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Laurent Beurdeley, Xavier Dolan l’indomptable

Xavier Dolan vient d’avoir 30 ans et il a déjà sa biographie. Le maître de conférences en droit à l’université de Reims, spécialiste des thématiques maghrébines que sont la transition démocratique, la religion, l’identité, le genre, Laurent Beurdeley a été séduit dès son premier film par ce doubleur, auteur, acteur, réalisateur, metteur en scène, costumier né en 1989. Il en fait le Rimbaud du XXIe siècle, né Outre-Atlantique dans la Belle province.

Malgré quelques expressions étranges en page 9 telles que « baigné dans l’œil du public » (sic) et « des perceptions se mobilisent » (ah bon ?), le reste se lit agréablement. N’était la formule peu digeste des fiches juxtaposées en chapitres thématiques, multipliant à plaisir les citations sans toujours en dégager l’essentiel. Mais une vie aussi courte n’est pas encore définie et la suivre pas à pas est faire montre de prudence anglo-saxonne (le culte du fait), même si le lecteur français aurait aimé plus de souffle épique à la Michelet pour l’enfant terrible du cinéma canadien.

Il a 20 ans lorsqu’il a « tué sa mère » en en faisant un film cathartique, présenté en 2009 à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Le scénario est tiré d’une nouvelle qu’il a écrite à 16 ans, sur les encouragements d’une prof. Il sera Grand prix du jury à Cannes en 2016, sept ans plus tard. Fils d’un Egyptien (Michel Tadros) acteur et danseur et d’une Irlandaise dont il a pris le nom (Geneviève Dolan – à qui ce livre est dédié), le jeune Xavier joue déjà dans des publicités et des séries à l’âge de 4 ans ; il double à 11 ans Ron Weasley dans la version française de Harry Potter.

C’est sa mère qui l’élève seule car le couple s’est séparé lorsque le gamin avait 2 ans. Xavier souffrira de l’absence de père, trouvera sa mère peu affectueuse en son enfance et sera mis dans une pension catholique de 11 à 14 ans. Il quittera les études à 17 ans pour se lancer tout seul dans le cinéma, profitant de la fortune accumulée par ses cachets d’enfant. A l’école, il est turbulent, se bat, veut attirer l’attention. Le père indifférent le marque et oriente probablement sa sexualité d’enfant trop désireux d’être aimé, en rivalité constante avec sa mère. Après l’avoir ressenti dès 12 ans, il se déclare ouvertement gay à 16 ans dans son collège Notre-Dame de Lourdes à Montréal ! Il est vrai qu’il semble exister une pression vers les amitiés particulières dans ces lieux fermés non-mixtes où l’extrême jeunesse bouillonne de passions. L’austérité catholique, la célébration du Christ torturé, de saint Sébastien nu percé de flèches doloristes et le célibat de ses prêtres n’arrange pas les choses… Besoin d’admirer, d’être aimé, en faut-il plus pour désirer qui est à sa portée ?

Les Québécois sont volontiers jaloux de qui les dépassent d’une tête, suggère l’auteur. Aussi le fils prodige est-il traité en joual (le parler québécois) de fif et de bibitte lorsqu’il réalise son premier film, comprenne qui pourra. Pour émerger, il faut tourner en bon français – ou en anglais – car le marché du Québec n’est que de 8.5 millions d’habitants. Xavier Dolan est anxieux, impatient, et montre en miroir sa génération dans un monde malade : sexe, drogue et rock’n  roll. Mais il balaie les étiquettes et se veut jeune qui ose. Ses références filmiques sont La leçon de piano, Mort à Venise, Les 400 coups, entre autres, son personnage fétiche Néron dans Britannicus de Racine, et il avoue un faible pour le beau Leonardo di Caprio. Il aime Les liaisons dangereuses, L’écume des jours, la poésie de Paul Eluard et les fantaisies de Jean Cocteau. En bref l’intime et l’ode à la différence. Chacun est précieux et il faut le connaître plutôt que le juger. Les mères, surtout, sont méritantes, ayant la charge d’élever dont les pères se défaussent trop volontiers.

Lorsqu’il tourne, il est très directif, descend jusqu’aux détails des costumes, de la voix et des gestes avec les acteurs. Il voit ce qu’il veut et l’impose. Ce n’est pas caprice mais exigence et les acteurs même les plus grands paraissent jusqu’ici séduits par sa direction.

Sur vingt chapitres, le biographe en consacre six aux films et deux aux clips vidéo.

J’ai tué ma mère (2009) expulse les rancœurs d’enfance de façon sincère et maniérée.

Les Amours imaginaires (2010) filme les fantasmes d’adolescence où un garçon et une fille s’amourachent du même éphèbe indifférent comme un dieu grec.

