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La chasse à l’homme d’Édouard Molinaro

Dans ce film sans prétention mais qui réunit une belle brochette de vedettes des années 60, le thème est le mariage. L’homme résiste, la femme veut.

Pour le mâle, rien de tel que de faire travailler les filles comme Fernand (Jean-Paul Belmondo) ou de papillonner ici ou là selon son désir comme Julien (Claude Rich). Mais le jeune bourgeois maquettiste en publicité Antoine (Jean-Claude Brialy) veut se marier avec Gisèle (Marie Laforêt), femme du monde jeune et riche, qui a intrigué avec sa sœur pour l’accaparer parmi d’autres partis moins bien dotés.

Qu’à cela ne tienne, son meilleur ami professeur de psychologie Julien, divorcé et voulant ne jamais réépouser, tente de le dissuader en lui racontant des anecdotes. C’est prétexte à évoquer Denise (Catherine Deneuve), 17 ans et vierge de profession, sa secrétaire qui tape ses rapports mais n’hésite pas à se proposer ingénument à lui. Or Julien couche déjà avec une femme mariée (Micheline Presle) que son mari (Michel Serrault) vient chercher jusque dans sa chambre, sur dénonciation anonyme (nous sommes à dix ans de l’Occupation et la délation à la Gestapo était le passe-temps favori des Français pétainistes). Il ne la trouve pas, mais découvre Denise couchée nue dans le lit. Plates excuses. C’est alors que surgit le père de Denise (Bernard Blier) qui vient chercher sa fille mineure jusque dans la chambre, sur dénonciation anonyme (comique de répétition). Il ne la trouve pas, mais la maîtresse de Julien dans l’armoire – d’ailleurs inconfortable. Plates excuses. Sauf que, derrière le bureau, sa fille est bien là mais ne tape pas le rapport, elle avoue se taper plutôt son patron. « Mais qu’importe puisqu’on va se marier ! » Julien se trouve obligé de demander sa main. Le père accepte : « Puisque vous allez vous marier, alors… »

Retour à Antoine qui s’est costumé pour le mariage. Julien l’entraîne prendre un dernier verre de garçon au café de Fernand, ancien maquereau qui a été agrippé par Sophie (Marie Dubois), la fille du café. Elle en pince pour lui qui joue les truands et cache un flingue sous sa veste. La brutalité a toujours fasciné les filles, on ne sait pourquoi – même quand le mari les frappe. Faire travailler les putes n’est pas de tout repos et les flics s’intéressent à lui, alors Fernand se range. Il voit que le bistrot rapporte par les fafiots palpés en fin de journée. Mais sa position est désormais inversée : c’est Fernand qui travaille et Sophie qui encaisse (comique d’inversion).

Julien emmène son ami Antoine au château de sa belle pour son mariage… dans une petite voiture (Simca des années 50 ?) ridicule devant la Lincoln décapotable qu’arbore le bistrotier avec ses gains de mac (comique de comparaison). Ils sont en retard car l’auto ne va pas vite, et tout le monde les attend. Mais Antoine doute : doit-il se marier avec la redoutable Gisèle, qui paraît plus calculatrice qu’aimante ? Ne va-t-elle pas, avec sa richesse, lui mettre le grappin dessus et aliéner sa liberté ? Il décide que non et la voiturette repart, laissant en plan les pingouins et le curé prêt à officier avec ses mignons qui s’envolent en aubes blanches.

Pour se vider les idées, Antoine part en croisière dans les îles grecques avec un billet qu’il avait acheté pour le voyage de noces. Il donne l’autre à Fernand pour le libérer de la limonade. Sur le bateau, une certaine Madame Armande (Hélène Duc), ex-tenancière de bordel rue de Provence, voudrait bien le séduire, mais Antoine préfère le mirage de Françoise (Françoise Dorléac), jeune et jolie, mais arnaqueuse professionnelle. Armande, durant ses multiples croisières pour éponger son fric et trouver des gigolos en bon pied à sa chaussure avide, l’a connue sous les noms divers de Clotilde, Élisabeth, Sandra, Carole et tutti quanti. La fille a l’art de se faire prêter une grosse somme « pour acheter une antiquité » et ensuite disparaître. Comme Armande l’apprend à Antoine, celui-ci la démasque. Ils se quittent bons amis et Françoise lui donne en cadeau une serviette pour ranger ses papiers. Débarque alors à son hôtel un faux-flic grec (Francis Blanche) à fausse moustache qui se fait appeler Papatakis (papate à qui ?, comique de dérision). Il accuse Antoine d’espionnage et « découvre » dans la serviette des plans de rampes de lancement de fusées turques (?). Pour se libérer de l’ennui d’avoir à s’expliquer au commissariat, Antoine paye en chèque de voyage… la même somme qu’il devait prêter à Françoise. Laquelle est de mèche avec le faux papate.

Malgré cela, Antoine reste séduit par la belle, car elle sait y faire et n’a pas froid aux yeux, même en haut de l’hôtel sur la plateforme face au vide. Il l’épouse. « Pas de vol entre époux », songe-t-il. Julien, convoqué comme témoin à la mairie, est subjugué par une brune au regard doux… Rien que le regard le place déjà « sous emprise » comme on dit aujourd’hui. Quant à Fernand, il s’est mis avec l’ex-tenancière qui comprend son langage « banlieue » – et possède une Rolls !

Le mariage serait-il donc irrésistible ? Les dialogues sont de Michel Audiard et le film commence et se termine par un concert d’aboiements. Il s’agit d’une chasse à courre où la maîtresse est une femme, traquant le cerf jusqu’à l’hallali. Caché dans un buisson de l’étang comme des cerfs aux abois, trois hommes nus, Antoine, Julien et Fernand : ceux qui sont rétifs au mariage.

