
La vieille histoire du Prince et du Pauvre, ici un riche courtier en matières premières, directeur chez Duke et Duke Commodity Brokers à Philadelphie, et un misérable arnaqueur de rue. Ils font l’objet du pari entre deux businessmen sûrs de leur réussite, les frères Mortimer et Randolph Duke (Ralph Bellamy et Don Ameche), patrons de Louis. Ils prennent la « liberté » de les utiliser comme cobayes pour voir ce qu’il sort de l’inversion des rôles : les gènes ou l’environnement ? Vaste débat dans l’Amérique des self-made men. Réussit-on parce que l’on est WASP (White Anglo-Saxon Protestant) ou parce que l’on est immergé dans un milieu favorable ? Pour l’un des Duke (duc en français…), c’est l’évidence : « un Nègre apprend à voler avant de savoir marcher » ; pour l’autre, pas sûr, il suffit d’expérimenter. Tant pis pour la dignité humaine.


Louis Winthorpe troisième du nom (Dan Aykroyd) est sorti d’Harvard et exerce de façon talentueuse son métier de prévisionniste sur les matières premières ; il compte épouser Pénélope (Kristin Holby), la petite nièce de ses patrons, avec leur bénédiction. Billy Ray Valentine (Eddie Murphy) est un Noir pauvre qui joue les vétérans du Vietnam, faux aveugle et faux cul de jatte sur les trottoirs en plein hiver. Que se passerait-il si le premier était déshonoré aux yeux de sa classe, le club conservateur The Heritage, chassé de la boite, accusé de vol et de trafic d’héroïne, ses comptes bloqués et sans argent, mis en prison, embrassé devant sa fiancée par une pute nommée Ophélie (Jamie Lee Curtis) payée par l’employé Beeks (Paul Gleason) ? Réussirait-il par sa valeur génétique à surmonter cette déchéance du sort ? A l’inverse, comment le nègre Valentine, lavé, brossé, costumé, argenté, réussirait-il dans le job de directeur à la place de Louis ? Qu’est-ce qu’un « gagnant » ? Celui qui profite des conditions favorables ou qui réussit grâce à ses dons innés ?



La ficelle est grosse et le début est conforme aux préjugés : Louis se noie dans la pauvreté, toute son armure sociale craque, de son costume volé par ses codétenus, à ses cartes de crédit qui lui sont confisquées, ses « amis » qui le méprisent ouvertement, son majordome Coleman (Denholm Elliott) qui feint sur ordre de ne pas le connaître, malgré qu’il en ait, jusqu’à sa fiancée qui ne veut plus le voir. Malgré son arrogance, Louis n’est pas seul. Ophélie, payée cent dollars pour l’embrasser, se prend de pitié pour l’oisillon déplumé jeté du nid ; elle le recueille chez elle et lui avoue sa profession. Elle est pute indépendante, sur rendez-vous, pour se payer une retraite à 40 ans – une vraie entreprise. Au vu de ses mains, blanches et manucurées, elle croit Louis lorsqu’il dit être l’objet d’un complot pour le rabaisser à rien. Elle veut l’aider à s’en sortir.



La suite est moins conforme aux préventions sociales : le nègre Billy s’en sort très bien. Il a la tchatche, le bon sens populaire et la faculté d’adaptation qu’il faut pour se couler dans le costard taillé à sa mesure. Il fait gagner de l’argent aux Duke en supputant que les cuisses de porc devraient baisser parce que c’est Noël, et remonter ensuite, une fois les fêtes passées. Louis s’introduit dans la société lors du pot de Noël pour discréditer son rival Billy, mais se fait surprendre et chasser. Pari gagné pour Randolph : c’est bien le milieu qui compte, pas l’hérédité. Les deux frères se congratulent en se lavant les mains aux toilettes, sans savoir que Billy est dans un cabinet, en train de fumer une clope de haschisch que Louis a mis dans son tiroir pour le faire accuser. Le « nègre » s’aperçoit qu’il n’est qu’un objet entre les mains des Duke et qu’ils vont le virer après les fêtes puisqu’il n’a pas sa place dans cette société de courtages, blanche et respectable.