Laurence Anyways (2012) avec Melvil Poupaud, montre comment un homme au prénom androgyne se veut femme, film sur l’identité sexuelle mais sans aucune scène de sexe.

Tom à la ferme (2013) sur une pièce de Michel Marc Bouchard est un thriller psychologique, peut-être l’œuvre la plus accessible à qui n’a jamais vu Dolan. Tom est gay et a perdu son compagnon Guillaume du sida. Il va l’enterrer dans la famille de ce dernier, dans une ferme sinistre où le frère aîné, Francis, est à la fois une brute et un séducteur. Tom entretient avec lui des relations sadomasochistes jusqu’à ce qu’il finisse par partir, séparant le rural arriéré de l’urbain branché.

Mommy (2014) avec Antoine Olivier Pilon est tourné en format carré pour plus de proximité avec les visages. Une mère reprend son fils psychopathe chassé de l’hôpital psychiatrique pour y avoir mis le feu et, aidée d’une voisine, tente de résoudre ses problèmes. Dits en joual et souvent hystériques, les dialogues ne sont pas appréciés de tous les spectateurs.

Juste la fin du monde (2016) à partir d’une pièce de Jean-Luc Lagorce montre l’enfermement névrotique, la crise permanente de chacun sans que jamais personne n’écoute. Le film réunit Vincent Cassel, Marion Cotillard, Gaspard Ulliel, Léa Seydoux, Nathalie Baye – excusez du peu – et filme le retour dans sa famille d’un malade (du sida mais le mot n’est pas prononcé). Aucune vie intime n’est au fond communicable.

Ma vie avec John F. Donovan (2018) conte la relation épistolaire entre un acteur adulte gay refoulé et un fan de 11 ans, jusqu’à ce que des harceleurs du gamin mettent la main sur des lettres de l’acteur et les publient sur le net, entraînant le suicide de l’adulte. Comment vivre sa vie tout en étant célèbre ?

Matthias & Maxime (2019), trop récent, n’est pas chroniqué dans la biographie.

Les clips sont College boy (2013) et Hello (2015). Le premier est sur une chanson du groupe Indochine, où un collégien est harcelé de plus en plus fort dans une école catholique, jusqu’à la crucifixion finale dans la cour, alors que tout le monde détourne les yeux. Antoine Olivier Pilon se sacrifie. Le second est sur une chanson d’Adele, vu 1.7 millions de fois sur YouTube.

Xavier Dolan est un autodidacte mal aimé qui a bâti son art par son entregent et son côté Peter Pan. Il est sensible aux êtres, trop sensible aux maux de son époque dont l’égoïsme et le préjugé sont les deux piliers. Il est croyant, mais de quoi ? De culture catholique mais québécoise. Le biographe ne nous en dit rien. S’il a certainement vu tous les clips et lus tous les articles sur son sujet, l’a-t-il rencontré une fois avant d’écrire ? (Il l’a au moins rencontré après)

Il reste qu’il s’agit, à ma connaissance de l’unique biographie du prodige de 30 ans – une performance !

Laurent Beurdeley, Xavier Dolan l’indomptable, 2019, édition CRAM Montréal, 450 pages, €22.00 e-book Kindle €15.99

DVD Coffret 5 DVD Xavier Dolan : J’ai tué ma Mère + Les Amours Imaginaires + Laurence Anyways+ Tom à la Ferme + Mommy, €25.98

Compte Instagram de Xavier Dolan pour les fans

Blog de Xavier Dolan

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Équilibrer sa vie selon Montherlant

Quelques maximes de sagesse pratique, tirées d’un sage du siècle dernier qui fréquentait beaucoup les classiques. Après les enflures collectivistes de l’idéologie allemande, il est bon de redécouvrir la philosophie simple et tranquille, celle qui ne cherche pas à changer le monde par le feu et le sang, mais aide chacun à vivre sa vie au mieux durant son temps.

« Quelles sont pour moi les trois vertus cardinales ?

Il me semble : l’intelligence, le sens de la volupté (le ‘tempérament’), et la magnanimité.

Dans l’intelligence, je place aussi la culture.

La volupté ? J’en ai parlé assez.

Magnanimité ? Générosité ? De quel nom nommer ce dépassement de soi dans le désintéressement et, plus encore, dans le sacrifice ? (…)

Pas une de ces vertus ne peut se passer de deux autres. » (Carnet XIX)

Où l’on retrouve les trois ordres de Pascal, les trois métamorphoses de Nietzsche et les trois étages du cerveau humain des neurobiologistes. La volupté des instincts vitaux épanouis, la magnanimité du cœur généreux, l’intelligence froide et lucide des choses. Trois étages, trois étapes, les trois côtés de l’être humain complet.

