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Toxiques polynésiens

Kava ou pas kava ? Vous connaissez la boisson du Vanuatu, narcotique naturel ? La communauté européenne, encore elle, a interdit la vente du kava en 2002. Le kava servait à la fabrication de médicaments pour remplacer les somnifères ou les anxiolytiques de synthèse pour traiter l’angoisse. A la fin des années 90, plusieurs cas d’hépatite toxique ont été attribués au kava – qui fut donc interdit sur le marché européen. Les scientifiques réunis en congrès ont tenté de démontrer que le kava est un produit sain. Leur étude a montré que des molécules situées dans l’écorce de la plante – dans les épluchures – ont un certain degré de toxicité. Le kava est consommé depuis des milliers d’années. Les parties toxiques ne sont pas utilisées quand le kava est consommé de manière traditionnelle. Alors, peut-on en déduire que l’on aurait vendu des épluchures à l’Europe ?

Une jolie petite bestiole nommée également cent-pieds ou centipèdes. Ici, nous avons la joie de rencontrer Scolopendra subspinipes et Scolopendra morsitans. Environs 20 cm de long pour ces dames. Myriapodes (mille pattes) qui appartiennent à l’embranchement des Arthropodes, pattes articulées et squelette externe. Venimeuses et dangereuses selon l’endroit de la morsure. Elle est équipée de crochets à venin articulés qui forment une paire de tenaille acérée au niveau de la tête. La bête est craintive, non agressive, elle ne mord que pour se défendre. Redoutable carnassier, elle se nourrit d’insectes rampants : araignées, fourmis, cafards qu’elle chasse la nuit. Elle adore les lieux sombres, humides, rocailleux. Elle s’invite dans les maisons occasionnellement. Elle visite les salles de bains ou dans les lits s’ils sont posés à même le sol… (Avis à la population !)

Elles peuvent vivre entre 5 et 7 ans. La reproduction est surprenante. La gestation dure 9 mois ½ avant la ponte d’une vingtaine d’œufs. La femelle les place au frais sous une pierre. Une quinzaine de jours plus tard, l’éclosion des œufs a lieu. Les jeunes d’un centimètre et demi vont se nourrir et muer jusqu’à leur taille adulte. S’il vous arrivait d’être mordu, il est recommandé de plonger le plus rapidement possible la partie atteinte dans l’eau la plus chaude possible. En randonnée, la flamme d’un briquet fera l’affaire (comme pour les guêpes, la température inhibe le venin). Si vous faites une réaction allergique, direction immédiate aux Urgences.

Atlas en mains, vous découvrirez un archipel polynésien, au centre du Pacifique, au sud de l’Équateur, proche des Kiribati. Cet archipel vient de nouer des relations diplomatiques avec Erevan… et reconnait la République autoproclamée du Haut-Karabakh, une région de Transcaucasie source de tensions entre l’Arménie et son voisin l’Azerbaïdjan. Grand de 26 km et peuplé de 11 000 habitants. Voici la preuve objective d’un fonds de commerce qui repose sur le business des reconnaissances diplomatiques. Kiribati et le Vanuatu usent du même monnayage de souveraineté.

Hiata de Tahiti

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Sexe entre utopie et réalité en Polynésie

Serge Tcherkezoff, directeur d’études sur l’Océanie à l’EHESS, étudie les écrits des « premiers contacts » entre Français et Polynésiens. Il cite par exemple en 1769 Louis Antoine de Bougainville et son récit croustillant qui a titillé l’imagination d’époque : les pirogues remplies de nymphes nues, les invites sexuelles explicites à en user des mâles qui les accompagnent. Mais cette fameuse « liberté sexuelle » avant mariage, l’amour pratiqué en public, devenus mythiques en Europe, sont en contradiction avec les autres faits rapportés dans les journaux de bord.

Les très jeunes filles ainsi présentées sont apeurées ; elles ne sont pas volontaires mais « offertes » par les chefs de tribus qui voient en ces hommes blancs des envoyés du monde divin.

