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Gabriel Matzneff, Vanessavirus

Malgré les furies bourgeoises brandissant la Morale (après l’avoir piétinée durant leur adolescence antibourgeoise post-68), j’ai lu le livre interdit, le dernier Matzneff. Les Italiens ont osé ce que la France phare du monde démocratique n’a pas osé : publier.

L’archange aux pieds fourchus chérit le rôle. Ne vous attendez pas à du neuf, l’auteur ressasse. Du haut de ses 84 ans, il persiste et signe. Il a bien joui, bien vécu, et son existence s’achève. Nous pouvions nous attendre à un saint Michel terrassant le dragon de la bêtise, nous avons devant nous un saint Sébastien percé de flèches et qui semble aimer ça : « je mourrai anathématisé, cloué au pilori » p.9. Le rôle de l’agneau pascal ou du Christ tout nu sur la croix, offrande du sacrifice, va bien à ce chrétien orthodoxe athée.

Ce « récit », publié à compte d’auteur car, par peur du boycott, aucun éditeur français n’a osé le faire, commence par un poème pas terrible tiré de Super flamina Babylonis, vantant les étreintes juvéniles. Aucune considération pour l’autre, pour la fragilité adolescente, pour les conséquences étalées (certes, 44 ans plus tard) par sa maitresse d’alors 14 ans, Vanessa. Gabriel se cache derrière son grand âge, son cancer de la prostate, son œuvre, la sincérité de ses instants vécus. Sauf que ses Carnets sont comme le net : tout reste et tout reste opposable. Ce qui était pratique courante (encore que réservée à certains milieux minoritaires) est aujourd’hui honni ; ce qui amusait comme «l’exquis plaisir d’irriter les imbéciles » p.37 il y a trente ou quarante ans fait peur aujourd’hui ; les très jeunes sont des êtres trop précieux pour les livrer aux premiers venus. Il faut en être conscient, « les imbéciles » gagnent toujours car leur nom est Légion.

« Ne pas répondre », dit-il p.18 – et il répond.

L’essai en réponse à Springora, écrit semble-t-il sans aucun plan et au fil de la plume, garde un beau style mais se nourrit plus de citations narcissiques de l’œuvre passée qu’il n’est une réflexion d’aujourd’hui sur ce qui fut expérimenté jadis. Il se fâche parfois et prend un ton acéré, mais régresse presque aussitôt vers le passé idéalisé des souvenirs ou l’intemporel des auteurs classiques. Manière de se cacher pour ne pas affronter ce qui est, ici et maintenant. Le lecteur qui a aimé certaines œuvres et qui considère Matzneff comme un écrivain, est un brin frustré. Quel égoïsme !

« Je n’ai ni lu le livre de Vanessa, ni ne l’ai feuilleté, ni même tenu entre les mains », déclare-t-il p.15, affectant comme lord Byron d’« ignorer les mauvaises nouvelles » p.12. Cela bien « qu’une ex restée proche, gentille mais zinzin, ne résistait pas, malgré mes adjurations, à l’équivoque plaisir de me lancer à la figure les noms de ceux qui s’étaient toujours réputés mes amis mais qui, dans l’épreuve, se révélaient de misérables traîtres » p.13. Matzneff cite cinq personnes qui l’ont défendu ; j’aurais plutôt cité les autres, les veules qui se sont défilés et qui en ont fait tout autant et plus, peut-être. Impliquer les protagonistes est de bonne guerre lorsque ces derniers vous trahissent.

La meilleure défense étant l’attaque, l’écrivain aurait dû lire le livre de son adversaire au lieu de dénier à l’adolescente dont il a conservé le souvenir le droit d’avoir grandi et de pouvoir juger. Il aurait dû réfuter point par point ses arguments, se fondant sur des exemples précis d’époque et sur les dizaines de lettres d’amour indéfectible reçues en son temps de ladite amante soi-disant « sous emprise ». Laquelle ressort plus de la psychiatrie que de la responsabilité, mère démissionnaire trop snob du milieu littéraire, père absent dont elle projette l’image sur son initiateur et duquel elle veut se venger – par procuration. La vengeance des femmes par ressentiment n’a rien d’une découverte due à la « libération » de la parole par le Moi-aussi venu de l’Amérique puritaine en déclin. En témoigne le dernier avatar d’actualité, d’une vulgarité de harcèlement, qu’est cette ex qui use du net pour poursuivre sa vengeance sur des années – et qui s’en vante ! alors qu’elle est passible des tribunaux.

