. Nous longeons le lac dont l’humidité enveloppe le paysage comme dans une estampe chinoise. Une berge s’est écroulée il y a un mois, ce qui a mis au jour une couche de marne blanche, insolite dans ce pays de terre ocre. Les gens que nous croisons, les gosses comme les vieux, nous souhaitent tous une bonne journée, avec cette réserve attentive propre à la vraie politesse. Le reflet pastel des monts, sur le lac immobile, agrandit le paysage. Le calme du chemin est propice à la conversation. Mabel et moi évoquons Venise, la mort, et parlons littérature.

Nous traversons quelques hameaux paysans, tous construits d’adobe. Certaines briques fraîchement malaxées gisent au bord du chemin. Le soleil et l’air d’altitude les sécheront vite. Dans les cours des fermes, ânes et mules attendent que l’on ait besoin de leur dos, les poules picorent le sol. Sur le chemin, des chiens vaquent à leurs affaires, des cochons noirs et soyeux cherchent du groin leur provende. Des gamines guident des vaches à la baguette. De temps à autre, au bord d’un champ en cours de labour, un groupe entier de travailleurs se repose, des adolescents aux vieillards. C’est une communauté qui met en commun ses bras pour piocher et bêcher un lopin de terre. Le soleil est déjà chaud malgré un coulis de vent frais qui vient des monts.

Plus nous grimpons, plus la végétation se fait rare et plus les rencontres s’espacent. Les villages, qui ont besoin d’eau pour les hommes, les bêtes et les champs, se rassemblent près du lac. Nous quittons les pacages à moutons et leurs petits bergers. Nous marchons dans l’herbe sèche, de plus en plus rase, qui laisse place au lichen par tache sur les rochers où la terre ne tient plus. Le granit rose donne un aspect fauve à la montagne. Nous suivons une vallée qui descend vers le lac jusqu’au cirque qui la ferme. Sur les pentes, les Andiens (j’aime appeler ainsi les Indiens des Andes) ont creusé des rigoles perpendiculaires à la pente sur plusieurs centaines de mètres. Avec la terre récoltée, ils ont bâti des murets. Ce travail sert à diminuer le ravinement des sols lors des pluies abondantes. Tous les cinq à six mètres, les rigoles s’interrompent pour laisser couler l’eau accumulée vers le bas.

La grimpée essouffle nos poumons peu habitués encore à l’altitude. Selon l’altimètre, nous avons franchi la barre des 4000 m ! Le groupe s’étire très loin, le rythme des uns n’étant pas celui des autres. Et puis il est si agréable de marcher seul, parfois, ou en conversation à deux ou trois seulement. Sous le col, le silence est minéral ; l’oiseau qui pousse son cri en est d’autant plus impressionnant, avec cette résonance propre à l’air raréfié. Au soleil, sous le vent qui passe au-dessus du col, nous nous accordons une pause pour attendre les autres. Assis sur les rochers, je laisse sécher ma chemise. Deux tas de pierres branlantes indiquent le passage. Le col est à 4300 m. Il donne vue sur deux lacs en contrebas, d’un outremer profond, et sur les aiguilles glacées de 6450 m du Picu Sirey. Elles étincellent dans le ciel bleu pastel. De petits cumulus surveillent la vallée sacrée au bout de la descente que nous allons entreprendre. On l’appelle « sacrée » parce qu’elle est creusée par le fleuve Urubamba dont l’eau reflète la nuit la voie lactée. Près de ses rives sont construits de nombreux sanctuaires.

Nous descendons, lentement, puis de plus en plus vite, le corps euphorique de retrouver un peu plus d’oxygène. Les touffes d’herbe sèche et piquante sollicitent les chevilles et les genoux. Nous retrouvons la végétation, les arbustes, puis les arbres. Parmi l’herbe ichu, cette herbe coriace des hauts plateaux, paissent des lamas en troupeaux. Surgissent quelques champs labourés où pousse la pomme de terre.