De même pour les jeunes hommes : ingurgiter la boisson cérémonielle (le kava) vise à la reproduction de l’identité masculine par l’absorption de substance séminale par analogie. le kava a l’apparence et la consistance du sperme, liqueur régénératrice de force, dispensatrice de vie. La boisson sacrée transfigure les chefs en ancêtres divins et les sujets masculins en hommes forts. La chercheuse du CNRS Françoise Douaire-Marsaudon, dans son étude « D’un sexe, l’autre » (L’Homme, 2001), émet l’hypothèse que cette réaffirmation culturelle vise à contrer la mythologie, qui enseigne l’origine féminine des sujets masculins.

Le fameux « amour libre », la fête publique des corps dans l’égalité sexuelle, caractéristiques du mythe polynésien, révèlent l’Europe, pas la Polynésie. Ce mythe est le miroir dans lequel les savants et les explorateurs européens se sont regardés tout en croyant observer les autres – et en croyant faire de la science. Michel Foucault rappelait justement que l’Occident moderne a développé une « science sexuelle », pas un « art érotique ». La faute au puritanisme chrétien, repris avec délice par saint Paul dans l’aspiration à l’austérité des siècles déliquescents qui ont marqué la fin du monde romain. Nous constatons encore chaque jour que tout ce qui est plaisir, gratuité et assouvissement de désirs terrestres, est efficacement contré par la doxa. Croyants ou laïcs se retrouvent aujourd’hui dans le puritanisme d’effort, le malthusianisme d’austère économie et la contrainte morale que le Christianisme a véhiculé sans l’avoir forcément inventé. La droite s’indigne des mœurs privées mais se relâche en tout ce qui est public tandis que la gauche, laxiste en privé, se drape de vertueuse indignation publique (quand la télé regarde).

Rien d’étonnant à ce que ce couvercle moral ait inventé la soupape : l’utopie.

  • Chez Homère ou Hésiode, « l’île des Bienheureux » est une sorte de repos terrestre d’abondance et de festins, situé « aux extrémités de la terre ».
  • Thomas More en fait une « Utopie ». Ce « non lieu » montre, par contraste, ce qui ne va pas dans la société ordinaire. Ses émules seront soit de coercitifs accoucheurs de mondes à venir, soit de nostalgiques conservateurs rêvant d’un retour à un régressif « âge d’or ». Quoi qu’il en soit, les femmes y paraissent ne pas vouloir ce qu’elles désirent le plus : baiser. Chez Thomas More, elles sont soumises aux hommes comme les jeunes aux anciens, la volupté y est condamnée et tout adultère férocement réprimé.
  • Diderot le libertaire, inventeur de la cité océanienne libre et si hédoniste, voile et rend intouchables les femmes stériles.
  • Fourier permet tout – mais dans une classification maniaque de phalanges, brigades, corporations et autres ordres, où même les orgies obéissent à un rituel rigoureux.
  • Puis viennent Freud, Reich et Marcuse. L’utopie sexuelle se fait « politique », elle vise à libérer l’énergie libidinale refoulée par « le capitalisme », pris comme la pointe avancée du dressage séculaire d’église.

Le rôle de l’utopie reste d’irradier le concret depuis l’abstrait, plaçant un « modèle » platonicien afin de modifier la façon de voir la réalité. Les communautés post 68 ont ainsi tenté de « réinventer » l’amour, les liens humains et la vie quotidienne ; l’esprit « queer » a joué des corps et des pratiques, subvertissant les genres et l’identité sexuelle. Rien de neuf au fond : la vieille idée est de retrouver « la nature », non entravée par les conventions sociales. Depuis Diogène le cynique jusqu’aux îles lointaines épargnées par « la civilisation » (sous-entendue « chrétienne et occidentale ») et à Rousseau, le sexe est censé se pratiquer sainement au vu et au su de tous – « librement ». Lubricité et perversité, tout comme pudeur et honte, seraient des contraintes artificielles de la morale convenue.

Sans conteste, il y a dans ce mouvement le meilleur et le pire… Comprendre l’autre sexe, ne plus le voir comme « inférieur », accepter le plaisir – et en donner –, accepter que la libido puisse n’être pas orientée par le genre, sortir la sexualité du tabou honteux pour la ramener dans l’ordre des relations humaines, voilà qui est positif.

Mais, comme en toutes choses, cette « liberté » oblige. Elle n’est pas « laisser-faire ». Tout n’est pas « permis » : non par une quelconque instance extérieure à ce monde, mais par la propre dignité humaine que l’on a en soi. Baiser n’est pas une obligation, ni « le plaisir » un exercice mécanique, ni « forcer » un acte prophylactique envers « les coincé(es) » qui « ne demandent que ça ».