Il aurait pu en faire un roman, soigneusement ironique car le ridicule est ce qui tue le plus sûrement dans la France littéraire. Mais en a-t-il encore le talent ? Dans cet essai, nous sommes loin de Voltaire.

Il aurait pu aussi faire entier silence jusqu’au non-lieu final probable de cette affaire où la reconstruction du passé, la morale rétroactive et le souci personnel de se faire mousser et de gueuler plus fort que les autres pour cacher ses propres turpitudes constitue semble-t-il l’essentiel du dossier. L’affaire Oliver Duhamel, bien plus grave car il s’agit d’inceste, dans le même milieu hédoniste post-68, vient d’aboutir à un non-lieu. Matzneff écrit quelque part que les jaloux et les envieux s’en donnent à cœur joie pour lyncher ceux qu’ils auraient aimé être eux-mêmes – et ce n’est pas faux. Se taper une minette de 14 ans toute fraîche, quel pied ! Mais « un homme, ça s’empêche », disait le père de Camus, qui s’opposait dans L’Homme révolté aux « tortionnaires humanistes », ceux qui veulent faire le bien des autres malgré eux, qui vous imposent leurs normes, leur morale, leurs conduite – et qui vous dénoncent à l’inquisition d’église, d’État ou des médias si vous n’êtes pas comme eux. Fantasmer n’est pas réaliser. De même que se venger de ce qu’on n’a pas osé n’est pas la justice, mais le ressentiment de l’envie. Pas bien beau, comme sentiment, même s’il est de foule – donc médiocre.

Cela n’excuse en rien les amours trop tôt pubères qui imprègnent les êtres pour leur vie durant. Une simple considération que le plaisir, même partagé, ait pu faire un mal durable n’effleure même pas l’esprit de Gabriel, hédoniste diagnostiqué un brin schizo dans sa propre jeunesse. Il aurait pu s’en dire navré, inconscient à l’époque car tout se passait au mieux en apparence. Il aurait pu surtout se préoccuper de ses amantes et amants très jeunes, les aider à grandir, suivre leur évolution, au lieu du plaisir personnel pris à la va vite sans aucun affect. Je suis pour ma part malheureux quand des plus jeunes qui me sont proches sont malheureux et je ne voudrais surtout pas leur faire de mal – non Matzneff. Pas plus qu’à un vieillard de 84 ans d’ailleurs. Qui est donc cette Vanessa pour l’oser sans vergogne, forte de sa moraline toute neuve ? Est-elle meilleure que son ancien amant ? Elle n’apparaît certainement pas comme une personne honorable, ni même une bonne personne. Attendre 44 ans, quelle vilenie… quelles arrière-pensées… quel arrivisme d’autrice éditrice !

Sur le fond, ce « récit » n’apporte rien qu’une lamentation d’un nouveau Jérémie dont l’instruction reste en cours. Je ne vais pas faire la recension pas à pas de ces 85 pages (108 en italien qui parle plus) car tout est dit, le reste est ressassement. Un résumé de l’ensemble est fait un journaliste de France Inter qui fait bien son boulot (mieux que l’Obs par exemple), vous pouvez vous y référer.

Ce qui m’intéresse plus est le climat de lynchage dans ce pays – la France – qui se vante d’être à la pointe des libertés démocratiques. Importer des mœurs à la Trump est non seulement une soumission veule à la mode venue du pays capitaliste dominant (hein, la gauche !) mais un reniement des deux siècles « de progrès démocratiques » qui nous ont précédés. Dans le dernier numéro de la revue L’Histoire, Michel Winock (pas vraiment de droite) cite Benjamin Constant à propos de la révolution de 1830 : « par liberté, j’entends triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité » p.46 (n°484, juin 2021). L’éditeur italien ne dit pas autre chose dans sa « note de l’éditeur ». Nul ne peut juger sans procès équitable, le droit à la parole est le même pour l’accusation et pour la défense et refuser de publier un écrivain parce que cela déplairait aux divers lobbies de la société est une lâcheté indigne du pays qui adore donner des leçons de liberté d’expression et de justice au monde entier. A la mode anglo-saxonne et surtout yankee, les lobbies prospèrent en France : lobby féministe pour Springora, lobby lesbien-gay-bi-trans-queer-zoo+ contre Matzneff, lobby juif pour les écrits de Céline comme pour cette farce de 1500 pages de commentaires talmudiques sur Mein Kampf d’Hitler récemment republié en français sous un titre moraliste et un prix prohibitif. Faut-il restaurer la censure préalable comme sous Charles X ou le Second empire pour désormais pouvoir publier un livre ?