Le spectateur trouvera des dialogues bien sonnés et des références aux Tontons flingueurs, film sorti l’année d’avant. Le mariage est un thème un peu passé de mode – mais cela revient avec le vote frileux tradi. Les masculinistes se réjouiront des anciennes coutumes macho des années soixante. Et tous admireront dans cette pochade défouloir l’art subtil du jeu entre les hommes et les femmes – où les femmes gagnent à la fin par l’institution fétiche : le mariage !

DVD La chasse à l’homme, Édouard Molinaro, 1964, avec‎ Jean-Claude Brialy, Françoise Dorléac, Bernard Blier, Mireille Darc, Micheline Presle, Michel Serrault, Jean-Paul Belmondo, René Château 2015, 1h25, €19,53 Blu-ray €49,49

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Le souper d’Edouard Molinaro

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Trois semaines après l’effondrement définitif du Premier empire à Waterloo, Otrante et Bénévent, duc et prince, alias Fouché et Talleyrand, ministre de la Police et président du gouvernement provisoire – se rencontrent pour un dîner politique préparé par le cuisinier Carême. L’avenir de la France est en jeu, et leur position sociale aussi. Eux que tout oppose, vont-ils s’allier pour la circonstance ? Le roi, revenu dans les fourgons de l’étranger, Louis XVIII frère du roi Louis XVI raccourci car « coupable » (en deux morceaux), est à Saint-Denis. Il n’attend que le feu vert de Fouché pour rentrer dans Paris et rejoindre les Tuileries, réinstaller la dynastie.

Joseph Fouché et Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord sont différents par la naissance, l’éducation, la tournure d’esprit, la façon d’être et d’envisager l’avenir. La simple façon de boire le cognac montre combien le bon-vivre aristocrate et l’impatience à la hussarde marquent l’écart de deux générations. Nous avons là deux France, l’une millénaire, installée dans le savoir-vivre et la culture, l’autre née de 1789, avide de tout bouleverser pour s’imposer. Le dîner rassemble autour des sens, l’odorat, le goût, la vision. Le fumet des plats – asperges en billes de petits pois revenues au beurre, saumon fondant à la royale, pigeons à la financière – s’allie aux délices du palais et plaisirs du regard. La bombe glacée se décline en tiare impériale ou en couronne royale. Les ors des boiseries et le mobilier précieux luisent doucement dans la profusion des bougies tandis que gronde au-dehors à la fois le peuple dépoitraillé et l’orage déchaîné dans la touffeur de juillet. Les tableaux représentent des portraits d’ancêtres ou des souvenirs politiques.

Amour-haine, ces deux-là se sont toujours connus. Rivaux, tous deux enfants de santé fragile, l’un forcé par son père capitaine de négrier à courir presque nu sur le sable pour s’endurcir, l’autre lâché par sa nourrice et affublé depuis d’un pied bot, élevé en loques dans le Paris popu loin de ses parents qui ne l’ont jamais aimé. Tous deux ont été ordonnés prêtres, l’un petit frère oratorien et l’autre évêque, ils ont chacun tué leur Bourbon : Fouché Louis XVI, Talleyrand le duc d’Enghien. Couple historique qui fait l’histoire, tous deux iront à Saint-Denis prier le roi de bien vouloir revenir. La France n’a d’ailleurs pas le choix : les étrangers occupent Paris et ne sauraient tolérer le retour d’une république… Fouché, arrivé à la force des bras, ne peut que sombrer avec ses Jacobins s’il ne se plie pas. Talleyrand chutera avec lui, ne servant plus au roi, mais la dynastie Bourbon reviendra. Malgré ses airs de matamore, c’est bien Fouché qui capitule. Et François-René de Chateaubriand évoquera outre-tombe « le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché » cheminant silencieusement le lendemain dans l’antichambre du roi à Saint-Denis.

Le film d’Edouard Molinaro est tiré d’une pièce de Jean-Claude Brisville et les deux acteurs Claude incarnent leurs personnages à la perfection. Le raffinement cruel et cynique de Talleyrand et la brutalité passionnée de Fouché sont le choc de deux tempéraments éternellement antagonistes, de deux siècles qui se bousculent dans la modernité, d’un basculement de l’Histoire poussé par l’industrie qui s’envole. Hier et demain seront toujours les mêmes, celui qui veut conserver pour en jouir et celui qui veut révolutionner pour les autres seront toujours opposés. Leur alliance ne sera toujours que de circonstances, partielle, éphémère, utilitaire.

Nous en avons l’exemple à la présidentielle, entre Hamon qui veut sauver les débris du parti socialiste et Mélenchon qui préfère jouer solo jusqu’à la défaite annoncée, entre Fillon qui veut revenir aux vertus d’effort et de rigueur et le centre qui veut atténuer la purge pour avancer, entre Le Pen qui désire un retour à l’ancien régime pré-68 et les écolos et gauchos qui rêvent d’un avenir radieux (toujours dans l’avenir et jamais radieux). Entre la culture libérale ouverte plus ou moins à l’œuvre depuis 1945 dans le monde occidental, et l’autoritarisme xénophobe qui ressurgit sur le souverainisme britannique et trumpeur. Talleyrand ou Fouché ? L’année 2017 verra-t-elle comme l’année 1917 un grand tournant du monde ?

DVD Le souper – Le vice au bras du crime – d’Edouard Molinaro, 1992, avec Claude Riche et Claude Brasseur, Lancaster 2010, occasion

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