La prostitution est par exemple le reflet de la misère psychique et physique, parfois un moyen de survie pour les victimes de discriminations ; elle est un commerce qui se sert de l’être humain comme d’un objet, en faisant une sordide marchandise. Accepteriez-vous que votre femme ou vos enfants se fassent « prendre » par n’importe qui ? Pourquoi alors en faire autant à ceux des autres ? Nul besoin de moraline là-dedans : rien que l’estime de soi suffit pour dire « non ».

Autre exemple : la vidéo porno alimente en comparaisons « médiatiques » le narcissisme contemporain. Les jeunes se comparent aux étalons ou aux nymphomanes, comptabilisant le nombre de fois, observant l’invraisemblable des positions, se faisant une idée fantasmatique des filmiques « désirs insatiables ». Qu’y a-t-il de réel et d’humain dans cette charcuterie gymnique ?

Dessin de garçonnet tahitien par Michelle Villemin :

Les îles ne sont plus désormais isolées et le sexe y est aussi pauvre et aussi tourmenté que dans nos pays. La télé comme le net sont partout. Hiata rappelle un sondage dans la presse tahitienne : « aujourd’hui pour vous, le sexe est-il un sujet tabou ? Non à 84%. On peut douter de ce résultat idyllique.

Il demeure difficile de parler de sexe en Polynésie Française : le poids des églises et la pudeur des gens demeurent. Quand on leur demande ce qu’évoque le sexe, 76% des résidents de moins de 5 ans et 55% des revenus supérieurs citent plus fréquemment « le plaisir » que l’amour… 59% considèrent que « les nouvelles générations sont plus précoces », même si 62% ont eu leur première expérience sexuelle à « 16,6 ans » et seulement 15% à 13 ans. 57% considèrent que les comportements sexuels sont « un traumatisme physique ou mental », 44% évoquant des maladies possibles.

Rien d’étonnant à ce que l’influence majeure sur la sexualité dans les îles soit accordée par les interrogés aux églises pour 44% et à la télévision pour 24%. Sur l’influence propre des médias, 80% pensent à internet ! Même si les questionnés admettent à 95% que ce sont « les parents » qui doivent être les principaux acteurs d’une éducation sexuelle… » A l’école, la dimension affective de la sexualité est mise au second plan dans les séances d’éducation ; elles sont surtout centrées sur la prévention des risques.

Alors, l’amour est-il un art ou une science ? Saurons-nous jamais cesser de compartimenter les comportements humains ? A chosifier toute relation dans le physiologique et le mesurable, dans le même temps que les églises comme les « bonnes âmes » laïques moralisent et répriment, ne risque-t-on pas de laisser l’être jeune tout seul face aux interrogations nées de la puberté, comme face aux fantasmes mis en spectacle dans l’industrie lucrative du « porno » ? Les littérateurs ont fait des îles un mythe d’utopie ; la triste réalité est bien loin de ces fantasmes !

Serge Tcherkézoff, Le Mythe occidental de la sexualité polynésienne, 1928-1999, PUF 2001, 224 pages, €27.07

Louis-Antoine de Bougainville, Voyage autour du monde, Folio 1982, 477 pages, €8.93

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Croyances et violences en Polynésie

Un satellite americain tombe dans le pacifique sud ? Il semblerait que les habitants de Mangareva (Gambier) aient entendu des bruits et aient vu pour certains une boule de feu… Glory, un satellite américain était trop lourd pour atteindre l’altitude d’orbite, des débris auraient chuté dans le Pacifique. Le laboratoire de géophysique de Pamatai (Tahiti) a enregistré « un bruit » à la station de Rikitea (Gambier). Alors y aurait-il un rapport entre la chute de Glory et ce qu’ont vu quelques habitants de Rikitea ? Par contre, on connaît le montant de la facture du feu d’artifice, 37 milliards de francs pacifiques. Il faut savoir également que l’US Air Force a installé une station aux Gambier pour suivre la mise en orbite de plusieurs satellites de défense depuis février 2010. Aux dernières nouvelles, Glory serait allé se perdre du côté de l’Antarctique. Les Gambier ont du rêver !