Dans un demi-siècle Gabriel Matzneff sera peut-être dans la Pléiade chez Gallimard, son éditeur si audacieux qui a « retiré de la vente » tous ses livres sans trier les romans des journaux ou essais. Mais les œuvres de l’homosexuel Jean Genet (mort en 1986), y compris ses années de sexe lorsqu’il était enfant de chœur en primaire, viennent d’être publiées en Pléiade, et les œuvres de Casanova, Sade et Gide sont en vente libre, de même que la Bible (avec ses récits d’inceste) et le Coran (qui prône la défloration des petites filles dès l’âge de 9 ans)  – comprenne qui pourra.

Pour Matzneff, c’est une « condamnation à mort civile sans jugement, avec imposition de peines supplémentaires », écrit carrément l’éditeur italien – et il a pleinement raison. C’est cela qui me gêne, plus que le chant du cygne avec couacs d’un vieil écrivain déjà jugé par l’opinion ignare et versatile, mais pas encore par les tribunaux officiels et contradictoires – qui prennent leur temps.

Gabriel Matzneff, Vanessavirus – récit, 2021, édition Aux dépens d’un amateur, à compte d’auteur et en français, 85 pages (souscription close, pour collectionneurs)

Gabriel Matzneff, Vanessavirus, édition italienne (en italien !), Liberilibri 2021, 108 pages, €14.00

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Vivait-on mieux avant ?

Le débat vient d’une conversation avec le Gamin. Il approche la trentaine et il s’est vu, selon ce qu’il ressent, devenir « adulte » vers 25 ans. Sa préoccupation du jour : « était-ce mieux dans les années 1970 » (du temps de ma propre jeunesse) ? Difficile de répondre précisément parce que les temps ont changé et que l’on ne compare pas la même chose.

En 1970 j’avais – trois avant à peine – eu accès à la télévision comme seulement à l’époque un foyer sur dix.  Elle ne comprenait que trois chaînes en noir et blanc, la 3 seulement en 1972. Aujourd’hui, c’est l’explosion en couleurs non seulement des chaînes mais des vidéos en ligne, gratuites ou en streaming. Et des photos en ligne.

En 1970, le téléphone était encore ce gros objet de bakélite relié par un fil, qu’il fallait aller chercher à un endroit fixe pour seulement un Français sur sept. Il était encore majoritairement manuel et il fallait demander tel numéro à « Mademoiselle » ou retenir à Paris le nom des quartiers pour former les trois premières lettres sur le cadran chiffré « Balzac 00 00 ». Aujourd’hui, chacun dès 10 ans (et parfois avant, ce qui est nocif à la santé) le transporte avec soi dans sa poche et sa mémoire est bien plus grande que les ordinateurs d’alors.

En 1970, il était plus facile de trouver un emploi sans avoir fait d’études, c’est plus difficile aujourd’hui. Mais il y avait 150 000 bacheliers l’année où j’ai passé le bac alors qu’il y en a 750 000 aujourd’hui – même si « le niveau » n’est pas le même si l’on considère qu’on « donne » le bac à neuf candidats sur dix (88% en 2019 et 96% en 2020 !). Il faut noter qu’il y avait moins de filles candidates à un emploi dans les années soixante-dix et qu’elles sont plus nombreuses et plus diplômées aujourd’hui. Faut-il en conclure que « c’était mieux avant ? »

En 1970, acheter une maison ou un appartement coûtait plusieurs années de salaire mais la longue période d’inflation due aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 suivie par la gabegie socialiste des années 1980 ont grignoté les charges de remboursement (13.7% en 1974, 13.4% en 1981 – l’inflation n’est retombée sous les 2% par an qu’à partir de 1994, sauf en 2008, 2.4%). Les prix ont augmenté de sept fois depuis 1970. La mensualité de remboursement du prêt immobilier est restée la même alors que les salaires augmentaient pour suivre les prix. C’est là sans doute « la chance » des baby-boomers nés après 1945 et qui ont été adultes avant les années 1990 – mais ce n’est ni de « leur faute », ni par « intention délibérée ». A l’inverse, la brutale hausse des prix des années soixante-dix a généré un chômage de masse qui a touché plus les ouvriers et les peu qualifiés. Qu’on se souvienne des mines, de la sidérurgie, des chantiers navals… Aujourd’hui les chômeurs sont à 80% sans diplôme ou trop vieux. Mais la consommation a été multipliée par trois entre temps et la couverture sociale s’est nettement améliorée.