Dès lors, Billy va rejoindre Louis en suivant son bus dans un taxi jusque chez Ophélie, pour lui révéler le complot contre eux deux, et envisager la façon de se venger. Après avoir écarté le coup de fusil, qui mènerait en prison, quoi de mieux que de ruiner les financiers ? Pour cela monter un coup de délit d’initié, comme les Duke savent le faire – et Louis aussi, à leur bonne école. Billy sait que les Duke attendent que leur employé fantôme Beeks, qui ne figure pas dans la liste mais reçoit un copieux chèque chaque mois, doit voler une copie du rapport confidentiel sur la production mensuelle d’oranges aux États-Unis, pour le ministère de l’Agriculture. Ils s’arrangent pour monter dans le même train que Beeks avec Ophélie et Coleman, le majordome de Louis, lui subtiliser sa valise d’attaché et remplacer le rapport par un autre qui dit l’inverse. La récolte a été bonne et le cours doit baisser, mais ils font croire que la récolte a été mauvaise, ce qui fera immanquablement monter les cours. La scène dans le train est désopilante, faisant même intervenir un gorille, une sorte de sous-nègre de caricature, qui va jouer son rôle lui aussi à la perfection… et une certaine « humanité ».




La bourse des matières premières était alors dans le World Trade Center, les tours jumelles que les Arabes ont fait sauter en y jetant deux avions bourrés de passagers. Mais nous sommes sous Reagan, et les Arabes se tiennent tranquille. C’est l’effervescence sur le parquet : le rapport va bientôt tomber sur les écrans et les spéculations vont bon train. Les Duke font acheter force contrats à terme, croyant pouvoir les revendre largement au-dessus du cours d’ouverture de 102 $ ; Louis et Billy, qui ont rassemblé toutes les économies de Coleman, d’Ophélie et d’eux-mêmes, se positionnent en vendeurs à découvert, pour les racheter lorsque le cours se sera effondré. La vente à découvert est quand vous n’avez pas les titres et que vous les vendez d’abord ; vous devrez les racheter avant la clôture du marché. Opération réussie : ce qui valait 102 $ à l’ouverture est monté jusqu’à 129 $, avant de clôturer à 29 $. Une belle plus-value : la différence entre la vente vers les plus hauts et le rachat vers les plus bas. Les Duke ont perdu 394 millions de dollars qu’ils doivent couvrir immédiatement, selon le règlement de la Bourse. Ils ne peuvent pas, ils sont ruinés ; leurs biens personnels seront donc saisis en plus de leur office. Randolph en fait une crise cardiaque.
Louis, Billy, Ophélie et Coleman sont désormais riches et, selon les conventions du temps, passent des vacances sur une plage tropicale des îles Vierges à boire des cocktails, à manger du crabe et à naviguer en yacht. Louis n’épousera pas Pénélope mais plutôt Ophélie, il ne travaillera plus chez Duke et Duke qui a fait faillite, mais profitera de sa fortune – peut-être pour monter quelque chose avec ses associés Billy et Coleman ?
Gros succès dû aux acteurs, au parti-pris de comédie, mais aussi au jeu de « qui est riche ». Vu l’époque, les blagues racistes sont en nombre, ce qui ne plaît pas aux wokes d’aujourd’hui. On ne dit plus nègre, ni noir, ni black, il paraît qu’il faut dire désormais « nwar » – où s’arrêtera la stupidité sociale ? Mais on rigole, ce qui devrait plaire à tout le monde. D’ailleurs, le terme « nègre », employé à tout va, est réhabilité par Billy et même par le gorille : ces « sous-Blancs » montrent qu’ils sont aussi talentueux que les vrais Blancs ; il suffit des circonstances.
Tout le monde, dans cette société américaine, est dans le paraître. Chacun est déguisé et, pour la société, l’habit fait le moine, pas ce qu’il y a entre les oreilles. Mais c’est bien le soi qui crée la réussite réelle, pas le costume. Même la pute montre qu’elle n’est pas qu’un objet sexuel à la Marilyn, mais capable d’humanité ; même le majordome, formaté bourgeois conforme, montre qu’il n’apprécie pas la trahison des patrons. Au fond, le « rêve américain » est ouvert à tous – à condition de révéler ce qu’on est en vrai.
Un film intelligent – ce n’est pas si courant chez les Yankees.
DVD Un fauteuil pour deux (Trading Places), John Landis, 1983, avec Dan Aykroyd, Eddie Murphy, Ralph Bellamy, Don Ameche, Denholm Elliott, Paramount Pictures France 2007, 1h52, doublé anglais, français, €39,68
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