Mais il faut bien croire à quelque chose. L’église protestante mao’hi célèbre l’arrivée de l’évangile le 5 mars. Depuis 1978, c’est un jour férié en Polynésie. Les 18 missionnaires anglais de la London Missionary Society sont arrivés dans la baie de Matavai (Pointe Vénus), sont restés à bord du Duff le samedi 5 mars 1797 jour de sabbat, et ne sont descendus à terre que le dimanche matin pour commencer leur évangélisation. La communauté protestante est toujours proportionnellement la plus importante des communautés religieuses en Polynésie française. Un petit monument commémore cette arrivée et les évangélisations des autres îles du Pacifique Sud  à partir de Tahiti : les Marquises 1797/1822, Huahine 1818, les Cook 1821/1823, les Australes 1821, les Tuamotu 1821/1829, les Samoa 1830. Le petit monument a souffert de dégradations et a perdu son mât. « Pour que rien ne soit dégradé, ici, il faudrait un gardien rien que pour cet endroit », me confiait le jardinier tondant le gazon ! La baie de Matavai, bien protégée a abrité les révoltés de la Bounty, le Capitaine Cook, les missionnaires du Duff.

La foi et la violence sont le lot des îles. Le papa, ultra-violent, avait secoué son bébé, il l’a rendu infirme. « J’arrive pas à me contrôler. Moi, je règle mes problèmes en boxant. Je tape même mon fils ». Pour ce père violent la balance de la Justice terrestre s’est arrêtée sur 13 ans de réclusion…

Un autre procès se tient actuellement, celui de l’assassin d’une jeune femme de 22 ans dans des conditions insoutenables. C’est l’un des plus odieux crimes commis ces dernières années ici en Polynésie française. Cet homme jeune a pris en stop une femme jeune, prise de boisson, l’a traînée dans sa voiture dans un coin désert, pour boire un coup, fumer un joint, lui faire des avances. Il l’a frappée de deux ou trois coups de poing quand elle s’est refusée à lui. Tandis qu’elle était à terre, sonnée, il lui a administré deux monstrueux coups de pied en pleine tête. Puis il l’a déshabillée, violée, je vous passe les détails. Elle ne respirait presque plus. Alors il s’est assis à califourchon sur son dos, lui a relevé la tête de la main gauche pour l’égorger avec son couteau tenu dans la droite. Il dira au juge : « comme pour une tortue ». Son crime accompli, il est allé dîner aux roulottes avec sa compagne comme si de rien n’était. A savoir que les tortues marines sont des animaux protégés en Polynésie. Et les femmes ? Le verdict est tombé : réclusion criminelle à perpète assortie de 22 ans de sûreté. Son avocat avait demandé l’acquittement ! Tant qu’à faire…

D’autres se retirent dans leur monde intérieur. Bobby Holcomb, vous connaissez ? Il fut « l’homme le plus populaire de Polynésie en 1988 ». Noir américain et indien par son père, Philippin et Polynésien par sa mère, il était né le 25 septembre 1947 dans les ruines de Pearl Harbour. Après avoir découvert les USA, l’Inde, le Népal, la Grèce, la France et la Polynésie, il s’installa à Huahine (Iles Sous le Vent) en 1976 et plus particulièrement dans le village de Maeva, réputé pour avoir résisté à la colonisation française et être resté imprégné de son histoire et de ses traditions. Maeva demeure la clé de voûte identitaire du pays. Bobby était connu pour se balader en paréo, pieds nus et toujours coiffé d’une couronne de fleurs et feuillage. Chanteur, peintre, il est davantage connu pour ses chansons alors qu’il vivait plutôt de sa peinture. Cette année, une rétrospective de ses tableaux est organisée au musée de Tahiti et des Iles. Il est décédé, à 44 ans seulement, en 1991.

Jean-Marc Tera’ituatini Pambrun est décédé en métropole le 12 février 2011. Il était le directeur du Musée de Tahiti et des Iles et aussi l’auteur de biographies, théâtre, romans, essais, légendes. Voici quelques titres : Huna secrets de famille, Henri Hiro héros polynésien, Les parfums du silence, Le bambou noir, L’allégorie de la natte, La naissance de Havai’i.

Hiata de Tahiti

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