Nous pique-niquons le long d’un ruisseau où nous pouvons tremper nos pieds. Le repas est composé d’aji de poulet (émincé aux oignons et piments), du sempiternel riz, d’une salade de crudités, et de la mimolette apportée de France dans nos bagages collectifs. Il y a même de l’eau chaude pour le café ! La montée du matin a été éprouvante et ici, au bord du ruisseau, à l’abri du vent, la chaleur est forte. Chacun se cherche un bosquet pour faire la sieste à l’ombre. L’eau attire les serpents et les cuisiniers en tuent un gros. C’est probablement une couleuvre ; elle est en train de digérer une grenouille entière proprement avalée. Les Andiens lui entaillent le ventre au grand dam des dames qui poussent des cris d’horreur devant une telle « animalité » ainsi crûment mise au jour.

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Cuzco

Cuzco, 3400 m d’altitude, le nombril du monde : ce n’est pas une création espagnole. El Cuzco existait déjà, a survécu à la destruction des monuments incas par les Hispaniques.

Cuzco, capitale du Tahuantinsuyu, est construite selon un plan régulier, précis, fonctionnel avec un quadrillage de rues et grands axes qui convergent vers la grand-place centrale où se déroulaient les cérémonies religieuses, civiles et militaires. Dans la ville, les yeux croisent les bases des monuments incas comme l’un des murs du temple des vierges du Soleil en andésite, les balcons coloniaux. El Cuzco a conservé son âme, l’art métis est incomparable, les toits de tuiles rouges toujours présents.

Se promener dans la ville est une leçon d’histoire. Au détour d’une église baroque on croise la population indienne vêtue de tissus colorés, accompagnée ou non de lamas à quatre pattes. Le couvent de Santo Domingo, construit à l’époque coloniale, repose sur les vestiges du Coricancha (l’enceinte d’or), le temple inca dédié au soleil et aux astres et dont les salles et jardins rutilants d’or ont été pillés par les Espagnols. Le monastère a conservé certaines salles du Coricancha dont une très vaste qui abrite un autel sacrificiel.

Au sortir de la ville, il y a maints sites à visiter.

Sacsayhuaman (aigle royal) : situé sur le plateau surplombant Cuzco est une fortification impressionnante édifiée entre 1438 et 1500. L’un des blocs gigantesques de la muraille pèse 12 tonnes. Les Incas ne connaissaient pas la roue. Beaucoup de tentatives d’explications mais « rien au bout ». Signalons qu’entre deux blocs de pierre ajustés avec précision sans ciment on ne peut rien glisser, pas même une lame de couteau.

La construction de trois enceintes successives en zigzags était percée de trois portes d’accès étroites successives. Elles étaient munies d’huisseries énormes, séparées par des terrasses couronnées de tours. Cette citadelle aurait abrité la garnison chargée de défendre la capitale. D’autres pensent que ce bastion était probablement un centre cérémoniel très ancien, une maison du Soleil ? Qui sait ?

Kenko est un sanctuaire rupestre. Un canal en zigzag débouchait autrefois sur une sorte de grande cuve creusée dans le roc, à pic sur le vide. La grotte de Kenko abrite une table en pierre qui faisait sans doute office d’autel pour le sacrifice d’animaux (ou plus si imagination).

Lago est une grande roche fendue en deux par Viracocha, le dieu des Incas, avec deux chambres souterraines. Un lieu de méditation d’offrande, de cérémonies occultes.

Kusilluchayoq est encore un lieu de culte pré inca qui possède des labyrinthes, cavernes avec des sculptures de singes.

Pukapukara est un site très très rustique, au sommet d’une colline. Reste un ensemble de fortifications (la forteresse rouge). On murmure qu’elle gardait l’entrée de la vallée sacrée des Incas et la route de Cuzco.

Tambu Machay est appelé « le bain de l’Inca »  il est alimenté par des sources d’eau froide. Un système hydraulique qui constitue une véritable prouesse technique alimente encore en eau cristalline une série de bassins rituels réservés jadis à l’Inca et son épouse. Des murs de pierres polygonales perchés de niches trapézoïdales ont été érigés autour d’une source naturelle où l’on célébrait un culte des eaux.

Hiata de Tahiti

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