Les prix de l’immobilier n’ont commencé à grimper qu’à partir de l’an 2000… comme par hasard au moment où s’est instauré l’euro qui a permis des comparaisons entre pays voisins européens : la France était moins chère et, dans les grandes villes ou sur les côtes, a rattrapé les prix. Mais l’indice des loyers par rapport aux revenus des ménages est resté stable depuis trente ans (sauf à Paris, marché tendu). Et si le prix des placements en actions françaises a monté de 1982 à 1999, c’est dû à la longue baisse des taux d’intérêt sur la même période qui a incité à basculer des placements à rendement fixe (livrets d’épargne, bons du Trésor, obligations) vers les placements représentatifs de la croissance économique (actions) – avec ses aléas mais avec sa tendance longue orientée à la hausse.

Socialement, les grèves étaient plus violentes et l’affrontement idéologique entre patronat et syndicats plus dur et – disons-le – plus borné. Le marxisme régnait en maître dans les esprits jusqu’à la chute de l’URSS – qui a montré qu’un pays de « socialisme réalisé » faisait fuir ses citoyens vers « la liberté de la jungle ». Les sectes avaient la cote, ce qui évitait le tourment de la liberté et les affres de la responsabilité : les gourous Charles Manson en hippie illuminé, Jim Jones le marxiste paranoïaque, Luc Jouret et le Temple solaire, Raël le businessman des Elohim, David Koresh le davidien, Gilbert Bourdin en messie cosmoplanétaire, Marshall Applewhite le prophète, le révérend Moon devenu richissime, Dwight Malachi York l’islamiste pédophile, ont tué et massacré après avoir soumis et violé souvent les femmes et les enfants…

Aussi personne ne se préoccupait de penser par lui-même, tous répétaient comme des perroquets les théories à la mode – et je n’ai eu plus de la moyenne en histoire en Première que lorsque j’ai cité Marx exprès la prof était communiste, une vieille fille boiteuse et juive comme elle nous l’avait annoncé à propos de la Shoah, ce qui devait engendrer chez elle encore plus de ressentiment envers un adolescent mâle catholique, curieux et aventureux, coqueluche des filles en classe littéraire. Aujourd’hui très peu citent Marx (ils ne savent même pas qui c’est) mais répètent les théories du complot diffusées en boucle par les réseaux sociaux. Meilleur comme pire des choses, le réseau social est un outil d’emprise aussi puissant qu’un gourou : il vous assène ce qu’il faut penser pour être moderne et quoi dire pour être comme les autres, bien au chaud dans l’illusion du nid. Car le réseau social n’est qu’illusion : il y a bien longtemps que les membres ne se connaissent que par leurs « like ». Être d’accord est la communion des saints de notre époque. Tous ceux qui ne sont pas d’accord sont des ennemis à bâîllonner, à rééduquer, voire à zigouiller (comme dans la nouvelle URSS de Poutine, chez les partisans Proud proud de Trump ou dans l’islamisme pour les nuls de Daesh).

L’époque n’était pas au sport comme aujourd’hui mais à l’hédonisme, à la musique et à la fumette, ce qui donnait des corps malingres et mal proportionnés mais des caractères qui ne se voulaient pas autant pervers narcissiques. La beauté n’était pas la norme, malgré la nudité revendiquée pour contrer l’ancien monde bourgeois et disciplinaire des parents. Car il était interdit d’interdire, ce qui flattait notre individualisme mais encourageait le naturel : être nu c’était être tel qu’on est, sans artifice ni uniforme. Aujourd’hui que le sport est répandu dès le plus jeune âge chez les garçons comme chez les filles, la beauté s’épanouit, même si les réactionnaires moralistes de toutes religions (gauchisme compris) exercent une forte pression sociale pour cacher le corps à nouveau « par principe de précaution » contre le désir ou le viol (tout comme en islam). En témoigne cette risible « polémique » à la française (et à la con) sur la « tenue républicaine » qui ne montre ni la queue sous le short ou le jogging porté à cru chez les jeunes mâles, ni la moule des jupes mini ou le nombril des top crop pour les filles de 15 ans, ni la pointe de sein de l’un ou l’autre sexe (sans parler des +). Quant à l’interdit, il fait florès : tous les gauchistes et les écolos le réclament pour tout et n’importe quoi, comme bon nombre de « socialistes » férus d’Etat et de société fusionnelle.