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« Un journal m’a demandé quels étaient les ‘grands hommes’ qui avaient eu le plus d’influence sur moi. J’ai répondu : Pyrrhon, Anacréon et Regulus. Le Sceptique, le Voluptueux, le Héros. Et n’en imaginant pas un sans les deux autres.

Je ne faisais que reprendre la réponse que j’avais faite, à seize ans, quand cette même question m’avait été posée comme sujet de devoir, au collège.

Le journal n’a d’ailleurs jamais inséré ma réponse. Il a dû penser qu’elle n’était ‘pas sérieuse’. » (Carnet XXIV)

Les médias seraient-ils moins incultes aujourd’hui ? L’état de l’enseignement style Education nationale permet d’en douter. Qui lit encore les classiques romains ?

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« Je n’ai rien fait dans ce monde que des livres, et l’amour ; et ce n’était pas pour faire, mais pour me délivrer.

Un nom pour ceux qui font ? Eh bien, il est tout trouvé : les faiseurs. » (Carnet XXI)

« Une règle d’or : faire peu de choses.

Ne pas écrire trop. Ne pas lire trop. Ne pas trop entreprendre. Ne pas connaître trop de gens. Ne pas connaître trop de questions : en ignorer un certain nombre systématiquement.

Refuser sans cesse. » (Carnet XXV)

Rien de trop est une maxime stoïcienne. Se garder du trop, c’est de ne pas céder à la vanité, ne pas se croire indispensable ou important. Faire est besogneux quand il s’agit d’un devoir ; les seuls actes qui importent sont ceux qui sortent de soi, qui jaillissent ou débordent. D’où l’utilité de ne pas se disperser, stakhanoviste du boulot ou don Juan des relations. Faire, c’est faire bien, donc faire ce que l’on sait le mieux : élan, volonté, sagacité. Rien de plus : le mieux est l’ennemi du bien.

« Un homme qui cherche à réduire dans son existence les heures perdues risque de paraître bientôt un sauvage. De paraître ‘invivable’, parce qu’il veut ‘vivre’. Il y aurait à convaincre les gens qu’un intellectuel ne leur fait nulle offense s’il joue à l’anguille pour leur glisser entre les doigts ; à leur apprendre ce qu’il faut de calme de l’esprit, de liberté d’esprit, de longues heures de silence, et d’une traite, pour faire quoi que ce soit de réfléchi et de construit ; (…) et qu’enfin celui qui dérange inutilement un homme de pensée, son intention fût-elle bienveillante, lui ‘prend’ quelque chose, aussi nettement, et plus gravement, que s’il lui prenait son portefeuille dans son veston. » (Carnet XXI)

La société prend du temps aux bavardages, réunions et dîners inutiles. Ce faisant, elle rabaisse qui n’est pas comme tout le monde, qui pense en-dehors de la mode, qui passe du temps à autre chose qu’au futile en commun. Les médiocres se sentent valorisés par la fréquentation des grands ; mais ces derniers ne doivent pas se laisser bouffer par les parasites qui ne vivent que par eux. Passez-vous de télé une semaine : vous verrez quel bien cela vous fait ! Vous découvrirez la vie dans son émouvante nudité…

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« Seul un grossier s’émerveille de l’abondance de sa bibliothèque. (…) Si un homme dans le milieu de l’âge considère les volumes qu’il a sélectionnés en quelque vingt-cinq ans, il s’aperçoit le plus souvent qu’un bon tiers de ces volumes pourrait être supprimé. (…) Je songe à tant de faux chefs-d’œuvre, que nous respectons par convenance, et dont il suffit d’un rapide coup d’œil pour nous convaincre qu’ils sont des livres morts, morts pour nous et pour quiconque. Je songe à d’autres œuvres, importantes celles-la, mais délayées (…) L’effort constant d’une vie doit être d’élaguer : dans nos tâches, dans nos devoirs, dans nos relations, dans nos curiosités, dans nos connaissances même, pour nous concentrer, avec une force accrue, en un petit nombre d’objets qui nous sont propres et essentiels » (Le solstice de juin).

Telle est la culture : ce qui reste quand on a tout oublié. L’inverse de la réaction conservatrice qui porte aux nues le Patrimoine ou les Racines ethniques depuis les temps les plus reculés.

Tels sont les vrais amis : ceux qui restent quand on est au chômage, en retraite ou malade (ce qui est à peu près la même chose pour notre société française si contente d’elle-même).

Telle est l’écologie : faire son nid durable dans un environnement équilibré – l’inverse de la mystique suicidaire prônant qu’il faut tout conserver au naturel et que l’homme est le nuisible absolu.

Henry de Montherlant, Essais, Pléiade Gallimard 1963, 1648 pages, €62.00

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