Machisme et racisme étaient monnaie courante et les enfants étaient quantité négligeables, soumis à l’autorité sans partage des parents (et surtout du père). Est-ce un signe du mieux avant ? Grâce à Valéry Giscard d’Estaing (1974-1982) dont la gauche s’est moqué à satiété, le droit des femmes a évolué en moins d’une décennie. On a pu violer impunément jusqu’en 1978 ou 1980 mais plus après. Les époux n’ont pu gérer également leurs biens qu’en 1985…

Il ne faut pas fantasmer les années 1970, même si elles marquent l’essor de la musique populaire, rock, pop et blues qui séduit toujours. Car l’espérance de vie a progressé de plus de dix ans depuis l’année 1970 dans les pays de l’OCDE. On vit mieux et plus longtemps aujourd’hui. Ce qui a changé est la vision de l’avenir : elle était à l’optimisme dans les années post-68, elle est au pessimisme (en « alerte maximale ») aujourd’hui. D’où le repli sur soi, l’égoïsme, le rejet des autres, la xénophobie, le sentiment du déclin, la tentation autoritaire, la pensée régressive. Les gens sont plus beaux, mieux formés, en meilleure santé, avec un niveau de vie augmenté – mais ils sont moins heureux car ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur. C’est un avenir prometteur.

Bien élevé et accompagné (être présent mais sans imposer), le Gamin qui a douté de lui comme tous les adolescents basculant dans l’âge adulte et cherchant leur place dans la société, s’épanouit désormais dans son métier. J’en suis profondément heureux. L’avenir n’est pas sombre, il est seulement incertain : ce qui est, avouons-le, le propre de tout avenir.

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Boukhara 4

A la mosquée Bolo Khaouz, un vieux tout à fait authentique se dirige vers nous et vient s’asseoir tout près. Il observe, il veut bien se faire prendre en photo, il ne dit pas un mot.

Toute une théorie de babouchkas vient prier. La mosquée est en activité, mais vide de fidèles en ce jour et à cette heure. Elle est donc visitable aux étrangers. La vaste salle sous la coupole est recouverte de tapis, sur lequel on n’entre que pieds nus. Rien de remarquable, sinon quelques tracts imprimés appelant au pèlerinage ou aux dons, comme dans nos églises.

Je prends les babouchkas en photo à l’extérieur ; elles veulent se voir ; les autres veulent être prises aussi, en notre compagnie. C’est un moment d’échanges populaires. Nous ne nous comprenons pas par les mots, mais c’est bon enfant. S’agit-il d’une superstition de l’image ? La résistance à l’interdit islamique ? Quelque chose à voir avec le culte orthodoxe des icônes peut-être ?

Nous sommes trois à monter dans le petit minaret élevé sur la place, en face de l’entrée de la mosquée. Cela par autorisation du porte-clés de la mosquée, qui nous ouvre la porte. Les marches sont hautes chacune de 50 cm, la spirale étroite. D’en haut, à une quinzaine de mètres du sol, rien de remarquable à voir. A la redescente, les sept autres, sans doute jaloux, ont enfermé les trois que nous sommes au cadenas. C’est juste une blague.

Nous revenons à pied par les quartiers de ce matin. Etonnant comme le groupe se laisse guider en aveugle, comme personne ne fait attention où il se trouve. Les filles ne se reconnaissent pas, elles n’ont aucun « sens de l’orientation ». Or, ce sens, c’est de l’observation surtout, pas quelque chose d’inné dont on serait apte ou inapte ! Comme un certain nombre est emmené par Rios à « la boutique de chemises », ces hauts sans manches ni col, brodés exotique, j’en ramène deux à l’hôtel par les rues empruntées dans l’autre sens ce matin même. Ils sont incapables de les reconnaître…

Garçonnets et ados aiment à se faire prendre en photo ; c’est tout juste s’ils ne disent pas merci. Est-ce un moyen d’échange avec les étrangers ? de reconnaissance qu’ils existent ? Faute de langage commun, l’image est peut-être la première forme de communication, spontanée et immédiate ? A Naples, je me souviens, les gamins étaient de même il y a dix ans encore. Les filles ? Elles sont voilées et passent comme des apparitions, loin de toute foule – surtout mâle ! Il est d’usage que les mâles musulmans ne savent pas se retenir, si l’on en croit les commentaires de Mahomet rapportés par ses zélateurs.

Rios possède une grosse Volga dernier modèle. Ce pourquoi il nous bassine avec les Volga. Il me reproche de toujours désigner les vieilles Volga d’époque soviétique, comme s’il n’y en avait pas de plus neuves. Il est vrai qu’elles étaient à l’époque reconnaissables comme voitures des cadres du parti. Pas les limousines Tchaïka, ni les Zil des pontes moscovites, mais le véhicule du tout-venant à parti d’un certain grade, plus spacieuse, plus puissante et plus confortable que les Moskvitch et autres petits modèles. La marque a arrêté sa production en 2006, trop obsolète, trop peu aux normes pour poursuivre. Les derniers modèles consomment encore 12 litres d’essence aux 100 km. Rios aime les voitures grosses et puissantes, signe d’arrivisme ou, plus gentiment, d’ambition sociale. Ce n’est pas un reproche : nos parents, dans les années 60, avaient exactement le même comportement. Aujourd’hui, la voiture est moins marquée socialement en nos pays développés, le riche peut très bien rouler en petite voiture pour la ville, ou le smicard s’acheter – d’occasion – une grosse BM. A 25 ans, Rios veut exister. Il aurait bien acheté une Mercedes, mais le prix, même en seconde main, reste dissuasif pour ses moyens. Il joue alors le ‘vintage’ avec cette Volga de l’époque d’avant. Il me rappelle ces étudiants des années 70 qui roulaient en Traction-avant Citroën.

Nous sommes quelques-uns à prendre une bière à 3000 soums en fin d’après-midi, à une terrasse de café bordant le bassin. L’un des garçons a remplacé sa chemise blanche par une sorte de gilet traditionnel de feutre, trop chaud sur le corps, mais sans manche ni col, qui lui laisse les épaules et la gorge à nu, tout comme le nombril. Il arrose au jet la surface sous les tables, voire les pieds des consommateurs. Cela rafraîchit l’atmosphère mais montre un comportement un peu brut, « administratif », du style « rien à f…aire que vous soyez mouillés, le règlement doit être appliqué, tout le monde pareil. » Cela reste très soviétique.

Nous dînons dans la medersa près du bassin, mais en retrait. La maison de couture Ovaciya présente un défilé de mode locale, en alternance avec des danses folkloriques. De quoi animer la cour, qui est dûment fermée au reste du public, et faire les affaires tant des restaurants qui ont installé leurs tables tout autour, que des boutiques ouvertes sur les galeries. Le repas, servi durant ce temps, est composé de salades-soupe-raviolis. Nous nous mettons en frais d’un vin rouge ouzbek. Nommé ‘Omar Khayam’, il ne fait pas honneur au poète, amoureux du vin. Il est épais, âpre, presque vinaigré. Dans le verre, il a l’aspect du jus de framboise.

Pas un enfant n’est admis dans l’enceinte fermée de la medersa. En cause, le défilé des femmes. Leur attitude apprêtée, provocante, les pervertirait. L’islam tolérant d’ici est resté très prude en tout ce qui concerne l’autre sexe. Entre eux, les garçons peuvent faire quasiment ce qu’ils veulent, du moins aller très loin ; avec les filles ou les femmes, ils ne sont autorisés à aller nulle part – jusqu’au dû mariage. Lorsque les portes s’ouvrent quelques moins de 15 ans s’engouffrent à l’intérieur, alléchés par l’interdit. Hélas ! Il n’y a plus rien à voir, que quelques étrangères qui ont largement l’âge d’être leur mère, fagotées de jeans d’hommes et sans aucune des attitudes lascives qu’ils ont pu fantasmer.

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